La plume rouge

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Berboz se retrouva seul avec le coffre. Il se félicita encore un moment de son coup de maître. Il s'en était fallu de peu cette fois, mais il avait su remonter la pente. Il méritait amplement son dû ! Il s'assit, le trésor sur les genoux. Il était si lourd que le pirate s'en frottait les mains d'avance. Que contenait-il, cette fois ? Un collier en or, un bracelet en perles, une bague lourdes de pierres ? De l'or ? Tout ça à la fois ? L'étendue des possibilités lui tournait la tête.

Le Capitaine Berboz prit une profonde respiration. Il était temps. Empoignant le battant d'une main, il l'ouvrit d'un seul geste pour y découvrir... une plume. Comment ça une plume ? De flamand, d'autruche, de dodo, de phénix ? Non, une simple plume rouge, grossière, qui avait presque l'air fausse. Ni grande, ni petite, pas très douce mais pas rêche non plus ; banale quoi. Son bout légèrement plié, sa couleur fatiguée, sa légère odeur de poussière, c'était comme si elle avait été oubliée dans un tiroir pendant des années.

Berboz était abasourdi. Il avait beau l'analyser de nombreuses fois, sous toutes les coutures, le constat était sans appel : son trésor ne valait pas un caillou.

Impossible, il devait y avoir une erreur... ou un double-fond ! Le capitaine inspecta de nouveau le coffre, toqua une à une toutes les parois, tirant, poussant, frappant l'objet au sol. Colère et frustration prirent le pas et mirent à mal le pauvre mais brave coffre qui ne céda pas ;malgré la force des coups de sabre, aucune éraflure ne se dessina sur le bois verni. Vaincu, le pirate s'affala à terre. Il n'en croyait pas ses yeux. Tant d'efforts récompensés par... rien du tout ! Quelle honte, quel scandale, quelle ignominie ! Comment pouvait-on ridiculiser un homme comme lui ? D'abord, la chasse au trésor, et maintenant ça ! Il ne pouvait admettre un tel outrage. Où était-elle, cette maudite plume ? Il allait lui régler son compte ! Fou de colère, il chercha sa proie comme un animal sauvage assailli par la faim. Là !

« J'vais t'apprendre à te moquer du Capitaine Berboz moi, saleté de trésor de pacotille ! »

Malheureusement, en voulant lui sauter dessus, Berboz se prit les pieds dans le coffre qu'il ne pensait pas si proche de lui, et tomba au sol sans parvenir à se rattraper.

« Aïe ! »

Sa vue se brouilla. Quelques instants plus tard, tout redevint net, mais il voyait encore double : deux plumes rouges s'étendaient devant lui. Se frottant les yeux, il s'aperçut qu'aucune ne bougeait ; il y avait bien deux plumes rouges devant lui ! L'une, courbée par le haut, l'autre, abimée de partout. Cette dernière avait vraisemblablement vécu beaucoup plus de choses que sa voisine.

« Ma parole, mais cette plume, c'est la mienne ! »

Attendez... une plume rouge, un coffre-fort à la serrure minuscule, une immense chasse au trésor à travers la mer ! Tous ces éléments ramenèrent Berboz des années en arrière, dans les temps anciens (et bien plus apaisés) où il n'était pas encore un homme, encore moins un pirate, mais un simple enfant. Un jeunot déjà prêt pour l'aventure en mer, qui criait haut et fort au monde que bientôt tous les continents et océans le craindraient et s'agenouilleraient devant lui, le plus grand pirate de tous les temps !

« Très bien marmot, lui avait répondu un jour un homme muni d'une carte, trouve ce trésor, et tu deviendras un véritable pirate ! »

Téméraire, le gamin avait déjoué tous les pièges, surmonté toutes les épreuves, résolu toutes les énigmes, jusqu'à arriver à l'ultime coffre. L'homme lui avait prêté son porte-bonheur, sa vieille plume rouge, la seule qui pouvait ouvrir le cadenas, et le garçon acquit son premier trésor. Depuis, elle trôna fièrement sur son chapeau. Jamais il ne quitta un navire. Il ne trahit ni la mer, ni aucun équipage, et s'était même hissé avec force et bravoure au sommet des plus hautes sphères de la piraterie !

Mais le voilà aujourd'hui : seul, honteux, indigne.

Stupéfait, Berboz ne bougeait plus. Sa tête et son corps étaient silencieux. Dans son âme, une sensation bizarre, inconfortable, s'installait. Ce n'était pas de la peur, puisqu'il n'avait jamais peur, et n'était plus de la joie depuis qu'il avait ouvert ce foutu coffre. En fait, son corps lui tournait, mais pas de gauche à droite comme quand il sortait de l'auberge très tôt le matin, plutôt du bas vers le haut, très lentement, comme une brise légère, mais lourde comme le plomb, et terriblement accrochée à son thorax. C'était de la tristesse, la première fois qu'il en ressentait. Son regard tomba sur les plumes, étendues au sol. Cela ne pouvait se finir ainsi. Pris d'une nouvelle détermination, il les ramassa et sortit de la grotte.

De leur côté, Hélène et son fils parvinrent enfin à rejoindre le Krak'N Volant. Ce ne fut pas une mince affaire, Sébastien avait été inconsolable tout le long du trajet. Sa mère élaborait le discours le plus acerbe concernant cet homme ignoble à qui elle et sa famille avaient été confiés. Margret Rikka allait en entendre parler pendant un moment ! Un pirate, et puis quoi encore ? Ils avaient de la chance de ne pas avoir été réduits en bouillie par les requins après avoir subi le supplice de la planche ! Tout ceci était inadmissible, et jamais plus elle ne mettrait les pieds dans ces foutues voiles ouvertes !

« Qui va là ?
Elle leva les yeux vers le navire et aperçut cet infâme Bouarboz, Baréboz, ou qu'importait son nom.
— Ramenez-nous immédiatement, je vous l'ordonne !
— Jamais de la vie, bande de mauviettes ! Je n'accepte que les fiers pirates sur mon navire, et c'est pas aujourd'hui que c'est prêt de changer, parole du Capitaine Berboz !
— Cessez vos enfantillages et laissez-nous monter. Vous allez voir, vous serez banni de la ville !
— Eh toi là-bas !
Berboz pointa son sabre vers Sébastien.
— T'es un vrai pirate, pas vrai ? Alors viens te battre. Si tu gagnes, tu recevras deux trésors, et si je gagne, vous serez à mon service pendant plusieurs années ! Hahaha ! »

Les yeux du garçon brillaient toujours, non de larmes, mais bien d'admiration face au pirate qui se tenait fièrement devant lui. Un duel ? Incroyable ! Il s'échappa des bras de sa mère et, malgré les protestations et courses-poursuites, il réussit à monter seul sur le navire grâce à la corde que le Second (qui décidément ne comprenait rien) lui avait lancée. Sébastien reçut un vieux sabre édenté plus ou moins à sa taille mais pas très lourd à porter. S'engagea alors une lutte sans pitié durant laquelle le gamin se battit comme un diable, parant tous les coups du capitaine pour l'attaquer aux chevilles, aux cuisses, au dos, au ventre, et enfin aux mains qu'il put désarmer. L'homme se retrouva maîtrisé et accepta facilement sa défaite. Il lui tendit les deux trésors promis : le coffre de la grotte et la plume de son chapeau.

Le garçon ne comprit pas tout de suite. Il inspecta le rouge fatigué de son butin sous toutes les coutures. En aidant Hélène à monter sur le pont, Berboz siffla vers le garçon, puis lui désigna le coffre d'un rapide signe de tête. Alors, tandis que le plus grand pirate du monde se faisait incendier par une femme excédée de colère, le jeune garçon introduisit la plume dans le trou minuscule du cadenas et la tourna jusqu'à ce que... « Clic ».

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