Chapitre 3 : Les souvenirs de Buriou

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- Regarde Maman ! Je t’ai fait un dessin !

La mère regarda son enfant : une charmante fille aux yeux bleus, tendant fièrement une feuille de papier dont le blanc avait disparu sous les couches de couleurs, se tenait devant elle. Du haut de ses huit ans, elle n’était pas bien grande et sa maigreur pourrait faire peur. À cette pensée, la femme ne put empêcher un sentiment de culpabilité naître en elle. Qu’est-ce qu’elle en avait marre d’être impuissante ! Mais que pouvait faire une mère veuve avec deux enfants sur les bras, seule. Enfin elle ne l’était plus, ses enfants étaient là pour elle et elle serait là pour eux, aussi longtemps qu’elle le pourrait.

- C’est bien ma chérie, donne-le-moi, je vais le mettre sur le meuble.

- Je veux le faire !

La petite fille se précipita vers un vieux buffet un bois, sur lequel reposaient déjà des dessins, coquillages, cailloux, dents…

« Je me rappelle encore quand il ne voulait pas donner sa première dent perdue, il voulait la garder pour la vendre… Quel dommage qu’on ait si peu d’argent, si peu que l’on soit obligé de vendre, toujours vendre ! »

Une fois le dessin posé – juste à côté que celui qu’avait fait son fils aîné, une représentation de la rivière, qu’elle avait toujours trouvé magnifique – et le cadre photo. Ce cadre était pour la jeune mère, la représentation même de sa vie, et de l’amour qui l’avait fait quitté les siens, tenant un joyeux bambin à la tignasse blonde alors qu’elle tenait sa fille qui venait juste de naître, une touffe de cheveux noirs. Un sourire sur leur visage, encore si insouciant. Au moment de la prise du cliché, elle n’aurait jamais douté que moins d’un an plus tard il ne serait plus là. Non elle ne s’en était jamais doutée. Pour elle la vie était rose, mais ce n’était qu’une illusion, une douce illusion dans laquelle elle se berçait. Car même si elle se le cachait, même si elle ne le montrait pas, elle savait que la mort finira par les trouver, la trouver. Elle était destinée à mourir, peut-être dans un an, deux ans, voir trois. Elle espérait juste que ses deux enfants seront encore là, après sa mort, que celle-ci ne les emporte pas prématurément.

Ni de faim, ni de maladie, ni tué par un monstre, que la faucheuse ne vienne pas les trouver. Et quand elle disparaitra, elle savait que Percée prendrait soin de Lynmia, qu’ils se soutiendront dans les dures épreuves de la vie, survivant côte à côte. Et ils vivront, aussi longtemps que le destin leur permettra, et chaque soir elle se voyait prier que ce soit de vieillesse que ses chéris meurent.

La petite fille, quant à elle, regardait sa mère, les yeux perdus dans le vague. Loin, très loin d’elle, loin de la terre. Sur la lune, comme son frère le lui avait dit : « Maman est partie loin d’ici, elle est sur la lune ».

« Comme d’habitude » songea-t-elle.

Puis elle partit de la pièce commune, laissant sa mère seule au milieu ses pensées. D’ailleurs où était son frère ? Il avait promis de lui apprendre à faire des pièges !

Lynmia gambadait, traversant en quelques pas la ridicule place du village dans lequel elle avait toujours vécu. Elle en connaissait chaque recoin, chaque pavé, chaque maison au toit de chaume, chaque aspérité sur les murs. La seule chose qu’elle ne savait pas, c’était comment se passait les chasses. Elle n’avait pas le droit d’y participer, seuls les hommes le pouvaient. Ce que la petite fille trouvait injuste ! Pourquoi seulement les hommes pouvaient être fort ?! Elle aussi elle pouvait chasser et ramener à manger ! Chez eux, c’était son frère qui y allait. Il revenait toujours sale, parfois même blessé ! Lynmia avait très peur quand il partait, comme s’il risquait de ne jamais revenir ! Parce que la forêt, elle criait souvent en ce moment. Alors pour se soutenir la brunette se disait que son frère c’était le plus fort ! En même temps c’était vrai, une fois il avait ramené trois lapins ! TROIS lapins ! Ce fut énorme ! Cette semaine-là, ils avaient bien mangé ! Malheureusement, l’hiver qui eut suivi fut rude, elle fut tombée malade ! Son frère n’avait pas arrêté de la veiller pendant que Maman allait prendre des médicaments au village voisin. Elle se rappelait encore de la douceur de sa main, de ses paroles rassurantes. Qu’est-ce qu’elle aimait son grand frère !

« Plus tard je serai comme lui !!! » pensa la petite fille, contente du nouveau but trouvé !

Après quelque temps de marche elle l’aperçu enfin, portant son habituel t-shirt troué et son jean aux genoux si abimés que Lynmia se demandait comment ça se faisait qu’il ne soit pas encore déchiré !

- PERCÉEE ! cria Lynmia pour attirer son attention.

Le garçon se retourna, laissant à la vue de la jeune fille des yeux verts larmoyants, de longues traces de larmes sur ses joues pâles.

- Qu’est-ce qu’y a ?

- Thim…

- Thim … ? Ah oui !

La petite fille voyait un garçon aux cheveux châtains se dessiner dans son esprit… elle ne lui avait jamais parlé, juste aperçu de loin.

- Qu’est-ce qu’y a ?

- T’fais exprès ou quoi ?

- Non ! – la petite fille n’aimait pas quand son grand-frère lui criait dessus, alors qu’il n’avait que dix mois d’écart, ça l’insupportait qu’il la prenne pour une gamine ! - il est malade ?

- T’es casse-pied à la fin ! Laisse-moi ! lui cria réellement dessus Percée, la laissant abasourdie.

Décidément Lynmia ne comprenait pas, pourquoi est-ce qu’il s’énervait ainsi ? Puis ça lui revint en mémoire :

Thim, un garçon avec qui Percée s’entendait bien, toujours collés ensemble. Ils partaient souvent chasser ensemble d’ailleurs. C’était donc lui sur le brancard ? La main claire toute abimée lui appartenait ? C’était donc sa mère en pleur ? C’était donc lui le nouveau nom sur la liste…

Lynmia tourna sa tête vers la mairie, là où s’affichait une liste de noms – si longue qu’on n’en voyait pas le début - qui s’étalait sur presque deux façades entière. Elle s’en approcha, allant vers la fin où un nom venait d’être fraichement gravé : « Thimothé Lirbynat ». Ou plus couramment surnommé Thim, marqué à jamais dans la pierre, à jamais dans la liste des morts. Cette liste sur laquelle les prénoms des morts étaient inscrits éternellement, pour leur rendre hommage. Le village n’ayant pas les moyens d’avoir un cimetière, son corps a dû être incinéré… Est-ce que sa mère avait fait un autel chez elle ? Comme eux eurent fait pour Papa ? Sûrement, d’ailleurs dans ses souvenirs la dame est seule.

« J’ai bien peur qu’elle ne reste pas longtemps »

Lynmia avait eu raison, trois jours plus tard un nouveau nom fut inscrit : « Martha Lirbynat ». La petite fille fut triste, mais habitué à ces morts incessantes. C’était la combientième ce mois-ci ? Ah oui, la sixième.

Dans ces petits villages, s’il y a bien une chose que l’on apprenait dès le plus jeune âge, c’était que la mort était partout, qu’elle tombait à n’importe quel moment, aléatoire, injuste, cruelle, mortelle. Les habitants n’y étaient pas indifférents, juste habitués.

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