Chapitre 2 : La princesse et la roturière

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Lynmia et Cassandra marchaient depuis plusieurs jours maintenant, se dirigeant vers le royaume de Cœur, le plus proche de leur royaume d’origine. Malgré les chemins de boue, la pluie et la chaleur étouffante qui se succédaient régulièrement en ces régions, ni l’une ni l’autre ne s’étaient plaintes. D’ailleurs cela avait étonné l’apprentie, pensant que la princesse serait plus « fragile » ou tout simplement qu’elle se serait fatiguée beaucoup plus vite qu’elle. Mais non, Cassandra marchait – et marchait toujours - dans un silence absolu, pour « économiser ses forces » disait-elle.

Les deux jeunes filles s’arrêtèrent près d’un arbre pour se reposer à l’ombre de ses feuillages. La chaleur commençait sérieusement à se faire sentir en cette fin de matinée, le soleil étant presque à son zénith.

Cassandra s’écroula le long de l’arbre, s’aérant de sa main, espérant ainsi que cela la rafraîchirait, ce qui bien sûr, ne marcha pas.

- Arrêtez de vous agiter comme ça, cela ne vous donnera qu’encore plus chaud.

- Ouais, ouais… mais comment fais-tu pour supporter cette chaleur ?! Elle est aussi étouffante que celle d’un four à pain !

- Un four à pain ? Votre comparaison est étonnante. Aimez-vous le pain ?

- J’aime tout ce qui en sort, mais là n’est pas la question, comment fais-tu ?

- Par habitude peut-être.

L’apprentie se rappela un bref instant les chaleurs caniculaires de son village, ses journées étouffantes où elle et son frère jouait dans la maison, pour s’occuper. Un brin de nostalgie l’effleura et reparti aussitôt. La princesse quant à elle, poussée d’une curieuse toute nouvelle entreprit d’en savoir plus sur sa mystérieuse sauveuse.

- Tu viens d’où ? questionna-t-elle, se demandant si l’apprentie allée lui répondre.

- De Buriou.

- Attend ?! Tu es d’origine Trouflionne ?!

À cette parole Lynmia se raidit un peu, ce terme n’étant utilisé que pour les habitants de son royaume d’origine, extrêmement péjoratif, est devenu une sorte d’insulte pour eux. Et dire que tout cela à commencer à cause d’une vulgaire dispute entre l’As de Pique et l’As de Trèfle, il y a environ cent ans… une vieille rancune qui aura du mal ‘ s’oublier.

« Mais pourquoi les personnes de nos deux royaumes se détestent-ils ainsi ? Être originaire du royaume de Trèfle est-il si terrible que ça ? »

- Exact. Par contre, comment dire, je n’aime pas beaucoup le terme que vous avez employé.

- Pourquoi ?

- C’est une expression que vous utilisez souvent pour nous désigner, mais pour nous c’est une insulte – lui expliqua Lynmia avant de continuer – Et puis pouvez-vous me considérer comme une habitante du royaume de Pique s’il vous plait, j’y habite depuis déjà plusieurs années et ai même acquis la nationalité.

- Ah bon ?! Et pourquoi es-tu venue ici ? Ils t’ont refusé au poste d’apprentie alors tu t’es dit que tu réussirais ici ? affirma Cassandra, une légère agressivité dans la voix, sûre de sa réponse.

- Non, j’ai été recueillie par l’As de Pique après qu’elle m’ait retrouvée dans la rivière.

À ses souvenirs, la jeune apprentie sentit de l’eau monter au coin de ses yeux. Eau qu’elle se dépêcha de faire disparaître avec le doigt. Il ne fallait pas que les souvenirs affluent, ce n’était pas le bon moment.

Pour la princesse, Lynmia était bizarre. En effet, pourquoi aurait-elle choisi de rester dans un royaume qui n’est pas le sien ? Ou tout simplement, que faisait-elle dans la rivière Huioji, frontière entre les deux royaumes ?

- Et pourquoi y étais-tu ?

- Je ne préfère pas en parler, répliqua sèchement la brune.

- Je vois.

Un silence s’installa entre les deux jeunes filles, seulement troublé par le bruissement du vent sur les feuilles et le chant mélodique des oiseaux. Aucune des deux ne parla, n’y mit fin, ni ne dit ce mot, cette phrase, qui aurait pu permettre de le briser.

Alors que le soleil disparaissait lentement derrière les bois, projetant une douce lumière orangée sur la cime des arbres, l’apprentie s’arrêta.

- On devrait se dépêcher de trouver à manger et de faire du feu, la nuit ne vas pas tarder à tomber, déclara Lynmia.

- Ouais.

- Je vais chercher un lapin, attendez-moi ici. Si vous avez un problème, sifflez ou appelez-moi je ne serai pas bien loin.

- D’accord, marmonna Cassandra alors que la brune disparaissait entre deux imposants troncs.

Après son départ, Cassandra s’assit contre un arbre, étendant ses jambes fatiguées par la longue marche, pensant à la journée d’aujourd’hui, silencieuse.

« Pourquoi est-ce que Lynmia a failli pleurer en se rappelant la rivière ? Y aurait-elle perdue des proches ? Cette fille est un vrai mystère pour moi, je ne suis même pas sûre que mes parents en sachent plus… en savaient plus plutôt. Ils me manquent tant ! Père ! Mère ! Pourquoi être partis si tôt ? Pourquoi est-ce que vous m’abandonnez ? Me laissez perdu au milieu de ce monde si grand ? Père ! Mère ! J’aurai tant aimé vous dire, rien qu’une seule fois à quel point je vous aime ! Je vous aime ! »

La jeune fille ne put contenir ses larmes, larmes qui s’étaient accumulées depuis des jours, sans trouver un moment pour être versées. Pour une fois, elle était seule. Elle pouvait pleurer, pleurer sans que personne ne la voie, et rester une personne forte aux yeux des autres. La princesse souhaiterait que tout le monde la voie comme quelqu’un d’inébranlable, quelqu’un qui peut surmonter la mort de ses proches et continuer dans la vie. Elle aimerait tellement être comme ça : forte. C’était son rêve, elle voudrait être forte… mais là, pour un instant, elle voudrait redevenir une petite fille, une petite fille qui pleure ses parents disparus.

La princesse, se replia sur elle-même, sanglotant doucement, ses joues humides venant mouiller les manches de sa robe, telle une fontaine qui n’avait pas fait jaillir de son eau depuis longtemps, que rien ne pouvait arrêter ses larmes salées de tristesse.

Pendant ce temps, Lynmia avait enfin réussi à trouver un lapin, qu’elle tua d’un rapide coup de couteau au cou, pour ne pas le faire souffrir. Un sourire triste se dessina sur ses lèvres à ce moment, ce mouvement, ce fus son frère qui le lui avait appris, quand il était encore parmi eux…

« Non Lynmia reprend toi ! Ce n’est pas le moment de laisser le passé revenir ! Maintenant il faut rejoindre la princesse ! Tu dois la protéger ! »

Sur ces paroles, la jeune fille se dépêcha de revenir au « camp », et ce qu’elle vit la laissa troublée quelques secondes. En effet, l’apprentie ne s’attendait pas à voir la princesse de Pique pleurée, cela ne lui avait même pas traversé l’esprit.

Elle s’approcha doucement, posant le lapin et le couteau sur le côté, avant de venir enserrer Cassandra dans ses bras, dans un élan maternel, comme une mère rassurant son enfant après un cauchemar. Lynmia ne savait pourquoi elle avait eu ce geste, peut-être car elle savait ce que cela faisait de perdre ses parents, sa famille. Le sentiment d’impuissance que l’on ressentait à ce moment, celui de ne pas avoir pu les sauver, celui d’avoir été inutile elle ne le connaissait malheureusement que trop bien.

Cassandra fut surprise de sentir des bras s’enrouler autour d’elle, et elle se laissa aller à cette enceinte douce et rassurante qui venait de se former autour d’elle, telle un cocon protecteur, tout en se laissant bercer par la voix apaisante qui lui murmurait des paroles, qu’ elle ne les comprenait pas mais qui la soulagèrent.

Les deux adolescentes restèrent dans cette position plusieurs minutes, jusqu’à ce que la princesse fût calmé. Elles se regardèrent, gênée, avant que Cassandra ne prenne la parole :

- Merci.

- De rien. Mais pourquoi n’avez-vous pas pleuré avant ? Garder ses émotions aussi longtemps peut être dangereux.

- Tu vas sûrement trouvé ça ridicule, mais c’est parce que je voulais paraitre forte, et pleurer est un acte de faiblesse.

- Pleurer n’est en rien faible, tout le monde pleure, même les plus forts. Ce sentiment de tristesse, seuls ceux qui n’ont pas de cœur ne le ressente, et encore je pense que cela n’est pas vrai. Pour moi, tout le monde a le droit de pleurer, et en rien une personne ne doit être jugée sur ça.

- Toi aussi il t’arrive de pleurer ?

- Oui Cassandra, moi aussi je pleure parfois. Vous savez, malgré nos différences sociales, je pense que l’on se ressemble beaucoup.

- Comment ça ? demanda la princesse en essuyant ses joues.

- J’ai moi aussi perdu ma famille, puis mon frère…

- Tu avais un frère ?

- Oui, un frère de dix mois mon ainé. On était toujours ensemble, jamais l’un sans l’autre. Ce fût grâce à lui que j’ai pu surmonter le décès de ma mère, je crois que sans lui, je ne serais pas ici.

- Tu l’aimais beaucoup.

- Je l’aime toujours autant, et parfois il me manque tellement que j’ai l’impression de le voir partout ! Comme s’il me murmurait des choses à l’oreille, qu’il me conseillait, toujours avec moi.

- Et… il est mort ?

- Je ne sais pas, peut-être. Il a été enlevé par des bandits d’après ce qu’on m’a dit, je ne l’ai jamais revu depuis. Au bout d’un moment on m’a dit qu’il valait que j’arrête de penser à lui… on lui a fait une tombe dans le jardin.

- Oh… je suis désolée.

- Vous n’avez pas à l’être, c’était il y a longtemps.

- Combien ?

- Neuf ans, il aurait dix-sept ans maintenant…

- Tu sais, moi je pense qu’il est encore en vie, quelque part !

- Ça fait un moment que j’ai arrêté d’espérer.

- Il est vivant ! Et même s’il ne l’est pas en chair et en os, il l’est dans ton cœur ! Comme mes parents, ils vivent dans mon cœur !

- Oui, vous avez raison ! Merci, ça m’a fait du bien d’en parler.

- De rien – Cassandra réfléchit un peu, hésitant à le dire ou non – en fait je me suis rendu compte que, je ne me suis pas forcément bien comporté avec toi… tu veux bien qu’on recommence depuis le début ?

- Euh – Lynmia sembla prise au dépourvu par cette demande inattendue de la princesse, et mit quelques secondes à répondre – Bien sûr.

- Alors déjà arrête de me vouvoyez, puisqu’on est amie ! Enchanté, je m’appelle Cassandra Del Pique, j’ai dix-huit ans et je suis la princesse du royaume de Pique.

- De même, je m’appelle Lynmia Lavoshkyra, seize ans, et je suis l’apprentie de l’As de Pique.

- Tu… es plus jeune que moi ?! J’ai du mal à y croire, tu es tellement mature.

- Vous… tu fais aussi plus jeune que tu paraissez… euh parais.

- Merci Lynmia, sourit la princesse.

- Et sinon, vous… euh tu veux parler de quelque chose en particulier ?

- Non, là j’ai plutôt envie de dormir, dit Cassandra en étouffant un bâillement.

- tu n’as pas faim ? J’ai un lapin si tu veu-

- Non merci, je n’ai pas très faim, déglutissa la princesse à la vue du lapin un peu plus loin.

- D’accord, bonne nuit Cassandra.

- Appelle-moi Cass, c’est plus simple. Bonne nuit Lym.

- Heu, oui, dors bien.

Cassandra s’allongea sur un tas de feuilles rassemblées plus tôt, laissant Lynmia dans ses pensées.

« Je n’arrive pas y croire, qu’en l’espace d’un si court instant, moi et la princesse sommes devenues… amies ? Oui, on peut utiliser ce terme. Cela fait si longtemps que je n’ai pas eu d’ami, quand j’étais avec mon maître, je m’entrainais et étudiais, et je n’ai quasiment jamais parlé aux filles du village, ni dans mon ancien pays non plus… Ah si, je me rappelle d’une fille de mon âge je crois, on jouait à la marelle ensemble parfois. C’était quoi son prénom déjà ? Hidèle ? Non, peut-être Midèle ? Je ne sais plus, de toute façon il y a de grandes chances qu’elle ait péri, ou alors elle vit ailleurs. Je ne risque pas de la revoir. »

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