Chapitre 4

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 Jean s'étira, puis s'assit en face de Gabin. Son meilleur ami était un blond de taille moyenne, possédait un physique athlétique et une barbe aux reflets roux plutôt bien complète pour son âge. De nombreux poils drus poussaient sur le corps de Gabin déjà depuis le collège, ce qui lui valut le surnom de "Big Foot", que Jean s'amusait à utiliser. Mais pour l'heure, Jean se sentait étonné par le comportement de son ami.

 — Comment ça, "on le reverra jamais" ?

 — Mec, j'crois que y'a un truc pas net qui se passe au lycée là.

 Jean émit un petit rire.

 — Tu débloques frère !

 — Mouais, j'suis pas sûr... Pourquoi y'a personne dans le lycée, à part des types en costard qu'on a jamais vu ?

 — J'en sais rien moi ! Il doit y avoir une expo ou un truc du genre et on était pas au courant.

 — Le petit Sébastien s'est fait tabasser putain !

 — "Tabasser", carrément ? T'es sûr que t'exagères pas un peu ?

 — Nan, fais-moi confiance, je sais ce que j'ai vu. Le bâtard lui a foutu un coup de bâton sur le crâne, puis l'a poussé sur l'épaule pour le faire tomber. Une fois au sol, il lui a foutu des coups de pied dans le bide, puis il l'a pris par la jambe et l'a trimballé comme un vieux sac à patates.

 — Putain ouais, c'est chaud j'avoue...

 — De ouf.

 — Mais, un bâton ?

 — Ouais. Il avait une sorte de bâton de majorette. Au début j'ai cru que c'était une canne d'aveugle, mais apparemment il voyait très bien. Regarde, je dois te montrer un truc.

 Gabin se leva pour se rasseoir à côté de son ami. Il lui dévoila une page web sur son téléphone.

 — C'est un des articles dont je t'ai parlé. Les géants violets qui sont apparus y'a deux jours.

 Jean observa l'image du colosse qui accompagnait l'article. Une forme indescriptible flottant au milieu d'un champ de blé s'étendait vers les cieux et occupait l'espace en largeur. Sur la photo, la chose héliotrope semblait ne pas avoir de profondeur et n'être qu'une silhouette aux contours indistincts. En plissant les yeux, on pouvait presque la confondre avec des ailes de papillons brillantes. L'article les appelaient "Monarques" pour cette raison. Cinquante-quatre Monarques sont apparus sur Terre, disséminés aux quatre coins du globe. Sur les océans, dans les campagnes, au milieu des métropoles. Ils se sont tous matérialisés à partir du néant au même instant. Vendredi, 22h22. Au début inoffensifs, ne faisant que bloquer le passage, les Monarques intriguaient. De nombreuses théories étaient évoquées par les populations. Celle que cet article mettait en avant était celle d'une vie extraterrestre.

 — C'est une fake news, se contenta d'énoncer Jean.

 — Ouais, on pourrait croire ça, moi-même j'y ai pensé, mais le truc c'est que tous les journaux se sont mis à en parler, y compris les plus respectables.

 — Une fake news d'ampleur mondiale, alors.

 — Tu doutes vraiment encore ? Me dis pas que t'as pas vu le Monarque qui est dans la ville voisine ?

 — Bah non, puisqu'il est dans la ville voisine... Tu réfléchis toi des fois ?

 — Mais mec, on le voit d'ici le machin ! s'agaça Gabin en frappant ses mains contre ses cuisses. Tu l'as vraiment pas repéré en venant ? Moi je l'ai capté direct dès que je suis sorti.

 — J'ai pas souvenir, non... Mais maintenant que j'y pense, c'est vrai que j'ai vu passé des posts sur ces bidules hier en regardant Twitter.

 — Ah bah tu vois ! Mais regarde ça maintenant, c'est le témoignage qu'un type a posté sur YouTube.

 Gabin mit son téléphone à l'horizontal et appuya sur Play. FrankyGaming, un vidéaste connu pour son naturel et sa façon de gueuler en permanence en jouant à des jeux rageants, avait publié ce matin une nouvelle vidéo qui dénotait fortement de celles qui constituaient sa chaîne. Dans celle-ci, pas de jeux, mais lui dans la rue tenant sa caméra en mode selfie. Sa façon de parler très rapide et sans trop articuler pouvait agacer, toutefois il fallait lui reconnaître un charisme certain et un talent pour captiver son audience.

 — Ok les p'tits potes, bon, p'tite vidéo aujourd'hui un peu spéciale, nan, carrément spéciale en fait. Bon, les p'tits potes, vous êtes pas sans savoir qu'des monstres géants trop chelous là sont apparus l'aut' jour, et les médias mainstream là ils disent ouais nanani nanana y'a pas de soucis, ils sont pas dangereux et tout et blablabli blablabla mais moi j'vais vous dire la vérité de la situation moi les p'tits potes. J'vais vous dire c'qui s'passe vraiment, ok ? Parc'que vous avez l'droit d'savoir, tu vois c'que j'veux dire ?

 — Ohlala, c'est FrankyGaming, commenta Jean. Je déteste ce type.

 — Chut, écoute bien c'est important.

 — Donc voilà, la vérité c'est qu'les états ont formés des périmètres de sécurité autour d'eux, et ça, ça ils l'auraient pas fait si ces trucs étaient inoffensifs, tu vois c'que j'veux dire ? Enfin bon, c'est pas tout les p'tits potes, y'a d'autres infos. Et ça, c'est mon bro Abdel, qui bosse dans la police, qui m'l'a dit, donc c'est du concret, pas d'mytho, source sûre les p'tits potes vous pouvez m'faire confiance.

 Il marqua une pause dramatique dans son discours avant de reprendre :

 — Les Monarques sont en train de descendre bordel de merde ! Ils volaient dans le ciel au début, mais là ils se rapprochent de la Terre ! Tout doucement, certes, mais ils arrivent quand même ! C'est pas des conneries les p'tits potes ! Et apparemment, tout ce qui rentre en contact avec eux se désintègre. Y'a des buildings en Inde qui sont en train d'se faire raser l'cuir chevelu à l'heure où on parle !! Et je vous laisse imaginer ce qui s'passera quand ils transperceront le sol...

 Franky était visiblement choqué et abattu. Bien qu'il tentât de garder de la contenance, il ne put s'empêcher de se cogner le front avec sa paume en poussant un soupir. Un silence de six secondes, chose extrêmement rare dans ses vidéos. Il se massa les tempes et conclut, avec un débit de paroles plus calme :

 — Au moins vous êtes au courant. J'sais pas si on y peut quelque chose, mais vous méritez de connaître la vérité. Allez voir vos proches pendant qu'il est encore temps. Dites-leur que vous les aimez avant qu'il soit trop tard. Et méfiez-vous des gens. Méfiez-vous. Franky out.

 — Eh ben, qu'est-ce qu'il raconte comme conneries lui ! balança Jean.

 — Pourquoi il mentirait ?

 — Pour surfer sur la vague et amasser un max de vues, tu crois quoi ?

 — Je pense pas. Franky a un tempérament très honnête, il ferait pas ça.

 Gabin se leva de sa chaise, ne pouvant plus rester assis.

 — Mes parents sont pas revenus de leur dîner d'amis hier soir.

 — Tu t'inquiètes pour tes vieux ?

 — Évidemment !

 — Tu penses quand même pas que ce sont ces papillons dégueux qui les ont capturés ?

 — J'en sais rien. Peut-être pas un Monarque, mais un type en costard, possible.

 — Ils ont juste trop bu, relax.

 — J'espère. Toi, tes parents ?

 — J'habite seul, t'as oublié ?

 — Nan, mais t'as pas pris de nouvelles ?

 — Non pourquoi ? Je parle pas des masses à mes parents.

 — Appelle-les, maintenant.

 — Monsieur Moulin, vous me donnez des ordres ?

 — Déconne pas Jean, appelle-les, on sait jamais.

 Il abdiqua et composa leurs numéros. Il tomba deux fois sur la messagerie.

 — Toi non plus ils répondent plus...

 — Normal, ils sont au travail là. Arrête avec ton cirque, tu commences à m'inquiéter.

 Gabin ne rétorqua pas. Il fit quelques tours sur lui-même, s'immobilisa devant la fenêtre, puis déclara gravement :

 — Il faut qu'on sorte d'ici. Le lycée est pas safe. À tout moment les nouveaux surveillants nous retrouvent et nous explosent la tronche, comme au p'tit Sébastien.

 — De toute façon on va pas rester là alors qu'on n'a pas cours. Et tu comptes aller où ?

 — Chez moi. On y sera en sécurité. On pourra fermer la porte à clé, et on aura de quoi bouffer.

 — Ça roule. Let's go !

 — Attends, faut qu'on réfléchisse avant. On fait quoi si on se fait repérer ?

 — On cours.

 — Et si l'un de nous se fait rattraper ?

 — On les bute.

 Jean sortit le flingue de son sac – Il l'avait rangé dedans car le tenir en main n'était pas pratique – et fit mine de tirer sur Gabin.

 — Depuis quand tu te balades avec un gun ?

 — Bah depuis ce matin.

 — T'es au courant que c'est illégal ? Et t'as ramené ça à l'école sans te poser des questions ?

 — Eh bien euh... Non.

 Et la pizza alors ? Chapitre 4, il devait commander une pizza ! Merde, c'est quoi ce délire, c'était pas du tout prévu ! En même temps, la vie est faite d'imprévus... Du coup ça se tient. C'est toujours la vie de Jean. La vie banale. Oui, tout va bien...

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