8. Un Homme

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À la frontière des mers, à la limite de son monde, se trouvait le ciel. Ursula découvrit la caresse du vent, la chaleur du soleil, la magnificence des étoiles, la noblesse de la lune. Elle restait des heures à observer les astres, à sentir l'air pénétrer sa peau bleutée.

Une étrange masse l'extirpa un jour de ses contemplations. À première vue, elle crut qu'une baleine l'avait heurtée. Elle comprit rapidement que les parois rigides de cette créature n'étaient certainement pas celles d'un cétacé. Elle supposa qu'il s'agissait d'une drôle de roche mouvante.

Elle aperçut alors quelques silhouettes, juchées à son sommet. Ces créatures ressemblaient curieusement à des Atlanticais : leurs peaux, leurs traits, leurs mains, leurs torses. À la place de leurs queues se trouvaient cependant deux bras supplémentaires, avec lesquels ils se mouvaient gauchement. Leurs gestes semblaient saccadés, leurs paroles disgracieuses.

Ursula décida de suivre discrètement ce peuple intriguant jusqu'à sa destination. Elle ne fut pas au bout de ses surprises. Lorsque leur refuge ambulant s'immobilisa, l'eau devint si rare qu'elle ne couvrit plus que la moitié de son corps. Au bout se trouvait une autre étendue, infinie, où leurs membres inférieurs les portèrent. Elle se rendit compte que sa condition d'être marin ne pouvait l'y mener. Sans eau elle suffoquait, se desséchait, perdait le contrôle de son corps. Elle remarqua toutefois que comme en Atlantica, ce peuple possédait des habitations solides, vivait en société hiérarchisée et intelligemment organisée - contrairement aux animaux.

Ces humains ne lui plurent guère. Tant de leurs aspects lui rappelaient son peuple ingrat. Au moment où elle décida qu'elle en avait assez vu, qu'il était temps de revenir à son antre châtier quelques âmes en perdition, un bateau s'apprêta à lever l'ancre. Il était plus imposant que les autres. À son bord, un équipage important d'hommes s'affairait.

C'est là qu'elle le vit. Élancé, débordant de vie, beau comme le soleil. Il se tenait à la proue, le regard perdu dans l'horizon. Il exerçait un pouvoir étrange sur les autres de son espèce, qui lui obéissaient naturellement. Ces derniers semblaient même éprouver du plaisir à le servir. Elle lisait dans ses yeux azur la soif d'aventure, le courage, la puissance.

Le coeur meurtri de la sorcière s'emballa. Comment pouvait-elle éprouver quelque attirance que ce soit pour cet humain ?

  • Prince Éric, le départ pour votre première expédition en mer est imminent, comment vous sentez-vous ? l'interrogea un laquais maniéré, sans doute le plus gradé.
  • Merveilleux, Lord Edmure, merveilleux ! lui répondit le bellâtre, bras levés vers l'océan, ses boucles brunes balayées par la brise.

Voilà qui expliquait tout. Pourquoi fallait-il qu'elle succombe si vite à l'attraction d'un prince ? Ursula se moqua intérieurement de sa propre bêtise.

Elle suivit l'embarcation par curiosité - ou pure fantaisie - afin d'observer ce prince humain de plus près. Sa raison l'enjoignait de cesser cette absurdité, son coeur la poussait à continuer. La sorcière se persuadait qu'il n'était qu'une légère distraction... Elle se plaisait pourtant à le voir tirer consciencieusement les nageoires de son grand rocher mobile, à déceler sur son visage innocent les joies de la découverte.

Un soir où elle l'admira trop longtemps, trop près, il l'aperçut quelques secondes, horrifié.

  • Un monstre ! Un monstre dans l'eau ! Vite, Lord Edmure, parez les harpons !
  • Quoi donc majesté ? Où cela ?

Ursula échappa de justesse à une chasse inattendue, s'enfuyant tel un turbot. Elle se rappela qu'un prince pour qui jadis elle avait tout sacrifié ne lui avait donné en retour qu'humiliation et désillusion. De toute façon, comment pouvait-elle espérer séduire Éric, elle qui n'était plus que laideur et monstruosité ? Même si elle l'ensorcelait, il finirait par la répudier, comme Triton... Elle rentra donc auprès de ses murènes et de ses solliciteurs, là où sa toute-puissance la rassurait.

La sorcière s'accordait cependant une douceur secrète. Elle contrôlait parfois les courants pour que ceux-ci lui ramènent le navire du souverain des Terres afin de le contempler à sa guise.

Elle ne s'attendait pas à ce que ce plaisir insensé en profite à une autre...

Un jour de tempête, les courants qu'elle avait dirigés s'abattirent de plein fouet sur le bateau du pauvre prince. Occupée à exaucer des souhaits sous contrats, Ursula ne vit pas Éric chuter dans l'océan en furie; et encore moins une petite sirène voler à son secours...

Quelle ne fut pas sa surprise lorsque celle-ci vint à sa rencontre.

P.S: L'histoire ne s'arrête pas là !! Rendez-vous très bientôt dans le prochain chapitre ;)

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