9. Pour Ariel

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Le mariage du prince Triton avait consumé les restes de l'amour que portait la sorcière pour son ancien amant; maintenant roi d'Atlantica. Les naissances successives des descendants de ce dernier l'indifféraient désormais au plus haut point.

La rumeur que sa benjamine lui désobéissait continuellement la fit toutefois sourire. Cet orgueilleux souverain méritait bien qu'on bouscule ses règles drastiques.

Elle s'appelait donc Ariel. Ursula l'aperçut plusieurs fois se promener avec insouciance aux abords de son antre. Elle était d'une beauté et d'une candeur irrésistibles. Ses cheveux de feu vous brûlaient de l'intérieur, et son sourire sincère illuminait les ténèbres les plus sombres. Sa voix chantait des mélodies envoûtantes, charmant quiconque l'entendait.

La jeune sirène lui inspirait un sentiment étrange; un mélange d'aversion et d'affection. Cette attitude de princesse gâtée, capricieuse, pour qui la vie se présentait sur un plateau d'argent, l'horripilait. Comment pouvait-elle renier ses privilèges tandis que d'autres quémandaient à la sorcière le dixième de ce qu'elle possédait ?

Cependant, son côté rebelle et sa curiosité touchaient Ursula. Ariel était différente de ses frères et soeurs. Elle avait le goût de l'aventure, remettait sans cesse en question son monde, s'intéressait au bien-être des animaux qui le lui rendaient bien. Elle rappelait à l'ancienne guérisseuse sa propre jeunesse, emplie de rêves, d'espoirs... De naïveté.

Quand la princesse finit par lui rendre visite, elle ne s'attendait pas à une telle demande. La petite capricieuse vint la bouche en coeur, ses grands yeux bleus bercés d'illusions. Elle voulait que la Sorcière des Mers l'aide à séduire le prince humain.

SON PRINCE ÉRIC.

Celui qu'elle admirait en secret sans oser imaginer un seul instant l'aborder ou l'ensorceler. Celui qui maintenait à flot son coeur meurtri. Cette pauvre pourrie gâtée voulait lui voler ses maigres débris de désirs. Cette inconsciente souhaitait tout abandonner: un royaume, une famille aimante, un avenir radieux, rien que pour attirer l'attention d'un inconnu qui ne pouvait même pas respirer sous l'eau.

Croyait-elle vraiment qu'Ursula répondrait à toutes ses doléances ?

Les pensées fusèrent dans l'esprit de l'ancienne guérisseuse. Il n'était pas question que la princesse arrive à ses fins. Ariel possédait cependant un certain magnétisme, et par-dessus tout, une voix magique. Elle pourrait exploiter ses talents, devenir une sorcière redoutable. Quand elle découvrit les potions colorées d'Ursula et sa collection d'objets en tout genre - dont des curiosités fabriquées par l'Homme - la jeune sirène ne pût s'empêcher de les contempler. Elle posa mille et une questions sur leur pouvoir, leur utilité.

Oui, elle ferait une excellente apprentie.

Toutefois, il fallait qu'elle comprenne qu'un amour impossible la briserait, qu'il ne lui apporterait que faiblesse et désespoir. Car l'amour est l'ennemi des femmes puissantes. La sorcière en était convaincue. Un court passage dans le monde des humains serait ainsi bénéfique à la petite sirène... En s'assurant que le prince Éric la rejette, elle reviendrait dans ses filets, et se consacrerait à la magie. Peut-être que sa compagnie lui serait plaisante ? Elles avaient tant de choses en commun. Ursula la convaincrait de vivre libre, loin de ces Atlanticais et de leurs lois stupides.

Cette mascarade attiserait en plus la colère de son père Triton, roi de l'intransigeance. Une fois sa fille partie, il comprendrait alors la douleur de perdre un être cher. Pire, il endurerait la peine de savoir qu'elle existe encore, mais qu'elle ne souhaitait plus le revoir. Là, ils seraient enfin quittes.

Soit. Son plan était parfait.

  • Ma douce princesse... Je comprends votre chagrin. J'exaucerai votre voeu. dit Ursula, mielleuse.
  • Oh merci merci infiniment ma bonne tante ! (Ariel appelait les femmes plus âgées qu'elle ses tantes).
  • Cependant, pour que le sortilège opère il me faudra votre voix afin de vous faire pousser des... Comment dit-on ? Pieds. Une énergie contre une autre énergie. C'est ainsi que cela fonctionne très chère.
  • Heum... oui bien sûr ma tante. Je saisis. Je ferai tout pour être à ses côtés, pour me plonger encore une fois dans son regard... Je suis certaine qu'il m'a souri, quand je l'ai sauvé. Qu'il est beau ma tante, qu'il est divin ! s'extasia la princesse, déjà repartie dans ses rêveries.
  • Je ne peux qu'acquiéser mon enfant. Ce prince humain est très spécial... Cependant, le sortilège ne pourra hélas durer que cinq jours. Et si le prince ne vous donne pas un baiser d'amour à l'issue de cet essai, il vous faudra revenir vers moi. Ces conditions sont irrévocables. Je ne sais pas si je pourrai de nouveau vous donner des pieds, mais je vous enseignerai d'autres sortilèges... Dans le cas où votre tentative venait à échouer, bien évidemment.
  • Ohhh merci encore, merci ma bonne tante ! Je suis prête, je veux être humaine, je sais qu'il m'aimera, je le sais ! s'exclama la princesse émoustillée, d'une naïveté déconcertante.
  • Très bien. Nous sommes d'accord. Veuillez signer ici je vous prie. Conclut la sorcière en tendant un contrat à la sirène.

Celui-ci rappelait leur accord, et stipulait en lettres minuscules que si la quête de la petite sirène pour l'amour du prince humain venait à échouer, elle resterait prisonnière à vie de sa chère tante.

Bien sûr, Ariel ne lut pas en détail le contrat magique, se contentant de le signer à la va vite. Une lumière dorée jaillit de sa signature, qui se refléta un instant sur sa poitrine, comme un tatouage.

Sur ces entrefaites, Ursula posa son index sur la gorge délicate d'Ariel. Elle appuya d'un geste lent et précis, durant lequel la voix magique de la sirène fut transférée dans le coquillage de la sorcière.

Elles remontèrent ensuite à la limite des mers. Plus elle avançait vers les terres, plus la queue de la princesse se transforma. Ses écailles tombèrent une à une, laissant place à une peau rose et lisse, qui se sépara en deux parties. Puis, des orteils poussèrent à ses extrémités, que la jeune fille ne put s'empêcher de remuer avec béatitude.

Ursula l'observait de loin. C'était la plage où le Prince Éric se promenait au crépuscule. Jusqu'ici son plan fonctionnait à merveille, malgré le pincement au coeur qu'elle ressentit quand elle vit ce dernier s'approcher de la princesse ingénue, nue comme un ver.

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