Grâce à l'instruction consciencieuse de son père, et à des heures secrètes d'entrainement, Ursula commençait à maîtriser le pouvoir de son coquillage.

Elle arrivait par exemple à capturer le mal qui imprégnait les coraux malades, mais aussi à le déverser sur des prédateurs qui cherchaient à dévorer ses murènes. Ces derniers se retrouvaient la queue de travers, édentés, ou à moitié aveuglés. Parfois quand elle ne se contrôlait pas, cela pouvait être pire... Dans ces moments, Ursula se maudissait. Le pouvoir de son coquillage exerçait cependant sur elle une fascination telle qu'elle en oubliait rapidement les conséquences.

Elle pouvait aussi capturer le son d'un hippocampe ou la beauté d'une anémone. Il lui suffisait de se concentrer sur son artéfact pour ensuite répéter cette douce musique à l'infini, ou retrouver la beauté de la plante dans les reflets de ses cheveux, dans ses mouvements, dans son parfum. Elle savait très bien que l'hippocampe ne pourrait plus chanter et que l'anémone s'était flétrie. À chaque fois pourtant, elle se jurait de ne plus recommencer.

Bien entendu, Taloris n'était pas au courant de toutes ces expériences. Il concevait que sa fille restait seule dans sa chambre ou parcourait la plaine abyssale avec ses deux murènes pour oublier l'humiliation qu'elle avait subie.

Pire, le guérisseur était bien loin d'imaginer les projets de vengeance de sa fille.

Décidée à user de toute son ingéniosité et de son pouvoir séducteur, Ursula manda Meloryn, un de ses soupirants, à inviter les quatre sirènes qui l'avaient rabaissée à un rendez-vous galant.

Les demoiselles ne devaient en aucun cas se douter que la guérisseuse était derrière ce piège. Elles croyaient que Meloryn et ses amis les attendraient sous le Grand Corail Vert pour les emmener à une fête réservée aux Hauts Membres de la Garde Royale.

Ursula avait fait jurer à son soupirant de ne rien divulguer et de ne pas se rendre à ce rendez-vous. En échange, elle lui avait offert son premier baiser.

C'était gluant et chaud. Pas aussi affreux que ce qu'elle s'était imaginé. La jeune sirène s'était persuadée qu'elle devait s'exercer pour offrir le meilleur des baisers à celui qui n'avait pas quitté son coeur, Triton.

Lorsque les pimbêches du club se rendirent au rendez-vous, elle s'assura une dernière fois que personne ne la voyait de sa cachette. Elle s'était recroquevillée dans un renfoncement du Grand Corail Vert, de l'autre côté. Là, juste sous son coude, se trouvait un trou discret où elle glissa son coquillage, pour que celui-ci soit le plus proche possible de ses cibles.

Grâce à son entrainement acharné, ce fut un jeu d'enfants. En un claquement de doigts, le coquillage captura l'élégance de Pereinophe, l'éloquence de Thalanna, le charme d'Aegalia et la témérité d'Ephedeia. Dans un souffle, il leur injecta en échange un brin de laideur, des pustules sur le visage, et des suintements entre les écailles.

Le hurlement d'effroi des quatre mégères confirma à la guérisseuse que son sortilège avait marché. Elle s'éclipsa discrètement de sa cachette en capturant à la volée deux secondes de mémoire d'un passant qui l'avait aperçue.

En arrivant chez elle, elle ne put retenir une cascade de fous rires. Il fallait les voir avec leurs visages horrifiés, tout flasques, qui contrastaient avec leurs coiffures soignées et leurs robes trop serrées ! Son plan avait si bien fonctionné qu'elle avait peine à y croire. Elle y était arrivée !

Elle avait réussi à capturer ce que ces pimbêches considéraient de plus cher en leur personne ! Elle, la petite orpheline, la "Sardine du Bal des Perles", la "sorcière solitaire" ! Elle maitrisait divinement son pouvoir !

Il ne lui restait plus qu'une chose qui comblerait son bonheur. Et elle savait comment l'obtenir.

Grâce à ce qu'elle avait capturé dans son coquillage ce jour là, ce n'était plus qu'une question de temps avant que le Prince ne se jette à ses pieds.