Chapitre 1 : Isolement

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Encore une nuit sans sommeil, les étoiles ont été absentes pour changer. Ma seule compagnie, si j'en offusque l'ombre blanche tapie sous les couvertures, sont les milliers d'araignées ayant élu domicile dans les recoins de la pénombre.

Je l'entends respirer, il est si calme. Si je n'étais pas à deux ou trois pas, sa fourrure blanche se confondrait presque avec la couverture du lit. Seuls son museau noir et les traces de boue sur ses pattes de canidé tranchent. Ses babines se soulèvent à chaque expiration et sa truffe laisse échapper un léger ronflement.


La lumière du jour essaye de s'infiltrer par les rideaux gris ternis par la poussière et le temps. Les seuls meubles qui agrémentent cette pittoresque pièce sont: un lit en fer, sûrement pas du dernier siècle avec les points de rouille et son allure vieillote, ,une chaise faisant office de table de nuit avec une lampe. Les deux fixés à lui comme un enfant à sa mère.

Un détail me choque: non pas la lampe dans la pièce, mais le fait qu'il n'y ait aucune prise... Du regard je fais le tour, je m'accroupis pour regarder sous le lit. Seuls les moutons de poussière y sont incrustés jusque sur le mur. Je n'ai pas eu le temps de m'en rendre compte à mon arrivée, et à vrai dire cela était bien le dernier de mes soucis !


Je comprends mieux le pourquoi du sac en jonc dans le vestibule débordant de lampes, piles, bougies et autres ustensiles dont je n'imaginais pas encore l'existence ni même leur utilité avant mon arrivée dans ces lieux. Peine perdue de chercher un disjoncteur ou quelque autre source d'énergie à mon avis. Le sol jure presque avec l'ensemble. En opposition avec l'ancienneté des meubles, une matière couleur orangée à carreaux contrastés avait été posée à la hâte, laissant apparaître de nombreuses bosses.


Les gouttelettes glissent le long de la rambarde pour venir s'écraser sur le balcon. Une... Deux... Trois... cadence si régulière et apaisante. Le brouillard n’en finit plus de tomber sur les vastes collines, comme une main s'abattant sur le monde. Bientôt la barrière d’épicéas va s'assombrir, les ténèbres envelopperont l'immense bâtisse.

A mon arrivée, la veille, la nuit n'avait pour seule lumière que la lune. La voiture s'était arrêtée au bord de la chaussée. Le conducteur était descendu, avait étiré ses muscles engourdis par le long trajet. Je ne sais combien de temps nous avons roulé, je m'étais assoupie. Nous avions dû circuler sur les routes chaudes puis verglacées en vue des changements de conduite de mon chauffeur et ce pendant plusieurs jours à en voir les cernes de l'homme m'ouvrant la porte.

Il me parut bien plus grand ainsi. Sûrement dans les un mètre quatre vingts dix cheveux blonds coupés à la façon des militaires, des yeux d'un noir de jais, faisant ressortir son teint d'une blancheur extrême.

- Allez, dit-il d'un ton las, descends.

Il me tendit sa main droite laissant apparaître une cicatrice énorme. Mon regard étonné ne le laissa pas insensible. Son visage se ferma.

- Comme tu veux. Mais vu les températures, tu ne tiendras pas bien longtemps à l'intérieur. Il s'écarta me laissant entrevoir une forêt.


Je me décidais à mettre le nez dehors, l'air sec me glaça les os.

Pour qui se prenait-il ? Il n'avait eu aucune marque d'attention pour moi, et là monsieur se décidait à être gentil ? J'allais de suprise en surprise...

Max n'avait pas l'air aussi méfiant. A le regarder faire ses bonds dans la neige en japant j'en conclus que je n'avais rien à craindre.


Il me fit signe de le suivre, nous longeâmes un petit chemin couvert de neige suivit par mon fidèle compagnon qui faisait des allers-retours comme pour nous inciter à faire la course avec lui. Le bas-côté laissait apparaître quelques brins d'herbe et des ronces. Vu le tapis blanc, une personne venant en pleine nuit ne distinguerait même pas qu'il y ait une route ici. Il était à deux mètres de moi, peinant à avancer dans l'épaisseur de la neige, ses jambes s'enfonçant a mi-mollet dans la poudreuse. Si j'avais voulu j'aurais pu m'enfuir, d'ici qu'il me rattrape !

Enfin, m'enfuir pour aller où ? La forêt ne me présageait rien de bon, et les hurlements de loups au loin n'avaient rien pour me contredire! Il me fit grimper sur une dizaine de mètres. Tout deux essoufflés par cette ascension, je regardai autour de moi. Une rangée d'épicéas masquait l'énorme maison. Seule la lune nous dévoilait sa structure imposante tout en nous cachant ses détails. Quelques brumes de fumée s’échappaient de chaque extrémité, ce qui me laissa supposer que quelqu'un nous attendait auprès d'un bon feu. Max nous attendais déjà, assis sur une terrrasse en bois, la tête penchée sur le côté, comme s'il n'avait pas eu à monter cette dune.

L'air est paisible, le silence presque pesant s'il n'y avait pas ces cris portés par le vent, comme des murmures.

Probablement ceux de l'école devant laquelle nous sommes passés, à 5km de là. Il doit être 10heure. L’hiver a effacé les piaffements des oiseaux. Les traces autrefois visibles des bêtes à poils ont maintenant disparus sous la neige. Annonce de leur début d’hibernation.


Son ronflement me sort de mes songes. Couché sur le dos, je peux apercevoir un bout d'oreille dépasser du coussin. Je me revois encore il y a une heure, à épousseter nettoyer et asperger les deux carrés rachitiques de leur fameux produit magique à base d'essence de pin. Vu leur état et malgré le un mètre de distance, c'est peine perdu pour qu'il ressemble à quelque chose. Un raclement rauque puis un soupir fait voler quelques filaments de poils et de poussière, à peine perceptibles si un rayonnant n'était pas venu si poser pour jouer de la balancelle.

Respiration régulière, troublé par un rêve sûrement prenant en vu des soubresauts et l'agitation de ses membres. Chose arrivant souvent ces derniers temps. Après tout ces changements, j'espère qu'il retrouvera vite un sommeil paisible.

Aurais-je du me résigner à le laisser là bas ?

Je m'imagine ces journées sans lui, où il serait resté à attendre sur le patio, regard vague, ne prêtant ni attention aux rouleaux emportés par le vent après lesquels il courait étant petit, ni au matois courant dans les dunes d'herbes.

Il se serait installé sur la petite balancelle chaque soir à l'arrivée des étoiles, comme nous le faisions quand le soleil commençait à lécher la cime des arbres, se serait endormi au son des grillons… A son réveil il aurait compris, il n'aurait pas retrouvé l'odeur des madeleines, il n'aurait pas senti l'odeur du bois qui se consume, n'aurait pas savouré la chaleur décontractant les muscles de son corps.

Il aurait compris après une première nuit ainsi. Néanmoins il serait descendu de son estrade, le regard embrumé, aurait étiré chacun de ses membres jusqu'au ciel pour se dégourdir les muscles et se serrait installé de nouveau sur le patio, laissant s'imprégner au fil des heures la marque des dalles sur sa peau. Il aurait chaque jours attendu, le regard fixé sur le chemin, une ombre ou un craquement de pas sur la terre.

Un soulèvement dans son sommeil le ramenant auprès du feu, le recouvrant de sa petite couverture 10 fois trop petite en vue de sa taille. Mon odeur se serait dissipée au fil du temps aussi vite que ses forces, puis un matin on l'aurait retrouvé, les yeux clos et la balancelle soufflée par le vent.

Cette simple idée me sert le cœur. Je repense à la première foi où je l'ai vu, où j'ai su que c’était lui et pas un autre. Ma mémoire défaillante m'avait au moins laissé quelques brides de souvenirs… IL M'A CHOISIE. Je ne pouvais le trahir et l'abandonner.

De plus, avec les précipitations, la question ne s'était même pas posée. Martia ne m'a d'ailleurs pas accordé une seconde pour me répondre aux mots effarés qui sortaient de ma bouche. Ni au moment où le froid me mordit la peau me sortant vivement de mon sommeil, ni quand en dix secondes je fus habillée de la tête au pied chaussures inclus, ni au moment ou on m'a jeté dans cette voiture.

Le conducteur sembla sourd à mes hurlements, je ne voyais que cette maison qui petit à petit rétrécissait, je ne voyait que LUI courant derrière cette fichu bagnole. L'homme était peut être sourd à ses jappements mais pas aveugle, et il s'en est fallu de peu que mon joli minois soit amoché ce jour là!


Cette vieille bicoque faisait un bruit infernal mais freinait aussi bien qu'une voiture de course sur un circuit. Je me souviens avoir tambouriné à la porte en essayant de l'ouvrir en vain ; et n'était pas par la vitre blindée, menant au blondinet, que j'aurais pu passer ! Je le vis descendre de la voiture et me tins prête à sortir par la voie de la liberté. Manque de chance il le fit monter devant et resta tout aussi insensible à mes jérémiades que aux pleurs du nouveau passager. Je revois encore son regard, CE regard...

Je me lève et engouffre ma tête au creux de son cou, un bain ne lui ferait pas de mal, il faudrait que j'y pense! Si salle de bains il y a... Ma main caresse son poitrail laissant échapper un soupir de sa truffe mêlé de raclement de nez et de gorge, m'annonçant son contentement.

Son petit cœur palpite lentement au dessous de ma paume.

- Bon allez on se bouge mon gros ?

Il me regarde, toujours sur le dos, les oreilles imitant celles des chauve souris. Avec ses babines qui retombent il a vraiment une tête d'andouille, un sourire émane de mes lèvres.

- Heureusement que je t'ai toi, je rie. Cela faisait longtemps…

Il se redresse difficilement, descend de son perchoir et me suit. Il s’arrête, jetant un légé regard triste au nid douillet qu'il s'était appliqué a pétrir avec ses pattes, soupire, jette un œil à la fenêtre, me regarde et rentame sa marche.

La neige redouble d'effort pour finir de recouvrer les quelques infimes parcelles de terre restantes. Pas aujourd'hui que mon footing journalier va pouvoir être fait, et en vu de la dernière annonce radio que j'ai pu entendre, les prochains jours non plus.

Les questions tournent dans ma tête, Martia avait toujours élaborée des stratagèmes, elle était rusée et je suis quelque peu naïve je le sais… Peut être par manque de contact humain, ou bien sur l'expérience qui était avant mes 9ans un simple trou noir ?

Je me suis toujours laissé bercer par ses paroles, éjectant de notre bulle toutes ces choses étranges et mes interrogations. Aujourd'hui je me retrouve seule, face au seul être qu'il me semble avoir toujours connu… Malgré mes regards insistants, plongé dans ses petits yeux jaunes, il me semble que ce n'est pas de lui qu’émaneront les explications que j'attends. La seule personne pouvant y remédier est loin à présent.

Je me blottis dans le canapé, ma bouillotte lovée de tout son long contre moi. Le crépitement du bois murmure faisant ronronner l’âtre. Ma respiration se cale peu à peu sur la sienne, je sens la fatigue m'envahir… Mes pensées m'échappent, la confusion et l'incompréhension s'évaporent... Je suis si fatiguée… Si fatiguée de tout ça...

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