L'autel

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 Devant l’église, une vieille voiture type coccinelle venait d’arriver, traînant derrière elle une multitude de boites de conserve. Le claquement du métal sur le béton s’arrêta en même temps que le vrombissement du moteur. Les deux garçons à l’intérieur de la voiture se regardèrent avec tendresse. Ryan souriait à l’égard de son témoin qui demandait s’il se sentait prêt de recommencer. Il hocha la tête en répondant qu’il n’a jamais été autant amoureux. Avant de poser le pied sur le parvis de l’église, son ami inquisiteur, épia les défauts qui pouvaient paraître sur le marié. Il leva la main pour la poser sur un des angles du nœud papillon et le tira légèrement vers le bas.

 Le témoin sorti le premier, fit le tour de l'automobile et ouvrit la portière afin que le marié n’eût pas à faire de mouvement qui pourrait froisser son costume. Deux pions de jeu de dame qui se rencontraient sur les cases dessinées par les pavés géants de la grande place vide. Sans animosité par la différence de camp, ils se prirent dans les bras sans mélange de nuance. Découvrant que leur geste était une bêtise qui pourrait décoiffer l’un ou abîmer l’habit de l’autre, ils reculèrent d’un pas en se dévisageant mutuellement pour s’assurer que tout était en place. Ils sourirent, puis ils rigolèrent. Un rire gras et sincère avant de se tourner tout deux en direction des grandes portes de l’église.

 Le marié et le témoin marchèrent d’un pas lent et assuré vers l’entrée de la pièce cérémoniale. Le second se faisait éclaireur et se trouvait au-devant du marié pour lui dégager le chemin. Puisse-t-il y avoir un quelconque obstacle sur la route autre que ces deux grands battants de bois. Il les repoussa avec force et difficulté, mais il put les retenir assez longtemps pour que Ryan se glissât entre deux. A son tour, il se faufila avant qu’elle ne claque entre-elles et résonnent dans l’enceinte religieuse. Tous deux étaient les derniers attendus à cette fête. Alors que Ryan restait prostré à l’arrière de la pièce et dos aux grandes portes de bois, son témoin s’avança et rejoignit le flanc droit de la mariée.

 Des rayons de lumière blanche transperçaient les vitraux pour finir éclatés en mille couleurs sur les pierres âgées de la carcasse religieuse. Mosaïques et dédales abstraits se dessinaient sur les murs et le sol. Certaines de ces lumières venaient colorer les habits des invités qui se tenaient droit sur les nombreux bancs que comptait la paroisse. Tous remplis et dans une seule et même direction, pareils aux regards qui étaient braqués sur la mariée vêtue de sa grande robe blanche maculée et parfumée des éclats qui s’y posaient. L’habit étincelant était désormais recouvert d’une teinture quasi divine. Ryan n’avait que de pensée pour elle.

 Pour l’atteindre, une allée de pétales de fleurs rouges était dessinée aux pieds de Ryan. Il ne pouvait pas se tromper de chemin, il n’y en avait qu’un. Cette route était parsemée de ses amis, de sa famille qui comme lui, semblaient absorbés par la beauté de sa conjointe. Au premier rang, il remarqua deux jeunes filles qui n’étaient point éclairées, mais dont la magnificence écartait toute ombre. Ses filles étaient tellement sages et belles parmi cette assemblée qu’elles en évinçaient presque leur mère. En face de cette dernière, une place restait vacante devant l’autel. Ryan savait qu’elle lui était destinée et que c’était dans ce puits de lumière qu’il devait se tenir. Elle l’appelait.

 C'est les yeux humides que Ryan fit le premier pas. Le second qui suivit se fit avec moins d’hésitation, et l’on pouvait voir l’assurance le gagner au fur et à mesure qu’il avançait en direction de l’autel. Léger, il parcourait l’allée entourée des gens qui lui sont proches. Ils étaient nombreux et paraissaient l’être plus encore qu’il accéléra la cadence. Du pied, il ne posait désormais que la pointe et se propulsait de plus en plus vite en avant sans jamais atteindre sa femme et ses filles. Le chemin devenait une éternité. Toujours les mêmes visages qu’il croisait sur les bancs. La peur de ne jamais voir le bout monta en lui et les perles de sueurs se mirent à glisser sur sa peau. Dans sa course, son costume de mariage se déformait par ses mouvements amples et l’humidité qu’il dégageait. Il finit par retirer sa veste et exposer aux invités sa chemise trempée pour mieux balancer ses bras.

 Le témoin était le seul qui prêtait attention à Ryan, mais il n’était pas plus étonné que les autres de sa difficulté à rejoindre l’autel. Toujours ce sourire béat qu’il avait en sortant de la voiture, il faisait parfois des gestes incitant le marié à accélérer sa course. Dos à la cérémonie, et sans même avoir reculé, Ryan était face aux grandes portes de bois. Il réussit à les ouvrir et s’immisça entre deux, de nouveau face à la scène, il prit la décision de se diriger vers l’un des côtés de l’église, mais ses mains heurtèrent un mur qu’il ne pouvait voir. Il en fut de même pour l’autre côté. La peur laissa place à la colère qui ne cessait de croître.

 Le premier invité que Ryan pu approcher était un type aux cheveux épars et grisonnant qui occupait le bout de la première rangée. Il l’empoigna par les épaules en écrasant son veston marron par la force de ses doigts. Il le souleva du banc et le retourna vers lui brusquement. Une pause se fit et le visage sans expression de ce qu’il reconnut comme son oncle, eut un léger rictus moqueur. Le teint rouge rage de Ryan ressortait plus encore à sa chemise blanche et un rire rauque retentit avant qu’un râle de colère s’abattît dans la paroisse. Le poing dans le visage qu’était autrefois son oncle, Ryan laissa enfin la tristesse le parcourir comme un frisson. Dans ses mains, il ne tenait pas moins que de la poussière. Son oncle avait disparu, comme tous les invités. Sa femme, ses deux filles et tout les autres présents à la cérémonie avaient laissé place à un dépôt de cendre occupant inégalement les lieux. Sans même s’en rendre compte, Ryan porta à son front sa main et se caressa le crâne y déposant toute la poussière qu’il tenait.

 Il prit place sur un banc dans l’église que la pénombre avait englouti. Seule preuve de la présence d’une faible lumière qui résidait, était que l’on pouvait voir quelquefois des particules tourbillonner sous le souffle des pleurs de Ryan. Laissant à ses pieds une flaque plus grise encore que la pierre, le marié pleurait. Les gloussements de peine rebondissaient et se faisaient échos entre les murs, ils étaient seuls à parvenir jusqu’à l’autel, et le silence.

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