Le bout du couloir

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 Les deux gardes arrivèrent devant une cellule confinée et sans fenêtre. Jacques se plaça derrière un panneau de commande électrique. Autrefois compliqué, celui-ci fut simplifié pour que tous puissent s’en servir, deux boutons suffisent. Un pour fermer les portes et démarrer la simulation, l’autre pour l’arrêter et accéder à la cellule. Le second bouton fut pressé. Edgard ne voulait pas s’occuper du prisonnier, et c’est à contre-cœur qu’il vint lui retirer le casque. L’eau qui en coula était encore tiède des yeux qui s’y étaient noyé, et les larmes du prisonnier ne cessaient de perler. Le condamné se débattait et tendait les bras pour remettre l’engin sur son crâne, tandis qu’Edgard le traînait en le tirant par les cheveux. Jacques aveugle au combat qui avait lieu, réfléchissait à la corvée qui l’attendait. En effet, ce serait son tour de nettoyer toute cette solution visqueuse qui s’était répandue.

-C’est vraiment ça que tu veux ? Jamais je voudrais finir dans un état aussi lamentable.
-D’après toi, pourquoi ils veulent y retourner ? Ce truc là, crois-moi, c’est le Graal, je te dis. Dommage qu’il faut être criminel pour y avoir le droit. Dépêche toi de le mettre là-dedans, on en a un autre qui attend impatiemment.

 Jacques maintenait la geôle ouverte pendant que son collègue frappait son résident. Le bourreau et sa victime se calmèrent à grands coups de poings et de matraque, mais seul le premier pu regagner l’immense couloir. Alors que son collègue se débattait, Jacques regardait le prisonnier d’en face. Il savait pertinemment que son tour était arrivé et il sautait de joie comme un chien attendant son pâté. Il voulait être connecté. Le gardien prenait un malin plaisir à l’observer. Mélange subtil entre perversité et désir, Jacques sentait l’adrénaline parcourir son corps. Son collègue avait à peine fini sa tâche, qu’il prit la décision seul de laisser s’échapper le pauvre type qui attendait.

 Tel un fou, il poussa sur les barreaux pour accélérer l’ouverture, et une fois en dehors, couru en direction de la cellule de connexion. Il y eu quelques ratés et une lourde chute se fit. Il était à moins d’un mètre de son objectif qu’il ne prit la peine de se relever et finit sa course en rampant. Le casque étant accroché au mur, le prisonnier le fit tomber du bout des doigts et le posa sur lui. Privé de sa vue par l’engin, mais habitué à se connecter, il réussit à réaliser tous les branchements, à verrouiller toutes les ceintures et à s’enchaîner au mur. Puis il cria.

-Appuyez sur le bouton ! Appuyez sur le bouton !
-Hé, calme toi le vieux! Tu vas voir qu’il va pas faire le malin longtemps, c’est moi qui te le dis.
-Je déteste quand tu fais ça ou alors tu me préviens. Mais laisse moi récupérer un minimum. Bordel Jacques ! Il est peut-être vieux et faible, qui sait ce qu’il se serait passé s’il avait tenté de fuir ?
-Aucun ne veut fuir, tous veulent se connecter. Je pourrais faire la même avec le plus vaillant des hommes de cette prison, je sais qu’il finira toujours sa course dans la cellule de connexion.
-C’est pas une raison pour tenter le diable.

 Le vieux patientait en tremblant, attendant qu’on lui envoie sa dose de crack. Le doigt branlant, il pointait le tableau de commandes pour indiquer aux gardes ce qu’ils devaient faire. Ils le savaient bien depuis le temps, mais comme au premier jour, ils prenaient et savouraient le moment présent, ils s’en délectaient. Plaisir sadique que de voir un homme se tordre de douleur par un manque plus fort encore que toutes les drogues du monde. Seuls les cris puissants des hommes robustes pouvaient les ébranler. Ces sons qui sortaient du fond des entrailles et retournaient l’estomac, suivit d’un ahanement rauque de buffle. Ceux-là déstabilisaient le plus fragile des deux. Edgard en ces instants, demandait à son collègue s’il pouvait s’occuper lui-même des vérifications et du verrouillage. Ce jour, il profita du contexte pour en faire de même.

-C’est toi qui l’as fait courir, c’est toi qui t’en occupes. Si tu me cherches, je suis aux manettes.
-Si je t’avais attendu, le bougre aurait été encore plus rapide. Et je sais très bien où tu te caches, trouillard.
-Tu peux me le dire, je sais que tu aimes ça.

 Avant de rentrer dans la cellule de connexion, Jacques secoua la tête. Il savait bien ce qu’Edgard insinuait. Il ne pouvait le nier, son collègue avait raison, mais il ne voulu en aucun cas le laisser paraître. Il se dirigea vers le vieillard et vérifia les accroches murales. Après avoir vu les branchements bien réalisés, il prit plaisir à serrer le plus fort possible les sécurités de l’appareil autour du crâne et de la taille. Le vieux ne disait mots et cela ne pouvait que satisfaire le garde qui gloussait de plaisir à chaque fois qu’il touchait une des fixations du casque.


 Il rêvait que les rôles soient inversés. Il aurait voulu être cet homme branlant couvert du masque ridicule. Rien que l’idée le faisait saliver, il dut se retenir pour ne laisser un filet de bave couler de sa lèvre. Pour ne pas se laisser emporter par les sentiments et le désir de voir sous le masque, il déglutit non sans mal, sorti de la cellule et brandit le pouce en l’air en direction de son collègue. La connexion était lancée.

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