Tour de garde

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  -Arrête donc de taper sur les barreaux avec ta matraque. Tu me donnes mal à la tête. Tu m’as entendu Edgard ?

 Edgard frappa une dernière fois par pure provocation puis rangea son instrument dans la lanière droite de sa ceinture et se tourna vers son collègue.
-Tu n’admets jamais que tu t’ennuies toi ?

 Jacques était songeur et regardait droit devant lui, hypnotisé par le vide, aspiré. Le couloir était long et le bout semblait inatteignable pour Edgard qui était maintenant obnubilé par la mine béate et déconfite de son ami. Les deux, zombifié par une force mystique avant d’être littéralement rattrapé par un prisonnier qui accrocha Edgard par le col, le bras tendu par-delà les barreaux.
-Maintenant, tu peux l’utiliser, répondit Jacques en tapant sur les doigts du prisonnier avec sa matraque. Je m’ennuie tous les jours dans cette prison. Et dis toi que dans leurs cellules, il n’y en a pas un qui égale mon désir d’évasion.

 Ils s’étaient mis tout deux à chanceler dans le couloir, sans même avoir atteint un dixième qui les sépare de leur but. Edgard avait même oublié ce pourquoi ils y allaient. Son col imprégné de la moiteur et de l’odeur du prisonnier qui venait de le choper l’inquiétait plus. Comme pour se débarrasser de poussières, il tapa sur son costume et tira de chaque côté pour le remettre bien droit sur son dos.
-Je pense comprendre ce que tu veux dire. Ils sont pour la plupart, bien mieux lotis que nous. Ils ont des privilèges que l’on a pas. Nourriture et logement, ils n’ont même pas besoin de travailler pour l’obtenir.

 La marche suivait son rythme et Jacques n’avait pas répondu. Dans ses songes, il se permit de rompre le silence sans même s’en apercevoir.
-Ce n’est pas seulement à ça que je pensais. Je le disais plutôt pour leurs peines. Faut-il être un criminel pour être punis à vivre ?
 Sur ces mots, il semblait être philosophe et Edgard ne voulu lui répondre de peur de passer pour un idiot. Et ils continuèrent d’avancer.
-Au final, ils ont plus de chances que tu puisses le croire. Ils sont à l’abri des vraies peines qui sévissent à l’extérieur de ce bâtiment. Ils n’ont plus de fausses joies, ils n’ont plus de déceptions, et plus aucune attente du monde extérieur. Ils sont tranquilles à l’intérieur, crois-moi !
 Une pause se fit, Edgard regardait son ami d’un drôle d’air. Il attendit la suite de la réflexion. Sans vraiment comprendre, il hochait toujours la tête avec un air approbateur et incitait son collègue à continuer de parler tant qu’ils n’avaient pas atteint le bout du couloir.
-Le prix à payer pour un crime est celui de la récompense. J’en aurais le courage, crois-moi, il y a bien longtemps que j’aurais tué. Qui ne voudrait pas se connecter ?
-Je ne suis pas sûr que la connexion soit le remède aux maux que tu me décris Jacques. Si la connexion a été mise en place pour les punir, c’est qu’il y a bien une raison. Franchement, je n’oserais pas y toucher.
-Combien de prisonniers vois-tu refuser d’aller à la salle pour se mettre le casque sur les yeux ? Combien vois-tu fuir de cet enfer ? Aucun, c’est un paradis.
-Tu oublies les larmes qui leurs en coûtent à chaque fois qu’on les arrache de l’appareil avant de les remettre dans leurs cellules. Ce doit être de la torture si tu veux mon avis, pire qu’un coup de matraque sur les doigts.
-Alors je veux bien que l’on tape sur les miens.

 Edgard changea d’attitude. Au lieu d’admirer son collègue, il commença à le dénigrer. Presque à le prendre pour fou, il s’écarta pour ne pas être contaminé de cette bêtise. Il se demandait ce qui lui prenait. Une famille, des amis, un emploi stable, il finit par conclure que c’était Jacques qui n’était pas stable. Edgard reprit la parole.
-Tu verras l’état du prochain, et tu me diras si tu veux réellement prendre sa place.
-Je peux de suite te donner la réponse. Après un moment d’hésitation, il poursuivit, je t’en ai pas parlé jusque-là, mais demain, c’est moi qui me connecterais à la machine. Ce sera mon tour et tu m’aideras. Quand on aura détaché le dernier détenu et qu’il sera remis à son lit, on ira ensemble à la salle de connexion, et ce sera enfin mon tour de voir à quoi ils ont le droit.

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