Réveillon

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 La neige tombait sur le pare-brise de sa voiture. Ryan avait du mal à voir la route entre tous ces flocons qui lui obstruaient la vue. La lumière des phares peinait à éclairer le bitume, si bien qu’il dut diminuer sa vitesse. Il jeta un regard à l’arrière de sa voiture, la même bouillie blanchâtre le suivait. Pris au piège dans sa prison de glace, il s’assura que les cadeaux de ses deux filles étaient bien sur la banquette arrière. Son index effleura un ruban du papier cadeau, il avait hâte de pouvoir les mettre sous le sapin avant que les cloches sonnent le 25 décembre.

 À l’entrée de la ville, il crut assister à un ballet tant la neige qui tombait semblait danser et virevolter sur la musique des couleurs de la rue. Jaune sous les réverbères, ces danseurs lui disaient qu’il était sur le bon chemin. Tandis que les verts et rouges l’invitèrent dans leur farandole, Ryan suivit leurs pas en tapant la cadence sur ses pédales. La folle ronde se poursuivit dans toute la ville et invita le conducteur à prendre une petite route qui le mena en dehors de la scène. Une petite maison à l’extrémité du quartier faisait office de coulisse.

 Avant de descendre de sa voiture, Ryan enfila ses gants en cuir et se coiffa d'un vieux chapeau chiffonné qui ne paraît bien que lorsqu’il est au sommet d’une personne. Comme un enfant, il tira la langue dès qu’il ouvrit la porte pour gober le premier flocon qu’il croiserait. Il reprit sa langue dans sa bouche pour la réchauffer et déglutir le peu d’eau que la neige venait de lui offrir. Il ferma la portière avant et ouvrit l’arrière pour prendre sous son bras droit les deux cadeaux qu’il réservait à ses filles.

 En marchant dans l’allée à moitié déblayée, il se dit qu’il était temps qu’il revienne pour reprendre les choses en main sans penser que la neige eu le temps de la recouvrir depuis la matinée. Il contractait ses abdominaux pour tenir sa posture et ne pas glisser sur le verglas qui avait fait sa place à quelques millimètres sous la surface du dépôt de flocons. Avant de frapper à la porte et de rentrer en grande pompe, il ne put s'empêcher d'observer sa famille par la fenêtre.

 Il gratta la couche de gel sur la fenêtre avec son gant et scruta la scène. Sa plus jeune fille était proche du sapin. Elle jouait avec sa poupée de l’année passée tandis que la plus âgée assise sur le canapé, remplissait les cases blanches de son livre de coloriage. Ce diorama manquait d’une lumière particulière aux yeux de Ryan avant qu’elle ne fasse irruption depuis la cuisine. Sa femme complétait parfaitement le tout en préparant le repas du réveillon et en gardant un œil vigilant sur les deux fillettes.

 Le tableau étant enfin complet, Ryan laissa le gel reprendre son droit sur le petit bout de fenêtre d’où il admirait sa famille. Il contourna le parterre de fleurs enselevi sous trente centimètres de neige et se dirigea vers la grande porte en bois qui orne la devanture de sa maison. Il passa les deux cadeaux sous un même bras, et avant de sonner, il inspira profondément en pensant à ses deux filles qui accourront vers lui pour se jeter à son cou. Puis, il expira dans l’air froid un nuage de gouttelettes d’eau qui s’échappèrent dans la lumière de la nuit. Il tendit son pouce et appuya sur la sonnette.

 Il attendit. Aucune réponse. Aucun rire, aucun enfant, aucune odeur de gâteau, aucune lumière, une porte close. Ryan commençait à se demander quelle horrible blague pour un soir de Noël, mais qu’il saurait le leur pardonner. Trop de hâte à les voir, il entreprit lui-même d’ouvrir la porte avant de sonner de nouveau. Fermée à clé, l’impatience se fit ressentir. Il dégaina à nouveau son pouce pour abuser de la sonnette. L'absence de réponse le poussa à forcer sur la clenche et à taper du poing sur la porte.

 Ryan décida de retourner à la fenêtre. Est-ce la radio ou bien la télévision qui les empêchait de l’entendre ? Confondent-elles la sonnerie et mes frappes avec la tempête de neige ? Peu importe, la colère commençait à le prendre. Elle le saisit, elle lui fait tenir debout alors qu’il aimerait s’écrouler. Elle lui fait rebrousser chemin, contourner une seconde fois le parterre de fleurs et gratter le gel à la surface de la vitre. Il se penche, colle une main qui fait le pont entre la fenêtre et son front.

 Elles étaient toujours là. Elles étaient toujours aussi belles. La grande sœur avait rejoint la petite pour faire danser leurs marionnettes de chiffon et les secouer au même rythme que leurs boucles blondes aux ressorts qui semblaient se soulager sur leurs épaules. Sa femme buvait un verre de vin qu’elle diluait par des larmes qui étaient trop nombreuses pour tenir à ses joues. Ryan observait qu’un second verre était rempli et l’attendait au bout de table où il prend place le plus souvent.

 Il hésitait à frapper sur la fenêtre quitte à la casser. Ryan préféra y poser son oreille et prendre le risque de se la voir coller par le froid. Des chants de Noël à la radio, le bois qui crépitait sous les flammes de la cheminée, les rires de deux jeunes filles et des larmes qui se transformaient en glaçon sur la joue si ce n’est pas pour finir en flocons quand elles la quittèrent. Il se releva et prit la décision d’enfoncer la porte si la réponse ne se faisait pas.

 Devant la porte en bois, il resta le doigt appuyé sur la sonnette et cria de toutes ses forces. Les cris étaient si puissants qu’il s’époumona à en voir toute sa rage partir en vapeur. Il se pencha en avant en prenant ses genoux comme appuis. Il prit deux secondes à écouter le bruit inaudible de la neige qui tombe. Dans un mouvement de relève, il envoya son pied cogner dans l’encadrement de la porte. Cette dernière s’ouvrit en laissant des copeaux de bois s’envoler et tomber dans le silence.

 Le bruit s’était tu, et la maison évanouit. L’homme y trouva seulement des murs gris avec du papier peint défraîchit. Dans la cheminé reposait des cendres froides qui se confondait avec la neige qui s’étalait autant dedans qu’au-dehors. Ryan cria dans toutes les pièces, et après avoir parcouru l’étage et les chambres de ses filles dans l’espoir de les trouver, il revint à la salle. La table dressée pour le réveillon n’était plus, seulement deux verres de vin dont l’un vide. Ryan s’écroula dans la neige et pleura de nouveau et puis, le silence.

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