chapitre 18

21 minutes de lecture

Je me réveille dans mon lit. Askyn dort dans le fauteuil installé à ma droite. Quelque chose bouge à côté de moi. C’est Caramel. Il s’approche en ronronnant. Askyn se réveille en sursaut.
- Aura, ça fait longtemps que tu as repris conscience ?

Je lui réponds d’une voix rauque, ma gorge est complètement asséchée. - A l’instant.
Il me verse un verre d’eau, et s’approche pour m’aider à boire. Mon chat le regarde, lui crache dessus, puis saute sur le sol.

- Ce satané chat ! Un jour il faudra que tu tranches entre nous deux. Oh Aura, je suis désolée, se reprend-il.

Je lui souris tristement. On ne peut emmener les animaux dans les vaisseaux.
Il se précipite pour m’aider, alors que j’essaie de me redresser sur mon lit.

-  C’est bon, je suis encore en un seul morceau, dis-je en le repoussant.

-  Que t’es-t-il arrivé ? Ne te voyant pas revenir, j’ai appelé Duncan. Adam était fou. Il n’arrêtait pas de dire qu’il n’aurait jamais du te
laisser repartir sous la pluie. Je reprends mes esprits.

-  Askyn, combien de temps s’est-il écoulé ? Entre le dernier appel où
tu m’as eue et le moment où vous m’avez retrouvé ?

-  Quatre heures, me répond-il en baissant la voix, même si nous sommes seuls. La première chose faite en arrivant sur place a été de t’injecter une dose de sérum. Et c’est Markus qui a eu le réflexe de le faire, avant que les militaires du Commandement ne te fasse passer
le test.
Je calcule. Quatre heures. J’ai donc été exposée plus de deux heures sans protection aux radiations.
Je secoue la tête.

- J’ai bénéficié d’un concours de circonstances malheureuses. A cause

de la pluie, j’ai perdu la visibilité au sol et je me suis perdue. Ensuite la tempête magnétique a déréglé tous les instruments et au final mon moteur est tombé en panne. Heureusement, j’ai réussi à atterrir et à quitter l’hélicoptère avant qu’il n’explose.

Il me prend la main.
- Tu sais, on a cru que tu étais morte quand nous avons vu la carcasse

calcinée de l’appareil. Qu’il avait explosé avec toi dedans. C’était

horrible.
Il est tout pâle. Puis il reprend.
- Jusqu’au moment où Markus t’a découverte inanimée proche du

village déserté. Que s’est-il passé ?
Je lui explique les têtes chercheuses, les villageois voulant me lyncher, puis l’intervention de la mère de la petite Alia. Le départ pour les Territoires Irradiés.

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-  Bon, le mieux est de raconter que le choc t’a rendue amnésique. De toutes les façons, ils sont complètement débordés qu’ils ne t’ennuieront pas.

-  Duncan m’a dit que nous avions entre deux et quatre semaines avant le passage de Storm II.

-  Tu imagines bien que le Commandement n’a donné aucune date, me répond-il furieux. On n’aura pas le temps d’évacuer tout le monde. Demain ton père fait partir tout le personnel non militaire. Ma grand-mère avec eux.
Une pensée égoïste traverse mon esprit. Au moins je ne serai plus seule là haut. Je pourrai toujours aller voir Shirin en cas de déprime.
Il me regarde bizarrement. Je comprends de suite.

-  Ah, non, moi je reste ici avec vous.

-  C’est ce que j’ai expliqué à ton père. Mais il n’a rien voulu entendre. Je me lève de mon lit. Un peu trop vite. Ma tête tourne. Je me rassois.

- Tu peux m’apporter mes vêtements ? Askyn secoue la tête.

- Je comprends que tu sois en colère, Aura, mais va doucement. Tu as quand même eu une sacrée commotion. Il faut que tu te reposes au minimum quelques jours, même si tu restes ici.

Une heure plus tard, je suis dans le bureau de mon père.
- Hors de question que je quitte le Palais. Je vais très bien, et hiérarchiquement, je ne dépends pas de toi, mais de Peter Harrington et de Markus. Je reprends donc les vols dès demain. C’est moi qui amènerait le personnel aux vaisseaux. Et c’est non

négociable.
Mon père abandonne l’idée de se battre contre sa fille. De toutes façons, il a abandonné l’idée de lutter contre qui que ce soit depuis longtemps.

* **

Le lendemain, Steve et moi-même effectuons l’aller retour pour déposer le personnel non militaire au Vaisseau Amiral. Je suis encore un peu sonnée, mais je ne veux pas le montrer. Quitter le Palais a été très dur pour Shirin et tous ceux ayant passés leur existence ici. Ça sera bientôt notre tour. Je repousse cette idée de mon esprit.

Sur le Vaisseau, Steve et moi nous reposons au mess des officiers avant de repartir, lorsque nous voyons débouler Peter, ses yeux me lançant des éclairs, l’air furieux.

-  Je vous laisse, dit Steve. Aura, on se retrouve dans dix minutes pour
décoller.

-  Mademoiselle Ix, gronde Peter. Je vous laisse la veille un module
pour permettre de vous localiser, et j’apprends que vous vous êtes égarée en hélicoptère et qu’on a mis plusieurs heures à vous retrouver ?

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C’est vrai, il a raison, j’ai complètement oublié d’activer le module de recherche. Devant mon air ahuri, il se radoucit.

-  Vous me promettez d’y penser la prochaine fois ?

-  Oui, mais j’espère que cette prochaine fois n’existera pas, lui dis-je
en essayant de sourire.

-  Bien sur, bougonne-t-il. Moi aussi. Soyez prudente tout de même. Et
il faudra vous entrainer à l’atterrissage sans moteur en hélicoptère, car d’après ce que j’ai compris, c’était pas fameux. Bien que maintenant, dit-il en regardant vers la piste d’atterrissage, je ne suis pas sur que les hélicoptères soient encore beaucoup d’actualité.
* **
Il nous reste une dizaine de villages à évacuer. Nous ne disposerons pas d’assez de temps pour soumettre tous les habitants au test de détection. Le Commandement nous a demandé d’être prêts nous-même à évacuer d’un instant à l’autre. Le sort de ces personnes devient un sujet tabou entre nous.
Le Palais est désormais vide. Cela renforce cette impression de fin du monde. J’ai entendu des soldats raconter la remise au goût du jour par certains nouveaux habitants de la Mégalopole d’anciennes religions balayées par Storm. Des prêcheurs recruteraient même carrément dans les rues, voyant dans Storm II la volonté de Dieu de nous mettre à l’épreuve.
Nous sommes tous épuisés. Nous enchainons les tests de détection dans les villages et les rotations de façon quasi permanente. La situation est très difficile à gérer, les tempêtes magnétiques se produisant de plus en plus fréquemment. Le niveau de sécurité au Palais devrait être au maximum, mais nous ne sommes pas assez, et trop fatigués pour être vraiment efficaces.
Lors d’une rotation avec le Vaisseau amiral, j’ai demandé à Phoebe si elle pouvait me retrouver la petite Alia, et s’il était possible de prendre en charge une enfant dont les parents avaient été interdits de résidence pour cause d’irradiation. Elle m’a délivré une autorisation, j’ai confié la petite à Shirin qui s’est empressée d’accepter avec plaisir. Elle aura ainsi l’esprit occupé et cela lui évitera de se ronger les sangs en pensant à moi et Askyn. Dans des provinces voisines, certains villages se sont rebellés, et la garde s’est faite massacrer. Les émeutiers cherchaient avant tout à récupérer des combinaisons anti radiations et des sérums pour se protéger de Storm II.
Il fait déjà nuit à mon retour au Palais. Askyn est de garde. Je m’effondre sur mon lit tellement je suis fatiguée, sans même prendre la peine de me changer et poussant mon chat hors de mon lit.

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Je me rêve aux commandes d’une navette. Le vol est tranquille, lorsque soudain d’énormes secousses font bouger tout l’appareil. Une petite tempête magnétique peut-elle engendrer de tels effets ? Soudain j’ouvre les yeux. Quelqu’un est en train de me secouer, plutôt violemment.

Tout est illuminé dehors. Je cligne à nouveau les yeux. La nuit est déjà passée si vite ?
- Aura, réveilles-toi, nous sommes attaqués. Ils sont trop nombreux.

Une partie des navettes a été incendiée, il faut qu’on décolle d’ici

tout de suite.
L’air ahurie, je regarde Askyn sans comprendre.
- Aura, il faut partir.
Autour de moi, plus de chat, il a du s’enfuir en entendant le bruit. Des gens hurlent dans les couloirs.
- Aura, vite. Ils sont en train d’envahir le Palais. Ils cherchent les

combinaisons et les sérums, et après ils vont sans doute prendre ce qui les intéresse. Tout le monde tente de rejoindre les navettes pour embarquer s’ils n’ont pas encore tout fait exploser.

Ça y est, je suis réveillée. Dieu merci, je suis restée habillée. J’attrape mon laser, le bouclier, mon transmetteur. Askyn est déjà à la porte pour s’assurer qu’on peut sortir.

-  Impossible de passer par le bas, ils sont déjà là.

-  Par les charpentes, lui dis-je en enfilant mes bottes. Sur la droite. Nous nous glissons le long du mur sans bruit. J’ouvre doucement la porte. L’endroit n’a pas changé depuis ma dernière visite. Je mets un doigt sur les lèvres en regardant Askyn, et de l’autre main je lui désigne le bas. Le bureau de mon père a été investi. On entend des bruits de tiroir et de portes d’armoire. Ils sont en train de tout vider. Nous rampons sur les poutres. La poussière vole autour de nous. Surtout ne pas éternuer. Nous arrivons enfin de l’autre côté. En bas, une porte s’ouvre puis quelqu’un crie « Ils sont en train de s’échapper par les navettes ». Nous nous redressons, ouvrons la porte, quand je vois le carton de photos découvert il y a déjà si longtemps dans mon souvenir. Je chuchote à Askyn « Attends », et je cours chercher la boîte. Askyn fronce les sourcils.

- Tu es folle, laisse ça ici, ça va nous encombrer
Je secoue la tête.
- Non. C’est tout ce qui me reste de ma mère.
Nous nous glissons dehors. Le transmetteur d’Askyn bipe. C’est Jack

-  Askyn, nom de Dieu, où es-tu ? As-tu récupéré Aura ?

-  C’est bon, elle est avec moi, on avance vers les navettes.

-  Tu as le visuel du terrain ?

-  Presque, oui ça y est.

-  Sur la gauche, il reste un chasseur à deux places. Aura sait piloter ce
genre d’engin. Prenez-le, nous on décolle, sinon ils vont réussir à
nous faire exploser.
A ce moment on entend une énorme détonation et Gunter hurler quelque chose à Jack.

- Ils viennent de faire exploser la dernière navette. Dépêchez-vous,

nous crie Jack, sinon vous ne pourrez plus partir. 212

- Très bien. On se retrouve en haut, termine Askyn en coupant la liaison.

Nous avançons contre le hangar. Le terrain d’atterrissage est illuminé par les feux des navettes en train de se consumer. La dernière navette décolle.

-  Là, dis-je à Askyn en lui désignant l’avion sur la gauche.

-  Vu, me répond-il

-  On y va à trois. Un, deux...
Et à ce moment là, des tirs de laser fusent sur l’appareil. Askyn me retient par la manche, et l’avion explose. Nous ne pouvons plus rejoindre, ni le Vaisseau Amiral, ni la Mégalopole. Tout brûle, plus d’engins de disponibles. On ne peut plus quitter la province.
Je crie à Askyn.

- Les chevaux. Ils sont de l’autre côté. Avec un peu de chance, il n’y a

pas encore le feu là-bas.
Nous rebroussons chemin en courant. Moi avec ma boîte de photos sur le côté et mon laser dans l’autre main. Nous sommes chanceux, les rebelles sont concentrés sur le Palais et le tarmac. Les chevaux sont nerveux et hennissent.
- Tu les selles, me lance Askyn. Moi je fais le gué. On va se réfugier

chez Sirius, personne n’ira nous chercher là-bas.
Je cours vers la stalle de Bucéphale et Sheïtan. Ils tournent sur eux. Ils sentent le feu.
- Tout doux, tout doux.
Je leur passe d’abord les filets. Au moins, ça sera toujours ça de gagné si on n’a pas le temps de les seller. Mais au final, les écuries n’intéressent personne. J’ouvre tous les enclos où sont parqués les autres chevaux. Le groupe s’enfuit dans la nuit en ruant et hennissant de peur. Puis je retourne sur mes pas. Askyn m’attend, il est déjà en selle sur Sheïtan. J’attrape les rênes de Bucéphale, mais il a du mal à se calmer. J’ai coincé comme j’ai pu ma boîte de photos dans les sacoches de la selle. J’arrive enfin à passer mon pied dans l’étrier.
- On y va, me crie Askyn.
Nos deux chevaux démarrent en trombe. C’est la nuit, mais il fait cependant clair à cause des incendies. Je me penche sur l’encolure de Bucéphale. Il est fou de peur. Soudain, une énorme explosion. Bucéphale fait un écart et je manque de tomber. Je me retourne. Le Palais est en feu. Impossible de penser. Je me concentre sur la direction de mon cheval. Sheïtan galope à côté de moi. Peu à peu, les cris s’estompent et nous nous enfonçons dans la nuit.

* **

Tout est calme chez Sirius. Askyn a raison, personne ne pensera à venir nous chercher ici. Nous installons les chevaux dans l’enclos.

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La maison de Sirius est propre. Le personnel envoyé à ma demande a tout nettoyé de fond en comble. Comme si Sirius n’avait jamais quitté son domicile.

Je m’affale sur la canapé. Nous avons de la poussière plein les cheveux, et nous sentons la fumée. Je suis hébétée.

-  Ça y est, c’est la fin.

-  Au moins, ces villageois seront maîtres de leur destin jusqu’au bout,
murmure Askyn. Ils ne se retrouveront pas enfermés si jamais
Storm II s’abat sur eux.
Je ferme les yeux. L’incendie du Palais, notre fuite. Tout est fini ici. Il va falloir reconstruire, mais en haut.

- Askyn, ça ne te fait pas tout drôle de te dire qu’on va quitter tout

cela, toute notre vie, pour aller nous enfermer dans ces vaisseaux,

dans ces choses en suspension autour de la terre ?
Askyn s’approche doucement de moi. Il me prend la main. J’ouvre les yeux.
- Aura, je pensais que tu avais deviné.
Il s’arrête, semble hésiter, puis reprend.
- Je ne pars pas. Je reste.
Je le regarde. Je ne comprends pas ce qu’il me dit. Au final peut-être que si, car je ne n’arrive pas parler.
- Je n’ai aucun avenir là-haut. Je ne serai d’aucune utilité. Alors qu’ici,

oui. Je vais intégrer l’équipe de Duncan.
Ma tête se met à tourner. Je ferme à nouveau les yeux. Une crise de panique m’envahit comme lorsque j’étais enfant au son des rotors de l’hélicoptère. Un, deux, trois, quatre, cinq, j’inspire, un, deux, trois, quatre, cinq, j’expire. Askyn continue.
- Mais toi Aura, tu dois y aller. Tu seras notre seul point de contact là-

haut. Et notre but à tous, c’est toujours le même. Etre rassemblés

tous ensemble un jour.
Un jour ? C’est bien là le problème ! Un jour, mais quand ? Un, deux, trois, quatre, cinq, j’inspire, un, deux, trois, quatre, cinq, j’expire.
- J’ai appelé Duncan pendant que tu sellais les chevaux. Il va venir me

récupérer.
Trop de chocs émotionnels en même temps, mon cerveau n’arrive plus à gérer. Envie de m’allonger là et de sombrer dans le noir où je n’aurais plus à réfléchir. Mon corps devient raide, je n’arrive plus à bouger. Je suis comme une pierre. Une pierre qu’on lance dans l’eau, et qui coule, qui coule. Je sombre.
- Aura ?
Mon corps refuse d’entendre, il cherche la tranquillité. Il flotte dans du coton. J’ai déjà vécu cela. Le champ de coton lorsqu’on m’a retrouvée avec ma mère. J’y suis bien. Je veux y rester. Je sombre dans cet univers blanc.
Je reprends vaguement conscience par intermittence. Une voix dit au loin :
- Elle est en syndrome de stress post traumatique. Elle a fait une crise

de catatonie.

214

Cette voix, c’est Duncan. Duncan. Que faisait ma mère dans ta salle d’arme ? Fichez-moi la paix, je veux rester tranquille avec mon chat. Passer mes journées à dormir. Une autre voix, angoissée.
- Ce n’est pas étonnant, avec les évènements de ces derniers jours. Et

toutes les rotations assumées, ça a du achever de l’épuiser.
Askyn. Askyn, toi aussi tu vas me quitter ? Comme ma mère ? Comme la tienne ? Tu m’abandonnes. Tu vas me laisser seule, alors que mon ancienne vie s’effondre, plus de Palais, plus d’Askyn, plus rien.
- Personne ne pensera à venir la chercher ici. De toute les façons, ils

vont vous porter disparus sans nouvelle de votre part.
Disparue, je suis à nouveau disparue. On ne me retrouve pas, comme avec maman. Qu’est-il arrivé ce jour là ? Pourquoi m’as-tu emmenée avec toi, maman ? Sirius le sais. J’en suis certaine.
- Je vais rester avec elle le temps nécéssaire.
Adam. C’est la voix d’Adam. Comme dans mon rêve. Le rêve où il m’abandonne lui aussi. Où il me dit de partir.
Quelqu’un m’embrasse sur le front. Askyn, je reconnais ton odeur. Je ne veux pas que tu me laisses. Ne me laisses pas, pas comme maman.
Je sombre de nouveau.

* **

J’ai perdu toute notion de temps. Tout se mélange. Storm, ma mère, Jessica, la vieille Rebbeca, Sirius. Je veux la paix, je veux me reposer.

La caresse tiède du vent, puis le chant d’un oiseau me font ouvrir les yeux. Je les referme de suite. La lumière me brule la vue.
- Ne t’inquiètes pas, c’est normal. Tes yeux doivent se réhabituer à la

lumière.
Adam. J’essaie de parler, mais ma gorge est déshydratée. Le bruit de l’eau, une main me soulevant la tête, et un verre contre mes lèvres. J’avale quelques gorgées, puis Adam me repose la tête sur l’oreiller.

-  Vous avez fait un grand somme, Mademoiselle.

-  Adam. Qu’est-ce que tu fais là ?

Ma voix est rauque. Adam me prend la main.
- Eh bien, figurez vous que votre corps en a eu assez de toutes les

tortures subies ces derniers temps, et qu’il a décidé de se mettre en grève, en se coupant du monde pour se recharger. Mais apparemment, j’ai du lui manquer, puisque te voilà te revenue, dit-il en me déposant un baiser au creux du poignet.

J’essaie de nouveau d‘ouvrir les yeux. Ça va un peu mieux. Je regarde Adam à travers mes cils. Il a l’air fatigué.

-  Combien de temps ?

-  Chut, me dit-il en passant la main sur mon front. On s’en fiche.

-  S’il te plait...

-  D’accord, mademoiselle l’entêtée. Presque deux jours.
Deux jours. Combien de temps avant Storm II? Dix jours, quinze jours ? Adam lit dans mes pensées.

215

- Ecoute, on s’en fiche. On est tous les deux, on va en profiter pour une fois, et advienne que pourra.

Je me redresse. Je commence à m’accoutumer à la lumière.

-  Je vais bien. Si je me suis réveillée, c’est que mon corps va mieux et
est prêt à repartir.

-  Alors tout d’abord, on enlève ça. Ne bouges pas.
Il retire la perfusion était posée au creux de mon coude, et me pose un pansement.

- C’est Tiffany qui est venue te la poser. Elle ne savait pas combien de

temps tu allais rester dans cet état, elle n’a pas voulu prendre de

risque.
Tiffany. Askyn. Mon cœur se serre. Adam l’a senti.
- Tu sais, ils sont vraiment faits l’un pour l’autre. Ça crève les yeux.
Et nous, ai-je envie de lui répondre ? Je n’ose pas. Mais il doit lire dans mes pensées, car il se penche sur moi et murmure tout contre mes lèvres « Mais pas autant que nous » et il m’embrasse.

* **

Les jours s’écoulent doucement, contraste après les violences des derniers jours. Je reprends petit à petit des forces. Tiffany a laissé de quoi remettre sur pied une armée entière. En cela, elle ressemble à Shirin. Pas étonnant qu’Askyn soit tombée amoureux d’elle.

Adam a proposé à Duncan de rester ici avec moi pour me laisser le temps de me remettre des derniers évènements et décider par moi- même de la suite. Et tant pis si nous devons affronter la tempête. Duncan a laissé deux combinaisons anti radiations à notre attention. Les experts de Léto devraient cependant avoir le temps de nous prévenir suffisamment à l’avance pour nous mettre à l’abri. Mais où, cela dépendra de mon choix. Et sans être influencée par une quelconque personne ou un quelconque événement, comme cela a été le cas depuis ces derniers mois, souligne Adam.

Léto a accepté d’ouvrir les portes de la Cité au groupe de villageois que j’avais libérés. La mère d’Alia est sauve. Léto songe également à aller secourir les autres villageois encore prisonniers des têtes chercheuses comme je lui avais proposé, mais n’a pas décidé s’il s’en ouvre auprès de l’Etat Major. Il se méfie de Thufyr.

Duncan s’est renseigné sur l’existence d’une hypothétique flotte aérienne. L’information se révèle être exacte. Cela renforce la méfiance de Léto à l’égard du chef de l’Etat Major.

Adam s’est renseignée sur ma mère. Ça a été compliqué, mais il a compris qu’elle faisait partie du Réseau. Cela ne m’étonne pas. Le trio infernal Sirius/Jessica/Ilexia. Mais il n’a pas eu le temps d’en apprendre plus et me dit s’être heurté à un mur de silence. Le Réseau doit sa survie à cet anonymat.

216

Les chevaux ne sont plus là, Askyn les a emmenés au ranch. J’aurai aimé retourner au Palais, ou ce qu’il en reste, mais Adam ne veut pas. C’est trop dangereux. Ne me reste plus comme souvenir la boîte de photos emportée avec moi le soir de l’incendie. On ne quitte la maison de Sirius que pour aller se promener du côté irradié, en sortant par le tunnel.

Adam nous a bricolé un lit de fortune avec les sofas. Il me convient parfaitement. Pour la première fois, nous pouvons savourer chaque minute passée ensemble sans devoir nous presser à cause des évènements. Malgré les circonstances. Malgré le fait de savoir cette parenthèse de courte durée. Cela la rend étrangement d’autant plus savoureuse. Il me faudra quitter bientôt ce confort pour agir. Pour que cette parenthèse dure toute une vie. Que les deux mondes soient enfin réunis.

*
**
Adam m’a emmenée au lac. Une dizaine de jours s’est écoulée depuis l’incendie du Palais. Nous sommes tous les deux allongés dans l’herbe, ma tête dans le creux de son épaule. Je me serre contre lui. Il se penche

sur mes cheveux et me dépose un baiser. - C’est bon, je suis prête à repartir.
Il ne me répond pas tout de suite.

-  Tu as bien réfléchi ? A tout ce que cela implique ? Aux risques que tu
vas prendre si tu te fais démasquer par le Commandement ? A nous
également ?

-  S’il existe une chance de réussir, je veux la saisir. Et si je ne le fais
pas, je m’en voudrai toute ma vie. Il se penche pour me regarder.

- Très bien. Mais tu me promets que si jamais ça tourne mal, tu laisses

tout et tu viens me rejoindre ? Ce n’est pas à nous de payer les

erreurs de nos aînés.
Je hoche la tête. Après un long silence, il reprend :
- Tu te rends compte de l’enfer que tu nous as fait vivre quand tu as

disparu avec ton fichu hélicoptère ? Je ne veux absolument pas revivre cela. Et te savoir là-haut alors que je serai impuissant s’il t’arrive quelque chose... Alors je veux bien faire un effort, mais si seulement le jeu en vaut la chandelle.

Il roule sur moi, et me saisit les poignées.
- Et je te préviens, si j’estime que ça devient trop dangereux, je

viendrai moi-même te chercher, que tu sois d’accord ou pas. Je lui souris.

-  Et si je fais ma mauvaise tête de petite fille gâtée ?

-  Dans ce cas, j’ai quelques bons arguments qui te feront changer
d’avis, me murmure-t-il en me mordillant l’oreille.

-  La petite fille gâtée veut bien un aperçu, lui dis-je avec une voix
suave.

217

-  C’est si gentiment demandé, me répond-il en m’embrassant dans le cou.

-  Moi qui pensait que tu détestais les filles à papa.

-  Pour toi je ferais une exception, dit-il en m’embrassant.
* **
C’est notre dernière nuit. Je suis blottie contre Adam sur notre lit de fortune. Je n’arrive pas à dormir. Les fenêtres sont ouvertes et on entend chanter les grillons. Ces insectes résistent parfaitement aux radiations. Et pourquoi pas nous aussi ? Il doit bien exister une solution. Le savant fou. Où-a-t-il disparu ? Où sont passés ses travaux ?
Adam colle sa peau nue contre la mienne. J’adore cette sensation.

-  Tu penses trop fort, tu m’as réveillé, murmure-t-il dans le creux de
mon oreille.

-  Je t’ai dit qu’au Centre, la deuxième partie de l’équipe travaille sur
un antidote aux radiations ? Qu’un membre de l’équipe disait avoir
trouvé la solution, mais qu’il a disparu avec tous ses travaux ?

-  Une chose à la fois, chuchote-t-il dans mon cou. Laissons passer
cette maudite tempête, et après on avisera les actions à mener.

-  Mais ça serait vraiment la solution. Si on a trouvé un remède valable six heures, quel est l’obstacle pour trouver celui valable
indéfiniment ?
Il me coince sous lui.

- On ne vous a jamais dit que vous parliez trop Mademoiselle ? Si vous

voulez, je peux vous proposer une autre façon d’activer votre organe

vocal, dit-il se penchant vers moi pour m’embrasser. Je le repousse doucement.

-  Adam, je veux te parler de quelque chose d’important.

-  Plus important que ce que je te propose ? me lance-t-il en souriant

-  Je voudrais juste que tu m’aides à réfléchir.
Je m’assois en tailleur.

-  La personne que vous appelez Némésis dans le Réseau est en réalité
la mère d’Askyn.

-  Quoi ? me répond-il, stupéfait.

-  Oui, je sais, et ça risque d’être terrible quand il va l’apprendre.
Je lui raconte tout. L’attaque de Jessica et de son mari en pleine nuit, son compagnon tué, et la décision prise en concertation avec Sirius de disparaître et de laisser Askyn derrière elle. Je passe sous silence la liaison entre Sirius et Jessica.
- Je comprends maintenant mieux pourquoi Sirius s’est toujours
occupé d’Askyn comme son propre fils. Il devait se sentir en partie
responsable de ce choix terrible.
Adam reste un moment sans parler. Puis soupire.

- Quant tu entres en résistance contre le système, il y a parfois des

décisions insupportables à prendre, avec des conséquences irrémédiables pour ceux que tu aimes, me dit-il en me serrant la

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main. Et si tu as décidé de t’engager, il faut être prêt à faire ce genre de sacrifice personnel, au nom du bien commun. Es-tu prête à faire cela ? me demande-t-il en me regardant intensément.

-  Oui, dis-je sans hésitation dans un murmure, si ça contribue à notre bonheur futur.

-  Dans ce cas moi aussi, me répond-il en me serrant dans ses bras, en espérant que nous n’aurons pas à jour à regretter cette décision.

-  Lorsqu’Askyn va découvrir l’existence de sa mère, il voudra savoir si je suis au courant. Et je ne veux pas lui mentir. Je suis incapable de mentir à ceux que j’aime, dis-je en baissant les yeux.
Adam me relève le menton avec la main, une lueur de tristesse dans les yeux

- Encore une chose à apprendre si tu acceptes d’entrer en résistance.

Tu es sure d’être vraiment prête ? Je hausse les épaules.

-  Plus vraiment le choix maintenant. Alors, s’il vient t’en parler, tu
pourras lui expliquer que ce dilemme m’a rendue malade ?

-  J’essaierai, me promet-il en me reprenant dans ses bras. Tu sais, dans ces cas-là, en général tu es si furieux que tu n’écoutes pas trop
ce qu’on te dit. Mais j’essaierai. Je soupire d’aise

- C’est parfait. Maintenant, tu peux m’empêcher de trop parler, lui dis-

je en lui présentant mes lèvres.

* **

Nous avons nettoyé toute trace de notre passage chez Sirius.

Adam me prend une dernière fois dans ses bras. Ma gorge est complètement nouée. Je sens les larmes monter.
- Chut, me dit-il, ne dis rien. On fait comme on a dit, d’accord ?
Mon rêve, mon rêve du début. Je ferme le yeux et me serre contre lui.

- Ne t’inquiètes pas, sourit-il, on a déjà résisté il y a longtemps, donc on va pouvoir tenir une seconde fois, et cette fois-ci, nous ne sommes pas pris par surprise.

Je suis incapable de lui répondre.
- Il faut que tu sois forte, car n’oublie pas qu’on compte sur toi ? C’est

toi qui sera notre relais là-haut, tu n’oublies pas, Mademoiselle ?
Il me serre à nouveau très fort, si fort contre lui. Ses mains s’enfouissent dans mes cheveux.
- Surtout n’oublie pas que je t’aime, malgré toutes nos différences et

ta tête de mule.
Sa phrase m’arrache un sourire.
- C’est maintenant que tu me dis ça ?
Il s’écarte, essuie les larmes sur mes joues, puis me dit gentiment.
- Tu sais, on ne change pas d’un coup. Il y a toujours en moi un peu de

ce côté sombre et froid. Mais, dit-il en me serrant plus fort, il

disparaît dès que tu es là.
Il s’écarte de moi et prend mon visage entre ses mains. - Je t’aime, et ne l’oublie jamais. Promis ?

219

Je hoche la tête.
Il sort un transmetteur de sa poche.
- C’est de la part de Duncan. Même mode opératoire que

précédemment. A part que cette fois-ci, c’est moi que tu contacteras, et pas Duncan. Et ça a été non négociable. Je serai ainsi au courant de tout ce que tu fais, me dit-il avec un sourire en coin.

Il me reprend une dernière fois dans ses bras, et ses lèvres se posent sur les miennes. Je réponds à son baiser avec fougue.
Il me serre contre lui et me glisse à l’oreille « A bientôt Mademoiselle », et il part.

Je réactionne le mécanisme pour fermer l’entrée du tunnel.
Puis je sors de la maison, je m’assois contre la barrière de l’enclos à chevaux vide, j’actionne le traceur laissé par Peter et je ferme les yeux. Ma boite à souvenirs à mes côtés.

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