chapitre 19

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Peter en personne est venu me chercher. Je lui ai servi une histoire à dormir debout, notamment avoir miraculeusement retrouvé quelques jours après le transmetteur perdu dans l’explosion du Palais. Bien sur, il ne me croit pas, mais il a rapporté cette histoire au Commandement. Je ne lui en demande pas plus. Personne n’est venu m’ennuyer, chacun est obsédé par l’imminence de Storm II.

Ma grand-mère s’est installée dans ses nouveaux appartements. Une partie du personnel demeure au Manoir, dont la vieille Rebecca. Ma grand-mère me présente sous l’image d’une héroïne auprès de ses amies, pour avoir survécu ces quelques jours sur Terre seule au milieu de ces sauvageons.

Shirin a pleuré en me voyant revenir seule. Je lui ai assuré de ne pas s’inquiéter pour Askyn. Elle a compris. S’occuper de la petite Alia lui change les idées.
Mon père bénéficie aussi d’un appartement personnel, moins luxueux que celui de mes grands parents. L’explosion du Palais a achevé de l’anéantir. Tous les gouverneurs sont dans l’attente de leur prochain statut. Le Commandement attend le passage de Storm II pour procéder à la réaffectation des postes.

Les rotations avec les vaisseaux sont terminées. Rien n’a filtré sur le nombre de personnes restées dans les provinces. Seuls les directeurs des services sont en possession des chiffres réels. Nous n’en avons jamais discuté ouvertement avec Phoebe, mais elle a été très affectée de la décision du Commandement d’abandonner ces gens à leur sort. Du coup, elle investit son temps libre à s’occuper des « orphelins » rapatriés sur le vaisseau, mon geste envers la petite Alia l’ayant beaucoup touché. « C’est très noble de ta part », m’a-t-elle dit.

Le Commandement veut donner une impression de continuité. Le bouclier anti radiation a été déployé autour de la Mégalopole, et les navettes Mégalopole-vaisseaux tournent à plein régime. Sur ce plan, le Commandement a fait preuve d’intuition. Les habitants des vaisseaux n’hésitent pas à se rendre sur leur temps libre à la Mégalopole, en passe de devenir le lieu festif et de détente de ceux en orbite. Ainsi, toutes les tensions si enclines à se former dans de tels lieux clos sont évacuées sur terre.

* **

J’ai du temps à tuer, je décide donc de me rendre dans la Mégalopole.

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Le Collège est demeuré ouvert pour ceux souhaitant continuer à utiliser les installations sportives et à venir s’entrainer. Je saisis cette excuse afin de visiter Monsieur Hennessy. Il est toujours au Collège, et refuse de le quitter, malgré l’imminence de Storm II.

Je frappe à la porte de la salle de cours. J’entends un « j’arrive », et Monsieur Hennessy apparaît.

-  Ah, ma petite Aura. Vous venez aux nouvelles j’imagine ?

-  Comment allez-vous, Monsieur Hennessy ?
Il me prend la main et me regarde avec beaucoup de tendresse.

- C’est plutôt à vous que je dois demander ça, ma petite. Nous avons eu très peur lorsque vous avez disparu. J’ai été soulagé d’apprendre par vos camarades qui me font l’amitié de venir prendre de mes

nouvelles de savoir qu’on vous avait ramenée saine et sauve. Peut-être pas si sauve que cela, au final. J’ai peut-être été irradiée. Une fois enfant, une autre maintenant.
- Monsieur Hennessy, la tempête est prévue dans quelques jours. Du

moins c’est ce qui se dit, mais le Commandement ne laisse rien

filtrer. Avez-vous pu calculer les zones d’impact ?
Il fait signe de me rapprocher de lui, puis murmure sur le ton de la confidence :
- Oui en effet. Et je comprends pourquoi le Commandement ne

communique pas dessus.
- Ça va être si terrible que ça ?
Il est pratiquement collé à moi et me chuchote :

-  Au final, il existe peut-être un Dieu Rédempteur, comme l’affirme les
illuminés qui prêchent depuis plusieurs mois dans les rues de la
Mégalopole.

-  Monsieur Hennessy, que voulez-vous dire ?
Il regarde tout autour de moi, pour s’assurer que nous sommes seuls.

-  Eh bien, si je ne me trompe pas, nous allons assister au schéma
inverse de Storm.

-  Je ne comprends pas, lui dis-je en secouant la tête

-  Eh bien c’est simple. Nous allons subir l’irradiation de plein fouet, et
les Territoires Irradiés devraient être en partie épargnés. Je caricature un peu, mais grosso modo c’est ce qui va se passer.
* **
Je comprends maintenant pourquoi le Commandement ne veut pas ébruiter l’information. Il aura bien assez à gérer après Storm II.
Je bifurque par le Centre voir Walter, mon ancien superviseur de stage, et aller à la pêche aux informations. Il est content de me revoir. Il me donne rendez-vous avec toute sa bande à l’Astrolabe.
Dans l’attente de la soirée, je me fais servir un thé dans le salon du Manoir, désormais orphelin de ma grand-mère. Autant profiter du

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statut de privilégiée et du pied à terre de ma famille. Je dépose comme à mon habitude ma tasse vide aux cuisines, lorsque j’entends « Pssiit »

Ma vieille Rebecca. Je prends une chaise et vais m’asseoir à côté d’elle. Pour une fois, je dispose de tout mon temps.

-  Ma petite, dit-elle en me prenant la main. Tout le monde m’avait dit
que tu étais morte là-bas, comme ta mère. Mais moi je savais que tu
étais toujours vivante. Tu sais j’ai le don.

-  Rebecca, explique moi. C’est quoi le don ? Pour une fois que nous
pouvons discuter tranquillement, explique-moi.

-  Le don, tu sens les gens. Tu sens s’ils sont bons ou mauvais. S’ils te
disent la vérité ou s’ils te mentent. Après ça, des fois, tu peux voir ce
qu’il va se passer.

-  Mais Rebecca, pourquoi penses-tu que j’ai ce don?

-  Ta mère, ma petite, ta mère, elle l’avait. C’est dans tes gènes
maintenant. Les radiations modifient les gènes qui se transmettent
aux enfants. Je secoue la tête.

-  Mais Rebecca, ma mère n’était pas irradiée !

-  Qu’en sais-tu petite ? me répond-elle en souriant. C’est sur qu’ici, ce
n’est pas quelque chose qui se crie sous les toits. Décidément, Rebecca n’a pas toute sa tête.

- Demande à Jessica, me dit Rebecca, elle aussi savait.

Je ressasse les paroles de Rebecca en me préparant à sortir. Un ramassis d’élucubrations sans queue ni tête. Je m’habille puis je sors rejoindre le groupe de jeunes ingénieurs.

La troupe est déjà attablée lorsque j’arrive à l’Astrolabe.
- Alors, Aura ? On te craque le code, et t’es même pas fichue de récupérer les données. Alors qu’on aimerait bien savoir, dit-il en

gloussant et en donnant un coup de coude à son voisin. Apparemment, ils ont débuté la soirée sans moi, à juger le nombre de verres vides sur la table.
Je prends mon sourire le plus enjôleur.
- Arrêtes Walter, tu ne vas pas me dire que des caïds comme vous

sont restés inactifs, sans chercher à savoir ce qu’on va se prendre

sur la tête dans quelques jours. Ils gloussent comme des poules.

-  Plein la tête ouais ! Si tu voyais en ce moment la tronche de nos
responsables. Ils pissent dans leur froc !

-  C’est donc vrai la rumeur ? Ça va tomber chez nous ?

-  Une putain de pluie de radiations ! Excellent ! Ils ont vite intérêt à
trouver quelque chose contre ça. Car on va vite être à l’étroit, entre ici et les vaisseaux. Tiens ma poule, buvons à cela, me dit-il en me tapant sur la cuisse.
Incroyable ! Qui aurait pu prévoir cela ? Les Territoires Sains pris à leur propre piège. Askyn, tu as bien fait de nous quitter.

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Et pour la première fois de ma vie, je m’enivre volontairement. J’ai apparemment l’alcool gai, je vois tout en rose.
Après un nombre non raisonnable de verres absorbés, je regarde autour de moi et je plisse les yeux. Il me semble reconnaitre Markus au fond du bar. Il était là pour m’accueillir à mon retour au Vaisseau amiral, officiellement en tant que responsable de l’équipe d’évacuation de ma province, officieusement peut-être pour plus. Depuis, je ne l’ai pas beaucoup croisé, il était constamment occupé, contrairement aux pilotes, une fois le déplacement des populations terminé. Je prends mon dernier verre et vais m’asseoir face à lui, avec un grand sourire béat.

-  Aura ? Il me semblait bien t’avoir reconnue, mais avec un verre à la main et entourée d’une troupe de mâles éméchés, je pensais m’être trompé. Apparemment non, dit-il en fronçant les sourcils.

-  Oh Markus, ne joue pas les rabats-joies, tu es trop sérieux maintenant.
Je me lève et me raccroche à la table.

-  Bon, excuse-moi il faut que j’y aille. J’ai des choses à faire.

-  Aura, tu es venue seule ?
Je le regarde en levant les yeux au ciel.

- C’est une invitation galante ?
Il se lève et me prend par le bras.
- Les rues de la Mégalopole sont maintenant dangereuses pour une

jeune-fille. Je m’en voudrais s’il t’arrivait quelque chose maintenant. Ma tête commence à tourner, je me suis levée trop vite. Je m’accroche à lui, et il me rattrape par la taille.

-  Je vais te ramener au Vaisseau, hors de question de te laisser seule
dans cet état, insiste-t-il.

-  Non, viens plutôt boire à notre futur sort, dis-je en me tortillant
pour essayer de récupérer mon verre.

-  Celui de nous retrouver enfermés tous les deux à cause de Storm II
dans un Vaisseau amiral ? me répond-il en souriant et en me serrant
un peu plus fort.
Je rigole, un peu trop fort. Certaines personnes se retournent.

- Chhhut
Je lui pose un doigt sur ses lèvres et regarde autour de nous.

- Je peux te dire un secret ?
Il me regarde avec un sourire amusé. J’approche mes lèvres de son oreille et je lui murmure :

- Cette fois-ci, les cramés, ça sera nous et pas eux.
Et j’explose de rire. Je n’arrive plus à m’arrêter de rire. J’essaie de me dégager :

- Je vais appeler Askyn pour lui dire qu’il a bien fait de partir avec eux.

Markus se raidit d’un coup.

- Askyn ? Tu avais dit qu’il avait disparu dans l’explosion du Palais. Je dégrise d’un coup. Mon Dieu, que viens-je donc de dire ? Je dois détourner la conversation sur autre chose. Je fais la seule chose me venant à l’esprit. Je passe les bras autour de son cou, et je l’embrasse.

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Il est surpris. Il ne s’attendait pas à ça. Mais il reprend vite ses esprits. Il répond à mon baiser. Un baiser profond, puissant. J’essaie de le repousser gentiment.

-  Oh, je suis désolée, Markus.

-  Ne le sois pas, Aura. C’était plutôt agréable. Mais ne t’inquiètes pas, je ne tire jamais profit de ce genre de situation. Mes petites amies sont toujours venues à moi de leur plein gré, m’assure-t-il avec un grand sourire.
Tout tourne autour de moi. Je continue de m’accrocher à lui.

- Je te ramène au bercail, hors de question de te laisser rentrer seule

dans cet état.
Etre responsable de la coordination à ses avantages. Markus dispose d’une navette pour se déplacer dans la Mégalopole. Il m’installe au poste de copilotage et m’attache la ceinture. En plein vol, j’ai juste le temps de me détacher et d’aller courir aux toilettes. Markus rigole. Quand je reviens, il m’affirme qu’il existe d’autres solutions plus agréables que l’alcool pour oublier Storm II.
Tout est calme quand nous atterrissons. Nous sommes en pleine nuit. Markus m’aide à descendre. Il est obligé de me soutenir par la taille car impossible de tenir debout.
- Ramène-moi à ma cabine, dis-je en murmurant.
Par chance, les couloirs sont pratiquement déserts à cette heure de la nuit.
Markus me dépose sur mon lit. Il balaie la pièce du regard.
- Ces cabines sont minuscules. N’hésite pas à frapper chez moi si tu te

sens à l’étroit, dit-il avec un sourire en coin. Sur ce, je te souhaite une bonne nuit, me laisse-t-il en déposant un baiser sur mes cheveux.

* **

Storm II frappe deux jours plus tard. Afin de démontrer à la population de la Mégalopole l’absence de danger avec la protection du bouclier, le Commandement a demandé des volontaires pour se rendre sur place et y demeurer le temps des radiations. J’ai ainsi rejoint les équipes du Centre. Et nous sommes là, maintenant tous réunis, à observer les zones touchées. Monsieur Hennessy ne s’était pas trompé. La majorité des Territoires Irradiés a été épargnée, et une partie des territoires autrefois sains vont être bientôt décrétés zones non habitables. D’après les cartes en mouvement, la Cité de Léto a été épargnée, ainsi qu’une partie des postes avant frontières, jouxtant les territoires irradiés. Dont la province de mon père. Le Commandement a cependant interdit toute communication à l’extérieur. Les habitants des Territoires Sains ne se doutent pas du sort de leur territoire. Le Commandement veut se donner du temps afin d’adopter la meilleure stratégie face à cette situation nouvelle.

Quinn Devries s’approche de moi. 225

-  Quelle ironie du sort n’est-ce-pas ? A notre tour de nous adapter. Ils doivent bien rire, de l’autre côté.

-  Quinn, que va-t-il se passer maintenant ? Le Commandement va octroyer des moyens supplémentaires au Centre pour travailler sur un sérum anti-radiation ?

-  C’est possible, me répond-il en haussant les épaules. Après je me suis toujours demandé dans quelle mesure cela intéressait vraiment le Commandement Suprême de trouver une solution. Nous étions alors sains, quel intérêt d’aller aider l’autre partie de notre planète ? Le Commandement possédait le pouvoir, un système de gouvernement fonctionnant depuis cent cinquante ans. Pourquoi ouvrir la brèche à cette autre moitié devenue une inconnue ?
L’occasion d’en savoir plus sur cette histoire de savant fou se présente enfin.

-  Mais que s’est-il passé ?

-  Ça n’a jamais été très clair, me répond-il. Le médecin en charge de
trouver ce sérum était certes un excentrique, mais un homme brillant. Les génies ont toujours un côté fou. Denis Walker était persuadé d’avoir trouvé la combinaison génétique du sérum, aidant nos cellules à s’adapter aux radiations.

-  Comment a-t-il fait pour parvenir à ce résultat ?

-  Ah, ça c’est la face cachée du Commandement. Certains enfants
avaient été contaminés par des radiations, venant on ne sait d’où. Eh bien, tous n’ont pas été reconduits à la frontière. On en a gardé quelques-uns pour les étudier et analyser la façon dont leur corps s’adaptait. Mais ne vous inquiétez pas, dit-il me voyant prendre un air horrifié. Denis était quelqu’un de très bien. Les essais se sont limités à des prélèvements de sang et des images radios.
Il me regarde, puis dit plus bas :

- J’ai toujours apprécié Denis, et il me faisait confiance. Un jour il m’a

confié que ces enfants étaient inoffensifs et non contaminants. Le Commandement entretenait cette vieille légende pour maintenir le pouvoir en place. J’ai ainsi découvert que mon petit frère avait été sacrifié sur l’autel du pouvoir.

Je brule d’expliquer à Quinn tout ce que je sais. Mais pas pour l’instant.
- Et puis un jour, Denis a disparu. Au départ, on a mis son absence sur le compte de son excentricité, une de plus. Et on a attendu avant de réellement s’inquiéter et de donner l’alarme. Même lorsqu’on s’est aperçu que ses travaux s’étaient également volatilisés avec lui. Le Commandement ne s’est pas empressé de partir à sa recherche. Entre nous, Aura, je me suis même demandé si nos gouvernants n’avaient pas une part de responsabilité dans cette histoire. Enfin tout ça c’est du passé, reprend-il. Mais oui, comme vous dites, peut- être que le Commandement va commencer à regretter de ne pas

avoir pris Denis au sérieux.
Soudain nous sommes interrompus par le capitaine de la sécurité.
- Quinn, veuillez m’excuser, mais nous venons de recevoir un appel de

nos collègues de la prison centrale. Plusieurs personnes ont pénétré dans un des bâtiments, et les euh – il me regarde à ce moment là – le

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système de sécurité de la surveillance des prisonniers n’a apparemment pas fonctionné. Comme nos collègues sont en effectifs réduits à cause de Storm II, ils nous demandent si on peut aller leur prêter main-forte.

Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine. Sirius est toujours enfermé au secret à la prison centrale. Aucun détenu, même politique n’a été transféré dans les vaisseaux. J’ai demandé plusieurs fois à mon grand- père de rendre visite à mon oncle mais je me suis heurtée à chaque fois à une fin de non recevoir. Je viens de comprendre à demi-mots que le système de surveillance constitué de têtes chercheuses a été déjoué là- bas. Personne à la prison ne répondra à mes questions, seul mon grand- père en a le pouvoir.

* **

Ça a été difficile de trouver une navette pour décoller en pleine tempête. J’ai prétexté auprès du pilote une demande urgente de mon grand-père. Le nom de Kyles Carthag impressionne toujours.

Je ne connais pas cette partie du Vaisseau amiral réservée au Commandement. Bien sur, dès l’entrée, un garde m’arrête et me demande de décliner mon identité. Encore une fois, le nom de grand- père m’ouvre les portes.

Apparemment, je tombe à un mauvais moment. Des conseillers courent avec des dossiers sous les bras et des transmetteurs dans la main.
La personne de l’accueil passe d’un visage fermé à ouvert lorsque je lui dis chercher à joindre mon grand-père. Elle est désolée, le Commandement vient de se réunir en urgence, et Monsieur Carthag n’est pas disponible. Ma seule option restante est de l’attendre dans ses appartements, même si pour cela je dois supporter les derniers potins de ma grand-père.

Mon grand père arrive deux heures plus tard. Il est étonné de me voir là. Quand je lui dit être au courant l’attaque de la prison centrale, il me demande de le suivre dans son bureau.
- Bon, que sais-tu exactement Aura ?

- Le capitaine de la sécurité du Centre nous a appris qu’un des bâtiments avait été attaqué, et que le système de protection avait été déjoué. J’ai tout de suite pensé à Sirius.

Mon grand-père s’assoit dans son fauteuil.
- Aura, ce que je vais te dire doit rester entre nous
J’acquiesce en hochant la tête.
- Ton oncle fait effectivement partie des prisonniers manquants à

l’appel.
Mon cœur s’accélère, j’essaie de prendre un air détaché.

-  Mais qui aurait intérêt à le faire évader ?

-  C’est ce qu’on essaie de savoir. Mais rien n’est clair pour l’instant.

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-  Mais comment ont-il fait pour s’y prendre ? Où se sont-ils enfuis en pleine tempête ?

-  C’est la grande question. On a essayé de boucler toutes les entrées de la Mégalopole, mais en pleine tempête, c’est compliqué.
Je remercie mon grand-père et le prie de me tenir au courant s’il a des nouvelles. Je n’insiste pas pour ne pas éveiller ses soupçons. Le Réseau a apparemment profité de Storm II pour faire échapper Sirius. Impossible de joindre Adam pour en savoir plus, la tempête brouille toutes les transmissions. Je n’ai plus qu’à prendre mon mal en patience.
* **
Les jours passent. Storm II faiblit. L’ambiance à bord des vaisseaux est calme. Personne, à part un petit cercle d’initiés, ne se doute du bouleversement géopolitique se préparant. Nous allons devenir à notre tour des irradiés. Mais le Commandement s’est bien gardé de diffuser la nouvelle à la population des territoires sains.
Je suis attachée à la flotte sous les ordres de Peter. Je vis donc au gré de la troupe et de nos entrainements. Nous effectuons quelques sorties, travaillons beaucoup sur simulateur. Une façon comme une autre de tuer le temps.
Aujourd’hui, le Commandement a annoncé officiellement la fin de Storm II, du moins la fin des bombardements magnétiques. Cependant, la prudence est recommandée tant que les dégâts n’ont pas été évalués. Toute l’équipe de pilotage se retrouve au bar panoramique du Vaisseau amiral, invitée par Peter, afin de fêter cet événement.
L’atmosphère est chaleureuse. Tout le monde est détendu. Markus vient nous rejoindre. Je l’ai recroisé une ou deux fois depuis mon retour alcoolisé de la Mégalopole, mais il ne m’a heureusement pas reparlé d’Askyn. Apparemment, il s’est mis aujourd’hui en tête de flirter avec moi et je me prends au jeu. J’ai bien mérité moi aussi de me détendre un peu.

-  Aura, je te préviens. Je ne te ramène pas une seconde fois dans ton cagibi si tu ne tiens plus debout à la fin de la soirée.

-  Tu as raison, dis-je en regardant avec un grand sourire ma jolie voisine de derrière, tu risques de ruiner complètement ta réputation.
Il rigole, me prend la main et la baise.

- Tu croies que je ne vois pas clair dans ton jeu ? Tu penses ruiner

tous mes plans en t’exhibant ainsi avec moi.
Il se rapproche et me susurre à l’oreille.
- Mais Aura, tu connais bien mal la gente féminine. Tu suscites en ce

moment la jalousie de tes congénères, ce qui m’assure encore plus de succès à l’avenir. C’est toujours meilleur d’aller manger dans l’assiette de l’autre que la sienne.

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J’éclate de rire, et suis le point de lui répondre lorsque les écrans de la salle s’éteignent brusquement. Surement une nouvelle annonce du Commandement. Puis apparaît sur l’écran une personne que je reconnais instantanément. Je lâche mon verre, rattrapé de justesse par Markus. Thufyr Grant. Il est installé à un grand bureau.

La clientèle regarde avec curiosité l’écran.
- Peuple des Territoires Sains, je m’appelle Thufyr Grant, et je suis le

chef de l’Etat Major de ce que vous appelez les Territoires Irradiés. Les derniers brouhahas disparaissent. Un grand silence tombe sur la salle.
- Il y a 150 ans, Storm est venue balayer notre planète, divisant notre

monde en deux parties. Vous avez été épargnés par le bombardement magnétique et personne n’est venu à notre secours. Nous, habitants des zones irradiées, avons du faire face seuls aux conséquences des radiations. Nous nous sommes battus. Beaucoup d’entre nous sont morts, mais grâce à notre solidarité interne, nous avons survécu. Nous avons même accueilli et intégré à notre société ceux dont vous vous êtes débarrassés.

Un gémissement se fait entendre dans la salle.
Thufyr prend le verre d’eau posée face à lui, boit une gorgée. Le repose et semble se délecter de ce silence, qu’il ne perçoit pourtant pas.
- A l’annonce de Storm II, votre administration a égoïstement décidé

de préserver de nouveau ses seules populations en quittant la planète. Nous, les habitants des territoires irradiés, coincés sur notre terre, nous nous apprêtions donc à reprendre la vie souterraine grâce à laquelle nous avons survécu pendant un siècle.

Il marque une pause, puis reprend.
- Storm II vient de s’achever. Existe-t-il une justice divine ? Je ne sais.

Ce qui est certain, c’est que la tempête a épargné nos cités, mais a

atteint la plupart de vos territoires, que vous appelez Provinces.
On entend un murmure monter. Notre population découvre enfin la vérité.
- L’Etat Major des Territoires Irradiés a décidé d’annexer à ce jour

l’ensemble de la Terre et prend le contrôle de toutes les provinces

que vous avez abandonnées.
La caméra change ensuite de plan. Markus a le réflexe de me serrer contre lui pour empêcher mes jambes de se dérober sous moi. Lui aussi est devenu pâle comme un linge en reconnaissant la personne sur l’écran. Sirius.
- Population des territoires sains, certains d’entre vous me

connaissent, d’autres non. Mon nom est Sirius Carthag. Je suis le fils de Kyles Carthag. Le Commandement Suprême vous ment depuis toujours sur l’état des Territoires Irradiés afin de conserver son pouvoir. Cette partie de la planète n’est plus contaminée depuis plus de 50 ans, et le niveau de radiation n’existe plus là-bas. Ces gens vivent une existence normale, identique à la notre.

Sirius s’arrête. Puis sa voix monte d’un cran.
- Le Commandement, lors de l’évacuation, a décidé d’abandonner

lâchement une partie de la population des provinces reculées à 229

Storm II. Toutes ces personnes ont été recueillies au sein des vingt

Cités de l’Etat Major quelques jours avant la tempête.
Mon cœur s’accélère. Léto a réussi à convaincre l’Etat Major d’accueillir la population abandonnée sur place.
- Peuple des territoires sains, j’en appelle maintenant auprès de vous

afin de lutter contre la dictature du Commandement Suprême et

nous rejoindre pour .....
A cet instant là, l’écran se brouille de nouveau. Le Commandant Suprême apparaît à l’écran.
- Notre réseau vient d’être piraté par des rebelles à la solde des

Territoires Irradiés. Face à ce que nous qualifions de déclaration de guerre, le Commandement Suprême va se réunir afin d’envisager les actions à mener. La sécurité va être renforcée autour de la Mégalopole. Nous vous tiendrons informés en temps utile. Pour l’heure, nous vous demandons de continuer à vaquer à vos tâches.

Comme tout le monde autour de moi, je suis sonnée par ce à quoi je viens d’assister. Puis des voix s’élèvent, demandant si tout est vrai, et si nous seuls avons été irradiés.
J’étouffe. Je repousse Markus et je me précipite vers la sortie. Tout d’un coup, quelqu’un m’attrape le bras. Peter. Il me prend par les épaules en me regardant droit dans les yeux.

- Vous souvenez vous de ce que je vous avais dit l’autre soir, Mademoiselle Ix ? Les méchants ne sont pas forcément ceux qu’on croit.

Je me libère et je cours dans les couloirs du vaisseau. Je pénètre dans ma cabine, je ferme la porte. Et là, je hurle.

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