chapitre 16

11 minutes de lecture

Suite aux bombardements magnétiques, signes avant-coureurs de l’éruption, toutes les évacuations ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre.

Si jusqu’alors, la population était restée calme contre la promesse d’un transfert, les habitants sont désormais déchaînés. Le phénomène s’est propagé à toutes les provinces avant postes frontières, les dernières à être évacuées selon le plan du Commandement. La date fatidique de Storm II se rapproche et les habitants ne savent pas s’ils seront déplacés à temps. Un couvre feu a du être instauré, et les militaires patrouillent dans les lieux exposés.

La sécurité du Palais a été renforcée. Le Commandement redoute une attaque de ceux qu’on appelle désormais les rebelles.

Balthus a convoqué tous les responsables en charge de l’évacuation des provinces concernées en visio conférence. Markus, moi, mon père, Altris, Gunter, le responsable des militaires du Commandement, Jack et Askyn assistont à celle-ci.

Balthus confirme à tous la survenue de plusieurs tempêtes magnétiques. Ces tempêtes passent inaperçues, nous rappelle -t-il, sauf à porter sur soi un bracelet anti-radiations.

-  Le Conseil s’est réuni, et a décidé qu’il fallait passer au test tous les
habitants. Seuls ceux non contaminés seront transférés.

-  Très bien, répond un des gouverneurs à Balthus. Mais que faisons-
nous de ceux restants ?

-  Dans l’attente de trouver une solution, afin d’éviter toute
contamination, vous déploierez des boucliers autour des zones
touchées.
Un grand silence se fait, dans notre salle, mais aussi apparemment dans les autres lieux . Notre capitaine de la garde le rompt.

-  Vous plaisantez? dit Jack. Ces boucliers n’empêchent pas de
traverser de l’autre côté, ils se contentent d’alerter d’une tentative d’intrusion. Et nous n’avons pas les moyens humains de déployer des hommes pour cette surveillance.

-  Si vous me laissez terminer, répond Balthus d’un ton très sec, je vous en serais reconnaissant. Il n’y aura pas un, mais deux boucliers. Et entre ces deux boucliers, nous y mettrons des vigiles.
Jack s’énerve. Je l’ai rarement vu dans cet état.

- Nous venons de vous dire, et je pense que toutes les provinces avant

postes frontières sont dans la même configuration que nous, que nous n’avons pas les moyens humains de confiner tous les villages en quarantaine. Et là vous nous dites qu’entre deux boucliers, vous placerez des vigiles ? Vous...

196

- Qui vous a parlé de moyens humains, Monsieur ? le coupe Balthus d’une voix hautaine

Je regarde Askyn. Il me fait signe qu’il a compris. Des têtes chercheuses. Ils vont installer des têtes chercheuses entre les deux boucliers. D’où le second écran, non pour les rebelles, mais pour éviter que ces charmantes bestioles aillent se balader dans la nature. Toute personne s’introduisant dans cet espace sera condamnée à une mort certaine. Sauf à savoir comment y échapper. Mais les villageois ne sont pas dans la confidence.

Balthus explique la technologie des têtes chercheuses. Gunter, le responsable des militaires, ne montre aucun signe d’étonnement. En revanche, les autres participants autour de la table ont du mal à cacher leur surprise. Même Markus.

- Vous voyez, dit Balthus sur un ton presque ironique, le souci des moyens humains est résolu.

Jack ne se laisse pas désarmer.

-  Vous pensez réellement que les villageois vont se laisser faire sans
réagir ?

-  Ça, c’est à vous de gérer mon cher, répond Balthus d’un ton presque
méprisant.
Le bras droit du Commandant Suprême ne doit pas avoir l’habitude de se voir tenir tête, et surtout pas par un subalterne de province éloignée. D’ailleurs, il met fin à la transmission sans nous saluer.
Jack est furieux.

-  Lorsque les villageois vont comprendre ce qui se passe, ça va être
l’émeute, et nos soldats et même vos militaires n’arriveront pas à les
contenir, dit il en se tournant vers Gunter

-  On n’a pas le choix, répond celui-ci en haussant les épaules, il va
falloir faire avec les moyens du bord. Et vite, si on veut avoir le temps de tester tous les villages. Je vous propose de commencer dès que vous êtes prêts. Je rassemble le matériel nécessaire et je vous attends dans la Cour du palais.
Il se lève et sort de la pièce.
Nous restons tous sans voix. Je ne sais pas quoi dire. Markus semble encore sous le coup de ce qu’il vient d’apprendre. Tout le monde l’est, sauf Jack. Il est furieux.

- On voit bien que ces belles têtes pensantes n’ont jamais été sur le

terrain. La situation va devenir incontrôlable au fur et à mesure du confinement des zones. Et ce ne sont pas nos hommes qui pourront les contenir. Tout humain se sachant au bord de la fin est prêt à tout pour sa famille. La situation déjà explosive ne sera plus tenable.

Markus semble se reprendre. Il acquiesce.
- Tu as raison, Jack. Mais nous n’avons pas le choix. Les ordres sont

les ordres, et tous les autres gouverneurs vont les suivre, lui répond- il en secouant la tête. Si nous nous en écartons, tout ce qu’on gagnera, c’est d’être tous mis en quarantaine, et des innocents qu’on

197

peut encore sauver en paieront les conséquences. Et ça je ne veux

pas.
Mon père s’adresse alors à Markus.
- Je veux mettre en sécurité tout le personnel du Palais non

nécessaire à son fonctionnement. Ils feront partie du prochain

convoi de départ. Et ça, c’est non négociable.
Il jette un œil vers moi. Il meurt d’envie que je fasse partie du prochain départ. Il a néanmoins la délicatesse de se retenir face aux autres.

Nous rejoignons les militaires et les gardes dans la Cour.
- Bon, c’est simple, du moins en théorie, nous explique Gunter. Nous arrivons avec le matériel afin de tester les habitants. Quand tout le monde a été trié, nous appelons les navettes, et ils sont embarqués directement en fonction de leur destination initiale, vaisseau ou Mégalopole. Et on met de suite en place les boucliers. J’étais venu avec quelques ustensiles dont sincèrement, je n’espérais pas avoir l’utilisation, mais les faits ont malheureusement déjoué mes

pronostics.
Il nous distribue des bracelets de pulsation et des boucliers afin de nous protéger au cas où, nous dit-il, des têtes chercheuses s’échapperaient. A voir leur regard, aucun des gardes n’est rassuré par ce matériel censé assurer notre survie. Ils ont raison. Sans entrainement, c’est la mort certaine si une de ces charmantes bêtes parvient à se dérober à l’enceinte protectrice.
Je propose de partir en repérage au village en jeep et demande à Markus s’il veut bien m’accompagner. Il semble surpris de la proposition, mais ne dit rien. Spontanément, je m’installe au volant. Markus prend place sur le siège passager. De toute façon, je connais mieux la Province que lui pour nous diriger vers notre destination.
Uns fois sortie du Palais, j’explique à Markus comment réagir face à une tête chercheuse. Je prends un risque, mais je ne veux pas qu’il se fasse tuer aussi bêtement.

-  Mais comment sais-tu tout ça ? me crie-t-il pour essayer de couvrir
le bruit de la jeep et du vent

-  S’il te plait, Markus, je ne peux pas te répondre. Mais sans aucune
connaissance de ces choses-là, je t’assure que tu ne survivras pas. Leur simple évocation me fait froid dans le dos. Mais comment en est- on parvenu à ce point de non retour ?
Markus reste silencieux un bon moment, puis me demande :

- Ça te toucherait, s’il m’arrivait quelque chose ?
Je refuse de lui répondre, et heureusement le village apparaît au loin dans notre champ de vision. C’est le village où la dernière évacuation avait tourné au fiasco. Tout à l’air calme. Markus appelle Steve en lui demandant de nous rejoindre avec les navettes accompagné du personnel scientifique pour les tests. Et cette fois-ci sans combinaison de protection.

Une chape de plomb semble être tombée sur les habitants. Des militaires installent plusieurs cabines. Une fois le test effectué, le

198

candidat rejoindra, s’il est sain, la file de départ, soit pour le vaisseau, soit pour la Mégalopole. S’il est contaminé, il sera ramené au village par un garde.

Les cabines de test sont prêtes.

Les personnes sont appelées une à une à se présenter. Les trois premières personnes appelées bipent. Elles sont ramenées chacune par un garde au centre du village. Le défilé continue. Un premier habitant passe le test avec succès. La cabine ne sonne pas. Un garde s’approche et demande à la femme de se soumettre à nouveau au contrôle. Pas de sonnerie. Elle est indemne. Le garde vérifie son nom sur la liste et la dirige vers la file affectée au vaisseau. Un jeune garçon de huit ans environ la suit. Il ne sonne pas. Il allait se précipiter vers la femme, mais un garde le retient. Il consulte sa liste, puis le relâche. Il part également pour le vaisseau. L’enfant se précipite vers sa mère. Je pousse un soupir de soulagement.

Les gardes maintiennent un rythme rapide pour anticiper toute réaction à l’annonce du verdict. Une petite fille d’environ cinq ans aux cheveux blonds bouclés s’avance vers le portail avec son nounours. Elle ne veut pas lâcher sa mère. Celle-ci la pousse gentiment vers le portail en me montrant du doigt. La petite fille me regarde, puis avance timidement. Pas de son. Elle est saine. Apparemment, les enfants semblent plus résistants aux radiations que les adultes. Le garde cherche le nom de la petite. Elle est dans le convoi pour le vaisseau. Elle part donc avec moi.

C’est au tour de sa mère. Je retiens ma respiration. La femme ferme les yeux, les rouvre et avance dans la cabine, qui sonne. Je ferme les yeux à mon tour. Mon Dieu, c’est insupportable. Le garde s’approche d’elle, mais la femme s’échappe et cours vers la petite fille maintenant à côté de moi. Je suis là, impuissante à regarder cette mère serrant son enfant. Le garde arrive et attrape la mère, mais la petite fille commence à pleurer et s’accroche à elle.

La jeune femme m’attrape alors le bras, et me dit d’une voix douce :
- Mademoiselle Aura, je vous en prie, ne laissez pas ma petite fille

toute seule. Promettez-moi de vous occupez d’elle.
Le garde la tire en arrière. Elle s’accroche à moi et me supplie du regard. - Je vous en prie, prenez soin d’elle.
Je lance un regard furieux au garde. J’ai la gorge trop nouée pour parler. Mes yeux se remplissent de larmes. Je serre les mains de la jeune femme et hoche la tête. Elle me lâche et s’accroupit devant son enfant, qui pleure en tenant son nounours contre elle.
- Ma chérie, la dame va s’occuper de toi. Il faut que tu sois forte, et que

tu te dises que maman sera toujours là, dit-elle en mettant la main

sur son cœur. Tu t’en souviendras ?
La petite fille hoche la tête en silence. La femme se relève, me dit « merci » et part rejoindre le soldat. Je ne pourrai jamais oublier ce

199

regard. Quelque chose m’enserre la jambe. C’est la petite fille. Je la prends dans mes bras, et j’essaie de lui sourire.
- Tu vois cette grande navette ?
La petite fille me fait oui de la tête.

-  Eh bien, elle va nous amener à un grand vaisseau, avec plein de jeux et un immense jardin.

-  Et ma maman ?

-  Ne t’inquiètes pas, tu la reverras bientôt. Je te le promets.
La petite fille pose la tête sur mon épaule et commence à sucer son pouce.
Au final seul vingt pour cent des villageois ont été épargnés. En grande majorité des enfants. J’avais prévu de rentrer au Palais pour me reposer et laisser Steve prendre la tête de la flotte pour regagner le Vaisseau amiral avec ses nouveaux passagers. Mais la petite fille refuse de me lâcher, et les autres enfants se sont agglutinés autour de moi. La propagande du Commandement a fait son effet. Ma figure les rassure. Je dit à Markus de rentrer sans moi, et je pars enfiler ma tenue de pilote. Quelques enfants sourient en me voyant réapparaitre ainsi.
Le voyage se passe tranquillement. Beaucoup d’enfants se sont endormis. Mon cœur se serre quand je vois par terre une image qu’un petit poing avait serré, et dont la main s’est ouverte en dormant. Ce sont les images qu’avait distribuées le Commandement aux enfants à l’école nous représentant moi, Phoebe et Halleck.
Nous atterrissons. Je fais un énorme câlin à la petite fille, en lui promettant de passer la voir très bientôt. Je la regarde partir avec tous les autres, son nounours à la main. Mes yeux sont brillants de larmes. Je les essuie machinalement du revers de la main. J’allais remonter dans le vaisseau quand je sens une main sur mon épaule. Je me retourne. Peter. Pour une fois, aucune ironie dans son regard.

- Vous pourriez-venir quelques instants dans mon bureau ? J’acquiesce en silence. Arrivée dans son vaste bureau, je m’assois dans son canapé sans attendre qu’il m’y invite, et je ferme les yeux.
- C’est dur, n’est-ce-pas ?
Je hoche la tête. Une larme roule sur ma joue.
- Il ne faut avoir aucune honte face à ses sentiments. Si cela peut vous

rassurer, je récupère tous mes pilotes en rotation dans le même état

que vous.
Ma gorge est complètement nouée.
- Je ne vais pas tenir longtemps.
Il s’assoit à côté de moi et me prends la main.
- Tout ça va bientôt prendre fin. Malheureusement, je ne sais pas si ça

sera un soulagement ou si la suite sera pire.
Il s’arrête, puis reprend.
- Aura, soyez très prudente. J’ai perdu plusieurs de mes pilotes, ils se

sont sans doute fait attaquer par ces pauvres ères de villageois condamnés par le Commandement. J’ai demandé qu’on parte à leur

200

recherche, mais on a refusé ma demande par manque de moyens. Le Commandement commence à préparer la grande messe finale, et se fiche royalement des vies perdues de ses serviteurs.

Il part farfouiller dans une armoire et revient avec un petit module.
- Aura, si vous voulez me faire plaisir ? Conservez le toujours sur vous. Si vous disparaissez, ce module vous tracera si vous le

déclenchez.
Je le regarde l’air complètement ahuri.
- Et ne vous inquiétez pas, vous ne bénéficiez pas d’un traitement de

faveur. Je le donne à tous mes pilotes que je peux attraper maintenant que vous êtes tous dispersés à droite à gauche au service de notre bon Commandement. Il faut juste l’activer pour qu’on puisse vous retrouver. C’est d’accord? Vous le ferez si besoin ?

Je hoche la tête. Il se lève et me tend la main pour m’aider à me relever. Il me replace une mèche de cheveux rebelle derrière mon oreille.
- Parfait, mademoiselle Ix, je vous renvoie vers votre chère province.

Consolez-vous en disant que ces enfants ont au moins la chance de vous avoir eue comme pilote. C’est un visage connu et rassurant qui les a accompagnés, ça a peut-être permis une séparation moins difficile.

Maigre consolation d’avoir joué le rôle de l’ange, mais un ange exterminateur. Cependant, c’est gentil de sa part d’essayer de me réconforter. Je fourre le module dans ma poche, et je repars vers le vaisseau. Steve m’attend.

-  Ça va ? me dit-il

-  Non, dis-je. Et toi ?

-  Je te mentirais en disant que oui, me répond-il avec un sourire
désabusé
Nous arrivons sans encombre au Palais. Aucune tempête magnétique en chemin.
Il est tard, la nuit est déjà noire. Dans ma chambre, sous le reflet de la lune, je distingue l’ombre d’Askyn dans mon lit. Je le pousse et m’allonge contre lui. Il se réveille et me prend dans ses bras. Je fonds enfin en larmes.

Annotations

Vous aimez lire caroline NVT ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0