chapitre 15

22 minutes de lecture

Avant de partir, le responsable des évacuations en personne nous oblige à effectuer une dernière check list. Notre combinaison anti radiation, à enfiler sur nos tenues de pilotage. Je comprends enfin pourquoi ces dernières nous collent tant au corps. Plusieurs flacons de sérum. Et un bracelet à porter en permanence à notre poignet, nous dit- il. Celui-ci grésille en cas de radiations. Dans ce cas, nous devons enfiler notre tenue ou nous injecter une dose de sérum. Au moins, le Commandement cherche à préserver la vie de ses collaborateurs. Maigre consolation face aux milliers de personnes risquant l’irradiation.

Nous nous rendons sur place, chacun accompagné avec une flotte composée de navettes pour embarquer les familles, mais également quelques chasseurs, pour nous déplacer en cas de besoin rapidement d’un point à un autre. Les vieux hélicoptères du Palais vont faire figure de dinosaures à côte de ces engins. Markus sera en charge de superviser les opérations sur place, moi je ferais partie des pilotes en charge du déplacement de la population.

Les militaires et la garde nous attendent sur la piste d’atterrissage pour nous aider à débarquer le matériel. Je me jette dans les bras d’Askyn dès que je le repère, et je me fiche du regard de reproche de Jack, le responsable de la garde. Je suis ici chez moi, je fais ce que je veux.

- Mon Dieu, tu es encore plus sexy dans cette tenue en réalité que sur écran, me murmure Askyn à l’oreille.

En revanche, lorsqu’il aperçoit Markus nous lançant un regard narquois, il se crispe instantanément.

-  Que fait-il ici celui là ? me demande-t-il sur un ton très sec.

-  Laisse, dis-je en le tirant par le bras, je t’expliquerai.
Nous débriefons aussitôt dans la salle du Conseil. Pas de temps à perdre. Mon père et Altris sont bien sur présents. J’ai l’impression que des années se sont écoulées depuis le jour où Balthus nous a annoncé ici même Storm II. Altris semble impassible face à Markus menant les discussions, mais il est sans nul doute très fier de son fils. Markus possède une autorité naturelle. Il explique la procédure d’évacuation proposée par le Commandement et demande s’il y a des objections. Il ne devrait pas poser cette question en tant que représentant du Commandement Suprême. Markus a peut-être dit vrai quand il m’a affirmé avoir changé. Et il a raison. On nous a envoyés ici, lui et moi, pour notre connaissance du terrain et des particularités locales.
Askyn lève la main. Je le devine furieux du nouveau rôle de Markus, d’autant que hiérarchiquement, il est placé sous ses ordres.

- Où et comment faire l’annonce des noms ? Ici ? Dans les bourgs ? Par

affichage ?

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- En fait, il faut réfléchir à la façon de procéder la plus douce, ou plutôt la moins violente. C’est ça que tu veux dire Askyn ?

Askyn essaie de se contrôler et tente de répondre d’une voix qui se veut calme.
- Tout à fait. Je ne sais pas ce qu’on vous a rapporté, mais la situation

est très chaude ici. Un moindre faux pas, la moindre étincelle, et tout

explose.
Markus réfléchit.
- Et si on essayait de procéder par voie d’affichage ? Je recevrai la liste

toutes les semaines. Dès que nous recevons la liste, nous

l’afficherons dans les villes.
Et il ajoute à l’attention des gardes du Palais :
- Il faut que vous sachiez que je ne connaitrai pas à l’avance les noms

y figurant. Pour éviter bien sur toute tentation de modifier des

noms, et toute tentative de corruption dans nos rangs.
Tout le monde acquiesce en silence. Il règne une drôle d’ambiance. Si les militaires détachés par le Commandement Suprême sont habitués à ces tâches, il en va différemment des gardes du Palais, natifs comme moi de cette terre. Nous connaissons presque tout le monde ici. L’annonce de certains noms sur la liste, et d’autres pas, va s’avérer difficile à gérer, pour eux comme pour moi.
Markus termine en annonçant la distribution à chacun d’une combinaison anti radiation, de sérum, et d’un bracelet mesurant le taux de radiation. D’aucune utilité a priori, leur promet-il, mais le Commandement ne veut courir aucun risque.

Je dîne le soir avec tout le groupe. Je ne veux pas afficher mon statut de fille de gouverneur, je fais partie d’une équipe, et comme me glisse Askyn en se moquant de moi, ça porterait atteinte à mon statut d’icône.

Askyn me rejoint dans ma chambre pendant que je suis sous la douche. L’eau me détend, je n’ai pas envie d’en sortir.
- Eh bien, j’étais en train de me demander si tu ne t’étais pas noyée,

me dit-il sur un ton assez cassant, allongé sur mon lit.
Je sors de la douche, m’enroule une serviette autour du corps, et m’assois à ses côtés.
- Bon, maintenant arrête de faire la tête. C’est comme ça. C’est Markus

en charge de la supervision de la mission, et que tu sois désagréable

n’y changeras rien. Donc autant y mettre du tien. Je fais une pause, puis je reprends.

-  Et je t’assure, il a changé ces derniers temps.

-  Je ne savais pas que tu avais de nouveau succombé à son charme
ravageur, me réplique-t-il sur un ton ironique. Je me lève et je hausse la voix.

- Ça suffit, maintenant. Si tu es venu me faire des reproches, pour une

situation sur laquelle je n’ai aucun contrôle, tu peux aller rejoindre

le dortoir de la garde.
Je ne plaisante absolument pas. Askyn le perçoit et se détend un peu.

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- D’accord, d’accord, on est tous sur les nerfs en ce moment. Je veux rester avec toi, tu m’as manqué tout ce temps.

Je reprends place à côté de lui.

- Bien alors raconte moi. Il me regarde, puis soupire.

-  Eh bien, comme tu t’en doutes, c’est le bazar. Le bon côté des choses
c’est que les militaires sont occupés à surveiller leurs arrières, par peur de représailles de la part de la population. Ils me fichent donc maintenant une paix royale. Les irradiés, tout le monde s’en fiche et les a oubliés, chacun cherche à sauver sa peau. Du coup, le bouclier n’est pratiquement plus entretenu, il y des failles tout le long.

-  Et comment s’organisent-ils de l’autre côté ?

-  Mieux que chez nous apparemment. Duncan m’a dit que les
boucliers devraient être prêts à temps. Maintenant ils attendent de repérer où les radiations vont tomber afin de les déployer. Ils te doivent une fière chandelle.
Je hausse les épaules.

- C’est Quinn Devris qu’il faut remercier. Ou Sirius. Mais absolument

pas moi.
Je raconte à Askyn la mise en garde de Monsieur Hennessy, et la possibilité d’ondes intermittentes avant que Storm II ne s’abatte réellement. Je lui conseille de conserver sur lui son bracelet et sa combinaison en permanence.
- Tu restes avec moi ce soir ?
Il se met à rire.
- Tu sais que j’ai une réputation à tenir maintenant auprès de la

garde ? Je suis le petit ami non plus de la princesse du Palais, mais de l’icône sexy du Commandement Suprême en tenue de pilote, dont tous les garçons de moins de 10 ans sont amoureux. Et maintenant que le beau Markus est de retour, ajoute-t-il en rigolant, je monte la garde devant la porte de ta chambre.

Je lui balance un coup de coude dans les côtes. Puis je me serre contre lui. La chaleur de son corps se communique au mien et m’apaise. Je ne tarde pas à m’endormir.

* **

Nous recevons la première liste dès le lendemain. Nous nous séparons en plusieurs équipes afin de l’afficher dans les différents villages. Je pars dans la jeep avec Askyn. Il a insisté pour que plusieurs militaires nous accompagnent. J’allais refuser. Tout le monde ici nous connaît, nous ne risquons rien. Cependant, il a plus l’habitude du terrain que moi. Markus lui a donc donné son accord en le remerciant de son initiative.

Les voitures des militaires nous suivent dans le nuage de poussière soulevé sur la route.

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Nous arrivons dans le premier village. Les gens sortent peu à peu de chez eux. Pas un sourire. En revanche, plusieurs enfants courent autour de moi en me reconnaissant et en me demandant si je suis bien la pilote qui aide les gens à s’enfuir. La propagande a apparemment bien fonctionné auprès des enfants, mais pas de leurs parents.

Je regarde tout autour. Où afficher ? L’école me semble la solution la moins mauvaise. Je place l’affiche sur la porte de l’école.
Je me retourne et suis le point d’expliquer comment vont se dérouler les opérations lorsque je vois l’attroupement devenir de plus important, les gens commencer à se rapprocher de moi, de plus en plus vite, de plus en plus proche. Je ne dois mon salut qu’à Askyn, qui perçoit tout de suite le mouvement de foule. Il m’attrape, me protège de son corps, et arrive à nous extirper de la marée humaine surgissant de nulle part. En fait, les gens n’en ont pas après moi, mais après la liste. C’est la ruée. J’entends des cris, des hurlements. Les militaires ont beau essayer de tirer en l’air pour essayer de disperser les gens, rien n’y fait. Tout ce que les gens veulent, c’est voir si leur nom est inscrit. Dans la foule, une personne arrache la liste et la déchire en morceaux.

- Aura, on s’en va, me crie Askyn.
Il me pousse dans la jeep et démarre en trombe. Les militaires nous suivent sans demander leur reste.

Nous revenons en silence au Palais.
Un scénario à peu près identique au nôtre s’est produit dans tous les villages. Une marée humaine déchaînée. Apparemment, les habitants se sont donnés le mot et la résistance s’organise. Ils refusent la liste et la détruisent dès celle-ci affichée.

Nous sommes de nouveau réunis dans la salle du conseil. Markus prend la parole.

-  Bon, dit-il en regardant les personnes autour de moi. On a tous vu
que cette méthode ne fonctionne pas.

-  Pas étonnant, lance un garde. Les gens sont dans un niveau de stress
maximum, ce sont les derniers à être évacués, et ils le savent. Ils sont persuadés qu’on va les abandonner ici. Dernier arrivé, dernier servi.
Markus ne relève pas. Ça ne sert à rien.

- Je ne vois plus qu’une solution, dit-il en haussant la voix. C’est

l’annonce par nous-même de la liste. Markus s’adresse au responsable des militaires

-  Comment ont été dressées les listes ? Par village j’espère ?

-  Euh, j’avoue n’avoir aucune idée de cela, il faudrait contacter le
Commandement
Je secoue la tête. Nous sommes déjà en retard, et nous allons perdre du temps. Markus demande à Altris de contacter le Commandement et de se renseigner pour savoir s’il est possible d’établir des listes par village. En effet, il est impossible de se rendre chaque semaine au même

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endroit et à chaque fois embarquer seulement une partie de la population. Les gens sont trop à cran. Ce serait l’explosion garantie. Le plus simple est l’établissement d’une liste définitive par village, et à nous de tourner chaque semaine sur un seul village à la fois.

Markus lève la réunion, mais me demande de rester. Il attend que tout le monde soit sorti, et la porte refermée, me dit :
- Aura, à quel jeu joues-tu avec Askyn ?
Je m’attendais à tout sauf à une remarque personnelle. Je suis encore sous le choc de la réaction de la population. Sans l’intervention d’Askyn, j’aurais été piétinée, voire lynchée par la foule. J’ai manqué de périr sous une marée humaine il y a quelques heures, et Markus me demande maintenant des comptes sur ma vie privée. Sa question est complètement déplacée. Je réponds d’un ton sec.

- Vois-tu, j’ai écouté la voix de la raison pour ma vie sentimentale. Avec Askyn, je n’aurai aucune mauvaise surprise.
- Justement Aura. Je te connais quand tu es amoureuse, et là tu ne l’es pas. Vous pouvez tromper votre monde, mais pas moi. Je connais très bien les liens vous unissant l’un l’autre. Et ne t’inquiète pas, je ne ressens aucune jalousie envers Askyn, car je sais que tu ne l’aimes pas. Du moins dans le sens de notre relation à nous, ajoute-t-il en souriant. Je suis juste curieux de savoir le pourquoi de cette situation.

Je suis à cran. Au final, je fais le choix d’ignorer sa question. Je me lève et quitte la salle sans un mot.

* **

Je tue le temps en sortant avec Bucéphale. Je ferme les yeux et je laisse mon cheval partir au galop, rênes longues. Lui aussi a besoin de liberté. Que va-t-il devenir ? Je dois discuter de cela avec Askyn, et voir si on peut éventuellement le transférer au ranch de Léto avec Sheïtan. Tant qu’à être irradiés, je préfère que nos chevaux le soient dans un endroit où je n’ai que de bons souvenirs. Et avec un tout petit peu de chance, peut-être que cette partie de la terre sera épargnée. Ça ne serait que justice.

Je regarde autour de moi. Bucéphale m’a entraîné chez Sirius, où j’avais l’habitude de me rendre avec lui il n’y a pas si longtemps. Je mets pied à terre et le laisse brouter sur l’herbe.
Tout est calme. J’ouvre la porte. C’est sombre, ça sent le renfermé. J’ouvre toutes les fenêtres pour aérer et faire de la lumière. Les militaires sont passés par là, pour fouiller afin de voir s’ils trouvaient des indices compromettant d’autres personnes. Askyn m’a dit qu’ils avaient fait choux blanc.

Des piles de documents ont été renversées à terre, de la poussière s’est accumulée dessus. Je souffle sur un tas. Un nuage de poussière se

Rien d’autre à faire qu’attendre.

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soulève et me fais tousser. Je vais envoyer quelques domestiques nettoyer et remettre en ordre la maison. Cela ne sert à rien, Sirius ne reviendra pas avant longtemps, voire jamais, et avec Storm II, cela sera surement inutile. Mais je n’arrive pas à me résoudre de voir sa maison ainsi délaissée.

Je regarde les documents jonchant le sol. Beaucoup de feuilles recouvertes de chiffres, de formules mathématiques. Sirius n’a pas renoncé à sa passion. S’il n’avait pas tout arrêté brutalement, il aurait pu prendre la direction du Centre du Commandement.

Plus loin des photos. Je m’accroupis. Des photos de Sirius jeune. Des photos avec mon père, en tenue d’apparat du Collège. Des photos avec mon grand père. On sent la fierté dans le regard de Kyles posant avec son fils. Cette photo a du être prise avant la brouille entre les deux hommes. Une photo de Sirius avec Jessica, jeune et rayonnante. Peut- être Sirius était-il amoureux d’elle depuis le début, lorsqu’ils étaient enfants, et ne lui l’avait jamais avoué à cause de la pression sociale de mes grands-parents. Jessica n’étant au final que la fille d’une domestique.

Un tas de photos a glissé sous un des canapés. Je le saisis. Ma mère ! Le soleil irradie ses cheveux. Elle sourit à l’objectif. Elle était vraiment très belle. Je ferme les yeux. Je ne comprends toujours pas ce trou noir. Seule Tiffany a réussi à mettre un peu de lumière dans cette obscurité, mais insuffisamment à mon goût pour me rappeler d’elle. Je regarde les autres photos. Ma mère et Jessica, ma mère en tenue de soirée posant auprès de Sirius en tenue d’apparat devant l’escalier du Manoir. Et soudain, une photo attire mon attention. Ma mère pose avec un laser. La photo a été prise dans une pièce fermée. Je regarde plus attentivement. Je m’assois sur le canapé. C’est la salle dans laquelle m’a emmenée Duncan pour m’aider à choisir un transmetteur et un laser. Que faisait ma mère là-bas au QG de Léto ? Je serre les poings. Sirius, je te déteste, toi et tes petites cachotteries.

Je prends la photo et la mets dans ma poche. Je me relève et essuie la poussière qui s’est posée sur mon pantalon. Lorsque tout à coup, je sens comme un courant d’air. Quelque chose de très discret. Je regarde les fenêtres ouvertes. Les rideaux ne bougent pas. Je passe ma main, et je sens effectivement un très faible appel d’air. C’est impossible, puisque de l’autre côté du salon, c’est la roche de la montagne.

Je me rapproche de la paroi. L’appel d’air vient de là, aucun doute. Sirius, que nous as-tu encore caché ?
Et je me rappelle d’un coup mon rêve. Le rêve où je suis avec Adam chez Sirius. Dans ce rêve, je viens d’un tunnel.

Je fais passer ma main sur toute la paroi. Rien. Je recommence. Mes mains commencent à s’érafler au contact de la roche. Je m’assois sur le canapé et embrasse la paroi du regard. Je ne vois rien de particulier. Le mécanisme d’ouverture doit se situer ailleurs.

Je regarde autour de moi. Où Sirius a-t-il pu installer cela ? Procédons par déduction. J’inspecte le sol. Rien. Restent les murs. Bien sur. Le

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tableau représentant mon grand père en tenue d’apparat. Qui oserait déplacer Kyles Carthag ? Je monte sur une chaise pour aller décrocher le tableau et je tire sur l’accroche dans le mur. Gagné. J’entends un déclic. Je descends de ma chaise et me dirige vers la paroi. Un jour s’est fait du côté gauche. Je pousse fort. La paroi s’enfonce. Tout est toujours calme. Je ferme toutes les fenêtres et la porte d’entrée et je file vers le passage ouvert. Ça sent la terre. Je m’enfonce dans le tunnel. Je marche bien cinq minutes, lorsque je débouche au final sur un rideau de verdure. Je sors prudemment et me retrouve à l’air libre. Je reconnais de suite le lieu. C’est là où Sirius cache sa voiture pour aller en territoire irradié. Donc plus besoin de passer par la faille. De chez lui, il a un accès direct là-bas.

Je regarde ma montre et repars en courant. Il ne faut pas que je traine, sinon on va s’inquiéter au palais. Jack, le capitaine des gardes, ne voulait pas que je parte seule, mais Askyn était occupé et je ne voulais pas m’encombrer d’un garde inconnu. J’ai bien fait au final. Je referme la paroi, je remets droit le tableau de mon grand-père, encore un pied de nez de Sirius à l’establishment, je referme la porte de la maison troglodyte et je cours détacher Bucéphale pour rentrer au palais.

* **

Askyn n’a pas été étonné lorsque je lui ai rapporté ma découverte. « Sacré Sirius », a-t-il dit. En revanche j’ai passé sous silence la photo de ma mère, et bien sur de la sienne. Je ne peux évoquer ma mère sans lui parler de Jessica. Je préfère ne rien dire.

Les services administratifs du Commandement ont avancé vite. Ils ont reformaté les listes par village. Phoebe y est surement pour beaucoup, lorsqu’elle a du voir d’où émanait la demande. Chaque semaine, un village découvrira ceux partant dans les vaisseaux ou à la Mégalopole. La question du choix de la personne en charge de la lecture de la liste s’est posée la veille. Markus ? Le responsable des militaires du Commandement en poste depuis déjà un an ? Gunter ? Moi, en tant qu’« icône » rassurante du commandement ? Le choix s’est porté sur Markus, en tant que superviseur des opérations pour le Commandement.

Le lendemain, nous entamons notre pénible tournée. Avant d’atterrir, Markus me lance un regard confiant pour me rassurer.
Tout le village s’est rassemblé sur la place. Les hommes, mais également les femmes, les enfants, les vieillards. L’ambiance est très lourde. Les militaires entourent Markus. D’une voix apaisante il explique qu’il va appeler une à une les personnes, et qu’en fonction de leur destination, Mégalopole ou vaisseau, elles se répartiront sur deux groupes. Chacun disposera de quelques jours pour mettre en ordre ses affaires, et les navettes viendront les chercher pour les amener sur leur nouveau lieu de vie.

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L’appel commence. Je me suis placée sur le côté.
Un premier nom. Un grand père. Bien sur, il part à la Mégalopole. Un second nom. Un homme. Je le reconnais. C’est un mécanicien. Il part sur le vaisseau. Sa femme ensuite. Mon Dieu, elle reste sur la Mégalopole. Je l’entends pleurer. Les enfants restent avec la mère, sauf l’aîné qui part avec le père. Et ainsi de suite. Sans surprise, toutes les personnes âgées restent sur Terre.
L’appel se termine dans le silence. Je leur annonce qu’il est possible de refuser sa place dans le vaisseau. Ils ont 24 heures pour en discuter avec leurs proches. Je leur explique le système de navette mis en place entre les vaisseaux et la Terre, et que si certains ont été affectés au vaisseau au regard de leur compétence, ils pourront néanmoins continuer de voir leur famille installée dans la Mégalopole. Je leur assure que la vie suivra son cours, que ce soit dans la Mégalopole ou sur les vaisseaux. Les enfants iront à l’école, les adultes travailleront, dont une grande partie sur les chaines de production de Titan Industries. Et au final, Storm II leur permettra de découvrir d’autres horizons auxquels ils n’avaient peut-être jamais imaginé de leur vie. Bref, je joue à la perfection le rôle auquel m’a reléguée le Commandement à travers ses films de propagande. Je termine par une touche d’humour en leur expliquant la situation des pilotes, parqués en haut dans des dortoirs, et attendant avec impatience les permissions pour descendre sur la Mégalopole faire la fête.
Mon discours m’a épuisée nerveusement, mais il a atteint son but. L’atmosphère est plus détendue. Les groupes commencent à s’éparpiller. Avant de remonter dans la navette, Markus me prend discrètement à part et m’attire contre lui en me murmurant à l’oreille que mon discours était parfait. Je le laisse faire, trop fatiguée pour réagir.

Nous avons donc quelques jours pour mettre en place les rotations et les équipes pour acheminer les personnes à leur destination finale. C’est un travail énorme. Une fois la première opération commencée, nous enchainons les rotations. Pour ma part, je suis en charge d’amener les personnes sur les vaisseaux en orbite, comme dans le film de propagande. Les enfants embarquant avec moi sont enchantés de me voir à l’œuvre.

Dans l’ensemble, tout se passe bien. Pas d’échauffourées comme on avait pu le vivre le soir de l’annonce de Storm II. Personne ne veut prendre le risque de rester ici, et même s’ils ne vont pas vivre dans les vaisseaux, la Mégalopole les protégera par le bouclier.

* **

Plus que deux mois avant l’éruption. Il nous reste cinq villages à évacuer. Je m’apprête à atterrir avec la navette afin de récupérer les

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villageois lorsque j’ai un appel du Palais. C’est Markus. Maintenant notre procédure rodée, il reste au Palais afin de pouvoir superviser les opérations en ayant une vue d’ensemble.
- Aura, avez-vous bien avec vous vos combinaisons et vos bracelets ? Tout l’équipage a entendu et se regarde.

-  Pourquoi ?

-  Je viens de recevoir un appel d’un de mes homologues. Ils viennent
d’essuyer une pluie d’ondes radioactives. Heureusement, c’était sur une zone inhabitée. Mais il est possible que la tempête magnétique se dirige vers vous.
Voici les signes avant coureurs de la Tempête contre lesquels m’avaient mis en garde Monsieur Hennessy.

-  Le Commandement ne veut prendre aucun risque et vous demande
soit de vous injecter le sérum, soit de revêtir votre combinaison.

-  Très bien, dis-je à mon équipe. Surtout aucune panique. Je vous rappelle que ces radiations ne sont pas mortelles, et que certains y sont plus résistants que d’autres. Même si nous sommes bombardés, ça ne veut pas dire que nous serons contaminés, ou que les
personnes en face de nous le seront.

-  Mettons-nous la combinaison ou pas ?
Une apparition de l’équipage en combinaison anti radiation risque d’effrayer les villageois. Après, je ne peux empêcher les membres de mon équipe de se protéger.

- Bon, faites comme vous le sentez. Pour ma part, je vais rester en

tenue de pilote pour n’affoler personne. Je suggère donc le sérum. J’hésite avant de m’injecter la substance. Steve, mon copilote, l’a deviné, car avant que j’ai eu le temps de réagir, il enfonce le piston dans mon bras. Je grimace.
- Ordre du Commandement, me dit-il. Et je n’ai pas envie d’assumer la

responsabilité de l’irradiation de la star pilote du Commandement, ajoute-t-il en rigolant.

Nous atterrissons et rejoignons la flotte déjà sur place. Apparemment, le reste de l’escadron n’a pas eu le même raisonnement. Ils ont tous revêtus leurs tuniques. Dieu merci, ils n’ont pas été jusqu’à porter le casque censé nous protéger la tête des radiations.

Un murmure de panique s’élève de la foule. Je prends les devants.
- Nous faisons actuellement un exercice afin de tester nos tenues anti radiations en conditions réelles. Mais il n’y a absolument rien à craindre, vous voyez que moi-même je suis en tenue de pilote. Et, j’ajoute en souriant, je ne vais pas me compliquer la vie alors qu’il

n’y a pas lieu de le faire.
Certains rires fusent, mais notre apparition dans de telles tenues a lancé un froid. Il va falloir agir vite.

La procédure débute. Celle-ci est assez longue, il nous faut répartir les personnes en une dizaine de groupe en les appelant un à un, puis les faire monter dans les navettes. Sans compter les aux revoirs ou les soucis de dernière minute comme des erreurs de liste.

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Alors qu’un des groupes avance vers les navettes, un petit bruit s’élève comme un ronronnement. Je n’y prête pas attention et je continue à faire avancer les personnes. Puis tout à coup, mon bracelet s’affole. Même si nous ne le sentons pas, nous sommes bombardés par les rayons.

Les villageois ne sont pas idiots. Ils ont compris. Un mouvement de panique se propage et c’est la ruée vers les navettes. Un de mes coéquipiers se fait bousculer et tombe à terre. Un des gardes sort son laser et tire en l’air. Rien n’y fait. Nos montres s’affolent de plus en plus dans un bruit infernal. Un garde tire dans la foule et une personne s’écroule devant lui. Il en profite pour me crier :

- A bord, on décolle.
Je suis paralysée. Steve me prend le bras et m’entraine vers la cabine de pilotage.
- Aura, il faut fermer les portes.
Certaines navettes ont déjà décollé. Mais d’autres sont prises d’assaut par les personnes au sol, se bousculant en hurlant pour y entrer.

-  On ne peut pas les laisser comme ça, on n’a pas récupéré tout le
monde

-  C’est trop tard de toutes façons. Je ferme les portes et tu mets les
gaz.
J’agis comme un automate et je fais décoller la navette. Je reprends mes esprits et j’appelle au Palais pour leur dire d’envoyer sur place de suite une équipe pour récupérer ceux des nôtres restés en bas.
Le Commandement nous contacte dans les minutes suivantes. Toutes nos navettes sont redirigées vers la Mégalopole, pour tester les habitants embarqués. On ne prend pas le risque d’admettre un irradié à bord d’un des vaisseaux.
Au Collège, lieu d’atterrissage de notre navette, des équipes en combinaisons blanches nous attendent. Ils réceptionnent les habitants. Je veux repartir de suite pour savoir ce que sont advenues les personnes de mon équipe restées là-bas. Mais je dois attendre la fin des tests par les scientifiques. J’ai donc le temps de voir si Monsieur Hennessy est là. Je cours comme une folle vers nos bâtiments de cours et dans le couloir vide. Je frappe à la porte du bureau de Monsieur Hennessy. Personne. Je vais essayer son appartement. Normalement, nous n’avons pas accès à cette partie du bâtiment, mais le Collège semble vide. Je regarde les noms sur les portes. C’est celle-là. Je frappe doucement. Personne. Je suis en train de faire demi-tour quand j’entends une porte s’entrouvrir.

- Mademoiselle Ix ?
Je fais volte-face. Je dois avoir l’air d’une folle, en tenue de pilote, car il a un mouvement de recul, avant de reprendre ses esprits.
- Que vous est-il arrivé ?
Je suis essoufflée, j’ai du mal à parler.
- Nous avons été bombardés par des rayons en pleine évacuation.

Nous n’avons pu embarquer tout le monde. Vos calculs ? Avez-vous pu calculer les dates possibles de l’éruption ?

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Il avale sa salive, et me chuchote.
- Oui. Je ne m’étais pas trompé. L’éruption va se produire avant la

date annoncée officiellement par le Commandement. Dans tous les cas, nous allons connaître des bombardements magnétiques avant l’éruption.

Il ferme les yeux.
- Vous n’aurez pas le temps d’évacuer tout le monde.
Puis il me regarde à nouveau.
- Aura, vous étiez protégée ?
L’image de Steve pratiquant de force le vaccin sur moi me revient en tête. S’il n’avait pas insisté...
- Oui, oui, je vais bien. Je voulais juste savoir ce qu’il en était, car le

Commandement ne nous dira rien.
Je ne dois pas m’attarder sinon ils repartiront sans moi.

-  Monsieur Hennessy, merci. Il faut que j’y retourne.

-  Bonne chance, ma petite Aura
Et je repars en courant en sens inverse.

- Où étais-tu passée ? me reproche Steve. Encore une minute et on

partait sans toi.
La navette décolle dans un silence de mort. Avec tous en tête une même question. Qu’en est-il de ceux que nous avons laissés derrière nous ? Heureusement Askyn ne faisait pas partie de la patrouille ce jour-là.
Il m’attend à la sortie de la navette et me serre dans ses bras.

-  Aura, j’ai eu tellement peur. Je ne savais pas si tu avais pu t’échapper
à temps.

-  Remercie Steve, lui dis-je en désignant mon copilote de la tête. Il m’a
sauvé deux fois la vie aujourd’hui. Steve s’approche de nous.

- Qu’en est-il des autres ?
Askyn semble hésiter, puis nous lâche que tous ceux habillés de leur combinaison se sont fait massacrer par la foule. Ils étaient facilement repérables, puis ils ont été gênés dans leurs mouvements et n’ont pu s’enfuir. En revanche, ceux de mon équipe, sans combinaison encombrante, ont pu être récupérés à temps.

Je suis abattue face à l’avant goût de ce qui nous attend quand Storm II va s’abattre. J’ai envie de rejoindre mes appartements sans manger, mais Askyn m’en dissuade. Je reste avec le groupe, mais l’ambiance est sinistre. Je m’éclipse rapidement.

J’allais monter l’escalier du Palais lorsque Markus sort du bureau de mon père.
- Aura, me dit-il en m’attrapant le bras pour m’arrêter, Dieu merci tu

es toujours là. Je ne me serais jamais pardonné s’il t’était arrivé

quelque chose.
Il essaie de m’attirer dans ses bras, mais je le repousse.

-  Markus, excuse moi, mais je suis fatiguée, je voudrais aller me
reposer

-  Bien sur, me dit-il en me relâchant, tu as eu une dure journée. On en
parlera demain si tu veux.
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Je m’enfuis dans ma chambre.
Lorsqu’Askyn me rejoint, je suis installée dans mon fauteuil, face à ma fenêtre ouverte. Les rideaux volent sous l’effet du petit vent chaud. La lune est déjà haute. Je suis recroquevillée sur moi-même, les genoux sous le menton.
- J’ai vu mon professeur de science au Collège. L’éruption va se

produire avant la date prévue, et nous n’aurons pas le temps

d’évacuer tout le monde. C’est le début de la fin.
Il tire un fauteuil, s’assied à côté de moi, et me prend la main.

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