chapitre 14

18 minutes de lecture

Phoebe n’a pas quitté le Collège et elle est horrifiée par les récits des uns et des autres. Les habitants de ce lieu privilégié qu’est la Mégalopole ont pris avec philosophie l’annonce de l’évacuation. Ils avaient déjà été sensibilisés à Storm II. Deux mondes différents coexistent au sein des Territoires Sains.

Nous sommes tous rassemblés dans le grand hall. J’aperçois Markus, appuyé nonchalamment sur un des piliers, une jolie brune à ses côtés. Le directeur du Collège prend la parole en personne pour nous expliquer la possibilité d’une prochaine éruption dans un laps de temps d’un an. Qu’au regard des évènements des derniers jours dans certaines provinces reculées (j’ai apprécié ce terme de « reculée »), la date des évacuations allait être avancée. Au vu de l’ampleur de la tâche, le commandement avait décidé de faire appel à nous pour l’aider à encadrer l’opération.

Les habitants de la Mégalopole seront évacués en premier. Ensuite, une liste dressée par les services du Commandement désignera les personnes des provinces. Ceux déclarés non prioritaires seront regroupés dans la Mégalopole, avec les scientifiques. La prison centrale demeurera également en service ici. Pas de prise de risque, on ne veut pas de détenus à bord des vaisseaux. Toute la zone de la Mégalopole sera protégée par un bouclier. Seule incertitude, nous dit-il sur un ton très froid, on ne sait pas en fonction du timing si nous aurons le temps d’évacuer tout le monde, une marge d’erreur existant sur le calcul de l’éruption. Un murmure s’élève de la foule. Les élèves des provinces éloignées comprennent que leur population ne sera pas prioritaire, et risque même de mourir irradiée sur place.

Nous serons répartis dans des groupes en fonction du choix de nos options : services administratifs, approvisionnement, maintenance des vaisseaux, transports, sécurité... Et de préférence, nous annonce le directeur, sur les régions dont nous sommes issues, pour notre connaissance du lieu et la population, et pour mieux anticiper tout problème. Mes yeux croisent alors ceux de Markus. Nous allons donc travailler ensemble.

Les combinaisons anti radiations et les tests de détection vont être remis au goût du jour. La production des vaccins anti radiations a été accélérée, même si leur durée de protection est moindre. Pour ceux d’entre nous amenés à bouger et se rendre dans les provinces, nous serons équipés d’un kit anti radiations. Une question d’un élève porte sur la recherche d’un vaccin nous immunisant définitivement, ou du moins sur une période plus longue. C’est à l’étude, nous répond le directeur, mais rien de concret n’a encore abouti.

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Enfin, avant de prendre notre service, nous allons tous nous rendre en orbite afin d’inspecter les vaisseaux amiraux et nous familiariser avec les zones dans lesquelles nous allons évoluer là-haut.

Un élève pose la question des animaux domestiques. Quelques rires fusent. Mais notre enfance n’est pas si loin, nous avons tous un animal de compagnie encore vivant, et plus d’un s’est posé la question. La réponse est bien sure négative. Pas d’animaux en orbite. En revanche, la question reste ouverte pour les zones protégées par les boucliers. Tout dépendra du nombre de ces instruments en service.

En revanche, personne ne demande le sort de la population des Territoires Irradiés et de ses habitants. Soit c’est politiquement incorrect, soit tout le monde a oublié jusque leur existence. Je penche malheureusement pour la seconde option.

Nous sommes appelés un par un à rejoindre nos groupes. Phoebe part à l’administratif, Halleck à la maintenance, Feyd au service du Commandement. Markus est appelé juste avant moi, comme responsable des évacuations. Je suis la dernière à passer, et je suis affectée au transport. Je vais donc piloter. Quelques rires sarcastiques se font entendre, allusion à ma liaison avec Peter. Je laisse courir.

Dès le lendemain, nous embarquons dans les navettes. Ou plutôt, je pilote la navette emmenant mes camarades dans le vaisseau amiral. Et dire qu’il y a quelques jours, je conduisais une vieille moto.

Le vaisseau amiral est gigantesque. J’ai un a priori plutôt négatif sur Titan Industries, mais ce qui est sorti de leurs usines est incroyable. Nous visitons le Vaisseau amiral et ses départements. En tant qu’officiers, nous avons le droit à une cabine individuelle. Elle est minuscule, mais mieux que les dortoirs communs à quatre ou six où seront confinés les habitants du vaisseau. Heureusement, ils pourront évoluer la journée sur la plateforme géante, sorte de mégalopole bis suspendue, avec un jardin fantastique et une vue donnant sur l’espace. Tant mieux si les habitants de la mégalopole sont prioritaires ici car je ne suis pas certaine de l’adaptation des habitants des provinces reculées à cet environnement, tellement éloigné du leur. Même moi, j’avoue être complètement époustouflée par ce qui s’offre à ma vue. Quand au poste de pilotage du vaisseau...une immense plateforme, avec des écrans sur les murs ou alors tridimensionnel au centre. Plus d’une centaine de personnes s’activent dans tous les sens.

* **

Mon QG à moi est le tarmac, ou plutôt la plateforme de décollage et d’atterrissage. Tous les vaisseaux y sont rassemblés. Des navettes, des vaisseaux pour un ou deux pilotes.
- Incroyable, non ?

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Je fais un bond et je me retourne. Peter.
- Et vous vous rendez compte que je suis devenu responsable de tout

cela en partie grâce à vous ?
Et il part dans un éclat de rire dont lui seul à le secret. Je ne peux me retenir de sourire. Je lui prends le bras et lui dit sur le ton de la plaisanterie.
- Donc si je veux pouvoir piloter à mon gré avec un de ces jolis

joujoux, il faut que je sois gentille avec mon ex-instructeur ?
Il rit de plus belle, puis approche ses lèvres de mon oreille.
- Attention mademoiselle Ix, je pourrais vous prendre au mot.
Et désignant des armoires.
- D’autant plus que vous n’avez pas encore vu vos nouvelles tenues.
Et dans un murmure :
- Vous allez faire un malheur dedans.
Et il retourne à son bureau en continuant de rire. Décidément, il n’a toujours pas changé.
J’ai encore quelques heures à tuer avant le diner. On nous a conseillé de nous accoutumer à la configuration du Vaisseau amiral et des vaisseaux satellites en cas d’alerte. Mais j’ai une autre idée en tête. Je rattrape Peter en courant.
- Si je vous propose d’essayer une tenue, et qu’en échange vous

m’emmenez faire un tour dans une de ces belles machines, rien que

vous et moi ?
Cette fois, il parait désarçonné, il ne s’attendait pas à ce genre de proposition de ma part. Mais il se reprend très vite et fait mine de regarder l’heure.
- Ma foi, pourquoi pas ? Vous êtes affectée à mon unité. Je peux donc

vous emmener faire le tour du propriétaire. On se retrouve dans dix

minutes en bas de celui-ci.
Et il me désigne un chasseur à deux places.

Effectivement, les nouvelles tenues des pilotes collent au corps et mettent un peu trop généreusement en valeur mes attributs féminins. Mais elles sont néanmoins confortables.
- Encore un homme à l’origine de ça, dis-je en grognant, grimpant

dans l’appareil et m’installant derrière le poste du pilote.
- Mademoiselle Ix, me crie Peter, encore en bas. C’est votre

promenade, vous montez devant.
Je n’ai jamais piloté ce genre de vaisseau auparavant.
- Ce n’est pas grave, me répond-il en s’installant derrière moi, il faut

bien un début à tout, et autant apprendre quand les conditions idéales sont requises.

Le poste de commandement nous donne l’autorisation de décoller. Je vole dans l’espace. C’est grisant ! J’ai quelques ratés au début, mais Peter est un instructeur exceptionnel. C’est un passionné et il transmet sa passion.

Je me rapproche de la Terre. Soudain, des parasites apparaissent sur mon écran. Je ne peux voir qu’en visuel.

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- C’est normal, m’explique Peter. Nous passons en Territoires Irradiés. Du coup, nos instruments sont brouillés. La version officielle du Commandement est un brouillage du aux radiations toujours actives. Cette version les arrange bien, et à mon humble avis, vos petits copains émettent ces ondes afin de dissimuler leurs activités.

Soudain, loin devant nous, il me semble voir quelque chose. Mais impossible de capter sur le radar car il est brouillé.

-  Peter, vous voyez au loin ?

-  Non.

-  Zut, ça a disparu. Attendez, je vais me rapprocher. Là regardez, à seize heures.
Un chasseur vole devant nous. Il ne nous a peut être pas vu avec les radiations.

-  Bon sang, c’est quoi ça ? murmure Peter

-  Je me rapproche ?

-  D’accord, on y va, mais pas trop vite.
Je n’ai jamais vu ce type d’appareil ni dans le hangar au Collège, ni dans le vaisseau amiral.

-  Si c’est un des nôtres, je n’ai pas encore vu ce type d’appareil

-  C’est là le problème, mademoiselle Ix, répond Peter. Moi également,
je n’ai jamais vu ce type d’appareil. Nos petits cramés nous auraient-
ils fait des cachotteries ?
Je me rapproche lorsque soudain, l’avion pique du nez et disparaît dans une couche de nuage. Je ralentis en regardant. Il a disparu. Et impossible d’utiliser les écrans radars, toujours brouillés.

- Bon, je crois qu’on l’a perdu.
Et là, une drôle impression me submerge. Il y a quelque chose, je ne sais pas quoi.

-  Mademoiselle Ix, vous êtes toujours là, ou vous avez fait un malaise ?

-  Non, je suis là. Mais ce n’est pas normal. Et tout à coup je sens.

-  Il est derrière

-  Quoi ? me répond Peter
Je réponds sur un ton très calme m’étonnant moi-même

- Il est juste derrière nous
Et instinctivement, sans prévenir Peter, je décroche. Les radars sont toujours brouillés.

-  Zut, il nous suit.

-  Ce qui est sur, crie Peter, c’est que ce n’est pas un des nôtres. Donc
depuis 150 ans, on n’a plus trop le choix sur cette Terre. Si ce n’est pas nous, c’est donc eux. Il faut qu’on atteigne de nouveau notre espace aérien pour retrouver nos radars.

-  On a peut être vu quelque chose qu’on ne devait pas voir.

-  Très bonne déduction Mademoiselle Ix, répond-il sur un ton
ironique
Et tout un coup, un laser frôle la carlingue de notre avion.

- Mais il nous canarde en plus, s’écrie Peter, furieux Je décroche à nouveau.

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-  Et comment peut-on répliquer ?

-  Eh bien on ne peut pas, me répond Peter furieux, puisqu’on est
censé être deux sur cette planète, et que le Commandement a toujours soutenu que nos petits cramés n’étaient pas une menace à notre existence. Il va falloir faire avec les moyens du bord. On va donc tester vos talents de pilote de chasse, mademoiselle Ix, même si j’étais juste censé vous apprendre à piloter des transporteurs.
Je vire d’un coup sur la droite.

- Le but, continue Peter, c’est regagner notre espace aérien. Il n’osera

pas nous suivre jusque là.
J’accélère. Notre poursuivant aussi.
- Bon il va falloir inventer autre chose Mademoiselle Ix Je réfléchis.

-  Bon, vous me faites confiance ? J’espère juste que Titan Industries
nous a construit des avions fiables. Vous êtes prêt ?

-  Avec vous, toujours.
Même dans les situations les plus extrêmes, Peter ne peut s’empêcher de plaisanter.
Et je coupe les gaz. Nous chutons.

- Moment de vérité, dis-je en hurlant
Je rallume les gaz. L’avion repart. J’effectue un demi-tour et je reprends de l’altitude. J’accélère au maximum.

-  Il ne nous rattrapera plus maintenant. Enfin j’espère

-  Bravo Mademoiselle Ix. Une vraie chasseuse. J’ai su dès que je vous
ai vu prendre un manche.
Là pour le coup, je souris. Peter sera toujours Peter. Je n’ai jamais été aussi calme. Je contrôle parfaitement mes réactions.
Nous sommes de retour à la base. Peter m’aide à descendre de l’appareil.

- Bon, il va peut être falloir leur dire que nous n’avons plus le

monopole du ciel. Et qu’apparemment, on ne voulait pas que cela se sache. A voir maintenant si ces vieux croulants vont nous croire. Allez diner, mademoiselle Ix. Vous avez besoin de reprendre des forces.

Je ne vais pas diner. Je n’ai pas faim. Je file directement à ma cabine. Je suis furieuse. Cette ordure de Thufyr Grant avec ses airs suffisants s’est bien gardé de m’avouer avoir des avions à leur disposition, de surcroit armés. La phrase de Peter me revient en boucle « Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc ».

* **

Peter a été alerter ses supérieurs de notre incident aérien. Nous n’avons aucun retour officiel. Néanmoins, des ingénieurs de Titan Industries sont venus équiper certaines navettes et avions d’un armement minimal, permettant au moins la riposte.

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Le transfert des habitants de la Mégalopole a débuté et se passe dans le calme. Certaines activités sur Terre persistent et se maintiendront après la tempête, tel l’hippodrome, celui-ci étant protégé par le champ magnétique. Un réseau de navettes Mégalopole/vaisseaux a été prévu afin de permettre aux personnes en orbite de venir se ressourcer sur Terre de temps à autre.

Une fois les habitants de la Mégalopole acheminés dans les vaisseaux, cela sera au tour des provinces éloignées.
Bien entendu, aucune liste nominative n’a encore été dressée. Le Commandement a fait le choix délibéré de placer la population dans l’incertitude, avec un espoir entretenu jusqu’au dernier instant de quitter les lieux. Bien sur, l’inscription sur la liste étant conditionnée au à une attitude irréprochable jusqu’au bout. Communiquer une liste de noms aurait permis à ceux rejetés de s’organiser afin de monter une résistance. Cette stratégie a permis de contenir artificiellement le mécontentement de la population, stratégie renforcée par la propagande du Commandement diffusant en boucle sur le canal officiel toutes les actions entreprises pour la sécurité des habitants. La leçon de l’expérience vécue le soir de l’annonce de Storm II a été retenue et les a rendus prudents.

Nous sommes donc filmés régulièrement à cette fin de bonne parole sur le terrain comme dans les vaisseaux. Le Commandement a voulu personnaliser sa communication, afin que la population se raccroche à des figures rassurantes, et la conforter dans le fait d’absence de passe droit au sein des territoires sains. Pas de chance pour moi, ils ont voulu choisir des figures emblématiques de l’égalité entre tous. Je fais partie du lot avec Phoebe, dont le père était l’ex bras droit du Commandeur, ainsi qu’Halleck, héritier de Titan Industries. Comme eux, j’ai donc du me plier à l’exercice de la parfaite petite aspirante, dans ma tenue de pilote noire, et ce à travers plusieurs épisodes me suivant dans mes taches quotidiennes subalternes. La petite fille de Kyle Carthag à l’entrainement, pilotant un vaisseau ou aidant une grand-mère à s’installer dans le vaisseau. Le Commandement a été jusque faire circuler des objets officiels, tels des images de Phoebe, Halleck ou moi- même en activité, distribués aux enfants. Ça a eu le mérite de rendre hilare Peter. Il a épinglé dans son bureau un grand poster de ma personne posant face à notre flotte d’avions. « Pour une fois que le Commandement a eu une idée sexy, et que je peux prouver que je suis en accord avec la ligne officielle, je ne vais pas me gêner », m’a-t-il dit pour justifier son geste. Ma grand-père est aux anges et me dit que toutes ses amies sont folles de jalousie. Ses amies seraient également furieuses si elles voyaient les appartements réservés aux proches du Commandement dans le Vaisseau amiral, sans commune mesure avec ceux prévus pour la populace.

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J’ai récupéré un transmetteur auprès de Jessica ayant une portée jusqu’au vaisseau. Il a été convenu que seul Duncan me contacterait, et l’utilisation de celui-ci qu’en cas d’urgence. L’équipe de Léto a également intercepté le canal officiel du Commandement sur lequel on me voit évoluer en boucle. Cette image d’icône du Commandement me protège, d’après Duncan, personne ne pensant à me soupçonner de connivence avec les irradiés.

La propagande du Commandement n’est pas sans objet. Un énorme retard a été pris dans l’évacuation des provinces éloignées, notamment celle des postes frontières.
Il reste environ trois mois avant Storm II. Les personnes restant sur Terre seront acheminées dans les locaux vides de la Mégalopole. J’ai croisé plusieurs fois Phoebe à notre appartement au Collège. Elle est exténuée, elle ne compte plus ses heures, plongée dans la gestion complexe des populations. Tout d’abord les populations entre elles, malgré les efforts du Commandement pour répartir les personnes dans la Mégalopole par province, afin d’éviter les séparations. Ensuite la gestion de la superficie. Phoebe émet de gros doutes sur l’absorption de ce flot d’arrivées par la Mégalopole.

Markus et moi sommes convoqués dans les locaux du Commandement pour la préparation de l’évacuation des provinces éloignées. Mon grand père en personne est présent, ainsi que l’ensemble de mes camarades en charge du suivi de ces opérations. Je n’ai pas revu Markus depuis l’attribution de nos postes au Collège. Il me salue avec un sourire narquois sur les lèvres. Son attitude est déroutante depuis notre rencontre à l’Astrolabe. Il bat à la fois le chaud et le froid.

Mon grand père nous explique la procédure retenue : une fois sur place, nous ne diffuserons les noms des personnes envoyées, soit en orbite dans les vaisseaux, soit dans la Mégalopole, qu’au fur et à mesure des déplacements, afin d’éviter toute contestation. Ces personnes disposeront de trois jours avant de quitter les lieux. Chaque semaine, nous recevrons une nouvelle liste. Et ainsi jusqu’à évacuation complète de toute la population. Le Commandement espère ainsi éviter tout mouvement de protestation, les personnes n’apprenant leur affectation qu’au dernier instant.

Le choix de l’affectation a également fait l’objet d’un travail de propagande efficace. A écouter les films projetés à longueur de journée sur le canal officiel, la vie semble plus agréable dans la Mégalopole, protégée par le bouclier, où on peut aller au champ de courses, dans les bars, dans les jardins, qu’à bord des vaisseaux.

Enfin, dernier argument imparable, le fait que le Centre scientifique et le centre de production de Titan Industries demeurent dans la Mégalopole. Si la situation était dangereuse, les scientifiques et ingénieurs n’auraient pas été laissés derrière.

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Après ces derniers transferts, nous n’aurons plus qu’à attendre l’arrivée de Storm II.

* **

Je pars le lendemain pour le Palais. Fuyant la compagnie de ma grand- mère, plongée dans ses préparatifs de départ du Manoir, je décide de passer ma dernière nuit au Collège. Cependant, si ma famille est transférée au sein du Vaisseau Amiral, nous conservons la jouissance du Manoir, mon grand père étant appelé à faire des allers retours réguliers entre les vaisseaux et la Mégalopole, où vont demeurer certains postes de commandements.

Le Collège est pratiquement vide. Beaucoup d’entre nous vivent maintenant dans les vaisseaux. J’ai alterné ces six derniers mois entre ma cabine et l’appartement du Collège, en fonction de la rotation des équipes.

J’appréhende l’évacuation de ma province. Pour l’instant, je n’ai été affectée qu’à la Mégalopole, où tout s’est bien passé. En revanche, des témoignages de camarades désignés pour les évacuations en provinces nous ont rapporté des épisodes déchirants de familles séparées. D’ailleurs certaines ont refusées au final d’embarquer pour rester avec les leurs. D’où le retard pris dans la procédure d’évacuation car le département des affectations, au sein duquel a été détachée Phoebe, doit alors trouver une place de disponible dans la Mégalopole pour la personne qui reste et affecter la place restante dans les vaisseaux. Les services administratifs du Commandement n’avaient pas anticipé ce phénomène. Un vrai casse-tête.

Je marche dans le couloir désert quand j’entends des pas derrière moi.
- Mademoiselle Ix
C’est Monsieur Hennesy. Il me rejoint, et s’arrête en reprenant son souffle.

-  J’ai de la chance, je ne sais pas si vous repasseriez par le Collège avant de partir, me dit-il

-  Oui, je pars effectivement demain pour les dernières évacuations programmées, et je voulais passer la soirée tranquillement ici.
Il regarde autour de lui pour s’assurer que nous sommes seuls, puis me demande de l’accompagner quelques instants dans son bureau.
La vision de la classe vide me serre le cœur. C’est quand même plus de huit années de ma vie passées sur ces bancs maintenant poussiéreux. Monsieur Hennesy me regarde.

- Je sais à quoi vous pensez, Aura. C’est triste de penser que cette salle restera vide.

Il secoue la tête, et reprend.
- Mais peut-être pas. J’ai proposé au Commandement de continuer à

assurer les cours ici, et même le fonctionnement du Collège, avec les 180

enseignants volontaires. Nous serons protégés par le bouclier, et la Mégalopole sera pleine d’enfants à instruire. Nous pouvons repérer les meilleurs et continuer notre mission ici. Cela aidera peut-être à la démocratisation de notre système, ces pauvres gens n’ayant pas eu jusqu’alors accès à un enseignement digne de ce nom.

Je reconnais bien là Monsieur Hennessy. Pas étonnant que lui et oncle Sirius se soient si bien entendus.
- Mais ce n’est pas là l’objet de votre venue, dit-il en se déplaçant vers

son bureau.
Il met en marche son écran tridimensionnel.
- Vous voyez, ma petite, le soleil est là. Or, je viens de refaire les

calculs avec les données que vous m’avez fournies. Il existe une forte probabilité que l’éruption arrive plus tôt que prévu, ou qu’il y ait des ondes parvenant par intermittences avant l’éruption, ou alors les deux à la fois. C’est-à-dire qu’on soit bombardé d’ondes par intermittences, sans que cela soit prévisible longtemps à l’avance, et que l’éruption se produise plus tôt que la date annoncée par le Commandement.

Il me regarde.
- Vous comprenez ce que cela veut dire ?
Je hoche la tête. Je réponds dans un murmure.

-  Oui. C’est-à-dire que nous n’allons pas avoir le temps d’évacuer tout
le monde

-  J’en ai bien peur. C’est pour cela que je voulais vous mettre en
gardes quand j’ai appris que vous étiez dans les dernières patrouilles. Il vous faut être prudente, et vous assurer d’avoir votre combinaison anti radiation avec vous, ou alors du sérum sous la main.
Je m’assois sur une chaise. Nous n’aurons pas assez de combinaisons ou de sérum pour protéger tout le monde. Et même si les ondes ne tuent pas, le Commandement refusera d’embarquer ceux contaminés. Le Commandement est donc encore loin de nous dire toute la vérité, même à ses plus fidèles collaborateurs.
Je suis encore un peu sonnée quand je me lève. Je remercie Monsieur Hennessy et suis sur le point de partir, quand une question me vient à l’esprit.
- Monsieur Hennessy, savez-vous quelle partie de la terre sera
touchée cette fois-ci ?

- Pas encore, soupire-t-il. Au mieux nous ne le saurons que quelques

jours avant Storm II. Tout dépendra des courants solaires. Et ils sont malheureusement souvent imprévisibles.

Je quitte Monsieur Hennesy complètement abattue. Me retrouver dans ce lieu complètement vide, alors que je l’ai connu grouillant d’étudiants et de vie... Le contraste me saisit de façon soudaine. Je me réfugie dans mon appartement, désormais seule car Phoebe s’est définitivement installée au Vaisseau amiral, travaillant quasiment 24 heures sur 24, ne s’arrêtant que pour dormir.

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Je suis affalée dans mon fauteuil du salon, égarée dans mes pensées, lorsque le bruit de petits coups sur la porte me fait revenir à la réalité. Je sursaute.
- Aura, tu es là ?

C’est Markus. Je me reprends tant bien que mal et je lui dis d’entrer.
Il s’installe dans le fauteuil en face de moi en se laissant tomber dedans. Lui aussi a les traits tirés.
- Alors, prête ? me demande-t-il en arborant un sourire.
Ce soir j’ai apparemment droit au Markus charmeur. Tant mieux, car j’ai besoin de me détendre plus qu’autre chose. Je lui réponds en secouant la tête.
- Bien sur que non. Et j’espère que de ma vie, je ne serai jamais prête

à ce genre de situations.
Il reste silencieux quelques secondes, puis il reprend
- Pourtant c’est à ça que nous avons été formés toutes ces années,

n’est-ce-pas ?
Où veut-il en venir ?
- Ecoute Markus, si tu es venu me voir pour me dire qu’il est honteux

que la petite fille de Kynes Carthag .....
Il m’arrête aussitôt.
- Justement, je suis ici pour m’excuser de l’attitude que j’ai eue quand

on s’est croisé à l’Astrolabe. J’ai été vraiment lamentable, me dit-il en haussant les épaules. J’avais trop bu, et les paroles ont dépassé ma pensée.

Je ne peux m’empêcher de lui répliquer sur un ton ironique.
- Vraiment. Pourtant, l’alcool possède certaines vertus, notamment celle de désiniber les personnes. Ne t’inquiètes pas, je comprends parfaitement ton point de vue. C’est d’ailleurs celui de beaucoup de monde ici. Mais je peux te dire que j’échangerai volontiers ma place contre n’importe quel habitant de ma province, car vivre constamment sous le regard des gens qui attendent le moindre faux

pas de ta part pour......
Il s’approche alors de moi, s’assied sur l’accoudoir de mon fauteuil et me saisit la main.
- Aura, je suis réellement désolé. Ces derniers mois m’ont fait prendre

conscience de certaines choses, et m’interroger sur le sens de ma petite existence de mâle égoïste. S’il m’arrivait quelque chose, je ne voudrais pas qu’on se souvienne de moi sous cet aspect de ma personne.

Je demeure silencieuse et le laisse continuer.
- Ecoutes, j’ai été vraiment mauvais lorsqu’on est sorti ensemble. Je

n’étais qu’un jeune coq arrogant. Les derniers évènements me font maintenant voir la vie sous un autre angle. J’aimerais vraiment que tu me pardonnes mon attitude et qu’on reparte tous les deux à zéro. On va vivre ensemble H 24 dans les prochains mois. Et je pense qu’on va avoir besoin de se soutenir l’un l’autre pour mener à bien notre mission.

Que puis-je lui répondre ? Qu’il arrive trop tard ? Après il a raison. Nous partons demain pour surement les moments les plus éprouvants de

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notre courte vie. Je sonde ses grands yeux verts suppliants. Il a l’air sincère. J’hésite, puis je le rassure.
- D’accord, oublions tout et partons sur de nouvelles bases.
Son visage s’illumine, ses lèvres se fendent d’un grand sourire. Il se lève, me dépose un baiser sur le haut de ma tête en murmurant « Merci Aura », et il quitte la pièce.

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