chapitre 13

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J’ai été remettre les plans du bouclier à Jessica à l’hippodrome. Elle a réussi à échapper aux gardes lors de notre intrusion au Centre, mais sa diversion n’a pas été suffisante pour sauver Sirius. « Quel entêté », m’a- t-elle dit en secouant la tête. Je perçois la souffrance qu’elle endure à travers sa voix. Mais que puis-je lui dire ? Ce n’est pas le moment de lui avouer avoir percé à jour leur secret.

Mon grand-père m’a convoquée dans son bureau. Il m’a laissé entendre que mes choix sentimentaux ne le ravissaient pas et que je ferais bien de réfléchir parfois avant d’agir. Mais il a été soulagé d’apprendre que Sirius avait eu la décence, m’a-t-il dit, de laisser sa nièce en dehors de ses agissements. Il m’a avoué avoir eu des doutes il y a quelques temps, mais depuis mon retour au Manoir, il avait vraiment perçu un changement radical dans mon attitude, renforcé par les professeurs du Collège ne tarissant pas d’éloges à mon égard. Si je continue ainsi, je serais appelée à jouer un rôle important dans le futur au sein du Commandement. « Et ce futur n’est peut-être pas si loin », ajoute-t-il.

J’ai demandé à aller visiter oncle Sirius, ce qu’il m’a bien sur refusé. Celui-ci a été placé au secret. Je n’ai pas insisté pour ne pas éveiller ses soupçons, mais en me promettant de revenir à la charge prochainement, lorsque les évènements se seront tassés.

Le stage au Centre terminé, je suis retournée au Collège. Cela a été pour moi un soulagement de quitter le Manoir. Avant de partir, j’ai été récupéré mon transmetteur et embrasser la vieille Rebecca, finalement elle va me manquer.

J’ai retrouvé Phoebe dans notre appartement. Elle a effectué son service au sein du Commandement. Elle me dit être persuadée de la survenance proche d’un évènement d’importance. Elle a passé son temps à recenser les ressources dont disposent les Territoires Sains, ainsi qu’à localiser les populations par métiers.

Phoebe est une véritable amie. Elle n’ose pas me parler de ma relation avec Peter. J’ai bien assez à gérer les regards et réflexions sarcastiques de certains, dont celles de Feyd. Mais bizarrement, je reste assez insensible et stoïque aux railleries de mes camarades. J’ai croisé plusieurs fois Markus, qui semble maintenant m’éviter. Je continue à m’étourdir dans le travail, afin d’être irréprochable sur ce plan là.

Peter n’a pas encore été démis de son poste d’instructeur. Il a accéléré le rythme de notre apprentissage, et cherche à nous en montrer le plus avant de partir. Nous avons commencé la formation sur les petits chasseurs, en individuel ou à deux, d’abord en simulateur, puis sur de vrais appareils. Je n’ai droit à aucun traitement de faveur de sa part, afin

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de ne pas jeter d’huile sur le feu. Il est même plus exigeant avec moi qu’avec les autres.

Nous sommes tous dans l’attente de notre transfert sur le vaisseau amiral. Ce sera l’heure de gloire de Halleck, en tant qu’héritier de Titan Industries. C’est pour lui la seule occasion de briller, avec son physique un peu gauche, ses cheveux gras, et ses boutons d’acné.

Je vis cette période dans un état second. L’arrestation de Sirius m’a énormément affectée. Si je n’avais pas laissé cette satanée porte ouverte, il s’en serait peut-être sorti. Jessica a essayé de me réconforter, mais cela n’a fait que renforcer mon sentiment de culpabilité. Seul un cercle très restreint est au courant de sa capture. Le Commandement n’a rien laissé filtrer. Moins le peuple a d’information, plus il est contrôlable.

Monsieur Hennessy m’a retenue au dernier cours. Il m’a annoncé tout bas avoir procédé aux calculs, et estimé la prochaine grosse éruption solaire entre 6 mois et 18 mois. Mais en tenant compte d’une marge d’ erreur importante, ses ordinateurs n’ayant pas la puissance de ceux du Centre.

A notre grand étonnement, la direction du Collège nous a octroyé une permission exceptionnelle d’une semaine avant d’embarquer pour le vaisseau amiral. Tout le monde a accueilli cette nouvelle avec plaisir.

Peter me demande de rester à la fin du dernier cours. Il m’annonce sa nomination de responsable de la flotte des navettes au sein des vaisseaux. C’est une façon déguisée de le démettre de ses fonctions d’instructeur. Le Commandement se met en ordre de marche pour préparer l’évacuation. Il me conseille donc de profiter pleinement de ces derniers jours de congés, les derniers avant bien longtemps.

Cerise sur le gâteau, il me propose en cadeau d’adieu de me ramener au Palais dans une des navettes. Le jour du départ, je m’éclipse donc discrètement en direction du hangar. Peter m’attend. Il m’invite au poste de pilotage pour manoeuvrer la navette jusque chez moi. Une fois posé sur la piste d’atterrissage du Palais, avant de me quitter, il me répète d’être prudente dans mes choix et de bien réfléchir avant d’agir. Je le quitte en lui déposant un baiser sur la joue et en le remerciant.

* **

Ça y est, je suis de retour chez moi. Est-ce la dernière fois pour profiter de mon cheval pour galoper dans les grandes étendues d’herbes, si dans neuf mois, tout est condamné à l’irradiation ?

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Mon père semble avoir pris dix ans depuis mon départ. Lorsque j’arrive dans son bureau, Altris me salue et quitte la pièce. Je m’installe face à mon père et l’attaque de front
- Alors ?

Il secoue la tête
- Alors quoi ?
Je prends malgré moi un ton sarcastique.
- Alors où en es-tu dans ton comptage de population, à savoir qui va-

t-on embarquer et qui va-t-on laisser ici ? Il soupire.

- Aura, nous en avons déjà discuté. Je n’ai pas d’autres solutions. Je vais choisir la moins pire pour tout le monde. Mais je suis pieds et poings liés.

Il a raison, mais c’est plus fort que moi, je continue de le harceler
- Oncle Sirius, lui au moins il a agi. Il a essayé de récupérer les plans

du bouclier pour essayer d’aller protéger des vies ailleurs.
- Oui et heureusement qu’il ne t’a pas entrainé dans cette folie, me dit-il. L’enquête a été très poussée ici. Askyn a été soupçonné de complicité, par sa proximité avec lui, mais heureusement ils n’ont

rien trouvé pour confirmer une quelconque connivence. Il soupire.

- Shirin était dans tous ses états. Nous avons du argumenter avec Jack pour conserver ton compagnon à son poste d’adjoint à la garde du Palais, en avançant ne plus avoir le temps de former quelqu’un avant l’évacuation. Mais les militaires gardent un œil sur lui. D’ailleurs tous les proches de Sirius sont sous surveillance, moi y compris je pense.

Il me regarde.

-  Tu vas détester ça, mais sois prudente pendant ton séjour aussi. Tu
risques aussi d’être surveillée.

-  Tu es en train de me dire que je ne vais pas être libre de mes
mouvements lors de ma dernière semaine de liberté sur cette terre avant Storm II ? dis-je en bondissant de mon fauteuil. Je rêve ou c’est bien ça ?

-  Je te demande juste d’être prudente dans tes déplacements et tes contacts, c’est tout.
Je me lève et pose les mains sur le bureau.
- Si j’avais su que dans ma propre maison, je devais subir la
surveillance du commandement suprême, je serais restée au Collège
ou au Manoir
Et je quitte la pièce en claquant la porte.
Je remonte dans ma chambre, enfile ma tenue de cheval, file aux écuries. Je croise un militaire à qui je lance un regard haineux, puis je me dirige vers la stalle où se trouve Bucéphale. Je m’arrête soudain. Sheïtan. Il est dans la stalle jouxtant celle de mon cheval. Askyn a du le ramener après l’arrestation de Sirius. Je m’arrête devant lui et lui caresse les naseaux. Bucephale hennit en me voyant et tape contre sa porte. Je m’excuse auprès de Sheïtan, passe rapidement un coup de

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brosse à ma monture, met son filet et sa selle, et nous sortons en trombe. Bon personne ne m’arrête, personne ne me suit.

Je reviens trois heures après, en nage. J’ai évacué ma colère, c’est déjà ça. Maintenant, je vais pouvoir réfléchir sans être sous le coup de mes impulsions. Je n’ai jamais été aussi déterminée. Je ne veux plus subir et il est hors de question que ma conduite soit dictée par le Commandement suprême. L’effort permettant la réflexion, j’ai eu une idée lumineuse pendant ces trois heures de grand air. Je ne suis plus maintenant à une rumeur près au regard de ma vie sentimentale. Peter m’a sauvé la mise en se fournissant comme alibi, Askyn devrait pouvoir se prêter au même jeu.

J’arrive à la caserne de la garde. Je repère Askyn et l’entraîne au dehors, en prenant le soin d’être visible de tous. Je lui murmure à l’oreille qu’il doit m’embrasser maintenant devant ses camarades, puis me retrouver dans ma chambre après son service. Après quelques secondes d’hésitation, il me regarde puis s’exécute. J’entends quelques rires fuser autour de nous. Parfait, c’est exactement l’effet escompté. D’ici demain, tout le Palais sera au courant de ma romance enfin officialisée avec Askyn.

Askyn vient frapper à ma porte une heure plus tard.
- Eh bien, tu ne fais pas dans la dentelle.
Je souris.
- Désolée, je n’ai pas trouvé d’autres moyens. Si je veux pouvoir

m’éclipser, c’est apparemment la nuit, et le seul moyen d’avoir un alibi viable, c’est que tu partages ma chambre. Personne n’osera entrer pour vérifier si je suis bien là.

Il secoue la tête.
- Tu as toujours de ces idées.
Sur ce, il me confirme les dires de mon père. Depuis l’arrestation de Sirius, les militaires le surveillent de près. Impossible de se rendre en zone irradié. Duncan lui a remis le même transmetteur que moi, mais il ne doit l’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité. Coup de chance, les militaires détachés par le Commandement ne sont pas si nombreux, et la nuit, la surveillance est quasi nulle. En revanche, la journée, il n’est pas libre de ses mouvements. Difficile cette fois-ci de prétexter une escapade en amoureux dans les montagnes sans prendre le risque d’éveiller les soupçons.
La seule possibilité pour moi de me rendre en terre irradiée, c’est de quitter le palais la nuit, prétexter le jour être souffrante via la voix d’Askyn et restée confinée dans ma chambre, et revenir la nuit d’après.

Duncan apparaît sur l’écran du transmetteur et nous explique que les cités sont en ordre de marche afin de faire face à la nouvelle tempête et que le Chef de l’Etat Major souhaiterait me rencontrer. Je peux me rendre en zone irradiée, explique Askyn, mais pas plus de 36 heures. Duncan promet de nous rappeler plus tard.

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Nous nous apprêtons à aller dîner lorsque j’entends gratter à ma porte. Caramel. J’ouvre à mon chat. Il s’engouffre dans la chambre et s’apprête à sauter sur mon lit, quand soudain il se rend compte de la présence d’Askyn sur le fauteuil. Il se met devant lui, lui crache dessus, puis d’un air fier, saute sur mon oreiller, tourne plusieurs fois en rond sur lui- même, et se couche en boule sur celui-ci. Si Askyn doit passer les cinq prochaines nuits dans ma chambre, cela promet d’être sportif.

* **

Comme promis, Duncan nous laisse un message le lendemain. Une personne du Réseau m’attendra dans deux jours en début de soirée au point de rendez-vous habituel, et me conduira chez Léto afin de rencontrer leur grand chef.

Askyn et moi avons mis au point notre stratagème. Je commencerai à me plaindre de fatigue le soir, Askyn demandera le matin à ce que je ne sois pas dérangée et qu’on me laisse me reposer, me montera à déjeuner le midi, et à diner le soir. Avec un peu de chance, personne ne soupçonnera rien. De toutes les façons, nous n’avons rien trouvé d’autre comme parade.

Askyn me rejoint le soir dans ma chambre. Il a proposé de dormir sur le canapé, mais je lui ai dit qu’il n’allait pas laisser mon jaloux de chat gagner la bataille. Ma réputation de fille perdue est devenue un sujet de plaisanterie entre nous. «Il faut savoir parfois nous sacrifier princesse », dit-il en m’embrassant sur le front et en s’endormant dans les cinq minutes. Je reste allongée contre lui, dans le silence de la nuit, le vent jouant dans les rideaux de la fenêtre ouverte. Sa force me rassure. Je m’endors à mon tour, la tête dans le creux de son épaule.

Le lendemain soir, nous passons en revue une dernière fois notre scénario. Askyn a récupéré la vieille moto de Sirius, et l’a cachée dans une grange abandonnée un kilomètre plus loin. Askyn insiste pour m’accompagner jusque la grange, mais c’est courir un risque inutile au cas où quelqu’un viendrait jusque notre chambre et la trouverait vide. Avant de partir, il me demande si je peux remettre quelque chose à Tiffany. Il me serre contre lui en me recommandant d’être prudente, et me demande de lui souhaiter bonne chance pour les deux nuits seul avec mon chat.

Je suis habillée toute de noir. J’ai attaché mes cheveux, enfilé un sac à dos. Je me glisse hors du Palais. Comme Askyn l’avait prévu, il n’y a pas de surveillance particulière. Je cours jusqu’à la grange. La moto est cachée derrière un tas de paille. Je n’ai pas conduit un tel engin depuis longtemps, mais au final les sensations reviennent assez vite. J’accélère donc sur la dernière partie du trajet.

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Askyn m’a dit que les failles du bouclier n’avaient pas bougé. Si le Commandement a bien déployé ses militaires dans la province, aucun d’entre eux n’a pensé à réparer les défaillances du système de sécurité dans le bouclier.

Je pénètre en Territoires Irradiés et j’ai un pincement au cœur en apercevant l’emplacement vide caché derrière le grand saule où Sirius avait l’habitude de dissimuler sa voiture.

Je pose la vieille moto, quand soudain je sens une présence derrière moi. Une main se pose sur ma bouche pour m’empêcher de crier en me coinçant le bras derrière le dos pour me bloquer de tout mouvement. J’allais riposter en prenant appui sur ma jambe droite et effectuer un retournement quand j’entends contre mon oreille « Chut Aura ». Je ne bouge plus. C’est Adam. Il me libère doucement. Je me retourne et me jette littéralement sur lui pour l’embrasser en passant mes mains dans ses cheveux. Nous restons ainsi un long moment avant que je ne lui laisse reprendre son souffle.

Il s’écarte de moi et me sourit dans le noir. - Eh bien, mademoiselle, quelle fougue ! Je rigole.
- Tu comptes te plaindre?

Il me serre à nouveau contre lui et murmure contre mes lèvres.
- Non au contraire j’en redemande.
Et il m’embrasse de nouveau, mais de façon plus douce cette fois-ci.
Il se détache de moi à contre cœur, puis me dit .
- Ne restons pas là, on ne sait jamais, on n’est plus maintenant à l’abri

d’une patrouille à cet endroit de la frontière.
Il me prend la main et me guide jusqu’à son véhicule caché un peu plus loin. Il m’explique m’emmener au ranch où nous passerons la nuit, et le demain nous nous retrouverons tous en ville où je rencontrerai Thufir Grant, le chef de l’Etat Major.
Il me met au courant des évènements écoulés depuis mon départ. Leurs scientifiques ont calculé la date de Storm II grâce à mes données, située approximativement à neuf mois, avec une marge d’erreur possible. Les vingt cités sont donc en train de prendre les mesures nécessaires à la protection de la population et à leur survie, en réaménageant les sous sols, notamment pour tout ce qui est cultivable. Le plus difficile étant au final de s’habituer à nouveau à l’idée d’être enfermé et de revivre sans la lumière du jour. Tous les départements scientifiques ont été mobilisés pour travailler sur les plans des boucliers.

Je lui raconte le vol des données dans le bureau de mon grand-père, ma sortie rocambolesque par la fenêtre, Peter me sauvant la mise, le vol des plans au Centre et la capture de Sirius, Peter me fournissant une seconde fois un alibi, le rôle de Quinn Devris, enfin le stratagème élaboré avec Askyn pour me rendre en terre irradié. En revanche, je passe sous silence l’existence de Jessica.

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Nous arrivons au ranch. Tout est calme, il n’y a aucun bruit. Un cheval se réveille et hennit en nous voyant passer. Adam met le doigt sur ses lèvres en ouvrant la porte d’entrée. Il me prend par la main et me conduit dans les escaliers. Sa chambre est tout au bout du couloir. Il tourne doucement la poignée pour ne pas faire de bruit et me fait entrer. Il referme derrière lui et fait tourner la clé dans la serrure. La fenêtre est ouverte et donne sur la montagne. La chambre est doucement éclairée par la lune.

Adam me plaque contre lui. Il enfouit sa tête dans mes cheveux et me dépose des milliers de baisers dans mon cou. Je fais courir mes mains le long de son dos musclé, puis les fait remonter en attrapant son pull que je fais passer au dessus de sa tête. Il se penche de nouveau vers moi, pose ses lèvres sur les miennes, me fait reculer et basculer dans son grand lit. Je fais glisser son pantalon et j’enroule ma jambe droite autour de la sienne.

Il sourit et me glisse à l’oreille : « Attention Mademoiselle, vous avez un homme complètement nu au dessus de vous ». Je lui réponds en rigolant que c’est naturel pour une fille à la réputation perdue.
Je sens une onde de chaleur se répandre dans tout mon corps. J’aide Adam à se débarrasser de mes derniers vêtements qui font barrière entre nos deux corps. Il me maintient les bras au dessus de ma tête et commence à descendre en me déposant des baisers le long de mon corps, puis remonte, et me murmure à l’oreille qu’il voudrait que ce moment ne cesse jamais. Je ferme les yeux.

Le vent par la fenêtre ouverte vient caresser nos corps. Je frissonne. Adam tire sur moi le drap pour me couvrir, j’en profite pour me coller à lui. «Il faut dormir, ma chérie, demain risque d’être une longue journée » me murmure-t-il à l’oreille. Je m’abandonne au sommeil en étant bercée par les battements de son cœur, et le bruit des cigales dans la nuit.

Je me réveille le lendemain matin à cause du bruit d’une douche. J’ai un moment de désorientation, puis je me rappelle. Je m’étire comme un chat en poussant un gémissement de bien être. Adam apparaît alors, une serviette autour des hanches.

- Réveillée ?
Je hoche la tête et lui fait signe de s’approcher de la main. Il s’assied sur le rebord du lit à côté de moi, et se penche pour m’embrasser. J’en profite pour lui arracher la serviette.

-  On va être en retard, me murmure-t-il à l’oreille

-  Je m’en fiche d’être en retard, dis-je en grognant. Je leur ai récupéré
leurs fichus plans, ils peuvent bien m’attendre quelques minutes de
plus.
Et je le tire vers moi pour l’amener dans le lit.
* **

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Pour le coup, nous sommes vraiment en retard. J’ai quand même le temps de remettre à Tiffany l’enveloppe laissée par Askyn. « Merci », m’a-t-elle dit en la serrant contre sa poitrine, les yeux brillants.

Adam conduit vite. Je pose ma main sur sa cuisse. Il la recouvre de la sienne, et de l’autre main tient fermement le volant. Il met à profit le trajet afin de m’expliquer la situation actuelle. S’il y a vingt cités et 20 vingt maires, qui représentent l’Etat Major, les poids des villes ne sont pas les mêmes, en fonction de leur population et des caractéristiques développées par ces dernières. Certaines se sont développées en agriculture, d’autres en technologie de pointe, en production de matériel, et quelques-unes dépendent totalement de leurs consoeurs pour leur approvisionnement. A l’origine, les cités fonctionnaient sur l’entraide et les échanges. Mais des clans internes se sont crées au fil des décennies, et certaines cités ont tiré avantage de leur poids dans l’économie afin de d’obtenir le ralliement à leur clan, sous menace de rupture des approvisionnements.

Il existe actuellement trois courants au sein de l’Etat Major. Un courant qu’Adam juge extrémiste, militant pour l’absence totale de contacts avec les Territoires Sains ; le courant emmené par son père Léto, qui voudrait à terme parvenir à une réconciliation et la réunification des deux mondes ; et un dernier courant, qu’il nomme les non alignés, et qui varie de position au gré des propositions des deux camps pour monnayer leur vote. Bien sur, les responsables des deux autres courants ne connaissent pas l’existence du Réseau. Du moins, ils devinent les rapports privilégiés entretenus par Léto avec quelques personnes des territoires sains, mais sans en soupçonner sa dimension réelle.

Léto avait jusqu’à récemment obtenu un statu quo. Il était à l’origine des expériences afin de démontrer la fin de la contamination des radiations, avec pour but de communiquer l’information aux Territoires Sains. Malheureusement, tout a été remis en cause suite à l’annonce de Storm II. La position de Thufyr Grant à la tête de l’Etat Major n’a pas arrangé la situation. Thufyr Grant déteste les Territoires Sains, même s’il ne le montre pas ouvertement. Avec l’obtention des plans du bouclier, il a néanmoins perdu des points auprès des autres Maires, et Léto a pu s’attribuer le mérite de l’opération, démontrant l’existence de personnes concernées par le sort des Territoires Irradiés chez nous. Malheureusement, cela n’avait pas été suffisant, l’Etat Major ayant au final refusé la dernière tentative de Léto de dévoiler la vérité sur leur existence de l’autre côté du bouclier. Thufyr sur ce point n’a pas tort. Il est tout sauf idiot. A quoi bon annoncer à la population des Territoires Sains que les Territoires Irradiés ne sont plus contaminants, alors qu’une nouvelle tempête s’annonce ?

Contrairement aux Territoires Sains, le dialogue semble néanmoins ouvert chez eux. A quoi Adam me répond qu’il ne sait pas quel est le meilleur système, entre une dictature ou un système de parti avec des tractations sans fin, nourrissant au final le seul égo de ses dirigeants.

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Nous arrivons dans la cité. J’ai du mal à reconnaître la ville quittée il y a seulement quelques mois. Quelle injustice de voir cela balayé par les radiations et devenir inhabitable dans si peu de temps. J’espère que les boucliers seront prêts à temps.

Adam ne nous fait pas passer par l’entrée habituelle. Il abandonne la voiture sur le côté, me fait descendre, me prend par la main et pousse une petite grille. Nous nous retrouvons dans le jardin où il m’avait amené lors de ma crise d’angoisse.

Il s’approche de moi et me serre contre lui.
- Tu te souviens de cet endroit ?
Je fais oui de la tête.
- C’est ici que je me suis dit qu’il était hors de question de laisser une

si jolie fille m’échapper, me dit-il en repoussant une mèche de

cheveux tombée sur mon visage.
Je ferme les yeux. Il m’embrasse le front, le bout du nez, et pose ensuite ses lèvres sur les miennes, dans un baiser si léger.
- Bon, tu es prête à affronter Thufyr Grant ? Tu vas voir, ça ne va pas

être une partie de plaisir. Mais si tu doutes, regarde moi, d’accord ? J’ouvre les yeux et lui souris.

-  Avec toi à mes côtés, je suis capable de tout affronter.

-  Bien parlé, Mademoiselle. Bon allons-y alors. Ne faisons pas
attendre plus longtemps Sa majesté.
Adam m’entraine dans le dédale de petits couloirs pris en chemin inverse la dernière fois. Il me serre la main très fort une dernière fois et me la lâche juste avant de déboucher sur la salle de réunion où j’avais annoncé la mort dans l’âme l’arrivée de Storm II.
Léto est déjà installé à la table de réunion. Duncan est à sa droite. Ils sont penchés tous les deux sur des plans. Debout près de la table, deux hommes discutent entre eux. Un homme très grand, à première vue massif, les cheveux gris, et un autre beaucoup plus fluet, au teint plus foncé et aux cheveux noirs. Une jeune femme se tient près de l’homme fluet. Sa beauté est frappante, elle a également le teint foncé et les cheveux lisses très noirs.
A notre arrivée, son visage s’éclaire et elle nous adresse, ou plutôt adresse à Adam un grand sourire, en ouvrant ses grands yeux noirs.

- Adam, comment vas-tu depuis la dernière fois ?
Elle prend Adam dans ses bras et l’embrasse en insistant à un peu trop longuement à mon goût

- Shany, la salue Adam, en se raidissant.
Léto et Duncan relèvent la tête
- Ah, vous voilà mes enfants, dit Léto. Thufyr, Padisham, voici Aura Ix,

la nièce de Sirius, à qui nous devons tant. Aura, je te présente Thufyr

Grant et Padisham Karvat.
Thufyr me salue en claquant des talons, Padisham se contente de hocher la tête en joignant ses mains. Quant à la dénommée Shany, elle se contente de faire une moue à l’évocation de mes exploits.

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-  Mais ne perdons pas de temps, dit Léto en nous invitant à s’installer autour de la table. Aura ne peut rester trop longtemps avec nous, car son absence pourrait éveiller les soupçons. Même si le Commandement n’a pas réussi à démontrer de liens entre elle et Sirius, restons sur nos gardes.

-  Et quand est-il de Sirius ? Va-t-il parler ? demande l’homme que Léto m’a présenté sous le nom de Padisham

-  Nous savons juste qu’il a été mis au secret, rien de plus. Mais on a bon espoir de son silence, sinon Aura ne serait pas ici avec nous.
Je ne peux m’empêcher d’avoir un frisson à l’idée de tomber entre les mains du Commandement.

- Mais Aura, je manque à toutes mes obligations. J’ai oublié de te

présenter les fonctions de Thufyr et de Padisham. Thufyr est le Chef de l’Etat Major, et Padisham le représentant de plusieurs Cités que nous surnommons dans notre jargon les « non alignés ». Et la charmante jeune femme qui se tient à ses côtés est sa fille, qui gère les relations diplomatiques pour l’Etat Major avec les Cités.

A l’évocation de son nom, Shany adresse à Léto un sourire dévastateur. Pas de doute, la demoiselle maitrise à la perfection ses attributs, avec la générosité de Dame Nature. Surement un atout de poids dans son poste. - Voici donc les dernières informations, reprend Léto. Suite aux

données transmises par Aura, nos scientifiques estiment la prochaine éruption solaire à neuf mois. A priori, il y a un risque qu’elle soit plus importante que celle de nos aïeuls il y a 150 ans. Mais, côté positif, il est possible que l’éruption soit juste un pic, très violent certes, mais retombe ensuite. Il y a 150 ans, celui-ci avait persisté plus longtemps. De ce fait, les conséquences devraient être moins étendues que celles de Storm, et les effets de l’irradiation moins importants.

Il s’arrête pour prendre une gorgée d’eau.
- Point non encore élucidé, car nous sommes encore trop loin de

l’échéance, les zones touchées. On ne connaît pas encore le versant de la planète exposé. Nos scientifiques seront en mesure de le mesurer, mais seulement quelques jours avant l’explosion. Il faut donc partir du principe d’être touché et nous préparer à cette éventualité.

Tout le monde écoute attentivement Léto. Padisham prend des notes.
- La meilleure protection consistera à déployer les boucliers sur les zones à risque d’irradiation. Nous ne savons pas encore si ces derniers seront prêts à temps, la superficie protégée, et la quantité de boucliers disponibles. Il nous semble cependant, d’après le retour des équipes travaillant sur la production, être dans l’obligation de faire des choix stratégiques dans le positionnement des boucliers, et

ne pas pouvoir couvrir les 20 Cités.
Thufyr semble réfléchir, puis demande :
- Tes scientifiques ont-il avancé sur la protection de nos véhicules

terrestres au cas où nous aurions besoin d’engins pour nous déplacer rapidement à ce moment là ?

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-  Effectivement, commente Léto, ils sont dessus et essaient de partir de la formulation de nos vieilles combinaisons anti radiations afin de voir si on peut les adapter. Le souci sont les conditions d’utilisations différentes, notamment le frottement de l’air, et leur formule non encore stable.

-  Léto, tu nous as également dit que les Territoires Sains avaient réussi à équiper leurs avions de telles protections anti radiation ? s’enquiert Thufir en me regardant.

-  Oui, c’est ce que nous ont rapportés Sirius et Aura. Mais Aura a déjà beaucoup fait pour nous, et je ne veux plus la voir prendre de risques inconsidérés. Elle sera notre relais en Territoires Tains lorsque Storm II se déclenchera, nous avons besoin d’elle. Les ingénieurs de Titan Industries ont trouvé une solution pour leur flotte, celle existe donc, et nos ingénieurs la trouveront pour nos véhicules.

J’ai un petit serrement au cœur en entendant Léto me nommer ainsi. Au final, nous sommes uniquement des pions sur un échiquier, à qui on décide de faire jouer le point ou pas. Nous le savions Askyn et moi en acceptant d’intégrer le Réseau, mais entre la théorie et la pratique, il y a un fossé. Je lance un regard discret à Adam. Il me répond avec un petit sourire. En revanche, je ne peux éviter le regard de Shany. Elle s’est placée à côté d’Adam. Je ne sais pas ce qu’il y a entre eux deux, et je ne tiens pas le savoir. Du moins pas pour l’instant.

Thufyr reprend la parole.
- Et est-il possible de connaître l’avancement des constructions des

vaisseaux amiraux et de la technologie déployée à bord ? Léto me regarde
- Aura ?
Je prends la parole.

-  Je devrais être rapidement fixée sur ce point. Je dois embarquer
dans les prochains jours sur le vaisseau amiral. En revanche, je ne sais pas si le transmetteur en ma possession fonctionnera depuis l’espace.

-  Duncan va étudier cela avec toi, me répond Léto. Si nous ne trouvons pas de solution de suite, on essaiera de faire vite et notre agent sur place te transmettra le matériel nécessaire.
Padisham se manifeste à son tour.

- Mais comment va procéder le Commandement Suprême ? Ils ne

pourront pas embarquer tout le monde là-haut.
Je me permets de reprendre la parole.
- Le discours officiel serait que seuls resteront dans la Mégalopole

protégés du bouclier les scientifiques pour travailler sur le terrain et trouver une solution aux irradiations, et que tout le monde aura sa place en haut.

Je fais une pause, puis je reprends.
- Je pense, mais c’est juste mon point de vue, que les personnes de la

Mégalopole seront effectivement embarquées, mais qu’un tri va être effectuées avec les provinces secondaires. Seuls seront embarqués ceux dont le Commandement estimera avoir une utilité sociale, et

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les autres resteront sur terre. Je n’ai pour l’instant aucune idée quant aux mesures de protection contre les radiations prises pour eux, et de ce qu’aura décidé le Commandement.

- Je vois que la même éthique persiste au Commandement, même 150 années après, persifle Thufyr avec un petit sourire. Laisser sur le côté des pauvres gens subir les radiations sans aide quelconque.

Je ne relève pas.
- Et c’est avec ces gens que tu comptais négocier ? lance Thufyr à Léto

sur un ton méprisant. Qui abandonnent les leurs à leur sort, car ils ne sont d’aucune utilité ? Finalement, l’information sur Storm II est arrivée à point. Si nous avions dévoilé notre existence aux Territoires Sains, leur Commandement nous aurait refourgués une nouvelle fois leurs impotents en se donnant bonne conscience et ça ne les aurait pas empêchés de se mettre à l’abri dans leurs vaisseaux flambants neufs. Et nos 20 cités se seraient retrouvées à nourrir toutes ces bouches inutiles. Dieu merci, dit-il avec un large sourire, nous ne leur devons rien. Qu’ils se débrouillent entre eux.

Padisham semble approuver en secouant très discrètement la tête.

-  On ne va pas entrer à nouveau dans cette discussion, s’énerve Léto. Il est clair que nous n’avons pas le même point de vue sur le sujet. Beaucoup de chez nous veulent revenir à la situation d’antan, et quoiqu’en pense l’Etat Major. Chacun des deux mondes à des choses
à apporter à l’autre, et nous n’en ressortirons que plus fort.

-  J’ai vraiment fait tout ce qui était en mon pouvoir, intervient Shany, de sa voix profonde, mais il existe malheureusement un noyau dur de Cités se refusant à tout contact avec les Territoires Sains, et avec lesquelles je n’ai pas réussi à ouvrir ne serait-ce qu’un début de
dialogue. Et ce malgré tous mes efforts.

-  Inutile de continuer de discuter sur le sujet, coupe Thufyr, il a été
tranché il y a quelques mois. Et nos querelles internes ne regardent en rien Mademoiselle Ix. D’ailleurs nous avons fait le tour des points la concernant, il me semble. Léto ? interroge-t-il

-  Aura, tu veux ajouter un point avant de terminer ? J’hésite, puis je décide de me lancer.

-  Oui, il y a encore un point à évoquer. C’est la question du vaccin anti
radiation. Nous possédons la formule pour nous protéger six heures, mais nous, enfin je veux dire les médecins du Centre, n’ont pas encore trouvé un vaccin définitif pour une protection définitive.

-  Cette fameuse légende, avance Thufyr, d’un vaccin qui protégerait l’homme des rayons. Je n’y crois pas.

-  Pourtant, un de nos savants aurait trouvé la formule. Mais il a disparu, et ses travaux avec.

-  Nous avions nous-même envisagé il y a un temps de travailler sur ce projet, me coupe Léto. Malheureusement, il est impossible de se battre sur tous les fronts. L’urgence immédiate, ce sont les boucliers. Et nous assurer d’avoir assez de ressources pour tenir le temps de la tempête. Duncan, que nous proposent les responsables des ressources sur ce point ?

161

La réunion dérive sur l’inventaire des stocks à disposition des habitants.

Thufyr. Un être apparemment plein de suffisance. Son visage est bouffi avec des petits trous dans sa peau. Surement un souvenir d’acné de sa jeunesse. Aucune reconnaissance pour mon rôle joué dans la remise des plans du bouclier et du sacrifice de mon oncle. Il n’apprécie guère Léto. J’ai plus de mal à définir Padisham. Il semble suivre les avis de tout le monde au final. Pas étonnant d’être à la tête d’un mouvement s’offrant au gré des opportunités du moment. Quant à sa fille, je vois Shany murmurer de temps en temps à l’oreille d’Adam. Je préfère les ignorer. La fatigue de la nuit dernière, ajouté au décalage horaire avec la Mégalopole, commence à se faire sentir.

Heureusement, la réunion se termine, et le personnel commence à arriver en amenant plusieurs plats sur les tables dressées à côté des canapés du salon.

Léto me rejoint.
- Aura, me dit-il en me prenant les mains. Je n’ai pas encore eu

l’occasion de te remercier personnellement pour tout ce que tu as fait. Sans toi, nous n’aurions jamais eu le temps de mettre au point et fabriquer les boucliers.

J’essaie de sourire.

-  Je suis juste si triste que le sacrifice de Sirius n’ait servi à rien.

-  Il n’a pas été inutile, dit Léto en me serrant la main, puisque le
responsable du Centre t’a remis les plans. Le Commandement ne
pourra se douter que nous sommes entrés en leur possession. Je hoche la tête. Duncan s’approche de nous.

- Aura, tu veux m’accompagner dans la salle d’armes ? Je voudrais

discuter avec toi de quelques détails.
Je suis Duncan. Shany est collé à Adam, une coupe à la main. Duncan arrête mon regard.
- A ta place, je n’y prêterai pas attention. Shany a toujours été

intéressée par la position sociale des personnes, rien de plus. Elle est très maligne, meurt d’envie de jouer un rôle dans la future organisation et est prête à tout pour cela. Et Adam représente pour elle cette opportunité. C’est tout.

- Ne t’inquiètes pas Duncan, j’ai d’autres soucis plus importants en tête.

C’est parfaitement faux, mais je ne veux pas montrer à Duncan qu’au fond de moi-même, je suis jalouse de cette créature à la beauté et à l’intelligence sociale parfaites, au côté de laquelle je me sens parfaitement gauche.

Duncan m’amène dans une salle d’entrainement, où trônent également plusieurs postes de travail avec écrans tactiles.
- Tu possèdes toujours le bouclier contre les lasers des têtes

chercheuses et le bracelet pour les pulsations cardiaques ? 162

J’acquiesce en hochant la tête.
- Très bien. Tu as la possibilité d’obtenir un laser là-bas ? Je fais la moue.

-  Au Collège, impossible ils sont tous comptabilisés. Au Palais, je peux
éventuellement demander à Askyn, mais il fait l’objet en ce moment d’une surveillance rapprochée des militaires. Je ne sais pas s’il pourra m’en récupérer un.

-  Aucun souci, prends celui-ci alors. Il est petit et discret, tu pourras le cacher facilement dans tes vêtements. Et prends également ce bouclier contre les lasers, il est plus grand que l’autre.
Il fouille ensuite dans une grande armoire.

- En revanche pour les transmetteurs en fonction depuis l’espace, on

n’a pas encore ça. Mais ça n’est pas difficile à fabriquer, il suffit juste d’en ajuster la portée. Je vais demander à Némésis de t’en apporter un, et sans tarder, car d’après ce que j’ai compris, vous partez rapidement là-haut.

Ça fait bizarre d’entendre Duncan nommer Jessica par son nom de code. Sait-il que c’est la mère d’Askyn ? Et la maitresse de Sirius ? Je n’ose pas lui demander. Cependant, connaissant Sirius et Jessica, peu de monde doit être au courant de cette filiation et de leur liaison, voire personne. La voix de Duncan prononçant mon prénom me fait quitter le fil de mes pensées

-  Tu sais Aura, tu nous as sacrément épatée. Némésis nous a raconté ton sang froid lors de l’assaut du Centre.

-  Quel sang-froid ?
Les larmes me montent au yeux, mais c’est sans doute du à la fatigue.

-  C’est de ma faute si tout a capoté. J’ai laissé la porte ouverte, et les
têtes chercheuses se sont engouffrées dans le couloir et ont donné
l’alerte.

-  Pas du tout, réplique Duncan. Ce fou de Sirius s’est acharné à vouloir
trouver le code du serveur. Vous auriez du repartir plus tôt, et c’est une chance que ni toi ni Némésis n’aient été attrapées. Sinon tout tombait à l’eau à cause de cet entêté de Sirius.

-  Peut-être. Ça doit tenir de famille, dis-je en souriant, mais sans réussir à retenir une larme que j’essuie du revers de la main.
Je sens soudain deux bras enserrant ma taille et m’attirant en arrière.

-  Alors Duncan, je te laisse quelques minutes avec notre héroïne, et tout ce que tu réussis avec elle, c’est la faire pleurer ? dit-il en me
serrant contre lui.

-  Je pense qu’Aura est fatiguée, que la réunion a été éprouvante, et
que tu devrais la ramener sans tarder, dit-il en regardant sa montre.

-  Je suis d’accord avec toi, nous avons assez trainé ici avec ces
politiciens qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels. J’embrasse Duncan sur la joue. Il me souhaite bonne chance.
Adam me ramène au salon où je vais saluer Thufyr et Padisham. Thufyr répond assez froidement à mon salut, Padisham est plus cordial. Shany me répond avec un sourire empli de commisération. Je me sens complètement quelconque à ses côtés.

163

Léto me prend à part avant de les quitter.
- Aura, sois bien prudente quand tu seras en haut. Mon fils m’en

voudra jusqu’à ma mort s’il t’arrive quelque chose.

Sur le chemin du ranch, bercée par le rythme de la voiture, je m’endors sur l’épaule d’Adam.
Il me secoue doucement quand on arrive. Je m’étire comme un chat. Ce court somme m’a fait du bien.

- Tant mieux, me dit Adam, car je t’ai préparé une surprise. On prend tes affaires, et je t’emmène camper ce soir.

Il se rapproche de moi et me dit : - Je te veux pour moi tout seul.

* **

Avant de quitter le ranch, Tiffany m’a remis un pli pour Askyn. Je lui promets de le lui donner dès mon arrivée au Palais.
Adam charge les duvets et remercie Tiffany de nous avoir préparé de quoi manger. Puis il m’embarque dans la voiture. Il m’explique qu’on va camper près de la frontière, je serais ainsi proche du Palais pour rentrer.

Je m’endors à nouveau. Quand je me réveille, le soleil est encore haut dans les montagnes.
- Allez hop, mademoiselle, on installe tout et on va chercher du bois si

on veut manger
Je lui réponds en rigolant.
- Avec toutes les siestes que je viens de faire, prends garde à toi, je

suis plutôt en forme.
Il me coince contre mon siège.

-  Ça veut dire quoi ? Que tu vas me battre au jeu de savoir qui
ramasse le plus de bois en un temps record, ou tu veux insinuer
autre chose de plus excitant ?

-  Ou les deux, lui dis-je en m’échappant de son emprise et en sautant
de la voiture. Essaies de me rattraper, tu verras.
Je cours aussi vite que je peux quand au détour du chemin, je m’arrête face au lac qui s’étend devant moi.

-  Oh Adam, tu as trouvé un endroit avec un lac. C’est tellement beau !

-  Tu aimes ? me dit-il en se serrant contre moi. Je me suis dit que cela
nous rappellerait notre première nuit. L’eau est si calme et si belle.

-  Tu crois qu’on peut se baigner? dis-je en le regardant. Il fait encore
chaud. Et, zut, c’est peut-être une des dernières fois où on peut le
faire, à cause de cette fichue tempête.

-  Chut, me dit-il en me mettant un doigt sur les lèvres. Ce soir, on
bannit tous les sujets tristes. Et c’est une très bonne idée. Le premier dans l’eau a gagné.

164

J’arrache tous mes habits et je cours plonger dans l’eau. L’eau fraiche me vide la tête. Je m’éloigne de la rive en nageant. Puis je regarde autour de moi. Aucun signe d’Adam. Tout à coup, je me sens attirée vers le fond. Il essaie de me couler. Je suis saisie d’un fou rire, et je manque de boire la tasse. J’arrive à échapper à son emprise. Je reprends une grande goulée d’air, puis je replonge de suite afin qu’il ne me repère pas.

- Aura ?
J’arrive sans bruit dans son dos, et lui appuie de toutes mes forces sur les épaules pour le faire couler. Mais il a paré mon attaque et se retourne plus vite que je n’avais prévu, et au final, nous coulons tous les deux, moi au dessous de lui. Il me saisit les mains, me plaque contre lui, et nous fait remonter à la surface. J’explose de rire, je passe mes jambes autour de sa taille et mes bras autour de son cou.

-  C’est tellement agréable, dis-je en fermant les yeux.

-  C’était quoi le deuxième défi, après celui du ramassage de bois ? me
murmure-t-il à l’oreille.
Je souris sans lui répondre et resserre les jambes autour de sa taille.
Le feu crépite quand je rajoute du bois. Je retourne m’allonger auprès d’Adam, la tête dans le creux de son épaule.

-  Je peux te poser une question personnelle ?

-  Bien sur, mademoiselle.

-  Vraiment, ne t’inquiètes pas, je ne serais pas vexé si tu es sincère.

-  Mon Dieu, je redoute le pire. Vas-y.

-  Shany, c’est qui pour toi ? Il éclate de rire.

- Ah, je me demandais combien de temps tu allais tenir sans me poser cette question.

Je grogne.

-  Et?

-  Tu te souviens de ce que je t’avais dit sur les filles à papa
prétentieuses ? Que je m’étais trompée en te cataloguant ainsi ? Eh bien Shany, c’est le modèle type. Je ne suis pas dupe de son jeu. Tout ce qui l’intéresse en moi, c’est mon statut d’héritier de Léto. Je l’ai laissée faire car je ne voulais pas créer d’incident diplomatique entre les cités. Mais c’était avant de te rencontrer, et je pense maintenant que la comédie a assez duré.
Je suis rassurée.

-  Ecoutes, réfléchis bien. Vu la tournure prise par les évènements, toi
ou ton père aurez peut-être besoin d’elle. Et elle manipule le sien comme elle doit réussir à manipuler tous les hommes autour d’elle, sauf toi, dis-je en me resserrant contre lui.

-  Tu as peut-être raison, soupire-t-il. Ça m’a déjà démangé de la remettre à sa place une ou deux fois, mais je ne l’ai jamais fait par respect pour Léto. Tu as deviné, sa situation n’est pas facile en ce moment.

-  Oui, c’était intéressant pour moi d’assister ce matin à la réunion. Peter Harrington m’a dit quelque chose de très censé quand je lui ai

165

raconté mon histoire. Il m’a mise en garde contre le fait de penser que d’un côté il y a les gentils et de l’autre les méchants, et m’a assuré que la marche du monde était bien plus compliquée que cela.

- Il n’a pas tort. Mais bon, j’espère que ton pilote s’en tiendra avec toi aux seuls conseils.

C’est à moi de rire en le regardant.

-  Tu es jaloux !

-  Parfaitement, me dit-il en me faisant basculer au dessus de lui et me
prenant la tête dans ses mains. Je t’interdis de regarder une autre
personne que moi.

-  Pas même Askyn ?

-  Pas même Askyn. Et je ne te conseille pas de le faire, continue-t-il en
souriant, car Tiffany serait capable de t’arracher les yeux.

-  Mon Dieu, dis-je en levant les yeux au ciel, on va devoir vous cacher tout ce qu’on a fait à deux toutes ces années, car sinon vous n’allez
jamais vous en remettre.

-  Ah je ne veux pas le savoir, et il me fait taire en m’embrassant. Je me rallonge sur le dos.

-  Adam, que va-t-il se passer ?

-  Je ne sais pas, dit-il en me serrant la main. Mais ce qu’on fait, ou ce
qu’on va faire, c’est pour qu’on soit réuni tous ensemble un jour. Je reste muette quelques secondes. Puis je reprends.

-  Et si je n’y arrive pas, si je craque ?

-  Eh bien dans ce cas, tu montes sur ton cheval, tu me rejoins et tu ne
me quittes plus. Je soupire.

-  Si la vie pouvait être aussi simple.

-  Je sais. Mais on avait dit qu’on profitait ce soir du moment présent.
Alors maintenant, je vais t’empêcher de parler, dit-il en roulant cette fois-ci sur moi.
* **

-  Aura, ma chérie, il faut te réveiller.
J’ouvre les yeux. Il fait encore nuit noire. Adam a déjà tout rangé. Il me faut encore quelques minutes pour émerger tout à fait. Il m’aide à me lever.

-  Tu es prête ?

-  Oui, oui allons-y, sinon Askyn va s’inquiéter.
Je monte dans la voiture. En dix minutes, nous sommes à la faille. La moto est toujours là. Je mets mon sac sur le dos. Je dégage la moto. Adam me prend une dernière fois dans ses bras. Mais je ne veux pas m’éterniser, car sinon je n’arriverai pas à le quitter. Et tout à coup, je ne sais pas. Quelque chose n’est pas normal. C’est stupide comme impression. Je secoue la tête.

- Tout va bien ? me dit Adam, d’un air inquiet

166

-  Oui, enfin non, je ne sais pas. Je sens quelque chose. Tu vas me prendre pour une folle.

-  Tu sais, je suis entouré de gens avec des pouvoirs bizarres, entre Duncan et Tiffany. Donc non, si tu me dis que tu sens que quelque chose n’est pas normal, je suis plutôt enclin à te croire.

-  Oui, mais moi je suis normale
A ce moment là, le transmetteur d’Adam se met à vibrer. Duncan apparaît sur l’écran.

- Adam.
On perçoit l’angoisse de Duncan au ton de sa voix.

-  Dis-moi qu’Aura est toujours avec toi.

-  Elle allait partir, que se passe-t-il ?

-  Askyn vient de m’appeler. Le Commandement Suprême a annoncé
Storm II à la population et le début des opérations d’évacuation hier soir. La province d’Aura s’est soulevée. Il y a des échauffourées partout d’après Askyn. Il veut que tu accompagnes Aura à la grange, et il prendra le relais. Il vous attend là-bas. Il est déjà en route, car je ne savais pas si Aura était déjà partie ou pas.

-  Très bien, on fait comme ça.

-  Rappelles moi quand tu seras passé de nouveau chez nous. Le transmetteur s’éteint.
Je suis tétanisée. Ça y est, les habitants ont été prévenus, la grande machine de l’évacuation s’est mise en route.

-  Tu vas bien ? me demande Adam

-  Oui, oui, c’est juste que maintenant on ne peut plus faire machine
arrière maintenant. Et c’est vraiment réel.
Adam me prend dans ses bras et caresse mes cheveux. « Ne t’inquiètes pas », me dit-il, « tout va bien se passer ».
Il dégage la moto, la démarre. Je m’installe derrière lui. Au fur et à mesure de notre progression, je vois au loin des lumières. Des feux. La grange n’est plus très loin. Tout est calme. La jeep d’Askyn est là. Il court vers nous.

-  Aura, me dit-il me prenant les mains, tu vas bien ? Vous n’avez
croisé personne sur la route ?

-  Non, lui répond Adam. Que se passe-t-il ?

-  Ces idiots du Commandement ont annoncé hier soir l’ordre
d’évacuation d’ici à un an, alors que nous sommes en plein recensement. Une partie des villageois se sont donc mutinés pour aller demander des comptes au Palais. Il y a eu des attaques contre les militaires qui n’étaient pas rentrés. J’ai réussi à m’éclipser du Palais en prétextant rejoindre une autre patrouille, mais il ne faut pas trainer. Aura, dit-il en me regardant, je te ramène à la maison et après j’y retourne. Adam, tu conserves la moto.
Je me tourne vers Adam qui me serre une dernière fois dans ses bras

- Aura, je suis désolée, il faut faire vite, me presse Askyn.
Je prends mon sac et je file avec Askyn vers la jeep. J’entends la moto d’Adam démarrer et repartir.

167

Askyn démarre à son tour la jeep. Tout un coup, le même sentiment que tout à l’heure.
Je lui saisis le bras.

-  Askyn, il y a quelque chose de pas normal.

-  Quoi Aura ?

-  Les grillons, les oiseaux, c’est trop calme.
A ce moment là, surgissent cinq personnes derrière la grange. J’en entends un hurler.

- C’est la fille du gouverneur avec son petit copain ! Les laissez pas

partir !
Des coups de feu sur la jeep. un pneu se dégonfle. Askyn se couche sur moi.
Le laser dans mon sac. Je crie à Askyn.
- Tu as ton laser ?
Il hoche la tête.
- On sort à trois, on ne peut pas rester là, sinon ils vont nous tirer

dessus. Tu es prêt ?
Mon cœur bat la chamade. Mes mains tremblent en prenant le laser de Duncan dans mon sac. Mais je suis concentrée. Le fait d’avoir été reconnue par les cinq individus a fait monter mon adrénaline. Ils vont voir de quoi est capable la fille du gouverneur.
- Un, deux, trois.

Je m’éjecte de la voiture en tirant à l’aveugle. Je cours aussi vite que je peux. Les ballots de paille. Je dois les atteindre. Je continue de tirer. Et je me jette derrière. Il fait nuit noire. Où sont-ils ?

-  Askyn ? Tu es toujours là ?

-  C’est bon, princesse.
Je souffle de soulagement. Bon concentre toi. Je ne vais pas me laisser abattre par des paysans avec mon soi-disant entrainement d’élite au Collège.
Je prends un gros caillou et le balance devant moi. Aussitôt, un coup de feu. C’est bon, j’ai repéré mon agresseur. Je rampe sur le sol. J’entends soudain le bruit d’un laser.

- Et d’un, me crie Askyn.
Plus que quatre. Je continue ma progression en silence. Ça y est, je vois mon tireur. Je le mets en joue. Mais comment tirer dans le dos d’une personne ? J’ai du mal à m’y résoudre. Ce que je fais est stupide. Mais bon, on ne se refait pas. Je mets deux doigts dans la bouche comme m’a appris à le faire Askyn quand nous étions enfants et un sifflet strident s’échappe de celle-ci. L’homme se retourne vers moi. Je tire et il s’écroule.
- Et de deux !
Mais le coup de feu et mon sifflet stupide m’ont transformé en cible facile. J’entends plusieurs coups dans ma direction. Zut !
- Askyn, couvre-moi !
Je sors de ma planque et je cours jusque la grange. C’est bon, je suis à l’abri. Tout à coup, quelqu’un me plaque une main sur la bouche. Je me débats quand j’entends à mon oreille : « Chut, c’est moi ». Adam. Il a du

168

entendre les coups de feu et revenir sur ses pas. J’arrête de me débattre, et il me relâche. Je lui montre trois doigts pour lui faire comprendre qu’il reste trois agresseurs et il hoche la tête.
Nous regardons dehors. Tout à coup, Adam me montre du doigt un des hommes allongé en embuscade. Il me fait signe qu’il y va. Je suis prête à le couvrir. Il sort, puis j’entends peu après un bruit de laser.

-  Et de trois, je crie à Askyn

-  Bravo Princesse
Tout à coup, je perçois trop tard une présence derrière-moi. On me fauche par derrière. Je m’écroule sur les genoux.

- J’ai la fille, hurle l’homme derrière moi.
Il pointe son arme sur ma tête. Il me prend brutalement par les épaules, me relève et me fait sortir de la grange.
- Alors mon p’tit gars, rugit-il, si tu veux pas qu’il arrive quelque chose à ta chérie, t’as intérêt à sortir les mains en l’air.
- Très bien, lance Askyn. Je sors.
Il sort de sa planque et s’avance vers nous les mains vers le ciel.
Le deuxième homme resté caché sort également et pointe son arme vers la tête d’Askyn.
- Quelle jolie pêche ! La princesse et son mignon ! Il va être content le

gouverneur de voir ...
Il n’a pas le temps de finir sa phrase qu’un laser lui touche la tête. Instinctivement, je me couche par terre. La tête de mon ravisseur explose à son tour. Je suis couverte de sang.
Adam sort et court vers nous. Askyn est déjà agenouillé auprès de moi. Je le repousse.
- C’est bon, je n’ai rien, c’est son sang, pas le mien.
Je me mets sur mes genoux pour reprendre mon souffle. Je suis furieuse.
- J’ai été stupide, je me suis faite avoir comme une bleue
Askyn regarde Adam et se met à rire. C’est un rire nerveux, mais un rire de soulagement.
- Bienvenu au club des fans d’Aura. Je te préviens, elle est toujours

comme ça.
Nous devons partir rapidement d’ici. Adam aide Askyn à changer la roue.
Adam me serre une dernière fois dans ses bras.
- Tu demande à Duncan de nous appeler quand tu sera rentré ?
Il hoche la tête, et me fait promettre la même chose. Il attend notre départ pour le Palais avant de repartir de son côté.

Il est assez facile de revenir, c’est la panique partout. Je saute de la jeep et je regagne au final ma chambre sans que personne ne m’ait vu. Askyn court rejoindre la troupe. Je jette sur le sol mes vêtements tâchés de sang, et me précipite sous la douche. L’eau passe du rouge, puis du rose au blanc, signal pour m’asperger de savon et de shampoing. Et là, toute la pression retombe d’un coup. Je regarde l’eau s’évacuer. C’est la première fois que j’ôte la vie d’un homme. L’entrainement au Collège doit être au final efficace, car à aucun moment de l’action, je ne me suis

169

posée de question. On m’attaque, je riposte. Mais maintenant, je ne suis plus en mode combat. Je laisse mon dos glisser contre le mur, et je me retrouve assise par terre, l’eau dégoulinant sur tout mon corps. Quand je me décide enfin de sortir de la douche, j’entends encore crier dehors, ma chambre est éclairée par les lumières allumées dans la Cour du Palais.

Je sors le transmetteur de sa cachette. Il clignote. J’ai un message de Duncan disant qu’Adam est bien repassé en zone irradiée. Je souffle de soulagement. J’envoie un message identique à Duncan. Puis je m’allonge et je sombre dans un sommeil profond.

* **

Je suis sous une chute d’eau. Je lève la tête vers le ciel pour exposer mon visage à la pluie de gouttelettes. Soudain, un poids puis un vrombissement sur ma poitrine. Je me redresse en sursaut. Caramel vient de sauter sur moi en crachant. Je me rallonge. C’est Askyn sous la douche. Il sort de la salle de bain, une serviette autour de la taille.

-  Désolée princesse, je t’ai réveillée ?

-  Pas du tout, dis-je en dégageant Caramel de mon lit.
Mon chat devient pénible avec cette habitude de cracher à la vue d’Askyn. D’habitude, ça me fait sourire, mais là plus du tout.

- J’ai failli retourner chez moi pour te laisser dormir, mais je me suis

dit qu’il fallait jouer le jeu jusqu’au bout. Je suis épuisé, dit-il en s’asseyant sur le lit. Si ça ne te dérange pas, je dors et je raconterais après.

Sur ce, il s’allonge sur mon lit, sa serviette toujours autour de la taille, et s’endort presque instantanément. Je reste un instant à ses côtés, Je suis tentée de rester me reposer à ses côtés, mais il doit être déjà tard, à voir le soleil derrière les rideaux. Je sors du lit en recouvrant Askyn de mon drap.

Effectivement, il est pratiquement midi. Le Palais en sens dessus dessous. Je n’ai jamais vu cet endroit avec une telle effervescence. Qu’est devenu le petit poste frontière reculé, l’endroit où il ne passe jamais rien ?

Je me dirige vers le bureau de mon père.
- Aura, j’espère que tu vas mieux. Je suis désolée, mais avec les

évènements, je n’ai pas eu le temps de prendre de tes nouvelles. Mais Askyn a du t’expliquer ce qui se passait, ajoute-t-il sur un ton ironique.

Je ne relève pas à ce qui ressemble à une allusion critique sur ma vie amoureuse. Je m’assoie en face de lui.
- Oui et non. Il m’a rapidement dit que le Commandement avait mis le

feu aux poudres en annonçant la nouvelle de l’éruption prochaine. Mais je dormais déjà quand l’annonce a été faite.

170

-  Effectivement. Et ils ont complètement sous estimé l’impact de cette information, du moins chez nous et dans toutes les provinces reculées. Il y a eu un embrasement général spontané, apparemment sans aucune concertation. Personne ne s’attendait à ça. Ça prouve le niveau de stress dans les populations. Comme la situation risque de devenir incontrôlable jusqu’à l’éruption, le Commandement accélère les opérations d’évacuation prévues dans seulement six mois. Ils redoutent des opérations de sabotage pour freiner ces dernières.

-  Mon Dieu !

-  Oui tu peux le dire. Et le Collège a appelé ce matin. Tous les élèves
en permission sont rappelés sans délai à la Mégalopole. Preuve de l’urgence, ils vous récupèrent en navette afin de gagner du temps. Prépare rapidement tes affaires, ils ne vont pas tarder à débarquer.
J’allais partir, lorsque je m’arrête.

-  As-tu reçu des instructions particulières ?

-  Pas encore. Pour l’instant je me contente de maitriser les
débordements. De toutes les façons, me lance mon père, tu en sauras plus, et surement même avant moi. Si le Collège vous rappelle aussi vite, c’est qu’ils ont besoin de vous et vont vous mettre dans la boucle.
Je remonte dans ma chambre et prépare mon sac en faisant le moins de bruit possible. Mais je ne dois pas être assez silencieuse car Askyn ouvre un œil.

-  Tu me quittes ?

-  Oups, désolée, je ne voulais pas déranger le repos du guerrier. Je m’assois à côté de lui.

-  Le Collège nous rappelle tous. En urgence, ils viennent nous
rechercher en navette pour gagner du temps. A mon avis, c’est en
lien avec l’annonce de Storm II et ses conséquences.

-  Tu en sauras plus, et plus rapidement que nous. Tu me diras ?

-  Bien sur.
Je continue de faire mon sac en lui demandant de me raconter ce qui s’est passé après notre retour au Palais. Il se redresse.

- Ces idiots du Commandement n’avaient pas anticipé l’ambiance

détestable due au recensement. Je t’avais dit que la population avait commencé à s’interroger sur les raisons d’un tel comptage. Alors lorsque le Commandement a annoncé la possibilité d’une éruption d’ici un an, et qu’il allait prendre des mesures de protection, dont un déplacement des populations dans les vaisseaux, les gens ne sont pas idiots. Ils ont vite compris. Même si le Commandement a dit qu’il y aurait assez de boucliers pour protéger tous ceux qui ne pourront aller en orbite autour de la terre. Une heure après, les premières émeutes ont éclatées. Ceux des nôtres qui n’étaient pas au Palais se sont fait agresser et ont servi de boucs émissaires. On s’en tire bien ici, mais certaines provinces ont vu leur palais attaqué lorsque les émeutiers étaient plus organisés.

J’arrête un instant et je le regarde dans les yeux.

171

- Tu me promets d’être prudent ? Tu as vu la réaction hier de ces cinq hommes ? Je pensais que mon père était apprécié, mais au final il est catalogué comme homme à la solde du Commandement. Si ça tourne mal, nous n’aurons le droit à aucun traitement de faveur. Au contraire.

Tout à coup, je me souviens du pli de Tiffany pour lui.
- Pour toi, de la part de ta chérie, dis-je en lui lançant la lettre.
Je regrette instantanément ma plaisanterie. Askyn devient rouge comme une écrevisse.
- Désolée Askyn, je ne voulais pas te blesser.
Il me sourit.
- Ne t’inquiètes pas, on est tous sur les nerfs.
Il regarde la lettre, puis dit à voix haute, comme pour lui-même
- Qui sait comment tout cela va se terminer ?
Je ne lui réponds pas, car malheureusement je ne sais pas quoi lui dire.

La navette atterrit une heure plus tard. Le personnel du Palais ouvre de grands yeux. Ils ne sont pas habitués à un tel déballage de technologie. Le décalage entre les provinces et la Mégalopole va encore plus éloigner le Commandement Suprême des autres populations. Les provinces vont se sentir flouées en estimant que le Commandement a conservé pour lui toute cette technologie afin de pouvoir l’utiliser à son seul escient. J’embrasse mon père venu attendre la navette avec moi et je monte rejoindre mes camarades.

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