chapitre 8

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Le reste de la semaine se passe sans heurt. Feyd s’est apparemment calmé, il me fiche la paix et m’évite au réfectoire. Markus y est surement pour quelque chose.
Je m’abrutis dans le travail. Mes professeurs mettent ce changement d’attitude sur le compte de mon absence, et la mise sous tutelle de ma province par le commandement suprême. Une certaine façon de compenser d’après eux. Je me garde bien de les contredire.

Au final, les cours de monsieur Hennessy sont captivants. Je comprends maintenant pourquoi oncle Sirius était son meilleur élève. J’ai conservé en tête son conseil. La possibilité d’aller faire mon stage d’étude dans les laboratoires scientifiques du Commandement Suprême, qu’on appelle ici le Centre. Ça nécessite une attitude et des notes irréprochables, et ensuite, un petit coup de pouce. Mais c’est de l’ordre du possible quand on est la petite fille de Kynes Carthag.

Kynes Carthag. Ce nom inspire le respect et la déférence dans les Territoires Sains. Mon grand père a démissionné il y a quelques temps de ses fonctions de gouverneur de la Mégalopole, à la demande du Commandant Suprême. Il fait maintenant partie des dix membres à vie du Conseil Suprême, et la rumeur porte sur ses chances de briguer le poste de Commandant Suprême lorsque l’actuel cessera ses fonctions, c’est-à-dire à son décès, pour l’instant aucun Commandant n’ayant encore été démis avant sa disparition.

Autant je cerne parfaitement la personne de ma grand mère, une écervelée ne vivant que pour ses soirées mondaines et le qu’en dira-t- on, autant je suis toujours réservée sur mon grand père. Je ne sais quoi penser de lui. Suite à la défection de Sirius, et à la disparition de ma mère, il a reporté tous ses espoirs sur moi. Sans jamais me le dire. Tient-il vraiment à sa petite-fille ou espère-t-il simplement que je tiendrais mon rang sans le décevoir comme ses enfants ? En tous les cas, je suis bien décidée à le rassurer sur ce point, afin de pouvoir décrocher un stage auprès des scientifiques du Centre.

Afin d’essayer de renforcer les liens affectifs, j’ai demandé à ma grand- mère si cela ne la dérange pas de me recevoir tous les week-ends, du moins tant que le rythme de travail au Collège me le permet. Je l’ai tout de suite rassurée en lui promettant de ne pas perturber ses obligations mondaines. Contre toute attente, elle semble plutôt enchantée. Cela lui fournira un nouveau sujet de conversation avec des amies.

J’attends dans la cour du Collège le chauffeur de mon grand-père. Une voiture à propulsion. Ce véhicule n’a plus de roues, mais se déplace à ras du sol. Encore une invention de Titan Industries. On est à des années lumières de ma province, avec nos bonnes vieilles jeeps.

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Le chauffeur sort du véhicule. Il se dirige vers moi pour prendre ma valise.

-  Bonjour mademoiselle Aura, me dit-il

-  Bonjour Simon. Merci de vous être déplacé pour venir me chercher

-  Je vous en prie. Je suis ravie de vous revoir. Madame et monsieur vont l’être également. Cela fait longtemps que vous n’êtes pas venue au Manoir.
J’ai seulement commencé à fréquenter mes grands parents lors de mon arrivée au Collège. Ma mère ne s’entendait pas avec eux, et après sa disparition, mon père hésitait à m’envoyer seule là-bas. Au final, c’est triste à reconnaitre, ce sont presque des inconnus pour moi. Mais les enjeux ont changé. Côtoyer mon grand père va m’aider à appréhender le fonctionnement des institutions du Commandement.
La circulation dans la Mégalopole est impressionnante. Il y a un monde entre cette ville gigantesque et notre bourg de campagne. Des buidlings partout, de plus en plus d’automobiles comme celle de Simon. Bientôt, me dit-il, les anciennes voitures seront désormais interdites. Les gens sont habillés bizarrement, des couleurs criardes, ça grouille de partout. Mon grand père habite bien entendu le quartier résidentiel, très calme, une propriété assez vaste pour contenir une aire d’atterrissage, statut oblige, dans les cas où on aurait urgemment besoin de sa présence. Les grilles de la propriété s’ouvrent pour nous laisser passer. Le Manoir. Oncle Sirius et ma mère ont passé leur enfance ici. J’ai du mal à les imaginer évoluant dans ce milieu. Le confort de la demeure de Sirius, contrastant avec son personnage, est au final une vieille survivance liée à son enfance.
Fait assez rare, ma grand mère m’attend en haut du perron. En général, c’est sa femme de chambre qui m’accompagne à mes appartements.

- Ma chérie, crie ma grand mère en me voyant. Comme tu nous as

manqué, à moi et ton grand père.
Grand mère en fait toujours trop, comme à son habitude. Elle m’embrasse et m’entraine dans l’immense salon, pendant qu’un domestique part déposer mon sac dans ma chambre.

- Viens prendre un rafraichissement avec moi, et grignoter quelques gâteaux, tu es toute maigrichonne. On ne mange toujours pas bien dans ce Collège. Je vais en toucher un mot à ton grand père.

Je souris. L’avantage de venir ici toutes les fins de semaines est de pouvoir se nourrir convenablement et prendre des réserves pour la semaine. Cela fera plaisir à Shirin de l’apprendre.

Ma grand-mère m’entraine dans son salon et je la laisse parler sans vraiment écouter. Tout à coup, le mot « irradié » me ramène à la réalité.

-  Tu disais, grand-mère ?

-  Tu n’as pas entendu sur le canal du Commandement ? Des irradiés
fomentaient un complot contre nous. Ils s’apprêtaient à entrer dans 76

le Centre scientifique du Commandement Suprême, lorsqu’on les a

attrapés.

-  Comment se fait-il que des irradiés parviennent jusque la
Mégalopole ? Il n’y a plus de contrôles ?

-  De moins en moins, et ces manants ont trouvé un système pour
passer à travers les patrouilles.
Ma grand-mère est l’exemple vivant du résultat de la propagande du Commandement. Personne ne s’est interrogé sur l’apparente inefficacité des soi-disants contrôles. Mais le Commandement se garde bien de répondre à cette question.
Ces personnes capturées cherchaient des choses précises si elles visaient le Centre. Avec ma position, j’ai de grandes chances d’être désormais la mieux placée pour reprendre cette mission avortée. Sirius avait-il connaissance de celle-ci? Peut-être que non, si le Réseau, comme Sirius nous l’a expliqué, s’arrange pour conserver l’anonymat des agents sur le terrain afin d’éviter toute dénonciation forcée en cas de capture de l’un des nôtres. Je prétexte un début de migraine et le souhait de me reposer un peu pour me retirer dans ma chambre. J’allume l’écran et j’appelle Askyn. Autant au Collège, je me méfie des conversations avec l’extérieur, autant dans la demeure de mon grand père, soutien indéfectible au régime en place, ce risque me semble minime. Pour autant, je ne veux pas contacter directement Sirius.
C’est le matin là-bas, mais Askyn doit être réveillé depuis longtemps.

-  Salut Princesse, me dit-il. Où es-tu ?

-  Chez mon grand père. As-tu regardé les informations ? Ma grand
mère m’a dit qu’une bande d’irradiés a essayé de pénétrer les
laboratoires du Commandement.
Askyn fronce les sourcils, puis se détend. Il a compris le sens de mon
langage.

-  Ah là là, vous n’avez pas de chance à la Mégalopole. Nous, ils se
contentent juste de nous voler des poules. Si tu veux, je peux aller demander à ton oncle ce qu’il en pense, et comment tu dois te protéger maintenant que tu es là-bas.

-  Merci Askyn. C’est bon de se sentir soutenu dans ces moments là. Il faut se serrer les coudes contre cette menace.

-  N’ai crainte, je m’en occupe. Je te tiens au courant. Embrasse ta grand mère chérie pour moi.
La dernière phrase d’Askyn est une blague entre nous. Ma grand mère a toujours vu d’un très mauvais œil ma relation avec Askyn. Elle a toujours rêvé pour moi un grand mariage avec un des petits fils de ses amies, soit très riche, soit très bien placé dans la hiérarchie du Commandement. Lorsque j’étais enfant, elle avait proposé à mon père de m’élever chez eux, le Manoir répondant mieux d’après elle à mon niveau social qu’un palais à un avant poste frontière au milieu de la poussière et des paysans. Heureusement pour moi, mon père a toujours refusé. Je soupçonne oncle Sirius d’avoir pesé d’un poids important dans ce refus.
* 77

**

Je me réveille en sursaut. Je me suis endormie sur le lit. Je regarde l’heure. C’est la fin de l’après-midi.
Mon ventre gargouille. Je décide d’aller faire un tour aux cuisines. Je descends et demande à la cuisinière si elle n’aurait pas quelque chose à me mettre sous la dent. Elle sourit, ouvre un grand frigo, et me dépose une grande assiette de viandes froides, en y ajoutant un saladier de tomates.

J’allais emporter le tout pour aller dans le salon lorsque j’entends un petit bruit sur le côté. L’arrière de la cuisine donne sur une petite véranda. Dans un fauteuil, se trouve une toute petite chose rabougrie. Rebecca. La vieille Rebecca. C’était une des gouvernantes du Manoir, qui a connu Shirin, puis ma mère et Sirius. Et Jessica, la mère d’Askyn. Elle doit avoir près de cent ans maintenant. Quand j’étais plus jeune, elle me faisait peur, avec ses petits doigts tous ridés et ses yeux bleus, avec un voile blanc, fixes devant elle. Maintenant, elle m’inspire surtout de la compassion. Mes grands parents l’ont toujours connue. Même si elle ne travaille plus depuis longtemps, elle vit depuis toujours au Manoir. Elle fait partie de la maison.

- Psst, petite Ilexia...Viens mon enfant.
La pauvre Rebecca me prend pour ma mère. Je m’approche d’elle et lui touche doucement l’épaule

-  Bonjour Rebecca, ce n’est pas Ilexia, c’est Aura.

-  Oui ma petite, je sais... Ilexia, ils me l’ont prise. Mais toi tu es là
maintenant. Tu lui ressembles tellement.
La pauvre femme. Elle ne voit plus rien. Autant ma mère était blonde que je suis auburn.

- Oui je sais ce que tu penses, mon poussin. Mais une ressemblance ne

se cantonne pas au seul physique. Tu es tellement semblable à elle

de l’intérieur.
Un frisson me parcourt l’échine. Rebecca a toujours eu une réputation étrange. J’ai parfois surpris des domestiques la traiter de vieille sorcière.
- Tu sais, je n’ai pas besoin de mes yeux pour lire dans les gens. Ton

oncle Sirius, il était tellement révolté. Il ne réfléchissait pas toujours aux conséquences de ses actes. Combien de fois je l’ai mis en garde. Mais toi, tu es différente.

Sa respiration se ralentit, on a l’impression qu’elle se concentre.
- Veux-tu bien me donner ta main ? Ça sera plus facile pour moi, je me

fais vieille maintenant.
Je regarde autour de moi afin de vérifier qu’il n’y a personne. Elle prend ma main et l’enserre de ses doigts tous tordus. Puis elle s’arrête de respirer, ses yeux se ferment. A mon grand soulagement, j’entends sa respiration reprendre doucement. Elle se met à parler, mais sa voix est presque inaudible, je dois me concentrer sur ses paroles.
- Tu vas prendre confiance, ne t’inquiètes pas. Tu as les ressources

nécessaires et la force suffisante pour mener à bien ce que ton oncle n’a pu faire à cause de sa fougue.

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Elle ouvre les yeux d’un coup. Cela me fait sursauter. Ses yeux fixent droit devant elle. Sa voix se fait un peu plus forte, plus ferme
- Suis ton instinct, même si cela te semble fou. Tu sens les gens,

comme moi.
Puis sa voix retombe, elle semble épuisée par l’effort.
- Ta pauvre mère, ma pauvre Ilexia. Elle t’a amenée avec elle... C’est

enfoui au plus profond de toi. Il faudra que tu apprennes à

l’accepter.
Elle se met alors à me serrer la main avec une force insoupçonnée dans ce vieux corps décharné.
- Moins tu lutteras contre cela, plus tu deviendras forte.
Je lui retire ma main précipitamment. Je ne comprends absolument rien à son délire. Je ne suis plus une enfant, mais au final elle me fait toujours aussi peur.
Je reprends mes assiettes sans demander mon reste et gagne le salon. A peine ai-je commencé à manger que ma grand- mère pénètre dans la pièce.
- Ah, tu es là ? Tu t’es bien reposée ? Bon, c’est bien je vois que tu

prends des forces. Je ne voudrais pas que ma petite fille ressemble à ces maigrichonnes qui ne s’alimentent plus pour ressembler à une gravure de mode.

Je lui parle de ma rencontre avec Rebecca, sans lui citer cependant les propos incohérents tenus à mon encontre.
- Ah oui, cette vieille sorcière ? Ton grand père n’a jamais voulu s’en

séparer, il a toujours dit qu’elle faisait partie des meubles. Moi je l’ai toujours trouvée particulière, et le personnel semble la craindre. Il paraît qu’elle perçoit des choses. Enfin je dois reconnaître qu’elle m’a été une fois très utile. J’avais perdu une de mes broches en diamant. Cela me perturbait. Et alors que je passais devant elle, elle m’a décrit l’endroit où se trouvait la broche. Ça fait des frissons dans le dos, n’est-ce-pas ? En attendant, ma broche était bien là.

Ces histoires me coupent un peu l’appétit. Je repose le morceau de poulet dans l’assiette.

-  Ma chérie, reprend ma grand-mère, nous sortons ce soir avec ton
grand père. Cela ne te dérange pas ?

-  Bien sur que non- Je pense même en moi-même : au contraire.

-  C’est parfait alors. Je dirais à Beth de te préparer à manger
Et elle quitte la pièce. Je décide de remonter dans ma chambre, je n’ai plus faim. Quand j’ouvre la porte, je sens que quelque chose n’est pas normal. Je me raisonne. Ça y est, je deviens comme la vieille Rebecca. Je balaie la pièce des yeux, et je vois un morceau de papier sur mon lit. Intriguée je le prends et l’ouvre. Une écriture fine.
« Si vous le pouvez, rendez vous à l’hippodrome. Il y a une nocturne ce soir, prenez cette excuse pour vos grands parents. Tribune C, place 14 »
* **

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Simon me dépose à l’hippodrome. Même si j’ai passé l’âge de demander la permission de sortir le soir, cette balade à l’hippodrome n’a pas étonné mes grands-parents. Ils connaissent ma passion pour les chevaux. De plus, l’hippodrome est un lieu très bien fréquenté, et il n’y a aucun danger pour une jeune fille de mon rang à y aller seule, comme le dit si bien grand mère. Je leur ai promis de rentrer tôt. Simon restera m’attendre à l’entrée.

Cela peut paraître contradictoire, mais les gens de la Mégalopole sont amateurs de chevaux. Peut-être l’absence de campagne et de nature ici. Il règne ici une rare effervescence. Chez nous, ce genre de manifestation n’existe pas. Mais là, tout paraît exacerbé. Dans cette ville énorme, les gens sont entassés les uns sur les autres, il leur faut surement un exutoire. Je n’ose imaginer cette population parquée dans des vaisseaux autour de la terre.

Je cherche des yeux la tribune et me dirige vers elle, trouve l’entrée, et parviens au fauteuil indiqué sur le papier. Je comprends pourquoi le mystérieux personnage m’a donné rendez-vous ici. Il règne un brouhaha intense, tout le monde crie, parle, s’agite. Aucun risque d’être repéré. La deuxième course vient de commencer. Je regarde autour de moi. A ma droite, un monsieur avec de l’embonpoint transpire et hurle le nom d’un cheval. A ma gauche, un jeune couple, la femme regarde le champ de courses avec des jumelles. J’attends. Une course, deux courses, dix courses. Je commence à fatiguer. J’aurais du parier, le temps m’aurait semblé moins long. J’ai faim maintenant. Je lève la main et claque des doigts. Une panière surmontée d’une espèce de mini montgolfière arrive vers moi. Je glisse une pièce, et la panière crache une boite de pop corn. C’est incroyable tous ces gadgets. Je grignote mon pop corn et regarde distraitement les chevaux quand je sens derrière moi une personne me toucher l’épaule, et me glisser à l’oreille : « Surtout ne vous retournez pas ». Je me fige. La voix me dit alors « Continuez de manger ». Je m’exécute, même si je brûle de me retourner. Je me concentre pour entendre ses paroles car le bruit est assourdissant.

- Vous êtes sans doute au courant que le Commandement Suprême met en place des manœuvres préventives d’évacuation, au cas ou une seconde éruption se produirait.

Je hoche la tête tout en continuant de manger mon pop corn.
- Nous voudrions savoir pourquoi une telle idée les a pris d’un coup. Nous n’excluons malheureusement pas une telle éventualité. Mais vu les conséquences d’une telle information, nous aimerions

trouver une réponse certaine à cette question.
La voix s’arrête, puis reprend :
- Nous avons tenté de pénétrer le Centre, nous avons échoué. Nous

vous demandons de creuser cette piste. Le niveau de vigilance risque d’être renforcé, suite à notre échec, mais concernera l’extérieur. Le Commandement ne se doute pas que nous avons un contact à l’intérieur. Pourriez-vous agir pour nous ?

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Je hoche la tête. La personne pose alors la main sur mon épaule, comme si elle voulait me transmettre quelque chose. Puis elle me dit : « Merci Aura ». Je sursaute ! Sirius nous avait bien expliqué que personne ne connaissait les véritables noms des uns et des autres dans le réseau. Moi c’est normalement Castor. Zut ! Si elle connaît mon nom, alors je peux bien me retourner. Mais c’est trop tard. Je me retrouve face à une dame obèse, en train, comme moi, de manger son pop-corn. Elle me sourit. Je me lève, quitte la tribune et jette le reste de pop corn dans une poubelle.

Je suis troublée. Je connais cette voix. J’en suis certaine. Mais impossible de mettre un nom ou une image dessus. De toutes les façons, inutile d’essayer de se concentrer ici, il y a trop de bruit.
Simon m’attend devant l’entrée de l’hippodrome. Je dois avoir une drôle de tête car il me demande si tout va bien. Durant le trajet, j’ai beau me creuser la tête, je n’arrive pas à reconnaître cette satanée voix.

Nous arrivons au Manoir. J’allais monter dans ma chambre lorsque j’aperçois de la lumière dans le bureau de mon grand-père. J’approche et je pousse doucement la porte. Il est à son bureau en train de travailler. Je toque. Il relève la tête, m’aperçoit, et me fait signe d’entrer. Je m’assois sur le fauteuils en face de lui.

-  Comment s’est passée ta soirée ? Y-a-t-il toujours autant de monde aux courses ? Cela fait bien longtemps que je n’y ai pas été.

-  Oui, cela m’a fait du bien et changé les idées. Le rythme est très soutenu au Collège.

-  Et j’imagine qu’avec les nouvelles modifications à votre programme, celui-ci a été alourdi.

-  Complètement. Justement grand père, je viens vous voir pour cela. Vous savez que nous devons effectuer un stage d’application prochainement, et après discussion avec monsieur Hennessy, il lui a semblé que j’avais le profil pour aller travailler au Centre.
Il me regarde, et lève un sourcil.

- C’est effectivement un choix judicieux. Je suis juste un peu étonné

par celui-ci. Ces postes sont en général réservés aux meilleurs élèves

du Collège.
Bien qu’au fond de moi je ne veille pas le reconnaître, sa remarque me vexe un peu.
- Rassurez-vous grand-père, d’ici quelques temps, je serai parmi les

meilleurs élèves. Ma convalescence m’a fait réfléchir sur beaucoup de choses. J’ai décidé qu’il était temps pour moi de grandir et de prendre ma vie en main.

Mais je ne lui dis pas dans quel sens. Au moins, je ne lui mens pas.
- Eh bien, j’en suis très heureux, Aura, me répond-il avec un sourire de satisfaction sur les lèvres. J’ai toujours su que tu avais toutes les capacités pour réussir, j’avais juste des doutes jusqu’à aujourd’hui sur ta volonté de les mettre en œuvre. Si tu es certaine de tes choix,

je t’aiderai à les mettre en action.
Je soupire de soulagement. Cela veut dire oui, je décrocherai mon stage. Maintenant, il ne me reste plus qu’à lui démontrer que je peux exceller

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dans toutes les matières jusqu’ici rebutées. Je me lève, remercie mon grand-père, et pars me coucher.

* **

Je n’ai jamais travaillé autant que pendant les presque six mois qui ont suivis la conversation avec mon grand père. Phoebe a semblé très étonnée au début lorsque j’ai décliné plusieurs fois son invitation à prendre un peu de bon temps dans l’immense centre de loisirs non loin du Collège, puis elle a arrêté de me le proposer. Si je veux changer ma réputation au sein du Collège, cela passe tout d’abord auprès de mes amis, afin de rendre cette hypothèse crédible.

Et cela fonctionne. On me regarde dorénavant d’une nouvelle façon. Un certain respect. Je me félicite chaque jour d’avoir choisi comme option le pilotage, et conservé le self défense. Ces deux cours me permettent de décompresser de toute la tension engendrée à avaler des tonnes de formules et d’exercices de mathématiques et de physique.

Les cours avec Peter Harrington sont passionnants. Les hélicoptères n’ont maintenant presque plus de secrets pour moi, et j’ai effectué avec lui plusieurs vols. Mon appréhension a complètement disparu. Il a commencé à nous instruire sur la navette. Il y a une partie intuitive au pilotage, et d’après notre séducteur, je suis apparemment doué dans ce domaine. Sa vie sentimentale est un sujet de conversation en boucle parmi les filles du Collège. Deux ou trois fois, j’ai bien senti sur lui une effluve de parfum féminin. Cependant, je ne me perds pas en conjecture, au grand désespoir de Phoebe, cherchant à se mettre sous la dent, pour égayer notre quotidien, quelques détails croustillants.

Quand au cours de self défense, il me permet d’entretenir ma forme physique et de progresser au tir.

Je suis tout à mon apprentissage pour en retirer le maximum le moment venu. Au final, je suis étonnée de voir à quelle vitesse j’ai réussi à m’astreindre à ce rythme. J’ai trouvé une aide inattendue en la personne de Markus. Lui aussi planche énormément, avec en visée le classement de sortie à la fin de l’année. Il a proposé de m’aider à réviser. J’ai hésité à dire oui, pour ne pas lui donner d’espoir inutile sur la reprise de notre relation, mais accepté au final pour me sentir moins seule. Il m’aide énormément à progresser. C’est un côté de Markus insoupçonné, il est très organisé et méthodique. Il est là pour me faire aller de l’avant quand le découragement me gagne au vu du travail à fournir. Même si de temps en temps, le Markus que je connais reprend le dessus, et me propose de quitter la salle de travail collective et d’aller réviser dans son appartement, ou me lance quelques invitations déguisées à renouer. Phoebe, toujours au courant des derniers potins, m’a confirmé qu’il était seul en ce moment, malgré certaines avances non déguisées de nos camarades de sexe féminin.

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C’est le dernier soir avant notre semaine de pause, et le début de notre stage. J’ai décroché mon année avec les félicitations du corps enseignant. Demain, je repars au Palais. Exceptionnellement, afin de fêter nos résultats, la direction du Collège nous a autorisé à sortir. Avec mes camarades, nous fêtons la fin de ce cycle dans les bars de la ville. Avant de rentrer me coucher, je veux remercier Markus. Sans lui, je n’aurais surement pas eu le courage et la force d’arriver jusqu’au bout, du moins de façon si brillante. Il m’a soutenu dans les moments de doutes, prenant alors sur son temps pour m’aider à réviser.

Il est tard, mais la salle de travail collective n’est pas encore vide. Cependant, pas de Markus. Il doit être dans son appartement. Je décide de m’y rendre malgré l’heure, s’il dort déjà, tant pis, je lui laisserai un petit mot. Mais la porte s’ouvre. Markus a l’air bien éveillé, il doit être en train de réviser.

-  Aura, que fais-tu à cette heure-là ?

-  Markus, je viens te dire au revoir. Je pars demain pour le Palais, et
j’ai réussi à négocier avec la direction pour aller habiter chez mes grands-parents pendant mon stage au Centre. On ne se reverra pas avant un moment.
Il me prend par la main et me fait entrer. Cela me fait bizarre de revenir ici. Ça me semble à la fois si loin et si proche, ce temps où nous étions ensemble. La table du salon est recouverte de livres et de feuilles.

-  Mon colocataire est de garde cette nuit au Centre, du coup j’en ai
profité pour travailler ici tranquillement et m’étaler un peu partout. C’est plus agréable que la salle de travail, me dit-il en désignant le feu qu’il a allumé dans la cheminée.

-  Excuses moi je ne voulais te déranger.

-  Tu ne me déranges pas, me répond-il. Ça me fera une pause et de
toute façon, il est tard, je ne pourrais plus rien apprendre à cette
heure-ci.
Il m’aide à retirer mon manteau et s’arrête pour me regarder.

-  Qu’y-a-t-il ? lui dis-je

-  Tu devrais plus souvent sortir pour fêter tes résultats, me répond-il
en me faisant assoir dans le canapé du salon et en prenant place à
côté de moi.

-  Ah, c’est ma tenue ? Phoebe avait décidé qu’il était hors de question
qu’on sorte habillées avec notre uniforme, j’ai donc du fouiller au fond de mon placard pour trouver une tenue un peu différente, et je suis tombée sur cette vieille robe. Le maquillage, c’est l’œuvre de Phoebe, ce n’est pas dans mes cordes. Tu sais, dis-je en lui souriant, dans ma province, on est tous un peu paysan par rapport à ceux de la Mégalopole.

-  La jeune-fille de province me convient parfaitement, me sourit-il, ses yeux si verts parcourant mon corps.

-  Markus, arrêtes de me taquiner. Je suis là pour te remercier. Sans toi, je n’aurais jamais si bien réussi, et surement pas décroché ce stage au Centre.

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- Ne me remercie pas. Je l’ai aussi fait pour moi, me répond-il en me prenant la main et en entrelaçant ses doigts avec les miens. C’était une façon bien agréable de réviser.

Pour la première fois depuis longtemps, je laisse tomber ma garde. La soirée arrosée n’y est surement pas pour rien, et la fin de l’incertitude sur mes résultats et l’obtention de ce maudit stage pour beaucoup. Je peux enfin me détendre. Je ne repousse pas Markus et me laisse aller dans le canapé en fermant les yeux et soupirant d’aise. Il se méprend sur mon attitude et y voit sans doute un encouragement, car il s’approche près de moi et ses lèvres se posent dans mon cou.

-  Markus, dis-je les yeux toujours fermés, je ne suis pas sure que ça soit une bonne idée.

-  Aura, arrêtes de toujours réfléchir et profite du moment présent sans te poser de questions métaphysiques sur le futur. Nous sommes jeunes tous les deux, si nous n’en profitons pas maintenant, on ne le fera jamais.
Il a peut-être raison. Je peux bien m’accorder une pause et suivre mes envies après ces six mois de travail acharnés. Markus laisse ses lèvres errer sur mon front, mon nez et atteindre les miennes. Voyant que je ne le repousse pas, il m’embrasse doucement, puis de plus en plus profondément. Difficile de ne pas réagir à cet appel, et je réponds à son baiser en passant mes mains derrière son cou. Il fait alors basculer mon corps sur le canapé, et en prenant son temps, déboutonne ma robe et la fait glisser au sol.

- Bébé, tu m’as manqué, me murmure-t-il à l’oreille.
Pour toute réponse, je passe mes mains sous son tee-shirt. Il s’écarte de moi pour le retirer, puis vient coller sa peau contre la mienne. Il s’empare à nouveau de mes lèvres, tandis que je laisse courir mes mains sur son dos. Il me regarde de ses yeux verts, puis se relève, et me soulève dans ses bras pour m’amener jusque dans sa chambre en fermant la porte de celle-ci d’un coup de pied.

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