Chapitre 7

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Je me réveille dans ma chambre. Pas celle du Palais, mais celle du Collège.

Lors du retour de notre folle journée de l’autre côté du bouclier, nous avons eu la désagréable surprise de constater que le Commandement Suprême avait mis ses menaces à exécution. La province passait sous tutelle au niveau sécurité. Mon père conserve cependant toutes ses autres attributions. Du moins pour l’instant.

Avant de repartir pour le Collège le lendemain, j’ai tout juste le temps d’embrasser Askyn et lui demande d’être prudent. «Ne t’inquiètes pas », m’a-t-il répondu en me serrant dans ses bras. Shirin a essuyé une petite larme, et me remet un panier rempli de victuailles, au cas où le Collège ne me nourrirait pas suffisamment.

La question de la deuxième tempête semble être devenu un sujet tabou pour mon père. Sans aucun doute, le recensement de la population s’effectuera sous contrôle des militaires dépêchés par le Commandement Suprême. Mon père m’a embrassé en me conseillant d’être assidue et de rattraper tous les enseignements manqués.

Et me voici dans ce maudit Collège. Cependant, je suis impatiente de regagner ma classe. Je dois absolument rapporter une preuve de la seconde tempête, que j’ai baptisée Storm II, avant d’alerter Sirius. Sans certitude de l’information, je ne peux la diffuser, les retombées seraient trop graves.

On frappe doucement à ma porte.
- Aura, tu es réveillée ?
C’est Phoebe. Nous partageons le même appartement. C’est le privilège d’être dans les deux dernières années du Collège. Les « petits » sont en dortoirs, mais avec l’âge, nos supérieurs nous accordent la possibilité d’une intimité minimale. Cela se traduit par le privilège de partager un espace constitué de deux chambres, d’un salon et d’une salle de bain commune. En revanche, tous les repas, petits déjeuners inclus, sont pris au réfectoire.

Phoebe a été ravie de m’accueillir hier soir à mon retour. Le temps lui a semblé long, seule. Nous nous sommes trouvées naturellement toutes les deux à notre arrivée au Collège, partageant certains points communs : une mère disparue très tôt, un parent très bien placé dans la hiérarchie. Nous sommes également moins nombreuses, le sexe masculin étant préférentiellement envoyé ici pour leur éducation. Nous, nous étions filles uniques, la question de fréquenter ou non le Collège ne s’est donc pas posée.

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-  As-tu bien dormi ? me demande Phoebe. C’est toujours un peu difficile de se réadapter, et comme tu as été absente un moment.

-  Ça a été au final, lui dis-je en me redressant sur mes oreillers. Mieux que je ne l’aurais imaginé. Alors quelles nouvelles ?

-  Rien de particulier. Feyd me paraît toujours aussi antipathique, et je ne comprends toujours pas pourquoi certaines de nos camarades sont folles de lui. L’aura de son père Balthus en fait surement un beau parti. Quant au pauvre Halleck, il n’arrête pas de clamer depuis la rentrée que le carnet de commande de son père est plein.
C’est donc vrai. Le Commandement Suprême a bien accéléré la construction de vaisseaux auprès de Titan Industries. A l’origine familiale, la petite société du père d’Halleck est devenue une firme sans égale. Storm II ne fera pas que des malheureux.

-  Quoi d’autre ?

-  Cette année, les enseignants ont mis le paquet sur la gestion dans
tous les sens du terme : gestion de crise, gestion de la population, gestion des stocks, gestion des différents corps de métiers. On a tous plaisanté en apprenant le programme, et certains l’ont même nommé « le grand déménagement ».
Pauvre Phoebe, elle ne croit pas si bien dire.

- Et la grande surprise, la raison de l’attitude d’Halleck. Seules nos

deux dernières années sont concernées, et on nous a demandé de tenir le secret. Titan Industries inaugure prochainement un immense vaisseau amiral, sur lequel, paraît-il, il sera possible de vivre. Ce vaisseau aura pour mission d’effectuer des expériences contre les radiations, de tester notre capacité de survie au sein de telles structures, au cas, nous a-t-on dit, où une autre tempête viendrait balayer la terre. Pour une fois, je partage leur point de vue. Vu l’activité imprévisible du soleil, il est peut-être possible qu’un jour, nos enfants ou nos petits-enfants soient confrontés à un nouveau cataclysme de ce type. Au moins cette fois-ci, nous serons prêts. Du coup, continue-t-elle, nous allons partir en entrainement là-haut deux mois, et nous devrons choisir chacun une spécialité à bord du navire. C’est excitant, tu ne trouves pas ? me dit-elle en me souriant, les yeux pétillants d’impatience. Pour une fois qu’on peut quitter cet endroit !

Un frisson me parcourt le dos. Balthus a donc dit vrai. Il existe un réel risque de deuxième tempête, et nos supérieurs nous préparent à gérer la catastrophe. Juste au moment où les Territoires Irradiés s’apprêtent enfin à se relever de Storm. L’ordre de la Nature est parfois trop injuste.

* **

Si j’ai la certitude que la Aura en train de déjeuner n’est plus celle qui fréquentait le Collège avant les vacances, on ne peut dire la même chose de mes camarades, ou même de l’environnement. Rien n’a changé

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depuis mon départ. La nourriture n’est toujours pas fameuse, Feyd est toujours entouré de ses groupies, et la plupart des mes camarades ne parlent que des derniers potins en lien avec le Commandement. Malheureusement pour moi, la dernière actualité est celle du déploiement des troupes du Commandement chez mon père, afin d’assurer la sécurité de la région face à la soi-disante rébellion. Plusieurs étudiants se donnent des coups de coude en me regardant et ricanant. Intérieurement, je bouillonne. Phoebe s’en rend compte et me lance un regard disant : « N’y prête pas attention, sinon tu feras leur jeu ».

Heureusement, j’ai trouvé un allié en la personne de Markus, puisque son père, bras droit du mien, est aussi visé. Il est intervenu plusieurs fois auprès de certains, dont Feyd, en leur demandant s’ils avaient des commentaires à faire à voix haute. Markus est en dernière année, et en impose auprès de ceux de ma promotion. Malgré son allure de beau garçon, il possède une autorité naturelle, peut-être du à sa taille, la seule chose, dieu merci pour lui, qu’il semble avoir hérité de son père Altris. Depuis, les railleries, du moins au grand jour, ont cessé, et Markus m’a fait promettre de le prévenir si on m’ennuyait de nouveau. « La porte de ma chambre est toujours ouverte pour toi, Aura », m’a-t-il dit en me caressant la joue, et sur un ton auquel il m’est difficile de résister. Mais il m’a trop fait souffrir, je ne tiens pas à revivre cet enfer. Même si l’envie ne m’en manque pas, surtout lorsque je me sens seule.

Comme je me l’étais promis, je suis inscrite aux cours de pilotage. Et également aux cours optionnels de combat. Nous avons dans notre cursus un minimum obligatoire d’instruction dans ce domaine, mais ce cours n’est prisé ni des filles, ni des scientifiques. Sans doute vais-je me retrouver avec les plus ignares et ineptes de ma promotion, mais cet enseignement me sauvera peut-être un jour la vie au vu des évènements futurs. Et cela ne m’a jamais déplu de transpirer de cette façon là, c’est une façon de décharger le trop plein d’énergie accumulé ici, sans pouvoir l’évacuer autrement.

Pour l’instant, je subis les cours classiques de sciences. J’ai du mal à me concentrer, et j’envie Adam et Tiffany de ne pas avoir à supporter ces cours théoriques sans intérêt pratique.

A la fin du cours, monsieur Hennesy m’attrape et me retient en classe.

-  Comment allez-vous Aura ?

-  Très bien monsieur - Et anticipant sa remarque - il me faut juste un
peu de temps pour me remettre dans le bain, c’est un peu difficile
après cette grande coupure.

-  Vous savez, jeune Aura, les cours de sciences pourront vous être un
jour utiles, afin de comprendre certains mécanismes. Après j’entends bien que sans application pratique, cela est parfois un peu abstrait et même agaçant pour vous. Mais c’est peut-être grâce à la science que nous trouverons un jour la solution aux problèmes des

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éruptions capricieuses de notre maudit soleil, du moins pour nous

en protéger de façon définitive.
C’est un peu idiot de ma part, mais je n’avais jusqu’alors jamais envisagé les cours de monsieur Hennesy sous cet aspect.
- Et comment se porte mon ex-étudiant le plus doué en cette

matière ? continue-t-il
- Oncle Sirius est toujours égal à lui-même.
Monsieur Hennessy sourit, et me demande de le saluer de sa part lorsque je le reverrais.

Je sors et je cours rattraper Phoebe au réfectoire pour déjeuner.

-  Que te voulait-il, me demande-t-elle ?

-  Oh, juste me remonter gentiment les bretelles et me demander des
nouvelles de mon oncle. Cela se voyait donc tellement que j’étais
ailleurs ?
Phoebe n’a pas le temps de me répondre. Dans la queue, se place derrière moi Feyd et son groupe d’écervelées.

- Mais qu’avons-nous devant nous ? Mademoiselle Ix ! Moi qui pensais

qu’elle n’oserait plus apparaître devant nous face à l’humiliation infligée à son père, incapable de faire face à quelques pauvres ères venus voler trois poules dans la basse cour du Palais...

Les quatre filles se mettent à rire.
Je me retourne et lui réponds :
- Mais n’est-ce pas ce coq de Feyd, avec sa basse cour et ses poules

glousseuses ?
Les rires cessent instantanément. Phoebe me tire par la manche, en me murmurant « Arrêtes, ça ne sert à rien ». Feyd devient tout rouge. Il s’approche de moi.
- Méfies-toi, Aura, quand ton père sera tombé, tu ne seras plus rien.
Je le toise, m’approche de son oreille et lui susurre :
- Veux-tu que j’entretienne mon grand père des menaces proférées à

mon encontre par le fils de Balthus ?
Mettre en avant ma lignée familiale m’est insupportable, mais avec ce type de personne, c’est la seule solution. Il recule et me dit :
- Tu ne perds rien pour attendre. Mais on se retrouvera.
Avec mon plus charmant sourire, je lui sors :
- Mais avec plaisir, ô grand Feyd !
Ce n’est pas fair play de ma part, mais j’ai touché un de ses points sensibles. Si Feyd est un beau jeune homme, en revanche, il n’est pas très grand. Il serre les poings, mais se retient et part, suivi de sa troupe. Je tremble. Phoebe m’entraine hors de la queue et m’emmène dehors. Elle me raisonne.

-  Aura, tu sais bien que cela ne sert à rien de répondre à ce type de
provocation. Il t’a toujours jalousé, et continuera de le faire tant que
vous serez dans la même promotion, et même après.

-  Je sais, tu as raison. Mais c’est plus fort que moi, je n’arrive pas à me
contrôler.

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- Ecoutes, si tu veux le rendre ridicule, rends toi irréprochable ici. Deviens une élève modèle, tu en as largement les capacités, et il n’osera plus t’ennuyer.

Phoebe a mille fois raisons. M’abrutir par le travail me permettrait de ne plus penser. Et qui sait si monsieur Hennessy et Sirius ont raison, au final les cours me seront peut-être un jour d’une quelconque utilité. J’envoie Phoebe déjeuner seule, les provocations de Feyd m’ont coupé l’appétit.

Même si mon premier cours n’a lieu que dans une heure, je me rends sur le terrain d’aviation. Les hélicoptères sont alignés sur le terrain. J’en approche un, le touche de la main et ferme les yeux. Comme si je voulais conjurer le sort. Mais rien ne se passe.

Je pousse la grande porte du hangar le plus discrètement possible et la referme aussitôt derrière moi. Il n’y a personne, tout le monde est parti déjeuner. Je cligne des yeux pour m’habituer à l’obscurité. Devant moi, se dresse un avion d’un nouveau type inconnu. Ou plutôt un vaisseau. L’inscription sur le côté me conforte dans cette impression. Titan Industries. Ce doit être un des vaisseaux destiné à ravitailler l’énorme vaisseau amiral, dans lequel nous allons bientôt passer deux mois. Les choses ont été très vite. Cet appareil est très beau.

- Hep jeune-fille !
Je fais un bond énorme et me cogne contre la personne qui vient de me toucher l’épaule.
- Eh bien, quelle émotivité !
Je lève les yeux et me retrouve face à un homme d’une trentaine d’années aux yeux bleus, le teint bronzé, les cheveux bruns. Il porte une chemise blanche, une veste d’aviateur, lunettes de soleil sur la tête. Surement un pilote.

-  Qui êtes-vous ? lui dis-je

-  Je vous retourne la question, jeune demoiselle. Vous savez qu’il est
formellement interdit d’entrer ici sans autorisation ?

-  Je suis désolée, je ne savais pas. J’ai cours dans une heure, et comme j’avais du temps à tuer, j’ai voulu voir à quoi ressemblait ce qu’on va
apprendre à piloter. Il sourit et se détend.

-  Et alors ? Quelle est votre impression ?

-  C’est magnifique !

-  N’est-ce pas ? Juste dommage que cela aille engraisser ces voyous de
Titan Industries.
Je le regarde avec étonnement. Il est rare de voir une personne parler aussi librement dans l’enceinte du Collège. C’est sans doute un pilote n’ayant pas l’habitude de côtoyer les élèves. Il a l’air plutôt sympathique.

-  Vous savez que le fils de Titan fréquente le Collège ?

-  Oui je sais. Un dénommé Halleck. Si le père est à l’image du fils,
impensable qu’une telle personne ait pu créer des beautés pareilles, en me désignant l’appareil.

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J’acquiesce en silence.
- Vous voulez visiter l’intérieur ?
Je le regarde en ouvrant de grands yeux.
- Mais oui, c’est possible, dit-il avec un petit rire. Suivez-moi.
Il appuie sur un bouton placé sur le côté de l’engin. Le ventre de l’appareil s’ouvre et fait descendre une passerelle.
- Je vous en prie
C’est magnifique. Des écrans tapissent les parois, les deux fauteuils de pilotage sont spacieux.

-  Je peux m’asseoir ?

-  Allez-y, c’est fait pour cela.
Je prends place dans le fauteuil de gauche et prends les manettes en main. Piloter doit avoir un côté grisant. Je ferme les yeux et demande :
- J’imagine qu’être à la manœuvre sur un tel appareil est une
sensation plus qu’agréable ?

- Jouissif, plutôt.
Ce pilote possède un vocabulaire un peu cavalier. Mais ça me plait. Après l’altercation de tout à l’heure avec Feyd, cet épisode est le bienvenu.
- Et ces vaisseaux peuvent voler dans l’espace, bien sur, mais

également dans l’atmosphère ?
- Parfaitement, Miss. Et ils résistent parfaitement aux radiations, au

cas où ils se trouveraient sur le chemin des ondes. Je me redresse.

-  Titan Industries a trouvé un moyen de protéger des objets des
radiations ?

-  Je ne suis pas scientifique, la belle, mais apparemment oui.
Il me semble soudain entendre des voix à l’extérieur. Mon cours !

- Je suis désolée, mais je dois vous quitter, ici on se fait renvoyer

quand on arrive en retard en cours. Les professeurs sont de vrais tyrans. Merci beaucoup pour cette visite, réellement, et enchantée d’avoir fait votre connaissance. A peut-être une prochaine fois !

Et je m’enfuis en courant.

Je regagne le groupe. Ils sont déjà alignés en ordre. Nous attendons. Je jette un œil sur mes camarades. Halleck fait partie du groupe. Pas de chance. Mais c’était prévisible. Expliquer à ses camarades que les beautés de technologies, objets de notre enseignement d’aujourd’hui, sont sorties tout droit des usines de son père, il ne va pas manquer pareille occasion de parader. Et celle-ci est très belle !

La porte du hangar s’ouvre. Mon pilote apparaît. J’entends un de mes camarades dire : « Ca y est, enfin, le voilà ! ».
Mon pilote est en fait mon nouvel instructeur.

* **

Je suis à mon bureau en train de plancher sur l’exercice donné par monsieur Hennesy. Phoebe a raison. Je vais me lancer dans les études,

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le temps me semblera plus court et ainsi je pourrais me fondre dans la masse. Cela pourrait surtout me permettre de glaner le plus d’informations possibles pour le Réseau si mes résultats me permettent de décrocher un stage dans un lieu stratégique du Commandement.

Le Commandement Suprême a été brillant dans sa propagande auprès du public. En annonçant de nouvelles mesures, dont les cours intégrés à notre formation, et en les présentant comme une assurance contre toute nouvelle éruption solaire, il accroit sa popularité. Il sera plébiscité comme le sauveur des Territoires Sains, lorsque l’éruption surviendra. La société civile ayant été sensibilisée auparavant, il n’y aura pas de vagues de panique à cette annonce.

Qui est au courant de la réalité de cette information au Collège ? Le Directeur ? Les enseignants ? Jusqu’à quel niveau de hiérarchie et d’information ?

Je suis interrompue dans le cheminement de mes pensées par Phoebe entrant dans l’appartement. Elle s’affale dans un de nos deux fauteuils.
- Déjà rentrée ? Comment était le cours de pilotage ? J’ai entendu dire

que le professeur est loin du stéréotype du vieux grincheux acariâtre qu’on a l’habitude d’avoir ici, et que certaines d’entre nous se sont inscrites au cours en s’étant découverte une subite passion pour le pilotage.

Je préfère passer sous silence mon attitude ridicule dans le hangar.

-  Effectivement. Ceux du groupe m’ont expliqué qu’il a remplacé au pied levé l’ancien responsable, trop vieux face à cet afflux de nouvelle technologie, et comme Peter est, paraît-il, le pilote le plus doué de sa génération, et que la direction souhaite que nous devenions ses meilleurs pilotes, ils ont pris la décision de faire appel
à lui. Malgré son côté un peu - je cherche mes mots - trop cool.

-  Peter ? me dit Phoebe en souriant. C’est son petit nom ?
Je rougis malgré moi et je m’en veux. Je fais mine de replonger dans mes cours.

- Oui, il nous a demandé de l’appeler comme ça, que si on lui donnait

du Monsieur Harrington, il aurait l’impression d’être notre père. Phoebe se met à rire, de son rire cristallin.
- Oui, et c’est sur que ça en gênerait surement certaines. Ou alors lui.

Je change volontairement de sujet et demande à Phoebe son opinion sur la préparation à une éventuelle éruption solaire. Elle s’étonne que personne n’y ait pensé avant. Mais qui pourrait savoir ici si une telle éventualité est envisageable ? Sans aucun doute, d’après elle, monsieur Hennesy. C’est un passionné des cycles solaires. C’est vrai, je l’avais oublié. Je décide de passer le voir avant mon cours de self-défense.

*
**
Les couloirs du Collège sont vides. Les étudiants sont en cours ou en révision. Les deux dernières années sont cruciales. Nous serons classés,

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et en fonction de notre rang, à nous les hautes fonctions ou le dépérissement au fin fond d’un territoire. Et difficile d’avoir des passes droits à ce niveau là, les parents étant vigilants à ce que leur progéniture ne soit pas lésée par le fils ou la fille d’un puissant haut placé.

L’ascension sociale par le sang a ses limites. Jusqu’au Collège, c’est le choix fait par notre société, car le Collège n’est ouvert qu’aux enfants de dirigeants. Après, à ces derniers de faire leurs preuves. Le pouvoir Suprême n’est pas stupide au point de se voir diriger par des incompétents. Tous les élèves du Collège travaillent, et énormément les deux dernières années. C’est pourquoi les cours optionnels de mon choix cette année, pilotage et self défense, sont peu prisés, car ils rapportent peu de points. Cependant, pour le pilotage, les choses risquent d’évoluer rapidement. Si nous devons prendre en charge le déplacement des populations, ces personnes formées seront à la tête de l’organisation. De façon stratégique, certains ont opté au final pour cette matière, qui ne se limitera dorénavant plus au seul apprentissage du pilotage d’un hélicoptère comme cela avait pu être les cas les années précédentes.

Je frappe à la porte du cours de sciences. J’espère que monsieur Hennesy est encore là. J’allais repartir, quand la porte s’ouvre.

-  Aura ?

-  Monsieur Hennessy ? Je peux discuter quelques minutes avec vous ?

-  Mais bien sur, entrez.
Cela fait bizarre de me retrouver dans la salle de cours vide. Au fond de la salle, des écrans recouverts d’algorithmes en mouvement.

-  Qu’est-ce qui vous amène Aura ? Vous avez réfléchi à ce que je vous
ai dit ce matin ?

-  Oui effectivement, monsieur Hennesy. Il y a eu pas mal de
changement ici depuis mon départ. Notamment la question de nous préparer à une possible éruption solaire. J’avoue que, contrairement à mes camarades, cela m’effraie un peu. Ils me donnent tous l’impression de prendre ça à la légère, mais moi je trouve étrange que le Commandement Suprême bouleverse notre formation pour quelque chose de futile. Vous qui êtes passionné par le sujet, vous savez peut-être des choses qu’on ne nous dit pas ?
Monsieur Hennesy ne dit rien, mais fait le tour de son bureau. Il se place devant les écrans.

- Vous savez Aura, j’attends depuis deux mois cette question. Vous

êtes la première et la seule à me la poser. Peut-être parce qu’absente, vous avez eu l’information brute, et sans la présentation faite par le Commandement, plutôt rassurante.

Il me désigne les écrans.
- L’activité du soleil est cyclique. Un jour, celui-ci finira par exploser

et détruira toutes les planètes autour de lui. Il faut juste espérer que ce jour-là, nous aurons colonisé d’autres lieux. Mais pour l’instant, disons que c’est un avant goût de notre futur dans quelques millions d’années. Vous voyez ces algorithmes ? me dit-il en me désignant les

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écrans. Ils mesurent en direct l’activité du soleil. Et les ordinateurs comparent ces algorithmes à ceux enregistrés ces dernières centaines d’années.

- Et que disent ces algorithmes ? Il soupire.

-  C’est bien là le problème. Les seuls enregistrements intéressants,
c’est-à-dire ceux datant d’il y a 150 ans, ont été mis au secret par le Commandement Suprême. Seuls leurs scientifiques y ont accès. Tout ce que je peux faire, c’est programmer mes ordinateurs pour simuler la tempête, mais je n’ai pas accès aux données réelles, les seules viables.

-  Mais la volonté du Commandement de nous former pour parer à une telle éventualité ? N’est-ce pas reconnaitre l’imminence d’une prochaine éruption solaire ?

-  Pas obligatoirement. En soi l’initiative du Commandement doit être saluée, car ils préparent l’avenir. Plus nous serons préparés tôt, mieux cela sera.

-  Si je comprends mieux, la seule façon de savoir si une tempête se prépare, et sa date, c’est donc de récupérer les données de Storm, conservées précieusement par le Commandement. C’est bien ça ?
Monsieur Hennessy hoche la tête.

- Tout à fait ! Après, pour le calcul de la date exacte de l’évènement, ce

n’est pas du 100% à coup sur. Le soleil est parfois capricieux, le sursaut attendu peut mettre plus de temps à se produire, ou inversement. Après c’est juste une question de quelques mois. Mais guère plus.

Sans tenter d’éveiller les soupçons, j’essaie d’aller plus loin.
- Et ces données ? Je les imagine extrêmement bien protégées ? Monsieur Hennessy réfléchit avant de répondre :
- Finalement, je n’en suis pas si sur que cela. Leurs scientifiques en

ont besoin pour travailler, un certain nombre de personnes doivent y avoir accès. Des stagiaires peuvent travailler dessus, sans connaitre la nature réelle des travaux. Certains de nos étudiants l’ont sans doute fait à leur insu.

Il me regarde, puis :
- Si vous vous concentriez davantage pendant mes cours, peut-être

auriez-vous une chance de postuler là-bas pour votre stage d’étude -

mais il soupire - malheureusement, ce n’est pas le cas. Le message est bien passé. Merci Monsieur Hennessy.

-  Monsieur Hennessy, j’ai une dernière question. Si effectivement, il
advient une deuxième tempête, que va-t-il advenir des gens en zone
irradiée ?

-  Ça mon petit, je n’ai malheureusement pas la réponse à cette
question. Seul les anciens Dieux le savent !
* **

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J’arrive essoufflée au cours de self-défense. Je suis restée plus longtemps que prévu avec monsieur Hennessy. J’avance cette excuse auprès de Kent Russel.
- Aucun souci, mademoiselle Ix. Mais vous me ferez trente pompes de

plus à l’échauffement.
Je m’en tire bien, il aurait pu tout simplement me renvoyer. Je remercie intérieurement Askyn de m’avoir trainée les derniers jours au Palais à la salle de sport avec lui.

Mes camarades débutent l’entrainement avec notre instructeur. A mon grand déplaisir, Feyd est toujours présent. Je le soupçonne de fréquenter celui-ci juste pour épater les filles du Collège. Feyd est peut- être un être désagréable et prétentieux, mais il est loin d’être stupide. Il est plutôt assidu en cours, et se débrouille très bien en combat. D’ailleurs, monsieur Russel est en train de le complimenter

- Très bien Feyd. Tu as parfaitement assimilé la séance précédente.
Le cours de combat est plus large que son intitulé. Nous apprenons certes à nous défendre, mais c’est également un apprentissage au maniement des armes. Armes à laser, mais également armes blanches. C’est un souhait de notre enseignant, car rien ne vaut parfois, selon lui, les bonnes vieilles méthodes. Je n’ai jamais regretté ce choix de cours. Ma seule contrariété, c’est la présence de Feyd, et son niveau très correct dans cet exercice.
- C’est bon Aura, venez nous rejoindre, me crie Kent.

Deux personnes du groupe se font face, Kent au milieu d’eux. Le but du jeu est de toucher le mur côté adversaire, sous l’angle offensif, ou sous l’angle défensif, d’empêcher l’ennemi d’atteindre le mur derrière soi. Une bonne cinquantaine de mètres séparent les deux murs. Cet exercice nécessite deux choses : savoir se défendre pour empêcher l’autre de passer, puis la vitesse pour atteindre le mur en face. Je suis douée en vitesse. Pour le combat, tout dépend de la personne en face de moi. Nous possédons un temps limité, et le gagnant est celui le plus proche du mur adverse.

En général, l’ambiance est plutôt bon enfant. C’est le souhait de notre enseignant, pour lui nous sommes avant tout des camarades. D’une façon générale, la consigne est bien respectée. Monsieur Russel a déjà renvoyé plusieurs étudiants jugés trop violents. Nous sommes ici pour apprendre à nous défendre, et non à attaquer.

Kevin et Laura se font face à face pour le premier défi. Ils ont choisi la canne, longue tige de bambou. Ils tournent l’un autour de l’autre, autour d’un cercle imaginaire, prêt à bondir au premier mouvement de l’adversaire. Kevin ouvre les hostilités et met un pas dans ce cercle. Laura se précipite sur lui, mais Kevin a prévu cette action, il retire de suite sa jambe et déséquilibre Laura en faisant un volte face et en lui plaquant la tige derrière ses épaules. Elle s’étale face la première contre terre. Kevin la laisse ainsi et va toucher le mur en trottinant tranquillement. Tout le monde applaudit. Notre instructeur aide Laura à

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se relever, et Kevin revient lui taper dans la main en souriant. A charge de revanche, lui dit-elle.

- A qui le tour ? demande Kent
Feyd s’avance au milieu.
- Très bien, dit Kent. Qui choisis-tu ?
La tradition est la suivante : une personne se porte volontaire, puis désigne un adversaire. En revanche, la personne désignée choisit l’arme.
Feyd balaie des yeux le groupe, puis s’arrête sur moi.
- Aura
Kent me regarde
- Aura, tu as été absente longtemps. C’est d’accord pour toi ?
Un petit sourire narquois point sur le visage de Feyd. Je rougis, vexée de la question.

-  Bien sur, je me suis entrainée tout ce temps.

-  Avec les poules, murmure Feyd
Des gloussements se font entendre, faisant monter en moi une pulsion agressive. Je me place en face de Feyd.

- Aura, avec quoi veux-tu combattre ?
Je réfléchis. Avec Askyn, à l’entrainement, nous avons surtout combattu à mains nues.

-  Avec rien, dis-je, en me plaçant et en essayant de me concentrer le
plus rapidement possible.

-  Parfait, nous dit Kent. Allez-y !
Nous tournons autour du cercle imaginaire. Feyd attend ma réaction et ne tentera rien de lui-même. Le chrono tourne. Je tente le tout pour le tout, je me mets à courir vers le mur. Ma tactique fonctionne, Feyd s’élance à ma poursuite. Je me retourne alors face à lui, je l’accroche et l’entraine sur le sol au dessus de moi. Avec l’élan, je le projette avec mes jambes et il atterrit sur le dos, le souffle coupé. Je me relève et cours le plus vite possible vers le mur. Touché ! Le sprint m’a noué l’estomac, j’ai des hauts le cœur.
J’entends les vivas de mes camarades. Je me retourne et vois Feyd avec Kent. Feyd me foudroie du regard. Je marche vers lui et lui tends la main. Il a une seconde d’hésitation, mais devant tout le monde il n’a pas le choix. Il me prend la main et me la broie. Je lui rends un grand sourire, malgré la douleur.
La fin du cours se déroule plus tranquillement. Kent nous laisse choisir un atelier. J’opte pour du statique et le lancer de couteau. A notre époque, cet outil semble ancestral, mais je l’ai toujours bien aimé. La concentration liée à cet exercice m’apaise. Kevin à côté de moi me glisse « Tu l’as bien mouché, Feyd. Ça fait du bien que de temps en temps, quelqu’un le remette à sa place ».
Je suis vidée. Les crampes d’estomac me rappellent mon impasse sur le déjeuner du midi. La douche dans le vestiaire me réveille un peu. Je retrouve Phoebe au réfectoire, Kevin et Laura se joignent à nous pour

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diner. Ils racontent en riant à Phoebe comment j’ai battu Feyd à plate couture à la course. Phoebe me fait les gros yeux, mais je lui explique son choix délibéré de m’avoir choisie comme adversaire. Je m’en serais d’ailleurs bien passé.

* **

Nous repartons vers nos quartiers, lorsque j’entends crier mon prénom. Je me retourne et Markus nous rejoint. Phoebe s’excuse avec un petit sourire en coin. Markus me propose de l’accompagner en ville car il voudrait me parler. Je suis sur le point de décliner son invitation lorsqu’il me confie que cela concerne ma province. Seules les dernières années ont le droit de sortir à l’extérieur. Markus me prend par la taille au moment de quitter l’enceinte du Collège et explique au gardien qu’il me chaperonne en lui faisant un clin d’œil rempli de sous entendus.

Une fois dehors, il me demande si je souhaite aller dans un endroit particulier. Mes camarades profitent de ces sorties nocturnes pour fréquenter les bars de la Mégalopole, mais le contact avec la nature me manque. J’opte pour le parc du Millénaire. Markus sourit en me disant qu’il n’aurait jamais osé me proposer une sortie aussi romantique pour regarder le soleil couchant sur le lac. Je ne relève pas, je suis fatiguée après la journée passée. Nous nous installons sur un banc face au lac. Je ferme les yeux afin de profiter pleinement de ce moment à l’air libre, hors de la prison dorée du Collège.

- Bébé, ne t’endors pas, me murmure Markus en me caressant la joue. Son geste a pour effet de me ramener à la réalité. Je lui saisis la main et l’éloigne de moi.
- Markus, que veux-tu me dire sur la province? Tu as eu des

nouvelles par ton père ?
Il appuie son dos contre le banc en levant les yeux au ciel.

-  Ah , moi qui espérait arracher ne serait-ce qu’un petit baiser de mon
ancienne chérie dans ce lieu propice aux amours, voilà qu’elle me
ramène à la triste réalité de notre condition.

-  Markus, je suis fatiguée, j’ai eu une journée difficile, alors dis moi ce
que tu as à me dire, et après ramène moi dans ma chambre.

-  Tu es sure ne pas préférer la mienne cette nuit ? me dit-il de sa voix rauque en penchant sa tête vers mes cheveux pour tenter de
m’embrasser dans le cou.
Le souvenir de nos ébats amoureux au milieu du champ de fleurs il y a presque deux ans resurgit dans ma tête. Mais si je lui cède, cela ne ferait que compliquer les choses. J’arrête Markus en le repoussant doucement, une main sur sa poitrine.

- Markus, s’il te plait.
Il cède en soupirant, prend ma main, la retire, mais la conserve dans la sienne.
- Bon j’ai contacté mon père pour prendre des nouvelles, et il m’a dit

que la pression était montée d’un cran là-bas. Le débarquement du Commandement est très mal vécu par la population, et les

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patrouilles commencent à se heurter à des résistances. Je voulais te

prévenir, car j’imagine que ton père ne te dira rien.
Que sait Markus exactement de la situation ? C’est peut-être le moment de le sonder.
- Markus, quel est ton avis ? Pourquoi ce débarquement soudain chez

nous ?
Il hausse les épaules.
- Qui sait ? Peut-être est-ce vrai et qu’il existe vraiment des foyers de

rebelles ? Mais je ne suis pas sur que ce soit l’œuvre des habitants. Vous êtes accolés à la frontière, peut-être est-ce le fait de quelques irradiés venus semer la zizanie ?

D’après son ton, il semble sincère, son père ne lui a donc rien dit sur la prochaine éruption. Je le remercie de m’avoir prévenue et lui demande de me ramener. Avant de me quitter, devant la porte de mon appartement, il me met en garde contre Feyd. L’altercation de cet après- midi est parvenue jusque ses oreilles.

- Bébé, il peut être toxique. Alors méfie-toi, et surtout vient me trouver s’il t’ennuie. Promis ?

Je hoche la tête, et avant que j’ai pu réagir, il pose ses lèvres sur les miennes, puis me laisse en me souhaitant bonne nuit.

Je suis sur le point de m’écrouler dans mon lit quand je vois la lumière de mon répondeur clignoter. Un appel d’Askyn. Je regarde l’heure. Là- bas, c’est la fin d’après-midi. Il apparaît à l’écran, moi je reste affalée sur mon lit.

- Tu vas bien ? me dit-il. Tu as une tête épouvantable.
Je ne vais surtout pas lui raconter ma sortie avec Markus. Il ne l’a jamais apprécié.

-  Merci du compliment. Oui je suis un peu épuisée. Comment se passe
la cohabitation ?

-  Moyennement bien, tu imagines. Mais ça pourrait être pire. Pour
l’instant, les militaires se contentent de visiter les maisons une par
une et de prendre le nom des habitants.
Sous couvert de contrôle, les militaires commencent à recenser. Et effectuer le choix crucial des candidats au départ pour le vaisseau amiral.

- Et toi ? me demande-t-il
Je lui raconte le seul moment sympathique de cette journée.

-  Je suis en passe de devenir la meilleure pilote de cette terre avec le
plus beau des instructeurs. A mi chemin entre le voyou et le prince
charmant.

-  Aussi charmant que ton fidèle serviteur ? dit-il en riant

-  Ah pas loin quand même.

-  Fais attention, je vais être jaloux.

-  Ne t’inquiètes pas, vu son franc parler, je ne donne pas cher de sa
peau ici. Bon, je te laisse, je suis exténuée.
Et je m’endors sur mon lit sans même me déshabiller.

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