Chapitre 6

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Nous laissons la vie reprendre son cours. Je suis ravie, j’ai eu l’autorisation de mes professeurs de suivre les cours du Collège depuis le Palais, le temps d’être de nouveau sur pied.

Askyn est plus que jamais assidu aux entrainements, et aux réunions avec Jack. Il maîtrise maintenant le système de sécurité non seulement du Palais, mais aussi de la province. Capitaine du Palais signifie la responsabilité de la sécurité du Palais, mais également celle de la province entière.

De mon côté, même si j’essaie de persuader mon père de m’associer aux affaires courantes de la province, je ne peux malheureusement pas assister aux réunions sur le recensement de la population, n’étant pas officiellement dans le secret de la deuxième tempête. Je n’ose pas partager cette information si lourde, ni avec Askyn, ni avec Sirius. En fait, je n’arrive pas à y croire encore moi-même.

Rester enfermée au Palais à l’avantage de me faire réfléchir à mes activités futures au sein du Réseau, même si cela me semble encore abstrait. Petite-fille du bras droit du Commandant Suprême, c’est le poste rêvé pour espionner les activités du Commandement. Sirius savait très bien ce qu’il faisait en m’enrôlant. Il vise les activités de son père. Et moi seule dans le Réseau suis capable de l’approcher dans son intimité. Mon grand père, s’il commence à être âgé, est cependant loin d’être un imbécile. La prudence devra être de mise.

Nous n’avons aucune nouvelle de monsieur Carville. C’est la chape de plomb au niveau du Commandement. L’ambiance est désormais très lourde dans la province, chacun se méfiant les uns des autres.

J’ai demandé à Sirius de m’amener en Territoires Irradiés, avant mon retour au Collège, pour remercier ceux qui m’ont secourue. Il a beaucoup hésité, et au final acquiescé. Il nous faut, à moi et Askyn, mettre une image sur cette réalité inconcevable pour nous il y a encore peu. Plus la date approche, plus Askyn est tendu. Sans nul doute le souvenir de sa mère, mais je refuse de l’encourager dans une quête surement sans issue.

- Eh Aura, tu es avec moi ?
Une de mes seules véritables amies du Collège est à l’écran et essaie de m’expliquer une formule mathématique.
- Excuses moi Phoebe, j’ai du mal à me concentrer. Cela ne te dérange

pas qu’on remette cela à plus tard ? De toutes les façons, dans trois jours, je suis à tes côtés. Ça sera plus facile pour moi de rattraper là- bas.

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- Aucun souci Aura, tu as raison. Ça ne doit pas être évident pour toi de travailler seule. On se voit donc dans trois jours.

L’écran s’éteint. Phoebe est sans doute la fille la plus gentille que je connaisse. Jamais une critique, jamais une plainte, malgré une enfance difficile. Les parents de Phoebe sont morts dans un accident quand elle était très jeune. Son père avait un poste important au sein du Commandement, d’où son statut d’élève au Collège.

Askyn me prend dans une demi-heure pour notre visite de l’autre côté du bouclier. La fable trouvée pour expliquer notre absence est celle d’une virée dans la montagne avant mon départ au Collège, et je descends aux cuisines prendre les réserves de nourriture préparées par Shirin. Un gros panier trône sur une chaise.

- Nous n’allons pas mourir de faim !
- Tu dois faire des réserves ma chérie, en prévision du Collège.

Chaque fois que tu reviens je te trouve amincie.
Sur ce point, Shirin n’a pas tort. J’ai mal été habituée, la nourriture collective du Collège m’apparaît bien fade face à celle du Palais. Je lui dépose un baiser sur la joue et je file dehors.

Il fait déjà chaud. Je me dirige vers le hangar des véhicules. Askyn est déjà là, il m’attend appuyé à la jeep.
-Prête, me lance-t-il ?
Pour toute réponse, je lance le panier à l’arrière de la voiture et je saute à ma place. Askyn s’installe et démarre la voiture. Je ferme les yeux et savoure ces derniers instants de liberté avant mon retour dans la Mégalopole.

Sirius est en train de donner du foin à Sheïtan. Il s’essuie les mains sur son manteau. Quel dommage qu’un homme aussi séduisant vive comme un reclus. Il nous serre chacun dans ses bras, puis nous conseille d’utiliser le véhicule du Palais pour nous rendre jusque la faille, en cas de contrôle. Pour l’instant, les patrouilles s’effectuent encore sous la supervision du gouverneur, mais nous nous attendons à tout moment de voir débarquer les militaires du Commandement et prendre la main sur la province.

Askyn conduit, guidé par Sirius. Il nous arrête bientôt au flanc d’une montagne. Nous cachons la jeep sous un grand saule. De loin, elle est invisible. Sirius nous apprend l’existence d’une faille dans le bouclier à cet endroit là. Nous glissons le long de la roche. L’endroit est désert, comme partout maintenant le long du bouclier. S’étonner de l’existence de trafics en tous genre entre les deux zones, comme le fait le Commandement, relève de la mauvaise foi la plus totale.

Quinze minutes de marche plus tard, Sirius se dirige vers un bosquet. Une voiture y est cachée. Il la dégage, puis s’installe à la place du conducteur. Elle doit fonctionner à l’énergie solaire, car le toit est constitué d’un grand panneau. Cette voiture appartient au Réseau, nous explique Sirius, et elle passe inaperçue en Territoires Irradiés.

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Cela semble étrange de rouler dans la zone ennemie, dans un paysage pourtant identique aux nôtres. Au bout de deux bonnes heures, celui-ci devient de moins en moins aride, et est bientôt remplacé par une vallée chatoyante. Puis nous apercevons au loin une ville. L’habitat, nous apprend Sirius, est regroupé chez les irradiés, reliquat de ce vieil instinct grégaire. Les irradiations ne détruisent pas, de nombreux bâtiments sont restés tels quels. C’est une ville de 150 ans s’offrant à nos yeux. Effectivement, à première vue, cela n’a absolument rien à voir avec notre Mégalopole. Mais c’est un leurre. Les irradiés, nous explique- t-il, se sont adaptés à leur environnement. Si maintenant, la vie a repris le dessus à l’extérieur, la plupart des bâtiments sensibles ont été construits afin de se protéger des radiations, c’est-à-dire en sous sol. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine. A aucun moment je n’avais imaginé une ville pour notre rencontre, mais plutôt un rendez-vous dans la nature, ou dans une grotte sans personne autour de nous. Je regrette d’avoir insisté auprès de Sirius pour rencontrer mes sauveteurs et entrainé Askyn dans cette histoire. En revanche, ce dernier a l’air très concentré, dévoilant un aspect de sa personnalité pour moi inconnu. Jusqu’alors, il m’avait toujours paru un peu désinvolte.

*

**

Nous pénétrons dans la ville comme dans une gravure sortie tout droit de nos manuels d’histoire. Des voitures roulent, des gens marchent. Ça grouille de partout.
- La population se réapproprie l’extérieur depuis presque quatre

décennies, maintenant le danger passé, nous crie Sirius pour couvrir

le bruit.
Le véhicule quitte l’artère principale et tourne sur la droite dans une petite ruelle, parvenant à un cul de sac pour s’arrêter devant une entrée. Un rayon laser scanne la voiture, une porte s’ouvre. Sirius avance doucement puis arrête le moteur. Nous nous retrouvons dans un ascenseur. Les parois autour de nous vibrent, j’imagine que nous descendons. L’ascenseur stoppe et s’ouvre. Je suis complètement stupéfaite et Askyn semble partager mon étonnement. Devant nous, un immense aquarium rempli de poissons multicolores. Il y a quelques jours à peine nous imaginions les irradiés à l’ère des cavernes, nous en sommes maintenant pour nos frais.

Un immense éclat de rire se fait entendre.
- Ne vous inquiétez pas, c’est toujours l’effet que nous faisons aux

planqués des zones saines !
Sirius saute de la voiture, s’avance vers l’homme venant de parler, et le serre dans ses bras.

-  Léto, comment vas-tu ?

-  Ce vieux Sirius. Ça faisait longtemps.

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Il s’écarte et nous regarde.
- Qui m’amènes-tu ? De la chair tendre et fraîche de l’autre côté du

bouclier ?
Askyn et moi descendons à notre tour. A peine avons nous franchi la porte de l’ascenseur que celle-ci se referme et se remet en marche. Nous devons alors l’air un peu gauche tous les deux, car l’homme se remet à rire.

-  Tu as vu Sirius, je viens de me découvrir un nouveau pouvoir. Je
peux changer des petits hommes sains en statut de pierre.

-  Les enfants, je vous présente Léto Landcastre, le maire de cette Cité. Et sois indulgent, lui répond Sirius en nous regardant. Il y a trois heures, ces deux jeunes personnes vous imaginaient vivre à l’âge de
pierre. La propagande du commandement suprême est très habile.

Le dénommé Léto se met à rire de plus belle. C’est un bel homme. Grand, presque autant que Sirius, le corps fin mais musclé, les yeux gris. Quelques cheveux de la même couleur de ses yeux parsèment sa chevelure noire, ajoutant au charme du personnage. Il doit avoir l’âge de mon oncle. Il émane de lui une impression de calme et de sagesse.
- Oui, Tiffany m’a raconté. Les yeux couleur d’or, les bras en carafes.

Ils ont quand même une sacrée imagination chez vous. Sirius répond en grognant.

-  Tu connais la propagande, plus c’est incroyable, plus c’est crédible.
Et après, l’imagination populaire fait le reste. Ce qui est triste, dit-il en cessant de sourire, ce sont tous les pauvres parents privés de leurs enfants soi disant irradiés et abreuvés à cette fable. Heureusement, cette pratique a maintenant disparu.

-  Je suis d’accord avec toi, même si cette pratique nous a permis de survivre en compensant nos pertes, répond Leto en tapant sur l’épaule de Sirius. Finalement, nous sommes toujours vivants grâce au Commandement suprême. S’il savait la vérité....
Je termine spontanément sa phrase dans un murmure

- Cela aurait condamné ces enfants à une mort certaine.
Léto regarde Sirius en souriant.
- La demoiselle a retrouvé la parole ? Bon, je me suis assez moqué de

vous, s’excuse-t-il, je manque à toutes mes obligations, entrez, entrez, vous êtes les bienvenus chez moi.

Nous le suivons et il nous fait prendre place dans un immense salon.
- Installez vous mes amis. Vous allez voir que nous, les irradiés, nous

savons recevoir. Mais vous devez avoir faim.
Leto fait sonner une petite cloche et une femme arrive avec un plateau rempli de sandwichs avec des boissons.
Askyn et moi-même regardons les mets sur la table. Est-il raisonnable de les manger ? Léto lit dans nos pensées.
- Ne vous inquiétez pas, cette nourriture est sans danger. Nos

ascendants ont très rapidement trouvé un moyen de se nourrir sans

s’ irradier à chaque bouchée.
Et comme nous continuons à le fixer, il sourit et continue.

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- Seule la surface de la terre a été touchée. Nous avons donc tout cultivé en sous sol, avant de pouvoir repasser en extérieur, quand nous avons pu mettre au point des appareils permettant la décontamination. Malheureusement, soupire-t-il, si on a réussi pour les végétaux, on a été à deux doigts de trouver l’antidote pour l’homme. Mais comme le taux de radiation n’existe plus depuis longtemps, on a sans doute eu raison d’abandonner cette recherche.

Mon cœur s’accélère. Mais non, ai-je envie de crier, vous auriez du aller jusqu’au bout ! Trouver un remède définitif à l’irradiation. Cela vous aurait sauvé la vie lors de la deuxième tempête. Askyn me regarde, et me demande si tout va bien en me faisant un signe de la tête. Heureusement, Sirius et Leto semblent ne rien avoir remarqué. Comme pour nous rassurer, Sirius prend un sandwich et croque dedans à pleines dents. Askyn le regarde, et fait la même chose. Je me risque à tendre la main, je prends une petite tomate. Elle est délicieuse.

Léto s’assoit en face de nous.
- Eh bien c’est parfait ! Nous allons pouvoir passer maintenant aux

choses sérieuses. Bon, vous devez vous demander surement qui je

suis ?
Askyn et moi ne pouvons répondre la bouche pleine. Mais nous acquiesçons tous les deux de la tête.
Léto commence.

-  Je suis issue d’une longue lignée de scientifiques. Après Storm, mon
aïeul a monté et pris la tête de l’équipe en charge de l’organisation et la mise en place de solutions pour notre survie. Ils ont commencé par des choses basiques. Comment vivre sous terre, comment se nourrir. Après ils se sont attaqués au réseau de communication, pour garder le contact avec les survivants. Et après, une fois en sécurité, ils se sont attaqués à la lutte contre les effets indésirables des irradiations. Mais maintenant la jeune génération n’a plus ce souci, les radiations ont disparu depuis longtemps, il n’y a plus de conséquences sur leur état de santé.

-  Alors, demande Askyn, vous êtes maintenant... « normaux » ?

-  Oui tout à fait, sourit Leto. En tous les cas, nous ne mourrons plus à cause des irradiations, comme cela s’est produit il y a 150 ans. Et si je vous touche, vous n’allez pas tomber raide mort, comme vos
politiques aiment à vous le faire croire. J’enchaine sur Askyn.

-  Mais alors pourquoi ne le sait-on pas ? Pourquoi cette séparation
toujours existante entre nos deux mondes ?

-  Parce que la nature humaine, irradiée ou pas, demeure la même,
soupire Léto. Nous avons reconstruit un nouveau monde et ceux nous gouvernant n’ont aucune envie de partager leur petit pouvoir. Ils entretiennent parfois pour leur propre cause l’animosité de la population envers vous, c’est-à-dire l’abandon des nôtres il y a 150 ans. Sentiment accentué par votre propre système politique, vous débarrassant de vos irradiés chez nous. Mais peu à peu, des voix se sont élevées pour réclamer une ouverture à l’extérieur. Le mouvement a tout de suite été étouffé, et le régime en place s’est

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durci. On a vite compris que toute contestation officielle n’avait aucune chance d’aboutir. Sirius m’a expliqué le même phénomène chez vous. De là est partie l’idée d’un réseau rassemblant les bonnes âmes des deux côtés. Au début, cela était plutôt artisanal. Mais après celui-ci s’est étoffé : des personnes de tout bord nous ont peu à peu rejointes. Chacun apporte sa contribution à l’édifice. Nos équipes de scientifiques ont longtemps travaillé d’arrache pied pour trouver un remède à l’irradiation, mais nous avons stoppé les travaux car cela nous a semblé plus simple et rapide de mener des tests afin de prouver qu’il n’y a plus rien à craindre. Et de produire ces tests auprès de votre population. Nous voyons enfin le bout du tunnel, après toutes ces années.

Malheureusement peut-être non. Mais je ne veux rien dire tant que je ne suis pas certaine des évènements annoncés par Balthus. Avant d’alerter, je dois apporter des éléments concrets. Ces preuves, je ne peux les trouver qu’auprès de mon grand père. Je dois donc retourner au Collège le plus rapidement possible.

- Mais vous n’êtes pas là afin d’écouter deux vieux gâteux raconter leurs histoires de guerre. Sirius m’a dit que tu voulais remercier l’équipe qui t’a retrouvée, dit Léto en me regardant. Ils ne sont pas ici, mais à l’extérieur. Si cela ne vous dérange pas, je vais demander à mon chauffeur de vous y amener, pendant que Sirius reste avec moi. Nous avons deux ou trois choses à discuter ensemble.

Je regarde Sirius.
- Pas de souci, nous rassure-t-il, je viendrais ensuite vous rejoindre. Léto appuie sur un interphone et appelle un certain Duncan. Le Duncan en question arrive cinq minutes après, et ressemble à tout sauf à un chauffeur. Il est très grand, musclé, mais tout en finesse. C’est un combattant, cela se voit instantanément. Sa tenue noire ne fait que renforcer cette impression.
- Duncan, pourrais-tu accompagner nos jeunes amis au ranch ? Ils

souhaiteraient rencontrer Adam et toute l’équipe.
Mon cœur s’accélère à la mention du nom d’Adam, me ramenant à mon rêve. La voix de Duncan me rappelle à la réalité.

-  Bien sur. Si vous voulez bien me suivre, nous dit-il, en nous
indiquant un long couloir sur la droite.

-  Merci Duncan, dit Sirius. Je viendrais les rechercher moi-même en
partant.

-  Très bien Sirius. C’est toujours un plaisir de te rendre service. Nous suivons Duncan, dans un couloir avec une lumière bleutée.

-  Duncan, je peux vous appeler comme ça ? C’est possible de savoir à
combien de mètres nous sommes de la surface ?

-  Bien sur, jeune demoiselle. Nous sommes ici à environ 10 mètres
sous terre, mais il existe des niveaux au-dessus de nous. Les anciens ont considéré il y a 150 ans que le niveau de sécurité minimum était de 3 mètres, afin de ne plus être soumis aux conséquences des irradiations. Mais maintenant, la jeune génération préfère largement vivre dehors, et de plus en plus de jeunes couples

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habitent maintenant à l’extérieur. Vous avez du voir en arrivant toutes les constructions. Et même certains s’aventurent en dehors de la ville. Nous redécouvrons la nature et les petits oiseaux, dit-il en souriant.

Nous débouchons dans une sorte de hangar, avec du matériel stocké et quelques véhicules. Il nous en indique un. Un ascenseur s’ouvre et Duncan y place la voiture. Les portes se referment derrière nous.

* **

Nous quittons la ville, pour nous retrouver rapidement dans un décor vallonné et verdoyant.

-  Cela doit vous paraître sauvage, mais il faut dire que pendant 100
ans, personne n’a entretenu toute la partie extérieure. Nous faisions juste pousser nos légumes, qu’il fallait décontaminer pour pouvoir les consommer sans risque. Mais nous avons laissé le reste en l’état. C’est pour cela que nous avons beaucoup de forêts. Bon, celles-ci diminuent, nous en sommes en phase de reconstruction, mais nous avons encore largement de quoi faire.

-  Depuis combien de temps pouvez-vous sortir ? demande Askyn

-  Sans combinaison anti radiation ? Environ 40 ans. Sinon, l’air après
Storm est redevenu rapidement sans danger.

-  Plus aucun risque alors ? insiste Askyn

-  Ce temps est heureusement révolu depuis longtemps, répond
Duncan. Maintenant, les effets des radiations n’ont plus de conséquences sur notre santé. A part ceux ayant subi à l’origine une mutation due à la radiation, avec pour résultat la modification de leur code génétique. Après la mutation peut être présente chez leurs descendants, parfois à l’état latent, et ne jamais se révéler.
Je veux être certaine d’avoir bien compris. Je renchéris :
- Une mutation génétique? Donc si je comprends bien, ce qu’on apprend sur vous n’est pas complètement faux. Par exemple la
couleur des yeux ?

-  Oui, c’était possible, réplique-t-il. Du moins au tout début. Mais
maintenant, c’est de l’histoire ancienne. De mon vivant, la seule personne que j’ai vue avec des yeux couleur or était une vieille grand-mère de 90 ans. Et je devais en avoir 5. Après, il est possible que ces personnes aient conservé les effets de la mutation, sans les signes extérieurs visibles.

-  C’est-à-dire ? demande Askyn

-  C’est-à-dire que ceux dont la couleur des yeux avait été modifiée
possédaient par exemple certaines capacités. Même s’il n’y a plus de personnes ayant cette couleur d’iris, il est possible que leurs descendants aient conservé cette faculté.
Jamais Askyn ou moi n’avons entendu parler de telles choses. Duncan doit le sentir, car il continue :

-  Ce sacré Sirius ne vous a pas raconté tout ça, n’est-ce pas ?

-  Et qu’y-a-t-il d’autre dans ce « tout » ? demande Askyn

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- Ça a été très variable, d’une personne, ou plutôt d’une famille à une autre. L’irradiation a eu parfois pour conséquence de développer le magnétisme de certains, voire paraît-il de les soigner. Ou alors d’apaiser. D’autres ont développé des pouvoirs, si on peut appeler ça comme ça, liés à tout ce qui est télépathie, voire même télékinésie, à des niveaux variables. Ou tout ce qui est prescience. Ou alors même la capacité de brouiller les ondes radios ou magnétiques. Soit ces personnes possédaient ces dispositions dès la naissance, soit elles les ont développées après. Il n’y a pas de règles établies. Heureusement, notre pouvoir central n’a jamais réussi à établir une liste de ces compétences, dirons-nous, ni même un fichage de ces personnes. Même s’il y a eu des tentatives.Et en général, lorsque ces personnes se découvrent avec de telles aptitudes, elles se gardent bien de le crier sous les toits. Les premiers mutants après Storm ont été mis au ban de notre société. Réflexe naturel du genre humain, on écarte ceux qui ne nous ressemblent pas. Mais vous en savez quelque chose, non ?

Il fait bien sur référence à notre histoire. Nous restons muets, car il n’y a malheureusement rien à répondre. Duncan nous rassure.
- Ne vous inquiétez pas, si vous êtes là, c’est que vous pensez

différemment. Ça fait plutôt plaisir de voir que chez vous, la jeune génération est plus intelligente et ouverte que les précédentes. Cependant, ce n’est pas le cas de tout le monde ici. L’animosité est forte pour certains, même parmi ceux qui ont rejoint notre Réseau.

Je secoue la tête, étonnée.

-  Dans ce cas là, pourquoi l’ont-ils fait ?

-  Le plus souvent parce que leurs parents militent pour la
réunification de tous les habitants de cette planète. Ou alors parce qu’ils désapprouvent le pouvoir en place. Ou parce qu’ils ont de la famille de l’autre côté, et espèrent un jour la rejoindre.
Je regarde Askyn sans rien dire. Les motivations des personnes sont les mêmes des deux côtés du bouclier.

-  Et vous Duncan ? Est-ce indiscret de vous demander pourquoi vous
avez rejoint le Réseau ?

-  Non, pas du tout. Ma grand-mère a été détectée comme irradiée
alors qu’elle vivait chez vous. On l’a donc débarquée ici. Ça a été au début très difficile. Enfin d’après ce qu’elle m’a raconté. Vous savez l’intégration des adultes est plus difficile que celle des enfants. Or ma grand mère était une scientifique d’un bon niveau. Cela remonte à l’époque où le Réseau se montait et cherchait à s’entourer de compétences. Elle a réussi à se mettre en contact avec un des proches de l’entourage du père de Léto, qui l’a sortie d’où elle vivait, et l’a prise à son service. Depuis, nous sommes tous fidèles à la famille des Landcastre.

-  Et à part chauffeur, lui dis-je, quel autre rôle remplissez-vous ?

-  Je pense que vous l’avez deviné, jeune demoiselle, dit-il en souriant et en me regardant avec un air étrange. Je fais partie de la garde
rapprochée de Léto.

-  Et je peux oser vous poser une dernière question ?

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- Allez-y, mais je crois savoir ce que c’est. Même si je n’ai pas le don de prescience. Est-ce que j’ai une compétence particulière, c’est bien cela ?

Je rougis comme une gamine de sept ans, dont la curiosité a été prise en défaut.
- Ne vous inquiétez pas. Oui, effectivement, j’ai eu cette chance, car

moi je considère que c’est un cadeau de la nature. J’ai une vision très perçante, ce qui fait, dit-il en nous faisant un clin d’œil, que je suis le meilleur tireur de cette planète. Je ne rate jamais ma cible. Mais nous voici arrivés, dit-il.

* **

Nous arrivons devant une grande maison, avec des montagnes en fond. C’est une belle demeure de deux étages encore en construction. Tout autour, des enclos vides. Une fois construit, ce ranch sera magnifique. Une jeune fille vient à notre rencontre. Je la reconnais de suite. C’est Tiffany.

- Bonjour Duncan, dit-elle avec son sourire toujours aussi charmant. Qui nous amènes-tu là ?

Elle m’aperçoit alors et son visage s’illumine
- Mais c’est la jeune protégée de Sirius qui avait peur que je la touche,

dit-elle en riant.
Elle s’approche de moi, et me serre dans ses bras :
- Comment vas-tu ? C’est bon, tu n’as plus peur maintenant ?
Son sourire est tellement désarmant. Je souris à mon tour.
- Je voulais juste m’excuser de mon attitude complètement absurde la

dernière fois, et vous remercier de m’avoir secourue. J’ai du vous

paraître complètement....
Je cherche les mots.
- Désorientée ? me répond-elle. Mais c’est absolument normal, tout le

monde l’aurait été ! Tu te blesses, te retrouves avec des gens dont tu ne connais l’existence qu’à travers les on-dit, et en plus tu crains d’être irradiée. Ça fait beaucoup de choses à gérer en même temps.

Je ne sais quoi lui répondre. Je lui dis alors :

-  Je m’appelle Aura

-  Oui je sais, me répond-elle. Dès que tu as disparue, Sirius nous a
contactés, ou a plutôt contacté Léto, pour demander si nous
pouvions partir à ta recherche.

-  Je suis encore absolument désolée de ne pas vous avoir remercié de
tout ce que vous avez fait...

-  Mais ne t’inquiètes pas. Je suis ravie de ta présence ici. C’est si rare
de rencontrer des personnes de notre âge qui viennent de l’autre côté. Et pour te faire pardonner, tu vas devoir me raconter toute ta vie. Ce que vous faites, ce que vous mangez, comment vous vous habillez.

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J’entends quelqu’un tousser dernière moi. Askyn. Tout à mon obsession de passer pour une ingrate auprès de Tiffany, je l’avais complètement oublié.
- Euh, Tiffany, je te présente Askyn.

Elle lui tend la main avec un grand sourire.
- Bonjour Askyn, moi c’est Tiffany. Mais tu dois t’en douter !
Elle regarde de ses grands yeux bleus rieurs sa main, et éclate de rire. - Tu hésites ?
Askyn devient tout rouge, et lui tend la sienne.

-  Euh...non, non, bien sur que non, dit-il, en lui serrant la main très
fort, et en lui secouant tout le bras

-  Mais Askyn, fais doucement, tu vas lui faire mal, lui dis-je sur un ton
de reproche. Excuses-le Tiffany, il vient d’intégrer le corps des
gardes du Palais, il ne sent plus sa force.

-  Alors, je comprends, lui glisse-t-elle d’un ton malicieux. Attention, il
faut me prévenir, car après je vais imaginer que tous les garçons de l’autre côté du bouclier se conduisent comme cela avec les inconnues.
Nous éclatons de rire toutes les deux, au grand dam d’Askyn, de plus en plus rouge. Heureusement pour lui, un autre grand gaillard blond s’approche. Je le reconnais. Louis

- Mademoiselle la blessée, me dit-il, en s’inclinant pour simuler une

révérence.
Je regarde Tiffany en lui faisant un clin d’œil.
- Ah, c’est la façon dont les garçons en terre irradiée ont coutume de

saluer les jeunes-filles ?
Je tends ma main à Louis. Il la prend, y dépose un baiser, me regarde pendant dix secondes.
- Fantastique, la belle princesse ne se transforme pas en hideuse

grenouille irradiée
Nous éclatons tous les quatre de rire. Si tous les gens de notre âge sont si sympathiques en terre irradiée, je les échange sans souci avec les rabats joie de mon Collège.
Louis se tourne vers la maison, siffle dans ses doigts et crie :
- Adam, viens nous rejoindre. La protégée de Sirius est venue nous

saluer.
Adam est en train de discuter avec Duncan. Duncan nous fait signe de la main et crie :

-  Nous arrivons !

-  Ils sont surement en train d’envisager la meilleure façon de remplir
nos enclos, nous dit Louis en désignant les grandes barrières. Vous ne l’avez peut-être pas vu, mais la région regorge d’animaux, autrefois domestiqués avant Storm, et redevenus sauvages. Il est grand temps maintenant de les apprivoiser à nouveau. Aussi faut-il pouvoir les attraper. Duncan est en train de mettre au point une stratégie avec Adam. Nous avons repéré une horde de chevaux sauvages à quelques kilomètres d’ici, et nous aimerions bien en récupérer quelques-uns.
Je le regarde, étonné.

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- Mais vous savez monter à cheval ? Comment avez-vous appris en étant sous terre ?

Il me sourit.
- C’est à cela que sert le Réseau, mademoiselle. Des gens de chez vous

nous ont amené des chevaux dressés, du matériel, et nous ont à nouveau transmis leurs connaissances. Sirius nous a appris à moi et Adam à monter à cheval quand nous étions petits. Et il est même possible, dit-il en me faisant un clin d’œil, que je monte même mieux que toi.

Voilà où donc Sirius disparaissait des mois entiers. Un petit pincement de jalousie étreint mon coeur. Mon oncle adoré abandonnait sa nièce pour se consacrer à d’autres. J’allais répondre du tac au tac que je suis la meilleure cavalière de cette terre, lorsque je me rends compte qu’il me taquine à ses yeux rieurs.

- Chiche ! Tu me défies quand tu veux.
Il n’a pas le temps de me répondre car Duncan et Adam nous rejoignent. - Est-ce que cela vous intéresse d’aller voir le troupeau de chevaux

sauvages ? nous propose Duncan. Nous avons un peu de temps

avant que Sirius ne vienne vous chercher.
Mes yeux brillent d’excitation. Askyn me devance :

-  Quelle question ! Avec plaisir !

-  Très bien, répond Duncan. En fait, ma proposition était intéressée.
D’après ce que m’a dit Sirius de vous, vous êtes tous les deux experts
en la matière.
La meilleure cavalière du monde a soudain un gros doute sur ses capacités. Mais Askyn répond pour moi.

-  Oui, nous savons manier le lasso pour nous amuser. Mais il n’y a
plus beaucoup de chevaux sauvages chez nous. Ça, on n’a jamais
vraiment testé.

-  Eh bien, voici une occasion de le faire, dit-il en souriant. Toujours
partants ?

-  Bien sur, répond Askyn.

-  Allons-y alors, ne perdons pas de temps. Louis, Adam. Tiffany, tu
nous accompagnes ?
Elle nous regarde en souriant. Cette fille a toujours le sourire aux lèvres.

-  D’accord, dit-elle après avoir hésité. Mais je vous préviens, je ne
vous serais d’aucune utilité. Mais je veux bien venir regarder, ça me
changera un peu du chantier.

-  Très bien. Je vous propose qu’on se sépare en deux groupes. Un
premier avec moi, Tiffany et Askyn, et un deuxième avec Adam, Louis et Aura. Moi et Louis conduisons, Askyn, Adam, vous êtes au lasso.
Je proteste :

- Moi aussi, je peux attraper un cheval au lasso.
Il hésite, puis me dit :
- C’est d’accord. Mais pas d’imprudence, car s’il t’arrive quoi que ce

soir, Sirius me passera à la moulinette. Askyn vient à ma rescousse.

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- Ne t’inquiètes pas Duncan, à ce jeu, Aura est très forte. Quand nous étions plus jeunes, on s’amusait à attraper le plus grand nombre de cochons de la basse cour du Palais en un temps limité, et à ce jeu elle me battait toujours.

Tout le groupe éclate de rire, sauf moi. Askyn me tape l’épaule en souriant :
- Allez princesse. On va leur montrer ce qu’on sait faire de l’autre côté

du bouclier.

* **

Nous voilà partis. Les deux jeeps se suivent, Duncan au volant de la première, Louis dans la seconde. Adam me tend une corde pour préparer les lassos.
- Comment se fait-il que vous travaillez tous sur ce chantier ? Vous

n’allez jamais à l’école dans ce pays ?
Ma question anodine a pour but de rompre l’ambiance froide entre nous. En effet, autant ses compagnons sont charmants, autant lui demeure distant. C’est exactement la même impression ressentie lors de mon « sauvetage ». Jusque maintenant, il n’a pas prononcé un seul mot. Adam me regarde un moment avant de lâcher :

-  Le souci majeur chez nous, c’est l’espace. L’espace en sous sol. C’est
une denrée rare. Alors, dès que les enfants savent lire et écrire correctement, c’est-à-dire vers l’âge de 10 ans, on leur demande de choisir le corps de métier qu’ils souhaitent rejoindre dans la société. Nous apprenons ainsi sur le tas, en alliant de suite la théorie à la pratique. Nous avons vécu pendant très longtemps dans une société de survie. Il fallait être efficace le plus rapidement possible. Et cette pratique du choix tôt est restée.

-  Et s’il s’avère que celui-ci n’était pas le bon ?

-  Au bout de un an, nous effectuons un bilan avec notre tuteur. Et
nous changeons de voie s’il s’avère que c’est nécessaire. J’hésite, puis je lui demande.

- Et toi, qu’as-tu choisis ?
Il regarde au loin, puis me répond
- Moi je suis un cas particulier, car je suis le fils de Léto. Je suis donc

resté auprès de lui pour apprendre la stratégie et les sciences, pendant que Duncan m’enseignait tout ce qui art du combat et contrôle de soi.

J’arrête de lui poser des questions, car j’ai le sentiment que cela l’ennuie et le met mal à l’aise. Je repasse devant pour discuter avec Louis.

-  On arrive bientôt ?

-  Oui regarde, c’est après la forêt qui est sur la droite.
Je m’accroche à la portière. Il n’y a pas de routes, bien sur, on est donc chahutés dans tous les sens. Je vais finir couverte de bleus à la fin de la journée.

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La jeep de devant ralentit, puis se met à rouler très doucement. Louis rattrape Duncan et se place à sa hauteur.
- Louis, tu prends à droite, lui lance Duncan, et moi à gauche. On va

essayer de les prendre de côté. On reste à la même vitesse pour que lorsque le premier arrive à en attraper un au lasso, le second vienne à sa rescousse et lui place un second lasso pour le maintenir. C’est bon pour vous ? nous crie-t-il pour couvrir le bruit des moteurs et la distance qui nous sépare.

Louis et moi répondons en chœur. Adam ne dit rien.
Louis débute la manœuvre. Je saisis mon lasso et j’essaie de me caler pour ne pas tomber. Adam se place à côté de moi, assez loin cependant pour ne pas nous gêner mutuellement dans nos mouvements.
J’aperçois les chevaux. Ils sont magnifiques. Ils sont en train de brouter paisiblement. Je crie à Adam.
- On a de la chance! Le vent est de notre côté, ils ne nous ont pas

encore sentis.
Il ne me répond pas et se contente de regarder le troupeau. Mais quel goujat ! Il commence sincèrement à m’énerver avec ses airs hautains. Je décide de l’ignorer complètement. Je crie à Louis :

-  Tu peux nous approcher un peu plus ?

-  C’est ce que je fais. En revanche, accroche-toi bien ! Quand ils vont
nous voir, ils vont se mettre à galoper et là je risque de démarrer
d’un coup sec pour me mettre à leur hauteur.

-  OK, c’est compris.
Je m’accroche au montant de la jeep. Ça y est, les chevaux nous ont repérés. Celui qui semble être le meneur lève les naseaux et hennit pour avertir le troupeau. Louis accélère d’un coup. Je ne me suis pas assez accrochée. Je tombe en arrière sur Adam qui me rattrape in extremis avant que je ne touche le sol. Je l’entends marmonner.

- C’est ça l’experte ?
Je me dégage aussi vite que possible, et me remets sur mes pieds, en m’accrochant cette fois-ci le plus fort possible à la barre. Louis se rapproche de plus en plus du troupeau et nous crie :
- Tenez vous prêt !
Je vois en face Askyn lancer son lasso vers une magnifique pouliche grise. Elle change de direction au dernier moment. Raté !
Nous sommes juste à dix mètres d’un magnifique étalon blanc. Je décide de tenter ma chance. Je me mets en équilibre et commence à faire tourner le lasso au dessus de moi. L’étalon me regarde de côté avec un œil fou. Je lance mon lasso. Il lui touche les oreilles, mais au dernier moment, comme la pouliche grise, il change de direction. Louis le suit en me criant : « Bravo Aura, tu l’as presque eu ! »
Je suis grisée par la vitesse et le vent. Je reprends de suite le lasso et le fais tourner à nouveau autour de ma tête. L’étalon blanc est là, à portée de main. Je me concentre, prends bien mes appuis et lance le lasso.
Ça y est, je l’ai ! Je tire de toutes mes forces, et d’un air de vengeance, je me retourne vers Adam...quand je sens d’un coup mon corps emporté par l’avant. Adam a juste de temps de m’attraper avant que je ne bascule en dehors de la voiture. Nous roulons tous les deux sur le sol.

57

J’ai le souffle coupé par la chute. Je me retrouve écrasée contre sa poitrine. Et je retrouve alors les mêmes sensations que dans mon rêve, la même chaleur, la même odeur... Une immense secousse nous projette à nouveau l’un contre l’autre.

-  Tout va bien ? nous crie Louis

-  Oui, la demoiselle maitrise parfaitement la situation, lui répond
Adam, en me regardant droit dans les yeux et avec un sourire en
coin.

-  Alors dépêchez-vous de préparer vos lassos, car Askyn vient d’en
attraper un.
La voiture effectue une nouvelle embardée. Je repousse Adam comme je peux et j’essaie de me remettre sur mes pieds sans tomber. Je reprends aussi vite possible une autre corde et prépare un nœud coulissant, et je cherche des yeux la deuxième voiture. Askyn est debout sur le côté avec la corde de son lasso tendue. Louis se rapproche de plus en plus vite.
Je crie à Askyn « C’est bon, je vais l’avoir ! ». Je me redresse, m’assure que je suis stable. Louis approche la voiture du cheval. Je lance mon lasso, qui atterrit parfaitement sur le cou de celui-ci. Adam s’approche alors de moi, et me dit :

- Je vais t’aider
Il tire avec moi sur le lasso. Le cheval se débat encore quelques minutes, puis arrête, épuisé.
La tension est retombée. Je me laisse retomber comme une masse dans la jeep. Je murmure :
- Ça y est, il est vaincu.
Et avant qu’une autre personne ne le fasse, je saute de la voiture, puis je m’approche doucement de lui, en lui parlant tout bas.
- Chut, mon beau, ne t’inquiètes pas, chut.
Il essaye de se cabrer, mais en est empêché par les deux cordes qui sont tendues des deux côtés.
- Chut, tranquille, restes tranquille. Ne t’inquiète pas, tu vas être

heureux avec nous, tu verras.
Il se calme, ma voix semble l’apaiser. J’approche doucement ma main auprès de ses naseaux. Il respire, mais ne bouge plus. Je continue à parler doucement.
- Askyn, tu peux laisser tomber ton lasso.
La corde tombe. Je m’approche du cheval en continuant de lui parler, puis saisis le nœud coulissant, et commence à le défaire en tirant sur la corde. Ça y est, un des deux lassos tombe à terre. Je le ramasse en me baissant le plus doucement possible. Le cheval ne bronche pas. Je me relève avec la corde, et lui approche de nouveau ma main sous les naseaux pour qu’il puisse la sentir. Il frémit, mais ne bouge toujours pas. Je reviens tranquillement à la jeep et jette la corde au sol.

-  Mission accomplie

-  Bravo Aura, me lance Louis
Adam me regarde, mais ne dit rien. De toutes les façons, je n’attendais rien de sa part. Je lance un bravo à Askyn. Il me répond en retour en levant le pouce. Tiffany applaudit de ses deux mains en riant. Louis redémarre tout doucement et le cheval trotte derrière nous.

58

Le trajet du retour s’effectue en silence. Cette course m’a épuisée. Les rires de Tiffany et d’Askyn portés par le vent parviennent jusqu’à notre véhicule. Lui au moins a du passer un moment plus agréable que moi.

Quand nous arrivons, Sirius nous attend dans la cour. - Belle chasse, nous dit-il, en regardant l’animal. Tiffany bondit à ses côtés.

-  Tu aurais du être là, Sirius, pour voir comment Askyn a réussi à
l’attraper avec son lasso, et comment Aura l’a ensuite calmé. Il est
magnifique n’est-ce pas ?

-  Très beau, il ne vous reste plus qu’à faire la même chose avec le
reste du troupeau, dit-il à Duncan. Mais sans eux, car nous devons
repartir rapidement, nous avons encore un bout de chemin à faire. Tiffany vient vers moi et me prend dans ses bras.

- A très bientôt, c’est promis ?
Je me tourne vers oncle Sirius
- Oui, bien sur, si Sirius accepte de nous amener à nouveau ici.
Tiffany se tourne alors vers Askyn et lui prend les deux mains.
- A très bientôt alors ?
Askyn lui rend un grand sourire, met la main sur son cœur et lui dit « Promis ».

Je n’ai pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, Sirius nous emmène déjà vers son véhicule, se met au volant, en nous demandant de nous dépêcher. L’étalon hennit en me voyant partir.
- Ne t’inquiètes pas, je prendrais soin de lui, c’est promis, me crie

Tiffany, en nous faisant au revoir de la main.
Je me rassieds dans le siège.
- Quelle fille adorable, dis-je tout haut.
Askyn se tourne vers moi
- Tu trouves aussi ? Cela fait longtemps que je n’avais pas passé un

aussi bon moment. C’est incroyable comme ils ont été accueillants. Je ronchonne dans mon coin.
- Cela se voit bien que tu n’étais pas avec ce cher Adam ! Aimable

comme une porte de prison, celui-là. Pour qui se prend-il ? Parce qu’il est le fils d’un des chefs, il te prend de haut ! Difficile d’être plus désagréable que lui.

Sirius, jusqu’alors muet, se met à parler.

-  C’est parce que tu ne le connais pas bien.

-  Le fait de ne pas le connaitre bien ne l’empêchait pas d’être un
minimum aimable. Il a été froid, distant et désagréable, alors que les
autres ne demandent qu’à nous connaître. Sirius, semble hésiter, ne dit rien, puis reprend.

- On peut trouver une excuse à son attitude. Il fait partie des enfants

abandonnés en zone irradiés. Il a été recueilli par Léto.
Askyn et moi sommes sous l’effet de surprise. Les enfants abandonnés, on en a tant entendu parlé. Mais pour l’instant, nous n’avions jamais eu sous les yeux la preuve vivante de cette pratique.
Je risque une question.

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-  C’est la raison pour laquelle il a toujours été distant avec nous ?

-  C’est possible, me répond Sirius. J’imagine que ce n’est pas facile pour lui de développer des contacts avec notre peuple. Ça doit lui rappeler de mauvais souvenirs. D’autant plus que certains parents ont essayé de retrouver leur enfant, bravant les interdits du Commandement Suprême. Mais pour lui, personne ne s’est jamais
manifesté.
Etre un enfant séparé de ses parents que ces derniers n’ont jamais cherché à retrouver. Ça doit être effectivement difficile à vivre.
La voiture me berce. Je m’endors. Je me réveille en sursaut, lorsque qu’Askyn me secoue l’épaule

- Tu ne veux pas que je te porte quand même ?
Après notre petite marche, nous reprenons notre véhicule caché sous le grand saule. Askyn reprend le volant. Nous déposons Sirius chez lui, puis reprenons le chemin du Palais. Je me rendors cette fois sur l’épaule d’Askyn. Tout à coup, je sens la voiture commencer à ralentir. Askyn me murmure : « Aura, réveilles-toi vite».
A peine ai-je eu le temps d’ouvrir mes yeux, que je suis éblouie par une lampe, et j’entends une voix hurler à mes oreilles :
- Vos papiers de suite !
La police militaire du Commandement Suprême. Ça y est, ils ont investi la Province.

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