chapitre 4

20 minutes de lecture

Je me réveille dans mon lit douillet.

Shirin dort sur un fauteuil à côté de moi. Elle m’a veillée toute la nuit malgré le diagnostic rassurant des médecins. A part une fracture à la cheville, je souffre seulement de déshydratation légère et je dois m’alimenter progressivement. Rien de plus normal après avoir passé deux jours sans boire ni manger. Mais comme à son habitude, elle n’a rien voulu entendre.

Oncle Sirius m’a ramenée à la frontière. Nous n’avons pas eu le temps de parler. Il m’a juste dit de lui laisser tout gérer, et de faire semblant de dormir pour éviter l’interrogatoire. « Version officielle, tu es partie te promener près de la bordure, tu es tombée, et c’est un miracle que je t’ai retrouvée. Rien de plus, on est bien d’accord ? ». De toutes les façons, j’étais trop faible pour protester. Et Sirius a anticipé toutes mes questions en ajoutant : « Et le reste, on en discutera après tous les deux, quand tu auras récupéré ».

Je réfléchis. Le côté positif de cette situation, c’est qu’on ne me peut me renvoyer dans cet état au Collège, et je vais pouvoir rester chez moi un peu plus longtemps. Même si mes déplacements risquent d’être limités, c’est toujours ça de gagné ! En tous les cas, cela fait le bonheur de Caramel, mon chat, se prélassant sous ma couette bien au chaud, lové contre ma cuisse. Apparemment, je lui manque énormément depuis mon départ au Collège, si bien qu’il reste collé à moi dès qu’il le peut et passe toutes les nuits dans mon lit.

Soudain, une voix provenant du couloir hurle « Debout la paresseuse ! », ce qui a pour effet de réveiller en sursaut Shirin, et Askyn apparaît à la porte en l’ouvrant d’un coup.

-  Askyn ! gronde Shirin

-  Ah, euh, désolée maman, je ne savais pas que tu étais là, répond-il en changeant immédiatement d’attitude, se recroquevillant d’un coup devant l’entrée de ma chambre.
Je grommelle dans mon lit.

- C’est ça, on s’excuse parce qu’on a réveillé sa mère, mais si c’est moi,

tout le monde s’en fiche..... Shirin répond par un petit rire.

- Bon, je vous laisse régler vos affaires entre vous. Apparemment, mon poussin, tu vas bien. Je vais donc pouvoir vaquer au reste de mes occupations.

Avant de quitter la pièce, Shirin s’arrête devant son fils, lève la tête vers lui et lui dit :
- Et ne reste pas trop longtemps pour ne pas la fatiguer.

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- Parce que rester dans un lit, tu crois que cela va fatiguer Aura ? Au contraire, elle va pleurnicher pour que je vienne lui tenir compagnie toute la journée.

Quel vantard cet Askyn! Après, il n’a pas complètement tort. Je n’imagine pas rester toute la journée dans ce lit, même si cela réjouit par avance mon rouquin de chat.
Askyn attend que sa mère soit sortie, attrape un fauteuil et vient se planter à ma droite.

- Allez raconte moi tout ! Et pas la version que Sirius a livré à ton père !

Même assis, Askyn m’apparaît immense. Je ne m’habituerai définitivement à son nouveau physique et même à sa voix. Il restera toujours pour moi le petit garçon qui m’a accompagnée toute mon enfance, et qui m’avait murmuré à l’oreille, lorsqu’on m’avait ramenée au palais treize années plus tôt, de sa petite voix flutée « Aura, je serais toujours là pour toi ». Il ne savait pas encore qu’il allait perdre ses parents tragiquement peu de temps après.

La voix flutée a changé depuis longtemps, et j’ai devant moi assis sur le fauteuil un grand charmeur, avec une musculature naturelle dû à l’entrainement quotidien qu’il pratique avec les gardes, à la chevelure rousse en pagaille, aux yeux noisettes et le visage criblé de tâches de rousseurs. Askyn est né pour vivre dans l’action et à l’air libre. Cela a désolé longtemps sa grand-mère, car lorsque nous étions ensemble sur les bancs de l’école, avant qu’on ne m’enferme dans ce fichu Collège, il était bien plus brillant que moi. Avec mon départ, il m’a dit ne plus avoir aucun attrait aux études, la seule motivation qu’il y trouvait étant de vouloir me surpasser, m’avait-il expliqué en riant. Afin de tuer le temps, désormais seul, il a pris l’habitude de s’entrainer avec la garde du Palais, au sein de laquelle il a vite été accepté. D’ailleurs, Jack, le responsable, se considère comme son père spirituel et espère bien qu’Askyn lui succédera un jour à son poste. Askyn prend soin de Bucéphale pendant mon absence. J’ai également essayé qu’il recueille Caramel, mais apparemment deux rouquins mâles pour une seule maitresse, ça ne fonctionne pas.

Caramel a entendu la voix d’Askyn. Il vient de sortir de sous les draps, lui crache dessus, saute de mon lit et s’en va fièrement la queue en l’air. - Eh bien ça fait plaisir de voir qu’on est toujours bien accueilli dans

tes appartements.
Je prends un des coussins de mon lit et le lui lance à la figure. Il le rattrape en riant, se le colle en appui derrière sa tête, et allonge ses jambes sur mon lit.
- Alors, princesse ? Qu’es-tu allée farfouiner en zone interdite sans

ton serviteur préféré ?
Je prends le dernier coussin le lui renvoie au visage. Il le saisit et me dit d’un air malicieux

-  Ah ah, c’est le dernier. Tu m’envoies quoi maintenant ? Tes draps ?

-  C’est bon, c’est bon, tu as gagné.

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Je me redresse sur mon lit, pas gênée du tout de me montrer en petite tenue devant lui. Askyn, c’est mon vrai frère de laie. Nous avons toujours tout partagé depuis notre enfance. Nos repas, nos jeux, nos baignades dans les bassins naturels de la montagne. Mais cela semble aujourd’hui bien loin. Maudit Collège !

Shirin nous a toujours élevé comme si nous étions jumeaux, et cela, d’après ce qu’on m’a dit, n’avait absolument pas gêné ma mère, qui avait souffert du statut et de l’absence de ses parents. Je dois reconnaître que je ne suis pas proche non plus de mes grands parents, malgré leur proximité depuis que je fréquente le Collège. Pour mon plus grand malheur, mon grand père siége au Commandement Suprême, au titre de second du Commandant Suprême. Au Collège, je n’ai pas le statut d’une jeune fille comme les autres. Certains de mes professeurs sont très condescendants à mon encontre, au cas où un jour je pourrais intercéder en leur faveur auprès de mon illustre ascendant. Les idiots, s’ils savaient la nature des relations entretenue avec lui, ils réviseraient sans doute leur attitude.

Askyn me ramène à la réalité.

-  Alors raconte !

-  Raconter quoi ? Il n’y a rien à raconter, j’ai attaché Bucephale, je me
suis promenée, et j’ai été assez stupide pour me casser la cheville
dans un trou.

-  Très bien, me répond-il en souriant de toutes ses dents. Merci pour
la version officielle. Maintenant la tienne.
Je soupire. Je n’ai jamais réussi à mentir à Askyn. C’est ainsi. De toutes les façons, Sirius n’est pas idiot. Il nous connaît, et il sait bien qu’on ne s’est jamais rien caché.

- Bon d’accord. Mais tu promets de ne rien dire ?
Askyn porte la main à son cœur, croise les doigts de l’autre main, déclame le serment qui a été le leitmotiv de toute notre enfance, lorsque nous avions fait des bêtises.
- Je jure sur ta tête de garder le secret.
Je soupire en souriant.
- C’est bon, c’est bon, inutile d’en faire autant.
Il se réinstalle confortablement et repose les pieds sur mon lit.
- Alors ?
Je m’avance un peu vers lui, prends un air mystérieux et lui lance, en baissant volontairement ma voix :
- Alors j’ai été secourue par des irradiés.
Il enlève les pieds de mon lit, se redresse, et rapproche le fauteuil de moi.

-  C’est vrai ?

-  Vrai de vrai

-  Et alors ?

-  Ben alors rien. Ils sont absolument comme nous.

-  Pas de bras qui pendouillent ?

-  Rien, même pas les yeux dorés. Du moins pas ceux que j’ai vus.

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- Alors pourquoi c’est Sirius qui t’a ramené ?
Je marque un temps d’arrêt. Bien sur, c’est la première question que je me suis posée. Je soupire.
- Parce qu’à mon avis, ils connaissent Sirius, et ils l’ont appelé. Quand

les irradiés m’ont ramenée à la frontière, leur chef a appelé pour

dire que le paquet avait été déposé.
A cet instant, je revois Adam dans la pénombre et j’entends le son grave de sa voix.
Je regarde Askyn avec insistance.
- Askyn, maintenant que tu passes ta vie avec la garde, que dit-on

vraiment sur les irradiés ? A côté de la propagande que nous sert le

Commandement Suprême ?
Askyn se rassoit dans son fauteuil et repose les pieds sur mon lit.
- Il y a plein de rumeurs qui courent. Difficile de démêler le vrai du

faux, et le faux du vrai. Les gens se méfient. Ici, on est plus libre et

moins surveillé que dans les autres provinces, mais quand même.
Il marque une pause, puis reprend.
- Des gens de chez nous ont développé des contacts avec les irradiés,

et le Commandement Suprême en sait beaucoup plus que ce qu’il nous dit. Ce qui est sur, c’est qu’il y a une vraie vie de l’autre côté de la frontière. Ce que tu as vu me conforte dans cette impression. Je suis pratiquement certain que s’est développé un marché noir avec eux. Et que certains de chez nous ont tenté d’aller revoir leur famille là-bas.

Je perçois une certaine émotion dans sa voix. Je préfère alors changer de sujet, je sais que celui-ci est difficile pour Askyn. Cela fait longtemps que nous n’en avons pas parlé, mais il s’est toujours demandé si sa mère était vivante de l’autre côté de la frontière.

-  Et Sirius ?

-  Je pense que ton oncle fait partie des personnes qui ont développé
des relations privilégiées avec les irradiés. On ne l’ennuie pas trop, car c’est le fils de Kynes Carthag. Il est protégé en quelque sorte malgré lui par ton grand père, bien que je ne pense pas qu’ils aient de relations très chaleureuses entre eux.
A l’instar de ma mère, mon oncle n’avait pas très bien vécu son enfance dorée. Alors qu’il s’avérait être un élément plus que prometteur, il avait brusquement quitté le Collège juste avant le classement final, et préféré une vie de bohème à celle militaire qui lui était réservée. Lorsque je me suis rapprochée de mes grands parents, à mon entrée au Collège, instinctivement, j’ai senti qu’oncle Sirius était un sujet de conversation tabou. Malgré la photo de lui en tenu d’apparat, magnifique jeune homme blond aux yeux bleus rieurs, trônant sur le piano de ma grand- mère.
Ma mère en revanche n’avait jamais fréquenté le Collège. Pour mes grands parents, la place d’une fille était au sein de la famille, et surement pas à un poste de commandement. Plus cuisant pour eux avait donc été l’échec de leur aîné. Ma mère avait redoré pour un temps le blason familial, ayant épousé un élément prometteur, camarade de

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promotion de Sirius. Las ! Mon grand père avait été très déçu quand mon père avait au final été nommé pour un poste de gouverneur à la frontière, et non proche des lieux de pouvoir.

Bien qu’il ne me l’ait jamais ouvertement dit, tous les espoirs de mon grand-père reposent dorénavant sur mes épaules, malgré mon statut de femme. Il se renseigne régulièrement auprès de la direction du Collège pour se tenir au courant de mes progrès, m’a-t-on glissé.

Les propos d’Askyn me font revenir à la réalité.
- Le bruit circule même qu’un réseau irradié/sain se serait développé.

Contre la volonté du Commandement Suprême, qui n’a aucun

intérêt à ce que les choses changent.
Je mords ma langue afin de ne pas lui annoncer les bouleversements s’annonçant dans un laps de temps incertain. Mais là, je ne peux trahir mon père. Si l’information fuite de chez nous, il sera accusé en premier lieu d’avoir parlé. Et je ne peux prendre ce risque. Je décide quand même de lâcher une information.

-  Tiffany, la fille qui m’a soignée, m’a dit que le taux de radiation était
maintenant inexistant chez eux, et m’a sous entendu que je ne
risquais plus la contamination.

-  Oui j’ai aussi entendu cette rumeur. Ça semble logique, car depuis
150 ans, le taux de radiation s’est dilué. Mais tu sais, reprend-il en haussant les épaules, tous les laboratoires d’analyse sont sous surveillance du Commandement Suprême. Je te vois mal apporter un échantillon de la couverture que tu as ramenée, et en demander l’examen.
La seule personne qui peut apporter des réponses à nos questions, c’est Sirius. Askyn a la même pensée que moi.

- La seule personne capable de nous répondre, c’est ce cachotier de

Sirius. Il est évident qu’il est en contact avec les irradiés, sinon tu ne

serais pas ici. Il faut qu’on réussisse à le coincer pour le faire parler. Il se lève, dépose un baiser sur ma tête et dit :
- Bon, eh bien tu n’as plus qu’à trouver une bonne excuse pour le faire

passer à la casserole. Moi je dois aller rejoindre les autres pour

l’entrainement. Je repasserai te voir dès que je pourrai.
Il se lève et quitte la chambre. J’entends alors dans le couloir mon chat cracher, un « toujours aussi charmant ce matou », et Caramel entre de nouveau dans ma chambre, la queue bien en l’air, saute sur mon lit et vient se pelotonner auprès de mon oreiller.

* **

Comme je pouvais m’y attendre, je tourne en rond dans ma chambre. La compagnie de Caramel est charmante, mais elle a ses limites.
Je réfléchis à ma conversation avec Askyn. Si une personne possède des informations fiables sur les irradiés dans notre province, c’est sans aucun doute mon père. Il est le représentant du Commandement

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Suprême. S’il n’est pas en odeur de sainteté auprès d’eux, le Commandement doit partager néanmoins un minimum d’informations avec ses représentants pour la gestion du territoire. C’est la fin d’après- midi. Mon père devrait en avoir fini avec ses réunions et être seul dans son bureau. J’attrape mes béquilles posées sur le rebord de mon lit et décide d’aller lui rendre visite.

Altris est encore dans le bureau. Tous les deux sont penchés sur une carte, sans doute afin de définir par où débuter les opérations de recensement de la population. Ils relèvent la tête lorsque j’entre dans la pièce.

-  Excusez moi père, je pensais que vous étiez seul.

-  Non, tu peux entrer Aura, nous avions fini.
Altris se lève, vient me saluer, et repart avec la carte sous le bras. Nous sommes seuls.

-  Ta cheville ? s’enquiert mon père

-  Très bien, je n’ai absolument pas mal. En fait, je m’ennuie.

-  Et donc tu t’es dit : pourquoi pas rendre visite à mon père adoré ? Je souris, et je reprends.

- Tout à fait. Maintenant que je suis dans le secret des dieux, autant

tout savoir afin de vous aider à pouvoir gérer au mieux la situation. C’est à mon père de sourire.
- Ma chérie, il n’y a rien à gérer. Tu vas repartir au Collège, et

reprendre ta vie d’étudiante bien tranquille.
Oser avoir espéré une attitude différente de sa part serait un mensonge. Je tente néanmoins le tout pour le tout, en le fixant intensément avec une voix appuyée.
- Père, vous rendez vous compte de ce que vous dites ? Comment

reprendre une vie normale au vu de l’imminence de la catastrophe ? Pour le coup, je suis vraiment sincère. Ça a au moins le mérite de lui arracher un soupir.
- Justement j’aurais bien voulu que tu profites de ces derniers

instants en toute quiétude.
- Ce qui est fait est fait. Maintenant, je veux pouvoir être utile. Et pour

cela, je dois connaitre un maximum de choses sur la situation actuelle, notamment la vérité sur les irradiés, tous ces gens qu’on va abandonner à leur triste sort.

Mon père se semble se résigner, et me désigne le fauteuil en face de lui. Je prends place et pose mes béquilles sur l’accoudoir.
- Bon, je ne vais peut-être pas reprendre depuis le début. Tu connais

tout ça j’imagine. Storm frappant sans prévenir, les frontières

instaurées, les irradiations, les bébés abandonnés...
J’arrête mon père de suite, je veux en arriver directement au point motivant ma visite.

-  Non, ça c’est bon je connais. Ce que je dois savoir, c’est ce qui se
passe en Territoires irradiés. Ça, on ne nous l’apprend pas à l’école.

-  D’accord, je vais te dire ce que je sais. Mais le Commandement Suprême en sait surement beaucoup plus sur ce registre, et
notamment ton grand père.
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Je note dans un coin de ma tête d’aller fouiner de ce côté là.

-  Suite à Storm, reprend-il, il y eu de nombreux morts de l’autre côté, pratiquement la moitié des habitants. Décédés sur le coup, ou alors suite aux irradiations. Des transformations physiques se seraient produites chez les survivants, comme la couleur des yeux. Le taux de natalité a bien sur chuté. L’abandon de nos irradiés a peut-être été au final pour eux une aubaine, en compensant les morts. On pense que néanmoins la vie a peu à peu repris son cours normal là-bas, les
irradiations contaminent mais ne détruisent pas.

-  Et le taux de radiation ? En 150 ans, il a du obligatoirement baisser !

-  Sans nul doute. Mais une fois installée cette frontière entre nos deux
mondes, difficile de faire ensuite machine arrière. Il y a environ cinquante ans, un groupe d’activistes a essayé de remuer l’opinion publique afin de faire bouger les choses. Ils ont été fichés comme opposants au Commandement Suprême, leur tentative a été étouffée dans l’œuf, et de façon violente. Le Commandement a voulu faire un exemple. Depuis, personne n’a osé s’élever contre eux, du moins de façon publique.

-  Et les rumeurs de marché noir avec des gens de chez nous et ceux des Territoires irradiés ?
Mon père hausse les épaules.

-  Je suppose qu’à toute rumeur, il existe un fond de vérité. Mais le Commandement Suprême se garderait bien de communiquer dessus, le système actuel prône l’étanchéité des frontières.

-  Mais Père, vous avez bien une opinion personnelle sur le sujet ? Mon père marque un temps d’arrêt, puis reprend.

- Effectivement, j’avais une opinion. Mais maintenant, elle n’a plus

aucun intérêt. J’espère juste que les malheureux là-bas s’en sortiront après le passage de la prochaine tempête.

*
**
J’ai chaud, je transpire. Je suis dans un tunnel, je cours. Je débouche sur une salle. Je m’approche de lui et je le reconnais instantanément : c’est Adam, le chef des jeunes irradiés. Il se tourne vers moi et ses yeux me fixent intensément. Une onde de chaleur s’empare de moi, je suis irrésistiblement attiré vers lui. Que m’arrive-t-il ? J’essaie de résister mais mon corps, à mon esprit défendant, s’approche de lui et lui saisit les avant-bras. Je lève la tête, mes yeux s’emplissent de larmes, ma gorge est complètement nouée. Je ne comprends absolument pas ce qui m’arrive. Le dénommé Adam me prend contre lui et me serre alors dans ses bras. Ma joue est posée sur sa poitrine et je sens sa chaleur et les battements de son cœur. J’ai un sursaut de panique. Il est fou il va me contaminer ! Mais je le serre encore plus fort, et je sens quelque chose de mouillé sur ma joue. Adam s’écarte alors, me prend le visage entre

ses mains. Il essuie ma larme, et pose un doigt sur mes lèvres. - Chut, dit-il, ne dis rien. On fait comme on a dit, d’accord ?

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Je hoche de la tête, sans rien dire. J’ai la gorge tellement nouée que je ne vois pas ce que je pourrais dire !
- Ne t’inquiètes pas, me sourit-il, on a déjà résisté il y a longtemps,

donc on va pouvoir tenir une seconde fois, et cette fois-ci, nous ne

sommes pas pris par surprise.
Je ravale mes larmes, toujours incapable de prononcer un mot.
- Il faut que tu sois forte, car n’oublie pas qu’on compte sur toi ? tu

n’oublieras pas, mademoiselle ?
J’essaie de lui sourire à l’évocation de mon surnom, mais quel surnom ? Pourquoi m’appelle-t-il comme ça ? Il me serre à nouveau très fort, si fort contre lui. Ses mains s’enfouissent dans mes cheveux.
- Et surtout n’oublie pas que je t’aime, malgré toutes nos différences

et ta tête de mule.
J’acquiesce, ma tête entre ses mains. Il s’écarte, essuie à nouveau les larmes qui coulent sur mes joues. Puis il redevient grave, se penche une dernière vers moi. Je sens quelque chose de chose de gluant sur ma joue droite, c’est râpeux....et je me réveille en sursaut. Caramel vole alors dans les airs et retombe par terre en miaulant.

Je suis en nage. Je me redresse dans mon lit, en tentant de reprendre mon souffle. Tout est calme autour de moi. La lumière du jour commence à pointer doucement sous les rideaux de ma chambre. Je regarde l’heure. Presque six heures du matin. Le soleil va bientôt se lever.

Un rêve, seulement un rêve. Ou un cauchemar? Mais d’une telle intensité. Je sens encore la chaleur du corps d’Adam contre moi, et la peau de mes joues tiraillent sous l’effet du sel des larmes séchées. Mon cœur bat encore la chamade. C’était si... réel. Je rabats la couette de mon lit et m’assoie en posant les deux pieds au sol. Aïe !! Une douleur fulgurante me traverse le pied. Ma cheville ! J’ai complètement oublié ma cheville ! Je m’allonge en travers de mon lit, les bras en croix, en regardant le lustre du plafond. Qu’est-ce que tout cela signifie donc ? Pourquoi je me sentais en harmonie avec cet Adam? Qui est-il vraiment ? Il m’avait semblé tellement distant et froid.

La seule personne à avoir la réponse à mes questions, c’est oncle Sirius. Adam l’a appelé pour venir me chercher. J’en suis certaine. Sirius connaît Adam. Je dois tirer les vers du nez de mon oncle, qui s’est vite empressé de disparaître quand on m’a ramenée au palais.

Je me rassois sur le bord de mon lit, en prenant garde cette fois de ne poser qu’un pied à terre. Je saisis les béquilles posées contre le fauteuil et me mets debout. La seule personne capable de m’aider, c’est Askyn. Je sors sans bruit de ma chambre, enfin j’essaie, en essayant de reposer le plus doucement mes béquilles sur le sol. L’escalier est impossible à emprunter, je ne veux pas prendre le risque de tomber et d’alerter un domestique. J’opte donc pour l’ascenseur de service, et je me dirige vers les appartements du personnel. Askyn possède toujours sa chambre chez sa mère, et j’espère bien l’y trouver.

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Je tourne doucement la poignée de l’appartement de Shirin. Elle s’ouvre. Shirin est déjà debout et surement aux cuisines. Tant mieux. Je m’introduis en faisant le moins de bruit possible. Ça fait longtemps que je ne suis pas venue ici. Depuis mon entrée au Collège. Tous mes souvenirs d’enfance remontent d’un coup. Je m’arrête pour sentir ces odeurs familières m’envahir. Elles font partie intégrante de moi. Tout est calme. La chambre d’Askyn est au fond du couloir. Je sautille sur un pied en prenant garde de poser délicatement à chaque fois ma béquille pour être la plus silencieuse possible. Devant la porte, je rassemble les deux béquilles dans ma main gauche, et je fais tout doucement pour tourner la poignée avec la main droite. Je bénis Shirin d’entretenir son appartement si soigneusement, les gonds sont parfaitement huilés, et la porte s’entrouvre dans un silence absolu. Je reprends une béquille dans chaque main, et je m’approche doucement du lit d’Askyn. Ouf, il est bien là. Il est allongé sur le dos, un bras au dessus de la tête, l’autre sur sa poitrine torse nu. Son drap est remonté jusqu’au niveau de son ventre. Je m’arrête pour le regarder. Mince, ça fait longtemps que je ne l’avais pas vu dénudé. Son corps a complètement changé. Ses épaules sont dessinées par ses muscles, et il a une sacrée ceinture d’abdominaux. J’aimerais bien avoir les mêmes. Je m’approche le plus doucement possible.

Comment le réveiller ? J’hésite entre lui chatouiller les pieds, comme je le faisais quand nous étions enfants, ou alors lui tirer les cheveux. Finalement, j’opte pour une méthode douce. Je me place devant lui et lui souffle doucement sur le visage. Tout ce que j’obtiens, c’est un froncement de nez. J’avance alors ma main pour lui toucher l’épaule. Et là, sans comprendre comment, je me retrouve plaquée sur le lit, la tête dans son oreiller. Je ne sais pas comment il a fait, je n’ai absolument rien vu venir. J’ai de bons réflexes, entretenus au Collège lors des cours de combat, mais là, Askyn a pris une sacrée avance sur moi en quelques années. Mes béquilles font un bruit de métal en tombant sur le sol. J’étouffe.

- Aura ? Mais qu’est-ce qui te prend de me réveiller comme ça ?
Je me tortille sous lui. Je ne peux pas lui répondre, j’ai la tête dans son oreiller, et il m’a coincé un bras dans le dos. Si Askyn a changé physiquement, en revanche, je reconnais toujours son odeur. Elle est associée à mon enfance, à nos jeux dans l’herbe, à nos grandes chevauchées.
Il m’écrase complètement avec son corps. Je dégage la tête de l’oreiller et proteste.
- Tu m’étouffes !
Il me lâche les bras et s’écarte de moi. Je me retourne sur le dos et je me retrouve nez à nez face à lui. Et là, je prends conscience de l’incongruité de la situation. Askyn est complètement nu. Je me cache les yeux avec mes mains et un fou rire s’empare de moi. Il marque un temps d’arrêt, puis s’écroule à côté de moi en rigolant à son tour.

-  Tu ne changeras jamais ! me dit-il, une fois le rire passé.

-  Bon, ce n’est pas une raison de te coller à moi nu comme un vers,
dis-je en tirant le drap sur lui pour le couvrir un minimum. 29

Comment pouvais-je deviner que maintenant tu dormais comme

ça ?
Ma remarque nous déclenche à nouveau une crise de fou rire. Quand nous commençons à nous calmer, Askyn me dit « Ferme les yeux, je me lève ». Je ferme les yeux, mais pas tout à fait. Je le regarde entre mes paupières. Effectivement, il a changé. Son entrainement quotidien a modifié son corps. Il enfile un pantalon et se retourne vers moi.

-  Tu me prends pour un idiot ? Je sais très bien que tu regardes.

-  Ca te gêne ?
Je suis allongée dans son lit, la tête sur son oreiller, les bras croisés derrière la tête, avec un petit sourire sur les lèvres.
Il vient s’asseoir sur le rebord en me disant, sur un ton ironique.

-  Pas du tout, mademoiselle la voyeuse ! Je te rappelle qu’on nageait
dans le lac ensemble, il n’y pas si longtemps. Alors... Quel vent amène la princesse dans ma modeste antre au lever du jour? M’apporter le petit déjeuner au lit ? Mais je ne le vois nul part, se moque-t-il de moi en regardant partout autour de lui.

-  C’est bien un réflexe d’homme, ça, vous ne pensez qu’à manger alors que des choses importantes se trament dans l’ombre, dis-je en essayant de retrouver un ton sérieux. Je veux que tu m’amènes chez Sirius. On doit l’interroger sur ce qu’il sait des irradiés.
Askyn me regarde avec un air espiègle.

- « On » ? Depuis quand la princesse décide-t-elle pour moi ?
Je lui lance son oreiller sur sa tête.
- Arrêtes Askyn, je ne peux rien faire toute seule avec cette maudite

cheville. S’il te plait, j’ai besoin de toi sur ce coup là.
Il quitte le lit, ploie un genou au sol
- Demandé comme cela, comment ton preux chevalier devant l’éternel

peut-il te refuser cette aide ?
Je me redresse, lui tends les mains, et lui réponds, en lui faisant un clin d’œil.
- C’est parfait ! Mais avant d’y aller, allons déjeuner.
Et avant d’avoir eu le temps de bouger, il se penche vers moi et me prend dans ses bras en me disant que nous arriverons plus vite aux cuisines ainsi, qu’avec mes béquilles. Ce en quoi il n’a pas tort. Je passe donc les bras autour de son cou et je me laisse porter jusqu’à notre petit déjeuner.

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