chapitre 3

8 minutes de lecture

J’ouvre les yeux avec difficulté. Je ressens une douleur localisée sur ma cheville droite. J’essaie de bouger, la douleur se fait fulgurante. Pas de doute, c’est cassé. Mais impossible de voir ce qu’il en est, je suis en botte. Et je ne réussirai pas à retirer celle-ci, car mon pied a commencé à enfler.

Que s’est-il passé ? Je vois au-dessus de moi le chemin sur lequel je devais être quelques mètres plus haut. Par chance, le dénivelé n’est pas si important, la pente est assez douce et recouverte d’herbes. J’ai du rouler jusqu’ici. Et soudain, je réalise que je suis à même le sol. Mon pantalon me protège du contact avec l’herbe. J’ai une chemise à manches longues, mes bras sont donc protégés. En revanche, je regarde mes mains posant dans l’herbe. Par réflexe, je les remonte vers moi et les ramène sur mon ventre. Bon déjà, je n’ai pas de blessures à ce niveau là. Je bouge doucement ma jambe gauche. Rien, pas de douleur. Mon dos maintenant. Je tente de me relever en prenant garde de ne pas solliciter ma cheville droite. Je me retrouve assise, les jambes tendus devant moi. Je lève mes bras en l’air, tourne mon torse à droite, puis à gauche. A part quelques gros bleus, je m’en tire plutôt bien.

Je regarde autour de moi. Je suis seule, avec pour seule compagnie les milliers d’oiseaux dans les arbres gazouillant autour de moi. Et je n’ai pas pris de transmetteur avec moi. De toutes les façons, ces derniers ne fonctionnent surement pas en zone irradiée.

Réfléchis, me dis-je. Au Palais, lorsque je suis sortie avec Bucéphale, je me suis bien gardée de révéler me destination. Je me laisse aller sur l’herbe. Voilà ! Perdue au milieu de nul part en pleine zone irradiée. Et même si on retrouve mon cheval, personne n’osera imaginer que je me suis aventurée si loin. Combien de temps ai-je marché ? Deux heures ? Impossible de bouger avec ma cheville. Même si je réussis à me mettre debout, je n’ai rien pour m’appuyer afin de soulager celle-ci. Bon, en atteignant l’arbre aux oiseaux à cinquante mètres de moi, je pourrais au moins me redresser et soulager mon dos. Je n’ai d’autre choix que de me trainer comme je peux, car si je tente d’y aller à cloche pieds, je risque de me blesser à nouveau. J’ai l’impression que ce sont les cinquante mètres les plus longs de ma vie. J’atteins enfin mon but, je m’installe tant bien que mal et laisse aller ma tête contre l’écorce épaisse. Je prends spontanément une grande goulée d’air. J’expire en vidant mes poumons au maximum. J’inspire à nouveau. Rester calme, une crise d’angoisse ici ne ferait qu’aggraver les choses.

Je m’assoupis. Surement l’effet du choc. Lorsque je reprends mes esprits, il fait nuit. Le froid m’a réveillée. J’ai faim, mais la soif m’assèche la gorge. J’entends des bruits sourds autour de moi. Les animaux. Y-a-t-il des animaux qui dévorent les humains en zone irradiée ? Des grillons chantent. S’endormir au milieu des grillons, que peut-on rêver de plus beau en Territoires irradiés ?

17

La pluie me réveille. Je suis transie. Je veux bien mourir, mais au chaud, pas au froid. Mon corps est traversé de tremblements, mes dents claquent, au sens premier du terme. Je suis brulante, mais glacée. Soudain sur ma droite, je crois voir une silhouette. Ca y est, je commence à avoir des hallucinations. J’essaie de me concentrer. Oncle Sirius. Lui connaît les Territoires irradiés. Oncle Sirius. Je me concentre sur cette pensée, en essayant de faire les exercices de respiration qu’il m’a appris pour lutter contre la panique. Oncle Sirius, ne m’abandonne pas. Je replonge dans les ténèbres.

* **

- Elle est ici !
Des voix tout autour de moi. Des pas. Je suis treize ans en arrière. Mais là, pas de bruit d’hélicoptères, pas de vent, pas de poussière.
Et là une voix très douce, près de mon oreille.
- Ne t’inquiètes pas, on va s’occuper de toi.
J’ouvre les yeux. Il fait jour, le soleil brille de nouveau. De grands cheveux blonds bouclés brillent de mille feux au-dessus de moi. Des yeux bleus. Bienveillants.
- Tu as soif ?
J’essaie de répondre, mais tout ce que j’arrive à extirper de ma gorge, c’est un râle.
- Je vais approcher la bouteille de ta bouche. Tu vas réussir à boire ? Autre râle. La jeune fille approche le goulot de mes lèvres. Je redresse légèrement la tête et j’avale autant d’eau que je peux, je ne veux plus m’arrêter. L’eau coule sur mon menton, dans mon cou, mais ce n’est pas grave. J’entends un rire « Eh bien, elle a soif la jolie demoiselle de l’autre côté ». Je m’en contrefiche, je continue de boire. Quand je suis enfin rassasiée, je jette un œil. Quatre garçons et deux jeunes femmes se tiennent derrière la jeune fille aux boucles blondes.
Elle reprend la bouteille et me sourit.
- Ça fait du bien, n’est-ce pas ?
Je reprends mon souffle et je lui dis merci.
- Tu as eu beaucoup de chance ! Personne ne passe dans cette zone.

C’est Adam qui a eu l’idée de venir par ici. Où es-tu blessée ?
Mes yeux s’arrêtent sur ma cheville.
- La jambe ? Très bien, je vais regarder. Ne t’inquiètes pas, tu ne

crains rien.
Et là, je la regarde bêtement. Pourquoi me dit-elle ça ? Et je comprends enfin. Ce sont des irradiés ! Ma tête déclenche un éclat de rire.
- C’est la première fois que tu rencontres quelqu’un de chez nous ? Tu

nous imaginais peut-être avec un œil qui tombe et un bras

pendouillant à moitié ?
Eclats de rire cette fois-ci dans le groupe. Un garçon se mime avec un bras qui tombe et en train de boiter. Il s’approche d’une de ses

18

camarades et lui crie en pleine tête « Bouh Bouh » en faisant mine de la toucher. Les rires repartent de plus belle.
La jeune fille rigole aussi. Elle est tellement charmante.
- Mon Dieu, quelle idée tu vas te faire de nous !

Je ne peux lui répondre. Tout d’abord, parce que ma gorge me fait toujours aussi mal. Ensuite, parce que je suis tétanisée par la situation.
- Il va falloir te couper la botte. Chen, tu aurais des ciseaux sur toi ?
Le dénommé Chen s’approche en souriant et tend un ciseau.

- Tiens Tiffany, je n’ai que ça. Ça ira quand même ?
La dénommée Tiffany commence à couper ma botte, en passant le ciseau vers le haut et en descendant vers ma cheville
- Quel dommage ! De telles jolies bottes. Attention, je vais tirer sur le

bas pour finir de tout enlever. Ça va ? Tu tiens le choc ?
Je fais oui de la tête. Ma botte coupé sur le côté, elle palpe ma cheville au travers mon pantalon. Mon corps se raidit sous la douleur.
- Bon dit-elle, c’est bien la cheville. Je vais remonter doucement, et tu

me dis si tu as mal. Là ? Très bien. Et là ?
Elle remonte ainsi toute la jambe. Quand elle a fini, elle se lève, se dégourdit le corps.
- Tu as de la chance. C’est juste une fracture, mais pas bien méchante

apparemment. Sinon avec les deux jours que tu as passés ici, ç’aurait été une autre histoire. En revanche, ça va être difficile de te déplacer. Je vais voir avec Adam comment faire.

Elle s’éloigne et rejoint un autre jeune homme que je n’avais pas vu, car il se tient en dehors du groupe. Il est grand, fin mais on devine ses muscles sous les vêtements, la peau bronzée avec des cheveux noirs. Il tient une radio à la main et est en train de parler. Il s’arrête lorsque Tiffany s’approche de lui. Il l’écoute en regardant dans ma direction. Son regard et ses yeux noirs semblent me transpercer. Apparemment, c’est lui le chef.

Tiffany revient vers moi. Elle sourit
- On va te transporter dans un de nos véhicules et on va te ramener

près de la frontière. C’est bon ? Tu tiendras d’ici là ? Je suis désolée,

mais je n’ai pris aucun médicament anti douleur avec moi.
Et là, la seule chose que je trouve à dire, la chose la plus stupide en cette circonstance, au lieu de remercier Tiffany de son aide et de sa gentillesse
- Tes yeux ?
Tiffany sourit
- Ah les yeux d’irradiés, couleur or ? C’est ça que tu veux dire ? Eh

bien, il faudrait peut-être vous tenir au courant de l’autre côté. Oui il y a 150 ans, certains de nos aïeuls ont eu les yeux qui ont changé de couleur suite aux irradiations, mais nous maintenant, c’est fini. Le taux de radiation devenant de plus en plus faible, les effets se sont estompés avec le temps. D’ailleurs, ajoute-t-elle de façon espiègle, c’est très pratique quand nous nous introduisons également chez

19

vous. Difficile de nous reconnaître, non ? Promets que tu ne nous

dénonceras pas si tu nous croises dans un village!
Nouveaux éclats de rire de la part du groupe. Le jeune homme reprend sa parade de boiteux. Les rires cessent instantanément lorsque le dénommé Adam s’approche de nous.
- Assez rigolé. La demoiselle a vu à quoi on ressemblait. Chen, tu peux

approcher le camion ? On va essayer de la porter et de l’installer dans le coffre. Ça sera sans doute douloureux avec les vibrations, mais bon c’est le prix à payer pour s’être aventurée chez nous sans y être invitée, dit-il en me regardant. Louis, tu peux venir m’aider ?

Un garçon blond s’approche et ils me soulèvent tous les deux en me prenant sous les épaules. Je veux poser mon pied gauche à terre pour les aider, mais ma tête tourne et ma jambe valide se dérobe sous moi. Tiffany me rassure.

- C’est normal, tu n’as rien mangé ni bu pendant presque deux jours, et tu es restée allongée sur le sol. Laisse les garçons te porter.

Je suis un vrai poids mort. Ils réussissent à me hisser dans le coffre ouvert. Tiffany m’installe une couverture et les garçons me déposent dessus.
Adam saute du camion.

- Allons-y vite avant que la nuit ne tombe.

Allongée à même le sol du coffre, je regarde le ciel et suis chahutée dans tous les sens. La piste est caillouteuse. Et oui, les vibrations du camion réveillent la douleur. Je serre les dents. Les nuages défilent au dessus de moi. Le temps passe et malgré les secousses, je recommence à somnoler.

- On est arrivé !
Je me réveille en sursaut. La nuit est tombée. Je suis complètement vaseuse. Tiffany s’approche de moi
- Les garçons vont te déposer sur le sol et on va venir te chercher. Ne

t’inquiètes pas, tu n’auras pas à attendre longtemps. On va te laisser la couverture. Sincèrement, je ne pense pas que tu risques l’irradiation en la touchant, dit-elle en souriant.

Louis et un autre garçon me soulèvent à nouveau et m’allongent sur le sol. Tiffany m’enroule dans la couverture. Au loin la silhouette d’Adam se découpe dans la pénombre. « C’est bon, le paquet est arrivé », dit-il dans son talkie.

Tiffany me sourit une dernière fois.
- Ravie de t’avoir rencontrée ! J’espère que maintenant tu nous verras

autrement.
Elle prend sa main, y dépose un baiser, et souffle dessus pour me l’envoyer. Tout le monde remonte dans le camion. Il s’éloigne dans la nuit. Je ne les ai même pas remerciés.

Le champ des grillons reprend son cours. Je m’assoupis.Tout d’un coup, j’entends un bruit de pas. J’ouvre les yeux et regarde devant moi. Oncle Sirius.

Annotations

Vous aimez lire caroline NVT ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0