Un printemps à Londres

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Julia m’entraîne vers le marché de Ridley Road, dans le quartier africain de Dalston. Devant ma moue dubitative, elle tente de me convaincre :

— Tu ne connais que le Londres des cartes postales ! Moi je veux te faire découvrir les aspects multiculturels de ma ville…

Quand elle me regarde comme ça, je ne peux rien lui refuser. Deux ans qu’on s’aime à distance, deux ans de retrouvailles le vendredi soir très tard, de samedis matins prolongés sous la couette, d’english breakfasts at 2 p.m, de dimanches trop courts s’achevant sur les quais d’une sinistre gare londonienne… Alors comment lui dire que je m’en contrefous de son marché, des épices qu’elle veut y acheter, que tout ce qui m’importe, c’est d’être avec elle, quel que soit l’endroit ?

— Julia ?

Elle ne m’entend pas, hésite entre deux sortes de curry pour cuisiner le poulet du dîner, écoute le marchand lui vanter les mérites de chacune d’elles, et moi, moi je suis étranger à tout ça.

— Julia ?

Elle paye en livres sterling. Je me rends compte que je ne suis pas fait pour vivre ici. On va encore tenir combien de temps comme ça, avant qu’elle ne se lasse, qu’elle ne rencontre un Anglais bon teint qui acceptera d’emménager sous le même toit qu’elle ?

— J’ai pas envie de te perdre, darling, mais… Je ne veux pas rencontrer tes parents ce soir.

— But why ?

— On ne peut pas continuer comme ça. Je ne suis pas prêt à m’engager. Et je vois bien que ça te saoule, que tu voudrais plus…

J’ai balancé ça comme ça, en plein milieu de ce marché coloré, pittoresque, sans réfléchir. Julia lâche son sac à provisions qui s’écrase à mes pieds. Elle me gifle mais je ne sens rien. Parce que je pressens quelque chose, quelque chose qui me fera infiniment plus mal.

Julia court, des larmes plein les yeux. Elle ne voit plus rien, court encore. Et moi, je cours à mon tour à sa suite, essaie de la rattraper, hurle. Il est hélas trop tard. Une voiture la percute. Ce sont désormais ses larmes qui coulent sur mes joues. Le printemps de Londres se fane ; ma Julia, devenue diaphane, n’est plus. Pourtant, je l’aimais.

***

Paris. C’est l’hiver, enfin il me semble. Il neige et j’ai froid. J’ai toujours froid depuis qu’elle n’est plus là. J’erre dans les rues, une petite fille glisse sa main dans la mienne. Elle tend son visage vers le ciel ; peut-être y cherche-t-elle sa mère de ses prunelles ambre…

— Ta maman nous regarde de là-haut, tu sais, lui dis-je sans vraiment y croire.

Des flocons volettent. Je m’accroupis à hauteur de la fillette :

— Tu sais Amy, j’aimais beaucoup ta maman. Je suis aussi triste que toi qu’elle ne soit plus là.

Elle sanglote, je la prends dans mes bras, la serre très fort.

— Tu veux que je t’emmène voir Cinderella à Disneyland ?

Elle acquiesce d’un hochement de tête. Je la porte tout contre moi et pour la première fois, ressemble un peu à un papa. Ce papa que j’aurais pu être si je n’avais pas eu si peur de moi.

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