Je voyais bien la vieille s’agiter et entreprendre l’homme chauve ; lui poser mille questions sur le protocole du mariage. Où était le costume ? Et la robe de la mariée ? Et les poulets ? Avait-on pensé aux poulets pour le sacrifice ?

Sans doute mu par un réflexe de politesse, l’homme soulevait de temps en temps ses paupières, libérant un regard semblable à de la purée de marrons. Il répondait par de brefs grognements assez incompréhensibles.

La comtesse les interprétait à sa guise et d’une voix de rogomme posait de nouvelles questions en faisant trembler ses vieilles joues molles et couperosées.

- Ah, vous êtes là, cher ami ! me dit Monsieur D.

Il semblait être le seul en ce lieu, à me voir.

- A la fin, me donnerez-vous quelques explications ? dis-je.

- Vous êtes passé de l'autre coté du miroir. Il fallait vous attendre à quelques transformations me dit-il avec un sourire digne de Frankenstein junior.

- Les choses ne sont pas si simples, de ce coté. Mais j'ai pensé que vous étiez le seul digne de me rejoindre ce soir. Ce monde est un monde virtuel. Vous le savez bien d'ailleurs, vous qui passez vos journées derrière l'écran de votre ordinateur. Je tenais à ce que vous sachiez qu'il existe réellement, réellement mais virtuellement. Il n'y a que moi qui puisse passer d'un monde à l'autre sans trop de dégats…

Ces explications, loin de m'éclaircir les idées, finirent par me les embrouiller. Tout se bousculait dans ma tête: cette maison rattachée à mon enfance, le miroir de ma grand-mère, l'odeur de fleur d'oranger, mon travail d'écriture devant un écran toute la journée...Jusqu'où les choses allaient-elles se mêler ? Je ne savais vraiment plus où j'en étais...