Partie 1.3

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L’inconnu fait signe au barman de nous resservir. Je l’observe faire, tendue.

— Je ne connais toujours pas votre nom, j’ose.

— Paul.

— Juste Paul ?

Il sourit.

— Juste Paul.

Je m’apprête à prendre le verre que l’on vient de me servir lorsque Paul s’en saisit. Il m’adresse un sourire malicieux. Je lève les yeux pour croiser son regard.

— Trinquons.

Mon air méfiant le fait rire.

— Allons. Je ne vais pas vous mordre.

Il me rend mon verre et tend le sien. Je cogne mon mojito contre son breuvage à contrecœur. Il a opté pour un vieux whisky dont l’odeur m’agresse les narines.

— A la vôtre.

Il m’adresse un dernier sourire avant de boire son verre cul sec. Pour ma part, je sirote mon verre lentement. Mon regard ne le quitte plus.

— Que faites-vous dans la vie, Solène ?

— Je ramasse les ordures dans la rue, je lui réponds du bout des lèvres.

Il hoche gravement la tête.

— Je comprends que vous soyez si aigrie.

— Je ne suis pas aigrie.

— Peut-être. Mais je comprends votre dégoût pour votre frère, si haut placé. Que fait le second membre de votre fratrie ?

Je suis du regard le verre qu’il porte à ses lèvres.

— Il est commercial dans une banque.

Il hoche la tête, comme s’il comprenait parfaitement ma situation. Je déteste cette fausse compassion qui me hérisse le poil.

— Une condition tout à fait honorable.

Je crispe mes doigts sur mon verre. Cet homme se moque de moi. Je darde mes yeux bruns sur lui.

— Contrairement à la mienne, je crache.

— Allons, Solène…

— Madame Veriet.

— Solène…

— Madame Veriet. Je vous interdis de m’appeler par mon prénom. Et puis fichez-moi la paix. Je ne vous ai rien demandé.

Il soupire. Ne s’en va pas. Néanmoins, il conserve le silence. Ce que j’apprécie. Je continue de boire mon verre lentement, lorsque je me dis que j’y suis peut-être allée un peu fort.

Je repense à ma vie. A cette stupide vie. A mes frères qui ont eu le choix dans la vie. Dont le sort n’a pas été aussi misérable que le mien. Je repense aux crottes de chiens que j’ai dû ramasser aujourd’hui. A la tache qu’elles ont laissée sur le bas de mon jean que je n’ai pas encore changé. Je regarde le pull informe que je porte en ce moment-même. Au vide désespérant de ma vie amoureuse. Et je me fais pitié. Je me sens misérable.

Les larmes commencent à me monter aux yeux.

— Je pense que je vais rentrer chez moi.

Je me lève du tabouret lorsqu’un puissant vertige me saisit. Paul m’attrape le bras avant que je ne m’écroule par terre.

— Doucement… Vous avez peut-être un peu forcé sur l’alcool ce soir.

Je tente de me dégager mais mes membres ne me répondent plus comme je le voudrais.

— Lâchez-moi !

Ma bouche est pâteuse, je n’arrive pas à articuler correctement. Du coin de l’œil, je vois Paul faire un signe au barman. Doucement, il me guide vers la sortie.

— Vous deviez avoir bu plus de verres que je ne le croyais.

Je tente de le détromper mais ma bouche ne me répond plus. Il a peut-être raison. Je ne me suis pas rendu compte de la quantité d’alcool que j’ai ingurgité ce soir. Ma bouche se met à sourire toute seule. Un gloussement s’en échappe. Je mets un instant avant de me rendre compte que c’est bien moi qui ris bêtement.

— Je vais vous ramener chez vous.

Au fond de moi, je me dis que c’est une très mauvaise idée.

— Au revoir Monsieur Fink, le salut poliment le barman.

Les vertiges sont de plus en plus forts. Un instant je suis debout, celui d’après je suis dans les bras de Paul. Paul Fink. Mes gloussements redoublent. Du coin de l’œil, j’aperçois son sourire.

— Oui, mon nom est bien Paul Fink.

Je le répète après lui. Je goûte son nom. Il ne m’est pas inconnu. Un dernier vertige m’emporte tandis que je le répète une dernière fois.

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