3 Novembre 2017 - 22h34

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Chambre d’hôpital de Gabriel Blanc

Quand je revins dans la chambre de Gabriel, après la fin de mon service à 20h30, celui ci était endormi. En essayant de ne pas faire trop de bruit afin de ne pas déranger son sommeil, je m'installais dans la chaise près de la fenêtre et observait l'homme de plus près. Son visage était pâle, moins de la peau bronzée que Gabriel avait lorsque nous étions plus jeune. Mais j'étais aussi plus pâle que lorsque je vivais dans le Sud de la France. Entre les longues heures passées au sein de l'hôpital et la grisaille parisienne, je n'avais pas beaucoup d'occasion pour me poser au soleil. On pouvait encore voir les marques bleues, virant au mauve et au vert sur son visage et sur son cou. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander ce qui avait bien pu se passer.

En regardant par delà les marques marbrant le visage de Gabriel, je constatai qu'il n'avait pas beaucoup changé depuis vingt ans : il avait la même tignasse cuivrée et indomptable, le même nez en trompette, les même hautes pommettes et le même menton volontaire. Certes il y avait aussi des petites rides au coin des yeux et de la bouche. Des marques d'inquiétude dures le front, entre les sourcils, et une barbe de trois jours sur le menton. Mais ces marques, preuves du temps passé loin de Gabriel n'étaient pas vraiment importantes, elle ne changeaient pas Gabriel, elles le rendaient plus beau encore que dans mon souvenir. Ces marques sur son visage reflétaient les miennes après tout.

Me trouvant tout seul dans la chambre de Gabriel pour la première fois depuis l'opération, je ne pouvais pas m'empêcher de jeter un léger coup d'œil sur sa main gauche. Pas d'alliance, Gabriel était donc toujours célibataire. Du moins, il n'était pas marié, ni même fiancé. Je touchais doucement ses magnifiques boucles avant de me ressaisir. Gabriel était mon ami. Du moins, il l'avait été, il y a longtemps. Et peut être qu'il le serait de nouveau un jour. Mais il ne serait jamais rien de plus. En soupirant, je laissais retomber ma main avant de sortir des dossiers de mon sac et de les poser sur la table. J'avais du travail à rattraper et la chambre de Gabriel était aussi bien qu'un autre endroit pour ce faire. La respiration de mon ami m'apaisant, je me plongeai dans le travail, comme je savais si bien le faire.

Environ deux heures plus tard, j'étais toujours pris dans mes dossiers quand une voix bien connue me fit sursauter :

— Alexandre ?

Portant une main à mon cœur, je jetais un œil vers le lit. Gabriel était réveillé, la tête tournée vers moi, le regard encore plein de sommeil. Je me levais et allais m'assoir sur le lit. Par reflexe, je portais main au front de Gabriel, vérifiant sa température, avant de vérifier ses constantes grâce aux machines auxquelles il était relié. Gabriel se laissa faire sans un bruit, sans un mot . Finalement, je lui demandais :

— Comment tu te sens Gabriel?

J'aimais l'appeler Gabriel. Lorsque nous étions enfants, ses parents et nos amis l'appelait Gabe. Je n'avais jamais aimé ce surnom, ni aucun surnom d'ailleurs. Un jour, Gabriel m'avait demandé pourquoi je continuait à l'appeler Gabriel. Je lui avais répondu que c'était son nom, et qu'il ne serait jamais moins que Gabriel pour moi. Gabriel avait réfléchis, puis il avait donné son accord d'un hochement de la tête. Après ce jour là, il ne m'avait jamais plus appelé Alex, mais toujours Alexandre.

— Pas trop mal.

La voix de Gabriel était rauque. Je me dirigeais de l'autre côté du lit, remplissait un verre d'eau et lui fit boire, tenant une paille à hauteur de sa bouche. Gabriel avala deux grandes gorgées, me lançant un regard reconnaissant. Une fois qu'il eut finit, je reposais le verre et reprit ma place sur le lit.

— Je suis content que tu te sente mieux. J'ai eu un choc en te reconnaissant sur ma table d'opération.

Je sentant un frisson me parcourir l'échine en me souvenant du cœur de Gabriel cessant de battre, juste sous mes mains.

Gabriel ne répondit pas tout de suite. Il tendit sa main vers la commande du lit et appuya sur un bouton. Bientôt, il se retrouva en position assise, son visage à hauteur du mien. Il avait toujours l'air épuisé, mais ses yeux pétillaient.

— Je suis désolé.

— Rien de tout cela n'est de ta faute, Gabriel.

Une émotion que je ne parvins pas vraiment à expliquer passa brièvement dans le regard de Gabriel. Il resta silencieux et avant que le silence ne se fasse embarrassant, je lui demandait :

— Tu as parlé à la police?

Gabriel soupira avant de répondre :

— Oui, ils ne savent pas qui a fait le coup, même s'ils ont un ou deux suspects.

Je hochais la tête. Cela ne me surprenait pas vraiment, les attaques aléatoires comme celle là étaient généralement les plus dures à résoudre.

Gabriel s'installa plus confortablement et me regarda avec ce petit sourire en coin qui m'avait tant manqué.

— Alors Alexandre, maintenant que je suis réveillé, raconte moi donc ce que tu es devenu durant toutes ses années?

Je ris.

— Waouh, c'est une longue histoire que tu me demande là !

Gabriel me jaugea du regard, toujours ave son petit sourire.

— Si tu me raconte ton histoire, alors je te raconterai la mienne!

Damne. Comme si je pouvais refuser une offre comme celle-ci. Et voyant le petit air supérieur de Gabriel, celui ci savait parfaitement ce qui ce passait dans ma tête. Plus amusé qu'autre chose, je secouais ma tête cachant mon sourire et commençait mon récit :

— C'est une longue, longue histoire, qui se commence dans une ville lointaine répondant au nom de Nantes....

Gabriel m'écouta avec attention, m'interrompant parfois pour poser des questions. Je sautais toutefois certains passages de mon histoire, mon homosexualité, mon ancien crush sur Gabriel et mon mariage raté. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je n'étais plus dans le placard depuis deux décennies. Pourtant quelque chose, une vieille peur d'être rejeté par Gabriel refaisant surface en cet instant. A la place, il parla de ses études de médecine, de sa rencontre avec Zoé, de sa première procédure chirurgicale. Il raconta à Gabriel les histoires les plus étranges des urgences et Gabriel fit des bruits dégoutés à plusieurs reprises, riant aux larmes à d'autre. Lorsque j'eut finit mon histoire, j'écoutais celle de Gabriel.

— Mon histoire commence dans la ville de Paris...

L'histoire de Gabriel était malheureusement très différente de la mienne. Il ne parla pas beaucoup des années suivant son arrivée à Parie, il mentionna juste que la mort de son père avait été un coup dur pour toute la famille. Il parla surtout de ses sœurs, Marie qui était devenu enseignante de maternelle et qui avait une petite fille, Claire. Colline, qui était avocate, et venait d'emménager avec son compagnon. Il parla de son amitié avec Dina, et de ses nombreuses opération pour changer de sexe. Il parla de la petite maison en banlieue qu'il partageait avec sa sœur, sa nièce et Dina. Et il parla de son travail de garagiste, au garage Tou'Roule, réputé pour son travail sur les voitures de collection.

Je l'écoutais parler, observant le jeu des émotions sur son visage. Je compris tout de suite que sa famille, Dina inclut, était la chose la plus importante pour Gabriel et la fierté que l'on pouvait entendre dans sa voix à chaque fois qu'il mentionnait la réussite de Marie ou de Colline faisait plaisir à voir. Je remarquais que Gabriel était un peu plus timide, réservé lorsqu'il parlait de son travail au garage. Pour l'encourager je lui posais diverses questions, sur ses collègues d'abord puis sur les voitures sur lesquelles il travaillait en ce moment. Voir le visage de Gabriel s'animer alors qu'il me parlait de filtre à air, d'écrou à oreilles ou encore de bougie à épaulement conique. Mais pour dire la vérité, Gabriel aurait pu me réciter une recette de soupe à l'oignon ou la table des 8, j'aurais écouté avec la même attention.

Lorsqu'il eut finit, je lui redonnait un peu d'eau et il me regarda fixement en sirotant doucement son eau, dans son gobelet rose pâle. Une fois qu'il eut finit, il me demanda :

— Tu n'es pas marié Alexandre ? Tu as toujours voulu une grande famille.

C'est vrai, j'ai toujours voulu avoir une famille, des enfants et si je n'avait pas totalement abandonné ce rêve, je l'avais mis en retrait : ma carrière et mon homosexualité étant des obstacles. J'avais parlé d'adoption avec Vincent, il y a longtemps, mais c'était resté au niveau des conversations, où perdu dans notre grand lit après l'amour, nous parlions de notre futur.

— Je suis divorcé en fait, et je n'ai jamais eu la chance d'avoir des enfants.

Gabriel me regarda de nouveau, le regard impénétrable. Puis il posa une simple question :

— Ex-mari?

Sa question mis un certain temps à s'enregistrer dans mon cerveau. Gabriel savait que j'étais gay. Savait il que...

— Comment...

Je laissais la fin de ma phrase en suspens. Gabriel répondit tout de même à la question sous-entendu.

— Tu crois que je ne te voyais pas relooker les joueurs de l'équipe de foot ?

Je croisais son regard rieur. J'étais persuader d'avoir été discret à l'époque. Est ce que les autres joueurs avaient aussi remarqué mon regard baladeur? Gabriel interrompu mes interrogations internes en ajoutant d'une voix douce :

— Il y a aussi le fait que j'ai trouvé tes magasines.

Mes magazines. Ceux que je gardais cachés sous mon lit. Gabriel les avait vus. Je fermais les yeux, comptais jusqu'a trois et les rouvrait lentement. Gabriel me regardait, son regard ne contenant ni jugement, ni pitié.

— Pourquoi... Pourquoi tu ne m'a rien dit?

Gabriel haussa les épaules.

— Je suppose que je pensais que tu me le dirais quand tu serai prêt.

Une réponse digne de Gabriel. Je finis donc par me détendre et lui dire la vérité, y comprit mon mariage. La seule chose que je lui cachais fut les sentiments que j'eus pour lui, il y a bien longtemps.

Vers minuit, Gabriel commença à bailler et je lui dit bonne nuit. Avant de partir, je lui demandais si je pouvais revenir le voir de temps à autre. Il me répondit oui, et son sourire fit naître des papillons dans mon estomac. Je les ignorais. Il n'étais pas important, Gabriel était de nouveau là.

6 Novembre 2017 - 12h07

Chambre d'hôpital de Gabriel Blanc

Je pris une énorme bouchée de mon hamburger double bacon, double fromage et je laissais échapper un grognement de plaisir, en sentant les saveurs de répandre dans ma bouche, explosant sur mes papilles gustatives. Je ne me permettais pas souvent ce genre de nourriture trop grasse et bien trop addictive pour mon propre bien, mais aujourd'hui était un jour spécial : Je n'avais perdu aucun patient de la semaine.

Un bruit de dégout me fit tourner la tête vers le lit qui occupait le centre de la pièce et son occupant. Depuis que Gabriel avait été transféré des soins intensifs dans une chambre normale, je passais la plupart de mes pauses dans sa chambre, apportant mon repas où du travail que je faisais en papotant tranquillement avec Gabriel, où tout simplement en silence alors que Gabriel se passionnait pour un documentaire quelquonque. Aujourd'hui c'était un documentaire sur les chenilles. Au cours des derniers jours Gabriel et moi nous nous étions beaucoup rapprochés, sans forcément parler de sujet très sérieux où très profond, nous parlions de tout et de rien, commentant ses documentaires, critiquant le sens fashion des infirmières et le sex-appeal des autres patients. Nous jouions aux cartes, enchainant les parties jusqu'au milieu de la nuit. Une fois, je m'étais même endormi dans la chambre de Gabriel, les fesses sur la chaise et la tête sur le lit de Gabriel. C'étais Marie et Claire, la nièce de Gabriel qui nous avait découvert le lendemain matin en apportant des affaires à Gabriel. La petite Claire était un portrait craché de sa mère en miniature, mais elle avait le même sourire que Gabriel et visiblement, elle adorait son Oncle G. Et d'après ce que j'avais vu, Gabriel le lui rendait bien. Si j'en croyait les histoires que m'avait raconté Gabriel, Ils faisaient les quatre-cents coups ensemble, rendant Marie et Dina complètement fou.

— Quoi ? demandais-je à Gabriel en faisant mon meilleur visage innocent.

Gabriel se trouvait assis sur son lit, les genou remontés, les bras enroulé autour. Son dos était toujours appuyé sur le lit, remonté en position assise, et même s'il avait bien meilleure mine qu'en arrivant, je pouvais dire qu'il souffrait encore. Il me jeta en regard mauvais avant de reporter son attention sur le reportage. Je ne pu m'empêcher de sourire comme un maniaque, car je savais parfaitement ce qui mettait Gabriel en rogne : il n'avait pas encore le droit de manger de nourriture solide et devait se contenter des purées et des bouillies de l'hôpital.

— Si tu es gentil, je te donne une frite!

J'explosais de rire au regard qu'il me lança, à moi et à mon hamburger à moitié manger. Alors que je me tordais encore de rire, un oreiller me percuta en pleine face, faisant tomber mon hamburger et le reste de mes frites par terre. Gabriel me regardait d'un air hautain, les bras croisés sur sa poitrine.

— Si je ne peux pas manger de hamburger, tu ne mange pas de hamburger non plus. Pas devant moi en tout cas.

Nous nous dévisagions quelques instant avant de partir dans un fou rire. Nous rîmes pendant ce qu'il me sembla une éternité. Et ça faisait un certain temps que je n'avais plus ris comme ça, à en pleurer.

Une fois la crise passée, je me levais et ramassais le bazar par terre. Il était temps de retourner au travail.

— Je te vois demain? demanda Gabriel alors que j'enfilais ma blouse.

— Nan, je suis de congé demain, et je vais manger chez mes parents.

Alors que je quittais la chambre, Gabriel me dit :

— Je suis content de t'avoir retrouvé Alexandre.

Et je lui répondis :

— Moi aussi Gabriel. Même si j'aurais préféré que les circonstances soient un peu différentes !

— A qui le dis tu soupira Gabriel.

J'eus l'impression que ses mots portaient un sens secret, une chose dont je ne comprenais pas l'importance. Comme si Gabriel essayait de me faire passer un message, mais que je n'avais pas de décodeur. Me disant que je réfléchissait trop, je haussais les épaules et me concentrais sur mes patients.

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