Ptolémée

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Lorsqu’ils me remontent dans la cabine, je me sens très faible, je tiens à peine debout et je me sens fiévreuse. Ils me lancent sur le lit et immédiatement Samout me prend dans ses bras. Aussitôt, cette chaleur si familière, si douce m’apaise et je me mets à pleurer. Puis, Alexandre, vient à moi et me câline aussi : mon autre moi. Tous deux me protègent et m’enveloppent telles les ailes d’Isis.

Samout m’allonge ensuite et touche mon visage crasseux et blessé :

—On va arranger cela, ma Petite Lune.

Elle part et revient avec une bassine d’eau et me tamponne le visage, doucement avec une bandelette de lin. J’ai mal mais aucun son ne sort de ma bouche. Je fais front, car c’est ma pénitence. Les Dieux le veulent et me mettent à l’épreuve.

Elle m’ôte ensuite ma robe déchirée et m’en place une nouvelle, elle me glisse sous les draps et malgré la couverture, j’ai froid. Elle me protège encore de ses bras, de son amour. Je pars une nouvelle fois dans le pays des songes.

Mais lorsque je m’éveille, je vois les deux femmes en pleurs, ainsi que mon frère. Une prémonition. Je me lève en trombe et me dirige vers le berceau de Ptolémée, mon petit frère, mon bébé. Son petit corps ne bouge plus, ses yeux sont fermés, sa poitrine reste inerte.

Non… Pas lui… pas mon petit frère…

Je le prends dans mes bras et lui récite sa comptine préférée.

Je lui demande de ne pas me laisser, de ne pas partir. Je demande aux Dieux d’intervenir, sans lui, je ne peux pas.

Tu ne peux pas me laisser mon Ptolémée, mon petit taureau puissant, tu es si vigoureux, comme tata… Il est fort notre tata. Tu ne peux pas : tu as son sang qui coule dans tes veines, tu as sa force… tu ne peux pas me laisser, tu n’as pas le droit de lâcher, on doit se battre ensemble.

Soudain, les bras d’Alexandre me prennent le cou :

—Il faut le laisser partir maintenant, ma Séléné.

Je prends ce petit corps sur moi, j’embrasse ses cheveux noirs, il est si raide. Je veux encore entendre son rire, ses mots de bébé…

—Séléné, donne -le à Samout, il faut le préparer.

Non. Il ne doit pas se préparer. Il n’est pas mort…

—Séléné. On va le confier aux bras protecteurs d’Isis.

Samout arrive et le prend. Je le regarde partir dans les bras de la nourrice. Je reste figée sur place. Tout s’écroule de nouveau.

Est-ce notre destinée : mourir ?

Ont-ils décidé de cela pour nous ?

***

J’enfile une robe blanche en lin de circonstance, mes cheveux sont détachés. Je barbouille mon visage de poussière et lorsque le moment est venu, nous partons pour nous rendre sur le pont. Je dois dire adieu à mon petit frère au beau milieu de la Méditerranée.

Alexandre me tient tout contre lui, je lève les yeux et voit son petit corps emmailloté, dans des bandelettes de lin. Les nourrices ont fait comme elles ont pu, elles ont essayé de l’embaumer correctement pour qu’il puisse renaître dans l’autre monde. Un silence règne sur ce navire. Octave, ce tyran aujourd’hui meurtrier de mon petit frère, aussi, reste en retrait. Un homme nous assiste. Je récite les litanies qu’on m’a apprise, j’essaie de me souvenir de chaque parole, de chaque geste. Je ne veux pas condamner mon frère à l’enfer. Pas lui, il est si petit, si innocent.

Ensemble, nous pratiquons la cérémonie de l’ouverture de la bouche. Mes larmes coulent, mon corps tremble. Une fois, le rite terminé, cet homme le prend et le place sur une planche trônant dans le vide. De nouveau, Alexandre m’amène sur lui. Je ferme les yeux :

Il n’y avait pas de temps pour nous, ici.

Il n’y a pas de place pour nous.

Notre vie n’était qu’un rêve merveilleux et nous nous réveillons dans le vrai monde. Reste dans notre palais bleu mon petit taureau. Va y vivre pour toujours. Qui veut vraiment vivre ici, à cet instant. Nous n’avions aucune chance. Ils ont tout décidé pour nous, ils t’ont laissé partir.

Ce monde n’est pas pour nous, nous ne le connaissons pas.

Qui veut vivre pour toujours, ici ?

Pars mon bébé, vole vers d’autres terres où la souffrance n’existe plus. Rejoins Mama et Tata qui vont t’aimer pour toujours.

Personne ne pouvait t’aimer ici. Personne ne nous aime…

Là-bas, notre vie ne sera que souffrance…

Essuie mes larmes et fais-moi toucher ton monde éternel du bout de mes doigts.

Vole, mon bébé, mon petit frère. Nous pouvons t’aimer tous les jours dans l’au-delà. Attends-moi, petit frère. Attends- moi et pour toujours deviendra notre aujourd’hui.

La planche s’affaisse, je le vois partir dans cette mer. Je répète son nom pour ne pas qu’il sombre dans l’oubli, mes jambes me lâchent, je tombe à genoux, je pleure toujours en répétant son prénom.

J’étais sa petite mère, j’étais sa grande sœur… je ne suis plus rien

Cléopâtra Séléné a disparu. Ne reste que Séléné à partir de cet instant.

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