Rome

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La traversée a duré deux longs mois. Nous arrivons au port d’Ostie. Je vois les quais au loin. Les légionnaires laissent éclater leur joie, ils rentrent au pays après avoir tué des centaines d’innocents. Alexandre me donne la main. Sa main est moite comme la mienne. Nous arrivons au bout de plusieurs heures dans cette ville, que nous ne connaissons pas :

La ville rouge, la ville sans mer qui cuit autour de ses murailles, entourée de ces sept collines couronnées de temples. Rien à voir avec mon Alexandrie : la cité blanche et bleue, située près de la mer où le soleil parsemait des paillettes d’or sur l’écume.

Nous sommes donc entourés de Romains comme Tata, ce peuple que j’ai toujours imaginé belliqueux vivant de guerres et de sang. Nous avons peur mais nous sommes ensemble et rien ne nous séparera. Lorsque je vois ces quais s’approcher, je pense à Mère, elle m’en avait parlé lors de nos nuits d’insomnie. J’aimais tant l’écouter, elle m’apprenait le monde. Je voulais voyager avec elle, elle me l’avait promis mais les Dieux en ont voulu autrement. Je rencontrerai le monde sans elle mais avec Alexandre.

—Préparez-les. Je ne veux pas qu’on les voit…

Nous nous retournons instinctivement vers Octave. Il nous regarde avec son regard fourbe. Soudain, on m’arrache à Alexandre. On nous mène dans une pièce à l’intérieur du navire. Des hommes nous balancent des vêtements de laines hideux et puants.

—Mettez ça sur vous et cachez votre tête, bâtards de Rome…

Encore une insulte. J’en cracherai bien une aussi, mais je dois être parfaite pour frapper fort. Je m’habille donc, Alexandre le fait aussi. Nous restons en contact par le regard. Le navire accoste. Nous descendons, accompagnés par une légion de Romains qui nous entoure. La puanteur me prend au ventre. Les routes sont pavées et dégoutantes. Rien à voir avec la splendeur d’Alexandrie. J’aperçois entre deux molosses, des mendiants, des enfants avec des guenilles trouées. Je n’avais jamais vu cela et certains passants les frappent en les insultant d’esclaves. Nous arrivons devant une litière. On nous soulève de terre et les soldats nous placent à l’intérieur. C’est inconfortable, Agrippa arrive et nous ordonne :

—N’ouvrez en aucun cas les rideaux.

Les rideaux se ferment. Je pensais voir nos nourrices arriver mais la litière démarre sans elles. Nous ressentons le besoin de nous blottir l’un contre l’autre, transi de peur et de froid.

La route est pénible et humide. Il fait chaud mais en même temps, l’air est lourd d’humidité. Nous arrivons dans une somptueuse demeure située sur une colline du Palatin. On nous fait descendre manu militari. Nous restons à observer cette maison luxueuse mais cloisonnée. Une femme arrive. Elle nous détaille :

—Les bâtards d’Egypte, c’est ça ?

—Oui, Dame Octavie.

Son regard s’arrête sur Alexandre, elle lui sourit même puis il arrive sur moi. Pas de sourire, elle me dit juste :

—Tu as le regard de ton père, mais tu ressembles à ta mère !

Puis, elle tourne les talons en ordonnant :

—Placez-les dans leurs appartements et veillez à ce qu’ils s’installent correctement.

Nous traversons le jardin cloisonné. Nous passons devant l’atrium, la pièce fraîche que Mère m’avait décrite, elle ne comprenait pas pourquoi, les romains avaient fermé cet espace, nous à Alexandrie, les jardins s’ouvraient vers l’extérieur. Les gens vivaient dehors et étaient heureux. Nous passons cet atrium et l’homme nous mène dans une sorte de cabane au loin. Nous passons devant des plants de légumes. Je remarque que nous sommes relégués au fond du jardin. La cabane se profile, il nous ouvre la porte :

—Entrez et installez-vous ! Vos affaires arrivent et ne sortez pas sans que Dame Octavie ne vous y ait autorisé.

Alexandre entre. Une question me turlupine alors, je la lui pose :

—Où sont nos nourrices, elles nous rejoignent ?

Cet homme éclate de rire :

—Ta nourrice, c’est Dame Octavie maintenant. Entre et ne te fais pas remarquer Sorcière. Octave t’a à l’œil !

Il me pousse à l’intérieur.

L’obscurité me saisit, pas de fenêtres, si une minuscule au fond de la pièce. Deux lits, deux sortes de commodes, de la pierre blanche grisâtre recouvre les murs. Des mosaïques représentants les jardins. J’ai envie de fuir. Nous restons là prostrés devant cette minuscule pièce qui nous servira de chambre. Nos mains se rejoignent, nous échangeons un regard, j’ai envie de pleurer et à cet instant, nous en voulons aux Dieux de nous faire subir toute cette souffrance. Mais une phrase apaise ma haine :

—Nous nous en sortirons Cléopâtra Séléné. Les dieux nous mettent à l’épreuve mais nous y arriverons. Nous sommes plus forts qu’eux…

Nous nous regardons encore : le vert de son regard flamboie, j’y vois Mère. Et je m’exclame :

—Nous y arriverons !

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