Songes

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Je me promène dans les jardins du palais. La nuit tombe, Samout n’aime pas que nous sortions à cette heure, car c’est à ce moment que le terrible Apophis nous capture et nous englouti à jamais dans les ténèbres. Mais Mère me répète que je ne crains rien, je suis la Fille de la Lune et je peux déambuler dans cette noirceur.

Alexandre m’accompagne : nous sommes à la recherche des chatons de Sothis, la chatte de Mère qui a mis bas des petits depuis maintenant deux mois et nous avons eu l’autorisation d’en choisir un, rien de mieux que la nuit pour les trouver. Mon frère et moi-même, unis depuis le ventre, les inséparables.

Pourtant, tout nous oppose : il est le soleil, moi la lune ; il est blond et moi brune, il a le regard émeraude des grecs et de Mère tandis que moi mes yeux sont sombres comme ceux du Taureau puissant…

La lumière et la nuit : les jumeaux

Nous entendons nos nourrices. Je regarde le ciel s’assombrir et l’astre de la nuit apparaître : il est l’heure. L’heure pour être initier

Je rejoins Samout, direction Pharos dans notre litière. J’aime voir ma ville s’illuminer. Mon bonheur ultime : me retrouver à la bibliothèque et apprendre. Mais ce soir, c’est la grande prêtresse d’Isis qui m’accueille.

« Tu seras une grande reine, ma fille »

Cette phrase, cette certitude ne quitte pas mon esprit de fillette car c’est ma destinée.

Cette initiation est difficile pour l’enfant que je suis mais c’est le prix à payer pour accomplir mon devoir.

La grande prêtresse m’attend devant l’entrée du temple. Je quitte Alexandre, lui va rencontrer Sérapis. Elle incline la tête, je fais de même et elle me fait faire les rites d’entrée. Je dois me purifier, m’oindre d’huile parfumée. Et les portes du sacré, de l’invisible me sont accessibles. Elle me tend la main :

—Viens, Fille de la Lune…

Je la suis. Elle m’amène sur un cercle rouge et me fait comprendre que je dois m’y assoir. Je pose mes mains à même le sol mais cette ligne est visqueuse. Je réalise que c’est du sang, je les enlève dégoutée mais elle m’ordonne :

—Pose tes mains au sol, Fille de la Lune… Et respire…

Elle me propose les rituels d’encens : plusieurs odeurs m’enivrent, m’entêtent et me font tomber en transe. Je lutte car j’ai peur mais cette voix douce et imposante me calme :

—Laisse les dieux prendre possession de ton esprit, Petite Lune. Laisse Isis, te guider. Ton esprit est si pur, tu ne risques rien.

Je sens ses bras me soutenir, m’apaiser dans mon coma et les voilà qu’ils arrivent :

Tous me regardent, certains m’implorent, récitent des incantations dans la langue ancienne. Je ne comprends pas tout, mais je vois, je vois l’autre monde.

J’ai chaud, je ne suis pas bien mais je sens une chaleur, des ailes m’entourent, me rassurent. La grande magicienne me protège. Elle me chuchote :

—Crois toujours en toi et à tes pouvoirs. Tu feras renaître Kemet de ses cendres. Osiris ressuscitera à nouveau grâce à sa nouvelle déesse…

Salut à toi et bienvenue ! L'œil d'Atoum s'est joint à toi et il t'englobe de sa protection quand tu parcours le ciel et quand tu arrives à la terre après avoir convoyé la lumière…

Tu es le salut de la Terre des Dieux, fille de la Lune, fille d’Isis… Protège-nous…

Crois en nous, vénère-nous au plus profond de ton être…

Apep, ennemi éternel du soleil te guidera. Anubis te protègera, la déesse mère te couronnera…

Fille de la Lune, de Nout et de Geb…

Ton chemin sera difficile mais tu triompheras… l’Hélios rayonnera de nouveau sur la Kemet…

Je reviens à moi, perturbée, prise de panique. Ils me demandent de sauver Kemet, mais elle n’est pas en danger.

La grande prêtresse se tourne vers moi, elle me donne une coupe de vin :

—Le danger est imminent, Petite Lune. Il faut se préparer…

Je porte la coupe à ma bouche, je crache immédiatement, ce n’est pas du vin. Ce coup métallique me donne la nausée.

***

Je m’éveille dans le noir absolu, j’ai froid, je tremble. Les ailes ont disparu. J’ai compris maintenant. Mon chemin dans l’obscurité commence. Je dois affronter toutes ces épreuves seule, mais je n’y suis pas…

Les Dieux m’accompagnent, je serai leur main. Je détruirai Rome…

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