Départ

5 minutes de lecture

De ce navire, je regarde longuement le phare : le symbole de ma cité. Il éclaire le monde, la mer méditerranée. Puis, Samout, ma nourrice me demande de rentrer. Mais mon regard est attiré sur lui : l’homme à la face d’aigle. Il porte cette tunique blanche, comme tous les guerriers de cette cité. Il est victorieux à cet instant, puisqu’il a vaincu la grande reine d’Egypte : Cléopâtre et le puissant taureau de Rome : Marc Antoine : mes parents…

Mais, il ne sait pas que le monde ne se résume pas aux victoires et aux défaites. Notre civilisation est fastueuse, extraordinaire. Nous sommes les représentants des dieux sur cette terre et nous leur avons rendu hommage en construisant des pyramides : l’alliance entre le ciel et la terre, des temples à leur gloire car eux seuls ont la connaissance et le pouvoir.

Avec mon jumeau, nous en sommes les derniers représentants et nous retournerons là-bas, forts et respectés, aimés et protégés des Dieux. La dernière fois que j’ai vu Mère, je lui ai juré qu’Alexandre, l’Hélios montrerait sur le trône d’Egypte. Il deviendrait le roi d’Orient et d’Occident, le maître de la méditerranée. Rome sera comme mon Alexandrie : une province.

Samout me serre la main, aussi fort qu’elle le peut. Elle aussi a mal de quitter sa terre, sa maison. Mais, moi, la petite reine, je ne leur ferai pas ce plaisir. Ils ne me détruiront pas, fille de sorcière, comme ils me nomment, ces incultes romains. Ils se croient tellement supérieurs à nous, à tous car eux maîtrisent l’art de la guerre, et surtout l’art de la corruption et de l’intimidation.

Je réalise que j’ai tout perdu : mes parents, mes amis, ma cité. J’étais destinée à un avenir glorieux, j’étais la reine de Libye, j’étais la petite fille de mon père, je l’aimais tellement et je l’ai vu mourir du haut de mes dix ans. Ce sang qui coulait de son ventre, je ne l’oublierai jamais.

Aujourd’hui, ce simplet bafoue mes Dieux dans leur honneur et leur dignité. Ils essaient de convaincre les peuples de sa bienséance envers eux, mais tout est faux : il ne souhaite qu’une chose, s’emparer des richesses du monde, du blé de notre Terre. Cependant, il a oublié une chose : nous, les jumeaux, nous sommes encore là, nous les héritiers d’Osiris et d’Isis…

Dans mon palais bleu, à Alexandrie, avant le grand départ, j’ai fermé les yeux et je l’ai vu.

Isis : la grande prêtresse, toute ailée.

Elle a recueilli l’âme de mes parents. Je sens leur force, leur présence près de moi. Elle me regardait de ses yeux devenus rouge sang. J’aurai dû avoir peur de sa malédiction, mais ce fut le contraire : je m’en nourris, aujourd’hui : la force d’Isis, la reine des Dieux et Déesses, la maîtresse de tous les éléments. Son sang coule en moi, sa force m’habite… Avec elle, je gouvernerai sur les sommets lumineux du ciel, les souffres salutaires de la mer, les silences désolés des enfers, ce sera moi, pour elle qui gouvernerait tout au gré de sa volonté.

Je suis Cléopâtra Séléné, Fille de la Lune, jumelle d’Alexandre Hélios, fils du soleil. Ensemble, nous ne faisons qu’un et nos forces sont redoutables. Le sang pur de la grande Reine : Cléopâtre VII et du grand taureau puissant de Rome s’unissent dans nos veines.

Tandis que toi, tu n’es rien…

Tu te dis fils légitime du grand César mais ce n’est pas toi, c’est son fils unique : Césarion que tu as fait lâchement exécuter car tu avais peur… Césarion comme jadis César t’aurait coupé la tête.

Lorsque je t’observe sur ton poste de commandant de ce navire, affublé de ta tunique de guerrier triomphant alors que c’est cet homme, ton stratège : Agrippa qui t’a donné la victoire, je sombre dans une folie vengeresse, meurtrière. Tu as détruit le peuple d’Alexandrie, réduit à l’esclavage des hommes et des femmes instruits, et tué mes parents.

Tu crois rentrer à Rome triomphant avec nous dans tes bagages mais l’Egypte n’a qu’un genou à terre et elle se relèvera comme toujours. J’y veillerai et j’observerai à mon tour de mon piédestal, ta déchéance et ta souffrance.

L’homme à la tête d’aigle, petit, chétif : mon fléau, le père de mes souffrances, l’assassin de mon tata[1]: l’homme le plus important de ma vie.

Quand tu plonges ton regard fourbe dans mon regard sombre, hérité du taureau puissant, je vois ton étroitesse d’esprit.

Garde bien à l’esprit que le danger n’est pas en face de toi, mais à l’intérieur. Je pourrirai ton âme, je dévorerai ton cœur, tu erreras dans les méandres de l’enfer et mes parents t’observeront dans leur paradis. Garde bien à l’esprit que Cléopâtra Séléné, issue de la dynastie des Ptolémée, descendante du grand Alexandre a du sang sur les mains. Nous les Ptolémée, n’hésitons pas à tuer pour régner. N’oublie pas ça, petit aigle…

—Arrête de l’observer, Petite Lune, il va encore te frapper. Rentrons dans la cabine, nous mettre au chaud.

Samout me mène alors à notre cabine. Je m’assois sur notre couchette : une vulgaire planche de bois, inconfortable. Alexandre arrive à son tour, il se précipite sur son semblant de lit, s’allonge et ferme les yeux. Plus aucun sourire n’illumine son doux visage. Ses boucles blondes ont perdu leur vigueur et son regard d’émeraude a perdu son éclat. Je ferme les yeux pour contenir ma rage et je jure devant Isis : je te redonnerai ton éclat, mon frère : le soleil, moi, la fille de la nuit…

Nous traverserons le Monde souterrain lors de notre voyage nocturne. Nous redonnerons la lumière à chaque être. Nous lutterons ensemble contre Apophis et ensemble quand nous reviendrons à l’aube comme Ré triomphant Des ténèbres :

Osiris a ouvert l’horizon de Rê et il a réjoui Thot.
Osiris sauve chaque jour Rê du serpent Apophis.
Osiris prend les écrits et donne à Thot ce qu’il a préparé.
Osiris fait régner l’ordre autour de la proue de la grande barque (de Rê) qui porte la proclamation de Justice dans l’assemblée.
Osiris établit les millions et conduit les courtisans de Rê, tandis que l’équipage de Rê fait cercle derrière sa perfection, Maât se tient au pinacle et quand elle a rejoint son Maître, des louanges sont adressées au Maître de l’Univers.
Osiris n’est plus inerte, il exalte Rê avec ce qu’il a fait pour lui, car Osiris a pris la baguette de Rê pour écarter la nuée et voir sa perfection., il a rendu possible la navigation de la barque de Rê dans le ciel et a fait réapparaître la lumière… (extrait du livre des morts)

[1] Papa en latin

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Kleo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0