Sans même qu'il s'en aperçoive, son cerveau resté si longtemps au repos avait repris son implacable fonctionnement. Depuis peu réveillé par l'imagination, il faisait ce pour quoi il était le plus fort : l'association d'idées. Tiego. Tiego. Quand avait-il entendu ce mot pour la dernière fois ? Sollicitation de la mémoire à long terme. Tiego. "Pardon Tiego. Au revoir." Ses parents. Le barrage qui retenait les souvenirs céda d'un seul coup. Ces souvenirs que son cerveau d'enfant avait refoulé pour le protéger. Ces souvenirs dont il n'aurait pas dû se rappeler. Il vit des flashs successifs. Lui rentrant dans la pièce d'habitation attribuée à sa famille. Ses parent montés sur des chaises. Sur l'instant il n'avait pas compris. "Pardon Tiego. Au revoir." Les chaises avaient basculé. Mais ses parents étaient restés suspendus. Ils avaient fait des bruits horribles pendant longtemps. Et après ils avaient cessé de se débattre. Il avait tenté de les secouer, de leur faire des signes mais ils étaient restés muets. Depuis ce jour-là il n'était pas retourné dans la pièce de logement. Il avait préféré dormir dehors. Il savait que la Firme était la cause de cet évènement désormais. Une image de la grille grande ouverte s'imposa dans son esprit et il fut rempli d'amertume. Si ses parents avaient eu le courage, comme lui, de fuir, ils seraient probablement dehors avec lui en ce moment. Après l'amertume, vint le désespoir : il n'aurait plus jamais de parents. Il y eut alors une pensée : et ma soeur ? La question ramena des souvenirs à la limite de sa conscience. Il était comme face à une porte. Sa curiosité l'empêchait de la condamner mais sa terreur le dissuadait de l'ouvrir. Il ne pourrrait pas retenir les souvenirs pour toujours mais la peur l'emporta. Il préférait, s'il le pouvait, ne pas savoir. Comme il aurait aimé ignorer, toute sa vie, comment ses parents avaient disparu. Cette dernière pensée donna plus de forces aux images, en les admettant comme réelles, et elles achevèrent de le plonger dans l'abîme qui, sans qu'il le sache, n'attendait depuis longtemps qu'un faux pas de sa part pour l'avaler.

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En entendant le cri de Blue, Oni s'était précipité dans la salle de bain. Il avait analysé la situation en un clin d'oeil. Tiego était au sol, secoué de soubresauts qui semblaient incontrôlables. Blue était elle-même au bord de la crise. Il déshabilla le garçon pour le plonger en sous-vêtements dans la baignoire d'eau chaude. Il murmura des paroles rassurantes et lui frictionna le corps avec énergie, le serra dans ses bras sans cesser de lui parler : "Tout va bien. Je suis là. Reviens. Ne laisse pas ton cerveau être le plus fort. Ton corps est là, en sécurité. Courage."Il fallait que Blue ait quelque chose à faire pour ne pas paniquer à son tour. Il lui demanda d'aller chercher le rêve qu'elle avait déjà prêté à Tiego. Elle y alla en courant sans discuter et, pendant ce temps là, il prononça les Anciennes Paroles de Sommeil. Ce mélange de magie et d'hypnose devraient normalement suffire à endormir le garçon qui tremblait à présent de tout son corps.

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C'était sombre et froid autour de lui, mais il ne pouvait pas penser. La mécanique infernale de la mémoire s'était arrêtée. Ici, il serait à l'abrit des souvenirs. Il pourrait enfin se couper de la terrible réalité. Cependant quelque chose le retenait. Une chaleur, des paroles de douceur et de courage. Cela l'embêtait : s'il cédait, il ne pourrait demeurer dans l'oubli. Il se rendit compte qu'il venait de penser. Il remontait, sans même s'en rendre compte, la voix semblait de plus en plus forte et l'attirait irrésistiblement. L'obscurité froide se fit peu à peu chaude, il sombra dans le sommeil, et les rêves vinrent soulager son esprit tourmenté. Ils atténuèrent les images de violence et de mort.