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Elle le fit entrer par la porte de derrière, l'amena dans sa chambre, lui fit signe de patienter, et alla saluer son grand-père par l'autre côté, l'air de rien. Elle ne le vit pas sourire lorsqu'elle franchit le rideau de velours qui séparait la Boutique du reste de la maison.

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Il y avait longtemps que son coeur n'avait pas ri. Oni était vieux et avait vécu de sombres heures, avec l'avènement de la Firme. Il avait su garder des sourires dans ce coeur, pour sa petite-fille, pour lui-même, ou encore pour ses rares derniers clients ; mais les rires, les vrais, eux, s'étaient fait rares. Néanmoins, tous les petits secrets que sa petite-fille croyait discrets l'amusaient. Elle s'était plainte de n'avoir personne de son âge avec qui discuter ou jouer et, peu après, elle s'était mise à disparaître des jours entiers en ne revenant que tard le soir. Elle lui avait même demandé comment, dans l'absolu, on pourrait sortir quelqu'un de la Firme sans lui parler. Toutes ces cachotteries et la joie avec laquelle elle revenait chaque soir le réconfortaient aussi : bien qu'il fit tout pour, la pauvre n'avait pas souvent l'occasion de jouer à être une enfant comme les autres. Mais trêve de réflexions, il fallait préparer quelque chose pour célébrer l'arrivée du nouveau petit locataire... cela faisait longtemps qu'il était attendu !

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Tiego resta là où il avait été laissé, juste à côté de la porte. Il regarda. Il n'osait pas bouger, et encore moins toucher. Bien que la chambre ne fut pas vraiment un modèle de rangement et d'ordre, elle lui semblait, en comparaison à ce qu'il connaissait, très propre et remplie d'objets précieux. Cela l'impressionnait beaucoup. L'espace qui semblait être la couchette n'était pas au sol mais plus haut que sa tête. Ce n'était pas un simple tapis de carton mais des couches successives de couvertures, semblables à celle qu'il portait encore sous le poncho, où la chaleur commençait à l'étouffer. De l'autre côté de la pièce, sur des planches les unes au dessus des autres, étaient disposées de petites bouteilles colorées. Entre deux d'entre elles, il y avait un espace anormal, comme si l'une était manquante. Il eut envie d'aller regarder de plus près mais se retint. Lorsque la fille qu’il avait surnommée l’ombre revint, elle lui enleva le poncho et dit : "Je m'appelle Blue. Et toi, comment t'appelles-tu ?"

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Blue s'était dit qu'il valait sans doute mieux se présenter d'abord, pour le mettre en confiance. Elle fut un petit peu surprise lorsque qu'il lui saisit la main, délicatement mais sans hésitation.

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Sur le dos de sa main, il fit avec son doigt le signe que sa grande sœur lui avait appris il y a très longtemps. Le signe qui voulait dire Tiego. Elle avait l'air surprise, peut-être qu'elle ne connaissait pas ce signe, comme à peu près tous les gens qui lui avaient demandé son prénom. Ces personnes-là étaient rares. Tiego était fier que sa soeur ait inventé ce geste rien que pour lui et, quand elle avait disparu, bien avant ses parents, il s'était appliqué à bien le retenir pour garder un petit morceau d'elle près de lui. L'ombre-qui-s'appelait-Blue lui demanda de le refaire un peu plus lentement. Il s'éxécuta : un trait dans le sens des doigts, puis un dans l'autre sens. À nouveau deux dans le sens des doigts puis cette fois trois petits traits parallèles dans l'autre sens. Un rond pas tout à fait fini qui revient vers son milieu et pour finir un rond complet. Cette fois-ci, elle sembla comprendre et le dit à voix haute : "Tiego". Il se sentit bizarre. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu ce mot. Il se demandait comment elle avait fait pour comprendre SON signe. Il avait l'impression d'être démasqué, mis à nu, mais il trouva que c'était tout de même un joli nom quand elle le prononçait, un petit peu comme lorsque sa soeur le disait. Alors il se contenta d'aquiescer.