La fuite

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Il allait le faire ! Elle le regardait en espérant qu'il allait se tromper de route et, tandis qu'elle le suivait depuis les hauteurs, ses yeux s'attardèrent sur son regard lointain, son sourire, et elle repensa à son grand-père. Il avait raison : rien n'était plus beau qu'un enfant rêveur...

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Tiego ne pensait plus à la Firme, ni à son travail, ni à sa faim, ni à son état d'orphelin, ni même à l'ombre qui le suivait. Il pensait à sa dernière nuit. Il avait vu des couleurs. Des couleurs autres que le blanc de la neige, le rouge de la brique, le vert du bronze ou le gris plus ou moins foncé du ciel. Il avait eu une activité totalement inutile mais très agréable (sa lointaine enfance lui souffla le mot "jouer"...) avec ce qui ressemblait à un immense chat d'égout, mais beaucoup plus majestueux et.. joli ! La créature avait de longs poils dorés autour du cou et des grandes pattes puissantes. Il avait vécu tant de choses merveilleuses et incongrues qu'il n'arrivait même plus à les retenir toutes dans sa mémoire. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il ne remarqua pas tout de suite qu'il n'était plus sur la route de la Firme mais au bout d'une impasse inconnue. Mais grâce à son sens de l'orientation il parvint à y arriver à l'heure. Même s'il aurait sûrement dû s'inquiéter d'avoir failli se perdre, son sourire ne pouvait pas quitter son visage, il se sentait si profondément bien...

Ce jour-là, les surveillants furent plus méchant et sa part de nourriture plus petite que jamais. Il rêva à nouveau ce soir-là. Et le suivant. Et il fut encore maltraité le lendemain. Et le surlendemain. Il comprit alors que les deux étaient liés. On tentait de faire disparaître toute trace de rêve ou de sourire en lui. Cette idée lui chauffa le ventre, contracta sa machoire, fronça ses sourcils et durcit son regard. Il décida qu'il ne laisserai personne lui reprendre le peu de bonheur qu'il ait jamais eu. Et puisqu'il ne savait pas se battre, il pouvait toujours fuir, ce qui, dans une telle situation, était déjà un acte de grand courage.

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Dommage ! Elle n'avait pas pu s'empêcher d'être un peu déçue en le voyant retourner sagement à la Firme après avoir rêvé. En plus, elle lui avait donné son préféré : celui avec les lions et les étoiles et tout... Elle avait espéré, follement, que son idée marcherait dès le premier coup... Mais au fond, elle savait que même son imagination débordante ne pouvait lui permettre d'envisager ce qu'il avait vécu. Il avait été conditionné depuis ses premières années de vie. Elle allait devoir laisser les rêves et le temps faire leur travail. Le jour où elle vit la colère s'allumer en lui, elle sut que tout allait changer, il avait changé, et il allait enfin s'enfuir.

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Dès le lendemain, profitant du réconfort et du courage que lui avait apporté ce qu'il ne savait pas encore être un rêve, il fuit. Il prit le chemin opposé à la Firme, pour être sûr de ne pas y retourner. Il avait gagné de la détermination, ce qu'il ajouta à la liste mentale des nouvelles choses qu'il avait ressenti ces derniers jours. Il portait la couverture sur ses épaules, telle une cape, espérant vaguement que celle-ci la conduirait à l'ombre bienfaitrice. L'espoir, encore quelque chose de nouveau ! Et de très agréable... Comme s'il avait avalé quelque chose de doux et chaud qui faisait comme un petit poêle à l'intérieur de lui et le poussait vers l'avant. L'espoir de la revoir, attisé par son absence de ce matin. Mais cette absence ne lui pesait pas autant que la dernière fois, où il s'était senti abandonné. Et si triste. Non, cette fois, il imaginait. Les rêves lui avaient également permis cela : imaginer. Alors il imaginait qu'elle était là, seulement mieux cachée que d'habitude.

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Et son imagination avait raison. Elle le suivait, parfaitement camouflée derrière les cheminées ou les pans de toit enneigés. Elle suivait le conseil de son grand-père : le laisser sortir par lui-même. Afin qu'il ne soit redevable à personne. Afin qu'il ne passe pas de la prison de la Firme à celle de la dette. Devoir sa vie ou sa liberté à un autre est d'autant plus emprisonnant que c'est un carcan que l'on s'impose à soi-même. Elle lui avait donné l'impulsion, à lui de faire le reste... Mais il était si difficile de se cacher, à attendre qu'il soit "sorti par lui-même" ! Ses jambes la démangeaient et elle avait beaucoup de mal à tenir en place ! Normalement, il ne restait plus qu'une petite demi-heure pour qu'il atteigne le portail à ce rythme-là. Il fallait tenir jusque-là et elle pourrait bientôt le rencontrer vraiment.

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Sa détermination faiblissait au fur et à mesure qu'il s'éloignait de son ancienne vie. Il était parti par colère, sans réfléchir, et l'énergie procurée par cette colère s'était beaucoup amenuisée. Il ne savait même pas s'il existait quelque chose en dehors de la Firme. Il n'y avait pas pensé. Il s'efforçait de continuer mais chaque pas lui coûtait un peu plus que le précédent. Et s'il n'y avait rien en dehors de la Firme ? Non, il faut continuer. Mais si...

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Elle l'encourageait mentalement : "Allez ! Tu vas y arriver ! Tu y es presque ! Tiens le coup !". Il ne pouvait évidemment pas entendre ses paroles de soutien mais peut-être pourrait-il les sentir... De toute façon, elle ne pouvait rien faire de plus.

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