Embarquement

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Le soleil n'était pas encore levé sur le port de Zalam, mais il y régnait déjà une animation inhabituelle. Des esclaves de toutes les nations du monde connu embarquaient les marchandises sur "La Reine des Diamants", la galère la plus importante de la flotte marchande du Kytar.

Faisant les cents pas devant le Knärr, Brynjolf observait l'embarquement du coin de l'oeil. Les Kytars avaient la fâcheuse manie de tout faire en dernière minute, y compris charger dans une galère une cargaison qui dépassait la capacité d'une flotte entière de vaisseaux nordiques, mais il fallait admettre qu'ils se débrouillaient plutôt bien. A peine déchargées des charrettes, les caisses étaient déposées par les esclaves sur des petits chariot sur rails et poussées sur le pont de la galère ou d'autres esclaves les entassaient dans la cale. Soie du Kytar, épices de Solarys et peaux d'animaux fabuleux du cercle glaciaire s'entassaient sur "la Reine de Diamants" et se retrouveraient bientôt sur les marchés de Bretagne du Nord, et plus loin encore, jusqu'à la lointaine Cité de Brocéliande. Une véritable fortune que les Nordiques laissaient passer sous leur nez parce qu'ils étaient payés une bouchée de pain pour en assurer la protection...

"Un jour peut-être, pensait Brynjolf, notre capitaine se décidera à piller ces fichus marchands Kytar au lieu de les servir."

Mais ce n'était visiblement pas pour tout de suite.

Brynjolf avait vingt-cinq ans. Cela faisait presque dix ans qu'il parcourait les mers, pour un butin parfois dérisoire, parfois exceptionnel, mais qui disparaissait presque toujours à la première taverne. Le butin n'était pas le principal pour lui: ce qui comptait vraiment, c'était le fracas de la bataille, les ruses qu'il fallait déployer pour tromper l'ennemi et la célébration de la victoire. Tôt ou tard, il se retrouverait devant la porte du palais d'Odin, et sa seule richesse serait alors la gloire d'avoir combattu sans jamais reculer.

Son capitaine partageait sans doute sa foi envers les dieux nordiques et son courage n'était plus à démontrer. Cependant il se montrait plus pragmatique quand se présentaient les occasions d'amasser de l'or sans verser le sang.

Ses réflexions furent interrompues par l'arrivée d'un soldat Kytar qui se dirigeait visiblement vers le Knärr. Sans doute un messager, se dit-il. Le soldat s'approcha de lui et s'inclina. Brynjolf reconnut sur son uniformes les symboles d'un officier. Il n'y a décidément que chez les Kytars que les officiers saluent les simples soldats ! Brynjolf lui rendit maladroitement son salut.

_ Ouais, salut mon gars, fit-il. Si tu as un message pour le Capitaine, il n'est pas encore là, mais je le lui remettrai. À moins que tu ne préfères attendre.

L'homme lui répondit dans le langage du Kytar... incompréhensible pour Brynjolf.

_ Attends une minute! fit-il.

Il venait de remarquer que l'homme transportait toutes ses armes et tout son bardas avec lui, une lance, un arc et un bouclier sur le dos, un lourd sac de toile sur l'épaule... c'était beaucoup trop pour un simple messager.

_ Gald! cria-t-il en direction du knärr. J'ai ici un marin d'eau douce qui ne fait pas la différence entre une bande de pirates et un noble régiment Kytar. Viens donc lui expliquer.

_ J'arrive ! fit une voix de femme.

Galdlynn était une guerrière, une des rares femmes à servir à bord du Knärr de Thornald. Mais autre chose la distinguait de ses compagnons, elle n'était pas du peuple nordique. En fait, personne ne savait exactement d'où venait cette superbe femme à la flamboyante chevelure rousse. Elle était arrivée à Drakkenvik la veille du départ, s'était directement rendu chez Thornald et lui avait simplement dit: "Vous prenez la mer demain ? Vous aurez besoin de moi, je connais toutes les langues du continent". Et Thornald avait dit oui, bien sûr... qui serait capable de dire non à une femme pareille ?

Elle descendit sur le quai et s'approcha de l'officier Kytar.

_ Et bien matelot, dit-elle en Kytar, on dirait que vous êtes perdu.

_ Ah, enfin quelqu'un qui me comprend, répondit l'officier.Je me nomme Hicham ibn-Kalen Sahdkassef. Le capitaine Thornald m'a engagé comme officier-signaleur et indiqué que son navire serait au bout du quai. Je pense que c'est celui-ci, il n'y en a pas d'autre.

_ Oui, vous êtes à la bonne adresse. Nous partons seulement à l'aube, et de toute façon pas sans le capitaine, il n'est pas encore là.

_ En retard ?

_ Non, c'est vous qui êtes en avance. La dernière fois que nous l'avons vu, il discutait avec son excellent ami, l'Amiral de votre flotte. C'est fou ce qu'ils avaient l'air bien ensemble. Ils sont partis dîner en ville et "parler affaires" dans la soirée. On ne les a pas revu depuis.

_ C'est curieux, au salon du Prince Ahmed ils ne semblaient pas s'entendre si bien... Je dois dire que ça a failli tourner au vinaigre.

_ Notre capitaine est diplomate. Il adore régler les différents par la parole plutôt que par l'épée ou la hache... à la grande déception de certains d'entre nous. Ah, il faudra que je t'enseigne quelques mots de nordique, il n'y a personne ici qui parle Kytar, à l'exception de nous deux, le capitaine et Hans.

_ Hans ? demanda Hicham. Qui est-ce ?

_ Un invité du Capitaine... ah, le voilà justement qui arrive.

Thornald apparut en effet à l'autre bout du quai, il marcha à grands pas jusqu'au knärr.

_ Ah vous êtes là, Hicham. fit-il en arrivant, vous avez fait le bon choix. Alors je vous explique rapidement comment ça devrait se passer: votre rôle est de transmettre vers la galère les messages que je vous donnerai et de me traduire leurs réponses. Mes hommes savent que vous êtes officier, il vous respecteront, ne voleront pas vos affaires et vous laisseront une part respectable de ragoût, mais ne vous salueront pas et n'obéiront pas à vos ordres. Ici, personne ne salue et personne ne s'incline. Pour la nuit, vous avez droit à deux mètres carrés sous la tente. Un privilège que vous partagerez avec les autres officiers, les femmes qui ont un compartiment à part et un passager.

_ Le fameux Hans ?

_ Ouais, le fameux Hans, répondit Thornald. Bon, assez parlé ! il faut qu'on embarque, le soleil ne va pas tarder et ce serait bête de se mettre en retard.

_ Je n'ai pas encore vu l'Amiral, remarqua Hicham. N'est-ce pas à lui de donner le signal du départ ?

_ Oh vous n'êtes pas au courant ? L'Amiral est indisposé... rien de grave, rassurez-vous. Hier après notre petite discussion, j'ai été le trouver et nous avons discuté de choses et d'autres. Nous nous sommes réconciliés et nous avons bu quelques verres ensemble... et même plus qu'il n'était raisonnable. Au moment du souper, tout allait pour le mieux, il se lève pour aller commander à boire et il s'écroule en vomissant. Je l'ai immédiatement fait conduire chez un guérisseur mais ça n'a pas eu l'air d'aller mieux. Alors je pense que le capitaine de la Reine des Diamants pourrait très bien prendre le commandement de la flotte. C'est ce qui est prévu en cas d'urgence. Préparez vous au départ, je vais l'avertir de ce pas.

Thornald aboya quelques ordres dans un langage qu'Hicham ne comprit pas et se mit à courir vers les galères Kytars. Ne sachant que faire pendant que les hommes s'activaient autour de lui, Hicham s'écarta de leur route et s'installa à l'arrière du Knärr, à côté de l'homme de barre. Ce dernier, un quinquagénaire à barbe blanche, lui adressa un sourire accompagné d'un gloussement. Galdlynn vint bientôt les rejoindre. Hicham remarqua rapidement que, eux trois mis à part, tous les hommes visibles sur le pont étaient doté d'un impressionnante carrure, même pour des guerriers. Il n'y avait aucun esclave à bord, ni pour ramer, ni pour charger le navire, ni pour déployer la lourde voile avec un système de poulie rudimentaire. Une telle vie ne pouvait convenir qu'à des hommes bien charpentés. En comparaison, les guerriers Kytars embarqués sur une galère dont la principale activité était les tours de garde et le salut au drapeau tous les matins faisaient piètre figure.

Hicham interrompit ses réflexions en apercevant un guerrier qui se dirigeait vers lui. Il l'identifia comme un officier parce qu'il aboyait des ordres et ne participait pas aux manoeuvres, malgré une constitution qui lui permettait largement de le faire.

Comme l'officier s'approchait, Galdlynn lui dit quelques mots qu'Hicham ne comprit pas, mais il entendit son propre nom. L'homme porta son regard sur lui et l'inspecta des pieds à la tête.

_ Hicham, je vous présente Arnjolf Hariksson. C'est le second de Thornald et le meilleur combattant du bord et pour couronner le tout, il a un caractère de sanglier.

Arnjolf l'observait avec un hochement de tête satisfait, puis il désigna du doigt l'arc qu'Hicham portait sur le dos.

_ Il demande si vous avez l'intention de vous en servir en cas de bataille, traduisit Galdlyn. Il dit qu'on ne peut pas utiliser un arc aussi grand sur un navire.

_ Bien sûr j'en ai l'intention, répondit Hicham. Sinon je ne l'aurais pas pris.

La réponse d'Arnjolf fut accompagnée d'un grognement sinistre.

_ Dans ce cas, fit Galdlynn, il espère que vous savez vous en servir parce que si vous blessez accidentellement un membre de l'équipage, il vous jette par dessus-bord.

_ Dites lui que je sais nager, répondit Hicham.

Arnjolf éclata de rire en entendant la réponse et s'éloigna pour contrôler l'avancée de la manoeuvre.

_ Je crois qu'il vous aime bien, fit Galdlynn. Sinon, il vous l'aurait fait savoir. Ah, il faut que j'aille tenir compagnie à Hans, le capitaine ne veut pas qu'il reste seul et il ne comprend ni le Nordique, ni le Breton. Je vais vous le présenter, et vous pourrez me relayer de temps en temps. Sa conversation est... intéressante.

Quelques minutes plus tard, Thornald remonta à bord et donna le signal du départ.



Le sort en est jeté !

Je pourrais dire aussi: "faites vos jeux, rien ne va plus"

mais ce ne serait pas exact: tout va très bien au contraire.

Je sais qui est le champion du Serpent.

Lui par contre, ignore qui est le mien

Il ignore que son champion et le mien conversent maintenant
comme les meilleurs amis du monde...

Il faut dire qu'eux même ignorent leur propre rôle

La prochaine manche sera pour moi.


Le Dragon

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