Bataille

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L'homme de garde s'écroula sur le pont de la galère.

Sa chute fut accueillie par les éclats de rire de l'équipage.

— Vos gueules, tas de bons à rien ! hurla le capitaine. Vous vous croyez au spectacle ? Retournez à vos occupations, et si vous n'avez rien à faire, je vous trouverai du travail.

Les rires cessèrent et les marins s'éloignèrent rapidement. Le soldat ramassa sa lance et se releva pour reprendre son poste. Le capitaine remarqua qu'il boitait.

— Tu sais pourquoi tu es tombé ? demanda-t-il.

Bien sûr, le soldat le savait très bien. Il était tombé parce que son capitaine avait donné un coup de pied dans le manche de la lance sur laquelle il était appuyé. Mais était-ce la réponse qui convenait ? Il estima que ce n'était pas le cas.

— Parce que je n'ai pas le pied marin, capitaine.

— C'est aussi parce que ta lance trainait devant ma porte au beau milieu du chemin et que si j'avais été aussi endormi que toi, c'est moi qui me serais étalé sur le pont. File faire soigner ta cheville, je n'ai pas besoin d'un garde qui boite pour me protéger.

Le soldat déguerpit sans demander son reste. L'officier qui suivait le capitaine prit la parole.

— Il s'en tire à bon compte, fit-il. Mafour l'aurait obligé à se tenir debout sur une jambe pendant au moins une heure, avec un coup de fouet chaque fois qu'il pose le pied sur le sol.

— Mafour est un imbécile, répondit le capitaine. Il faut l'être pour participer à un concours de beuverie la veille d'une expédition.

— En attendant, son absence représente une belle promotion pour nous deux. "Capitaine général" pour vous, et "Capitaine" pour moi. Même si ces grades sont provisoires, ils serviront à calculer notre prime pour cette expédition, et ça fait un joli bonus.

— Ne te soucies pas trop de ton grade, Khaman. Hier j'étais le Capitaine Massay, aujourd'hui je suis le Capitaine-Général Massay et demain peut-être l'Amiral Massay si j'ai beaucoup de chance, mais si je n'en ai pas, je serai un cadavre au fond de la mer ou je redeviendrai un simple capitaine sans espoir de promotion. L'Amiral a perdu beaucoup de son influence depuis qu'on fait appel aux nordiques pour guider nos navires. Les marins ne sont plus considérés comme des héros mais comme de simples escorteurs. C'est tout juste si les Nordiques ne prennent pas notre place.

— Attention Massay, fit Khaman. Tu commences à parler comme Mafour avec les Nordiques.

— Ah, sacré Mafour ! fit Massay en riant. Justement à ce propos, il y a quelque chose que je dois te montrer. Mafour ne comprendra jamais pourquoi les Nordiques dominent les mers alors que nous avons de meilleurs navires.

Il conduisit son lieutenant à l'avant du navire, observa longuement le knarr qui les précédait puis tendit la longue vue à Khaman.

— Regarde=les Khaman! Et dis moi ce que tu vois.

Khaman pointa la longue vue vers les hommes du nord.

— Je vois un vaisseau nordique qui navigue.

— Sois plus précis, insista Massay. Que font-ils ?

— Et bien, ils rament, ils remontent les voiles répondit Khaman de plus en plus perplexe. Qu'est ce que je suis censé voir ?

— Que fait leur capitaine ?

— Il regarde la côte... maintenant il se déplace vers l'arrière, il donne des ordres, il fait de grands gestes en direction de ceux qui rabaissent la voile et il prend la barre... Ah, il nous a vu.

— Il prend la barre, répéta Massay.

— Et alors ?

— Quand il n'y a pas assez d'hommes pour ramener la voile, il le fait lui même. Il n'a pas de maitre d'équipage pour gueuler les ordres à sa place. Quand il le faut, il rame avec les autres. Personne n'a de traitement de faveur et personne ne reste inoccupé... sauf un bonhomme qui est juste à côté de l'homme de barre. Et comme par hasard, c'est un Kytar. Regarde comment ça se passe chez nous: des esclaves rament, des marins sont à la manoeuvre et nos soldats n'ont rien à faire sauf monter la garde... et encore, ils le font en dormant à moitié.

— Ah, il envoie un signal... drapeau bleu, problème de navigation... drapeau orange... ça fait trop longtemps que je n'ai plus utilisé les drapeaux pour déchiffrer ça.

L'officier-signaleur vint à son secours.

— Ils disent que nous sommes trop près de la côte et que nous devons écarter la flotte à cause des récifs. Ils disent aussi que nous devons être prêt en cas de combat.

— Ce n'est pas trop tôt, fit Khaman.

— Oui, ajouta Massay. Nous allons enfin savoir en quoi consiste cette fameuse mission dont lui et l'Amiral étaient les seuls informés.

Khaman fronça les sourcils. Etait-ce bien prudent d'en parler devant un subalterne ?

— Khaman ! reprit Massay, file à l'arrière pour transmettre mes ordres au navigateur: on s'éloigne d'un demi mile de la côte et on continue sur la même route. Que les hommes se tiennent prêt au combat. Ça fait trois jour qu'on les oblige à s'entrainer tous les jours, tu feras comme d'habitude.

— On va combattre pour de bon, Capitaine ? demanda le signaleur.

Massay ne répondit pas, il observait pensivement le knarr.

— Pardonnez-moi Capitaine. Je n'ai pas à vous interroger.

— Oui on va se battre ! Mais ne me demande pas contre qui, je n'en sais rien... mais lui, là bas, avec sa grosse cotte de mailles et sa hache, il le sait... parce que le Sultan a plus confiance en lui qu'en nous. Allez, va enfiler ton armure et ramène moi mon bouclier, il est devant la porte de ma cabine. Je prendrai les autres messages s'il y en a.


* * * * *


— Thornald ! Tu es sûr que ton « signaleur » ne s'est pas emmêlé dans ses drapeaux ? La galère va rudement loin... beaucoup plus loin que d'habitude.

Hicham écoutait sans comprendre, le grognement d'Arnjolf indiquait qu'il était de mauvaise humeur, il parlait de la galère et il était concerné... Il essaya de mémoriser les mots mais ne réussit à en retenir que deux ou trois.

— Il a très bien fait son travail, répliqua Thornald. J'ai envoyé la galère deux fois plus loin que d'habitude. Je ne veux pas qu'on les voie depuis la côte. Du moins, pas facilement.

— Est-ce que tu vas enfin m'expliquer ce qui se passe ?

Thornald sortit une pierre ronde de sa poche et entreprit méthodiquement d'aiguiser le tranchant de sa hache... Une hache recouverte de runes qui n'avait jamais eu besoin d'être aiguisée.

— Il se passe qu'il y a une belle bagarre qui s'annonce et dans très peu de temps. Tu as besoin d'autres explications ?

— Pour l'instant je vais m'en contenter.

Il prépara ses propres armes et se dirigea vers l'arrière du navire. Bien qu'il était à bord depuis moins d'une semaine, Hicham n'eut aucun mal à comprendre que quelque chose d'exceptionnel était sur le point de se passer... Les rameurs déposaient sur le banc de rame, c'est à dire à portée de main, les armes qui en temps normal restaient sagement à leurs pieds.

— Bataille ? dit-il en Nordique au moment où Arnjolf arriva à sa hauteur.

— Oui, bataille ! répondit le second.

Hicham interpella Thornald dans la langue du Kytar. Ce dernier lui fit un signe de tête et Hicham abandonna son poste pour se diriger vers la tente, au centre du knarr.

— Où est-ce qu'il va ? demanda Arnjolf.

— Chercher son arc bien sûr, répondit Thornald. Il a envie de tirer une ou deux flèches sur nos ennemis avant l'abordage. Je ne veux pas le priver de ce plaisir.

— Et qui allons nous combattre ? Si ce n'est pas indiscret.

— Il y a deux knarrs cachés quelque part dans la baie de Karanya qui attendent notre passage. Ils vont nous suivre dans la passe de Virelsson où un troisième Knarr nous attends. Une embuscade dont aucun d'entre nous ne doit sortir vivant... sauf si nous attaquons les premiers bien sûr.

— Des nordiques ? mais qui ?

— Là tu m'en demandes trop, répondit Thornald. Tout ce que j'espère, c'est qu'ils ne sont pas de Holdgard. Parce que même si je n'ai pas beaucoup de principe, j'en ai tout de même un ou deux qui ont de l'importance: ne fais jamais la guerre à tes voisins est l'un d'eux.

— Hidem Karanya kad ?

Hicham était de retour avec son arc.

— Qu'est ce qu'il dit ?

— Bataille, que je t'ai déjà dit ! répéta Thornald. Il vient de voir les drapeaux d'alarme sur le fort de Karanya. Si on devait suivre le règlement militaire Kytar, on devrait entrer en contact avec le fort et suivre les instructions du commandant, mais je n'ai pas envie de m'arrêter. Et puis, ce règlement ne nous concerne pas.

La vigie se mit à crier:

— Deux voiles sur la côte Capitaine, ils viennent vers nous.

— Les loups sortent du bois, fit Thornald. Et il ajouta en criant: De quelle couleur ?

— Bleu ! Avec un aigle couronné noir.

Thornald leva les yeux sur la vigie.

— Galdlyn! s'exclama-t-il. Cette bonne femme doit bouffer des yeux de faucon à chaque repas. Sonnez le cor d'alarme et au large! cria-t-il. On va les présenter à nos amis du Kytar.

— Il y en a un troisième au large, reprit Galdlyn. Il va nous couper la route.

— Ça, c'était pas prévu, grogna Thornald. Quelqu'un a dû les prévenir de l'absence de Rachamas.

— Qu'est ce que Rachamas vient faire dans cette histoire ? rugit Arnjolf.

— Tuons-les d'abord, on discutera après ! Arnjolf, demande à Höder de serrer la côté au plus près, leurs vaisseaux sont plus lourds que le nôtre et nous connaissons cette côte mieux qu'eux. Ils s'écraseront sur les récifs en essayant de nous suivre. Faites tomber la voile, vous autres, et tous aux rames ! Et toi ! Ne reste pas dans le chemin, cria-t-il en Kytar.

Hicham se hâta de rejoindre l'arrière du knärr ou Thornald le rejoignit.

— T'en as mis du temps ! fit-il en Kytar.

— J'ai envoyé un signal de détresse à la galère, répondit Hicham. Ils vont prendre à revers celui qui est au large.

— Parfait ! Maintenant que tu as ton arc, je t'autorise à t'en servir mais ça m'étonnerait que tu touches quelqu'un à cette distance. Ensuite tu prends ce bouclier et tu protèges l'homme qui tient la barre.

— L'homme qui tient la barre, c'est un homme important, pas vrai ?

Thornald porta son regard sur le knarr à voiles bleu le plus proche. Il suivait une route parallèle à la leur, trop loin de la côte pour que les récifs représente un danger. Leur capitaine était prudent.

— Oui c'est un homme important, répondit Thornald. Si tu le touches à cette distance, je te laisse choisir ce que tu veux dans le butin.

Hicham tendit son arc et visa soigneusement, tout en se balançant au rythme de la cadence des rameurs, Soudain, il lâcha la corde, la flèche décrivit une large courbe dans les airs et retomba quelque part sur le knarr à voile bleue.

— Je veux le heaume de leur capitaine, fit-il. Pas trop cabossé de préférence.

Le knarr à voile bleue fit une brusque embardée. Un craquement se fit entendre et il s'immobilisa.

— Banc de gauche ! levez les rames, hurla Thornald. Barre à droite ! Cadence de charge !

Les rames de gauche se dressèrent vers le ciel tandis que les rames de droites continuaient leur mouvement. Le knarr effectua un brusque virage à 90 degrés. Avant qu'Hicham ne comprenne ce qui se passait, il perdit l'équilibre et tomba tête la première sur le pont.

Le tambour battait une cadence rapide, il reprit ses esprits sous le regard goguenard de Brynjolf qui ramait de toute ses force.

— Ihr bow ! lui dit ce dernier en lui désignant du menton l'endroit où il rangeait ses armes.

Hicham y déposa son arc et, se souvenant des instructions de Thornald, ramassa un bouclier et se posta devant l'homme de barre.

Protégé par le bouclier, il devina la manoeuvre suivante plus qu'il ne la vit. Le knarr de Thornald éperonna son adversaire. La charge des hommes en bleu du vaiseau éventré fut accueillie par les haches des hommes en gris de Thornald. Passé le premier choc, Hicham lâcha le bouclier et rejoignit la mêlée. Il s'escrima contre un bouclier bleu qui semblait indestructible lorsque son propriétaire s'écroula, la poitrine fendue d'un coup de hache. Arnjolf lui dit deux mots qu'il ne comprit pas et repartit à la recherche d'un nouvel adversaire.

Hicham aperçut Hans fuyant à quatre pattes un guerrier bleu. Il se jeta sur le poursuivant et lui trancha la gorge d'un coup de cimeterre.

Puis le tumulte cessa, aussi soudainement qu'il avait commencé. Les hommes en gris frappaient leur bouclier du manche de leurs haches pendant que Thornald poussait son cri de victoire en brandissant une tête tranchée. Les hommes de la Reine des diamants poussaient des cris similaires tandis que le Capitaine Général Massay regardait sombrer le dernier vaisseau pirate.

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