Humain

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La cafetière ronronnait plus loin, faisant monter une odeur chaude et amer. Le professeur Brivenet s’était couché tard ; il avait veillé aux côtés de sa nouvelle partenaire sur les activités étranges du plus profond de la terre. Des secousses, des échos, presque comme des messages envoyés du cœur de la planète, sans aucune traduction. Bien sûr, Hélène était survoltée. Elle l’avait retenu la moitié de la nuit, le souffle coupé et les yeux rivés sur les écrans de mesure. Et s’il n’avait pas insisté, il y aurait passé la nuit. Ce n’était pas comme si la Terre allait s’envoler !

L’homme passa sa main dans ses cheveux ébouriffés. Il bailla d’un coup, attrapa l’anse du pichet contenant le précieux liquide noir. Ce matin, il n’était plus vraiment sûr de ce qu’ils avaient reçus. Et si la volcanologue s’était juste fourvoyée ? Et s’il avait aggravé son cas en la confortant dans ses délires ? Un miaulement le coupa dans ses pensées, et la fourrure douce d’un félin lui effleura les doigts. C’était un petit chat à la robe sombre qui s’était glissé jusqu’à lui, allant et venant sur la table sans aucune retenue. Eden ronchonna, se frotta les yeux sous ses lunettes mal mises. Le chat miaula encore une fois quand il passa sa paume sur son dos élastique. Un peu d’électricité picota ses doigts et le fit se redresser d’un coup en grognant plus fort. Il était comme ça, le professeur : sous ses airs discrets, il était surtout un peu renfermé et n’aimait guère causer dès le lever. Ou se faire électrocuter. Le chat le dévisagea avec ses grands yeux verts, et il se fit pardonner aussitôt. Qui pouvait y résister ? Eden toucha d’un air amusé le tuyau du chauffage pour se décharger, puis se remit à caresser le félin en souriant. On ne refait pas un scientifique.

Il était 6 h du matin, et il avait à peine dormi. Pourtant, malgré ses doutes, il enfila sa blouse, se prépara à reprendre le chemin du labo. Il ouvrit la porte, hésita un instant. Laissant sa sacoche tomber par terre et la porte de l’entrée entrouverte, il grogna une troisième fois. D’un seul pas, il se dirigea à nouveau vers la cuisine, fouilla dans le frigo la petite boîte de pâté qui restait de la veille.

On se revoit ce soir. Soit sage !

Le chat ne fit même pas attention à lui, se ruant vers sa gamelle enfin remplie. Les oreilles de ce dernier bougèrent à peine quand la porte claqua. Un coup de clef, et puis, le silence.

Le maître avait encore disparu.

Personne n’est né pour devenir un rat de laboratoire, ni un messie. C’était ce à quoi pensait Danaë, assise sur un énorme fauteuil au centre d’une longue table, quand la multitude des partisans la regardait avec émerveillement. Rien à voir avec la curiosité d’enfant dont elle avait été le centre dans la forêt ; elle se sentait idolâtrée, et, bizarrement, elle n’aimait pas ça. Syndrome de l’imposteur : elle n’avait rien fait pour attirer leur amour, et elle ne se sentait pas de l’accepter sans aucune raison. Le père Théophile à ses côtés sentait son malaise, essayant comme il pouvait de calmer les ardeurs religieuses de ses fidèles. Rien que pour manger tranquillement, c’était coton.

— Et vous me dites qu’il y en a plein d’autres ? osa enfin le renard avec une gravité à peine dissimulée.

Les autres avait fini par discuter calmement autour de la table, et ils échangeaient ensemble sans faire attention à ce que le Père supérieur pouvait dire. Mais Danaë n’était pas dupe, elle savait bien que le moindre de leur geste, la moindre parole était bue sans rien faire paraître. Elle se racla donc la gorge, donnant un ton solennel à sa réponse.

— Oui.

Elle hésita un instant, réfléchissant à ce qu’elle devait dire ou non.

— Mon ami doit savoir où en trouver…

Le renard lui attrapa les mains avec ferveur.

— Pourriez-vous me dire où ?

— Je…

Elle hésita encore une fois.

— En fait, je ne sais pas moi-même…

— Je vois, continua le prêtre, un peu déçu.

Un silence s’installa pendant que la jeune fille regardait son assiette. Enfin, elle poussa un soupire : quitte à en parler, autant y aller jusqu’au bout.

— Il s’appelle Scouic. Et peut-être qu’il voudra bien vous le dire…

Danaë se rappela un instant de ses amis laissés plus haut, et qui devaient s’inquiéter de leur disparition. Enfin, elle y croyait. Son cœur se serra à nouveau à l’image de leur souvenir. Sans rien savoir de la tempête intérieure qui se déroulait devant, un grand sourire s’afficha sur le fin museau de Théophile.

— Vous pourriez peut-être lui demander… ?

— Peut-être, oui. Si je sors d’ici.

Le prêtre reprit un air grave, hochant de sa jolie tête rousse.

— Nous sommes là pour vous y aider, vous savez.

La lycéenne lui lança un regard plein d’espoir. Le sang battait à tout rompre dans sa poitrine, mais elle restait encore méfiante. Après-tout, elle avait bien vu que les gens pouvaient facilement mentir…

— Vous n’êtes obligée à rien… murmura à nouveau le renard, plein de bienveillance.

— Je sais, s’empressa-t-elle de répondre d’un air dégagé.

— Nous avons confiance en la destinée.

La destinée ? Celle-là même qui avait détruit la moitié de la planète et sa vie au passage ? A leur place, elle ne choisirait pas ce cheval-là pour miser. La jeune fille soupira d’un coup, le visage rivé droit devant elle. Elle se mordit la langue pour ne pas commenter et avala à pleine bouchée les restes étranges qui traînaient encore dans son assiette.

— Tout va bien ?

La voix adorable de Bart monta jusqu’à elle. Il était un peu plus bas dans l’assemblée, et se rua vers elle sans aucune gêne. Tous le regardaient en chuchotant, désapprouvant sans doute sa familiarité avec l’envoyée du Soleil. Mais personne n’osa l’arrêter. Après-tout, c’était lui qui l’avait trouvée.

L’enfant sautilla jusqu’à la jeune fille, puis se plaça juste à côté, frémissant du museau. Sans doute ne voyait-il pas grand-chose pour facilement la retrouver, mais son odorat ne l’avait pas trompé. C’était l’un des points communs qu’il avait avec le grand prête et, en y réfléchissant bien, avec plusieurs créatures d’ici : beaucoup étaient aveugles ou simplement miro, comme dirait ses amis du lycée. La vue n’était pas le plus important dans ces couloirs sombres et terreux ; l’odorat était bien plus pratique. Et exacerbait les goûts de ce qu’ils mangeaient. Pas étonnant qu’ils prient une divinité de la nourriture !

— Tu as fini ? demanda Bart, curieux.

— Mon enfant, allons… le rabroua le renard.

Aussitôt, la jeune taupe baissa la tête, comme prise en faute.

— N’oublie pas que l’instant de collation est le moment le plus saint de ta journée.

— Ou…oui Monseigneur… !

Sa petite voix remplie de tristesse fit presque de la peine à la lycéenne. L’enfant s’en voulait, luttait terriblement contre ses instincts passionnés et son étourderie. Chaque erreur semblait le mortifier, puis, il oubliait tout cinq minutes après.

— Qu’il vous emmène visiter notre maisonnée, invita Théophile pour le rassurer.

Surprise, Danaë accepta sans même s’en rendre compte, et se fit tirée hors de la table. Elle soupira, ravie d’enfin se défaire des dizaines d’yeux collés à elle.

— Tu veux visiter quoi ? demanda Bart avec enthousiasme.

— Je veux… Peut importe tant qu’on est tranquille, murmura-t-elle pour ne pas vexer les autres convives.

Le jeune garçon la tira entre les croyants renfrognés, agacés de le voir privilégié. Certains osèrent renifler les cheveux de la jeune fille, lui effleurer la main avec vénération à son passage, poussant un cri d’émerveillement. Enfin débarrassée de la foule, Danaë se glissa dans les couloirs sinueux non pas sans jeter un dernier coup d’œil derrière son épaule. Personne n’osait les suivre, et le grand prêtre y veillait. Elle sourit, ravie.

— Il est plutôt sympa, Théophile…

C’était la première fois depuis son arrivée sous terre qu’elle parlait de façon naturelle et sincère, sans craindre d’être mal vue. Bart se retourna vers elle, les yeux plissés.

— Il l’est. Sans lui, il n’y aurait personne ici. Et la moitié d’entre nous serait sans doute…

— Morts ?

— De faim, oui.

Danaë comprenait de plus en plus l’importance de la nourriture. C’est vrai qu’elle avait eu de la chance d’avoir toujours pu manger, profitant de la générosité de toutes les personnes rencontrées. Mais à bien y réfléchir, c’était une vraie problématique : ne rien trouver était une chose, mais varier sa nourriture et ne pas se contenter de paquets de distributeur était une autre. D’ailleurs son estomac commençait vraiment à le lui faire savoir, et les quelques légumes donnés ici n’étaient pas de trop. L’apocalypse était sans doute trop récente pour permettre aux survivants de vraiment trouver des solutions dans la durée. Sans plus y réfléchir, l’adolescente s’arrêta net. Quelque chose lui était revenu en tête.

— Tu peux… tu peux me montrer les humains que tu as vu ?

Les yeux de la jeune fille s’étaient agrandis, poussés par un feu nouveau. Ce n’état pas que de la curiosité ; Danaë n’avait pas abandonné l’idée de retrouver les siens. La petite taupe acquiesça.

— Suis-moi ! dit-elle d’une voix mystérieuse.

Le garçonnet lui attrapa à nouveau la main et l’amena jusqu’à une vaste salle à peine éclairée. En fait, elle était même totalement noire, mais la jeune fille avait prévu le coup en empruntant à l’un des carrefour une lampe abandonnée. Le rayon blafard peinait cependant à montrer tous les recoins de l’endroit où il l’avait embarqué.

Dans l’ombre se dessinait une dizaine de lits superposés, montés de bois et de tissus. C’était des lits typiques de dortoir, et la jeune fille se demandait bien comment ils étaient arrivés-là. Elle toussa un instant, oppressée par l’odeur de terre et de renfermé. Bart ne l’attendait pas et continua à se glisser jusqu’à un lit rangé dans un coin. Il ressemblait aux autres, hormis peut-être qu’il était plus désordonné. D’un coup, Danaë percuta.

— Mais… où sont tes parents… ?

La taupe pencha la tête, sans comprendre.

— Bah… je n’en ai pas.

L’adolescente se mordit la lèvre, gênée. Pourtant le garçon continua comme si de rien n’était, s’assit sur le drap sale et fouilla sous son oreiller. Il en sortit plusieurs magazines, des coupures de presse et même quelques photos d’une famille heureuse. Des papiers sans doute trouvés quelque part qui l’avait interpelé. Danaë y jeta un œil : c’était bien des humains, de vagues souvenirs d’un passé détruit. Enseveli. Elle ouvrit un magazine, puis un deuxième. L’un parlait de cuisine, un autre de jeux vidéo, encore un autre donnait les derniers potins de stars inconnues. La lycéenne s’arrêta de lire quand elle tomba sur un poster olé-olé d’une jeune femme en bikini. Elle fixa Bart, choquée, mais il haussa les épaules. Elle cru cependant percevoir un peu de rouge sur le bout de son nez.

— Sérieusement ?

— Qu… quoi ? bafouilla-t-il enfin.

Ses petites pattes s’emmêlaient, se démêlaient, papillonnaient entre les différents morceaux de papier et le coussin qui avait réduit à moitié de volume. Danaë voyait mal ce qu’il y avait un peu plus loin, mais elle ne doutait pas que le mur devait être parsemé de ses plus belles trouvailles.

— Mais….mmmmh… tu arrives à voir les images ? s’enquit-elle en lui tendant un feuillet.

Sa tête de rongeur se pencha encore une fois, ne comprenant pas. Enfin, il sembla saisir l’interrogation de la jeune fille.

— Ha ! Car je vois mal tu veux dire ?

Elle hocha la tête sans préciser plus sa pensée.

— Pas de souci, j’arrive quand même à distinguer…

Le garçon continua à feuilleter un journal qu’il avait sortit de sous le matelas gondolé.

— Et puis… continua-t-il, c’est comme si je connaissais déjà un peu tout ce que je voyais.

— Tu te souviens des humains avant tout ça ?

Danaë fit un geste de la tête en désignant autour d’elle. Ce « ça » avait quelque chose de très lourd, de sombre et de forcément mauvais.

Le museau de Bart frémit encore quand il hocha la tête. A mieux y regarder, il était couvert d’un fin duvet invisible, mais qui captait cependant le moindre rayon de lumière. Et qui trahissait la moindre goutte au nez. Des perles humides s’y étaient d’ailleurs accrochées, comme des gouttes de rosée sur un feuillage. Danaë se surprit de trouver la composition de chaque créature croisée absolument fascinante.

— J’ai peut-être un autre truc à te montrer… murmura l’enfant d’un ton encore plus mystérieux.

Une nouvelle flamme semblait l’avoir envahie d’un coup, rendant ses gestes encore plus joyeux. Il trépigna presque, se balançant d’un pied à l’autre en toisant la jeune fille.

— C’est quelque chose que je ne montre à personne alors… continua-t-il en insistant sur le mot répété, comme pour mieux se vanter.

Il n’en fallait pas plus pour attiser la curiosité de l’adolescente. La quête de réponses méritait bien de suivre le moindre petit indice.

— Tu peux ? supplia-t-elle presque, les sourcils froncés d’inquiétude.

— Oui, oui… s’empressa-t-il de répondre sans faire plus durer le suspense.

Elle se leva aussitôt en reposant les papiers, défroissant d’un revers de la main le drap à moitié par terre. Le garçon ne se fit pas prier et galopa aussitôt vers la sortie.

— Hey attend !

La jeune fille emboîta le pas, trottinant légèrement pour le rattraper. Heureusement il s’était arrêté en plein milieu du couloir, à peine visible dans la pénombre. Une fois Danaë à vue, il plongea dans une autre galerie, plus petite, presque invisible.

— Tu vas vraiment me faire cavaler ? bougonna-t-elle, continuant à se dépêcher pour ne pas le perdre. Tu oublies que je ne vois pas dans le noir…

— Je t’attends, je t’attends ! continua-t-il en riant.

Elle n’aimait pas trop se perdre dans les couloirs. Cela lui faisait remonter des souvenirs pas si anciens que ça… Et puis, en vrai, elle n’aimait guère les galeries souterraines à visiter dans le noir tout court. Pourtant, suivre Bart s’éternisait, et elle crut bien qu’une heure entière s’était passée à jouer au chat et à la taupe. Elle soupira une énième fois, exaspérée. A cet instant, elle aurait tout donné pour respirer l’air frais de la surface.

Elle cru un instant à une tromperie de son esprit, mais un vent frais lui fouetta soudainement le visage. Ses désirs la rendaient-elle folle ? Pourtant, ses cheveux s’envolaient en mèches sauvages, la poussière du chemin lui piquait les yeux, soulevée par la brise. Elle ne rêvait pas. Une lumière voilée et blafarde apparut tout au bout du tunnel, alors que la fine silhouette du garçon avait encore une fois disparue. Elle n’appela cependant pas et continua son avancée à tâtons, ralentie par sa lampe de plus en plus lourde au bout de son bras.

Une bouffée d’air froid l’accueillit à la sortie, alors qu’elle se redressait en regardant l’immense plafond noir. En y regardant mieux, ce n’était pas le haut d’une salle mais bel et bien le ciel nocturne, percé d’étoiles et d’une lune hésitante cachée derrière de lourds nuages. Encadrée par d’immenses parois en pierre, elle se sentait minuscule, perdue dans une cuvette naturelle rappelant le Grand Canyon. Ou tout du moins ce qu’elle en avait déjà vu sur le net. Mais même si elle était tout au fond d’un gouffre, elle était néanmoins bien dehors. Elle frissonna, glacée par le souffle courant le long de l’immense fissure. Bien sûr, il n’y a jamais eu de ravin ou de gorge dans sa région, mais plus rien ne ressemblait à son chez-elle d’autrefois depuis les tremblements de terre.

Pourtant, malgré toute l’excitation de se retrouver enfin à l’air libre, malgré la fraîcheur du soir et l’ambiance mystérieuse sous les reflets argentés de la lune, ce n’était pas la chose la plus frappante qui se trouvait ici. Elle n’y avait pas fait attention tout de suite, puis avait fouillé les ombres pour retrouver la trace de jeune garçon qui l’avait amené. Et là, elle avait vu : une étrange armée immobile, des silhouettes figées juste derrière quelques buissons. Elle s’y osa, écarta les branchages et atterrit dans une époustouflante vallée. Envahie par les racines immenses et les ronces, la végétation étouffante tout autour avait laissé un endroit plus ou moins dégagé. Bart l’attendait juste devant, mais elle n’y fit presque pas attention. Devant elle, des dizaines de statues blanches, comme faites de sel. Elles représentaient des humains de tout âge et de tout genre, installées dans d’étranges positions tout aussi variées. Danaë déglutit. Elle s’approcha, avança entre cette foule silencieuse. Les rayons nocturnes faisaient briller ces centaines de bras, de cheveux albâtres et luminescents, comme recouvert de millier de petits diamants. Elle admira le visage de cette jeune fille, son regard de terreur figé. Son cœur se serra en voyant cet homme enlacer un tout petit bébé, comme pour le protéger d’une catastrophe imminente. Danaë le savait, ces statues n’en étaient pas. Ce n’était que le dernier souvenir, les derniers instants à jamais immobiles de plusieurs humains coincés dans la catastrophe. Sa voix raisonna dans le silence sépulcrale, débordante d’émotion.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé… ?

Bart resta silencieux. L’adolescente osa enfin effleurer l’une des statues, sentit le grain piquant sous ses doigts. Ils étaient bel et bien en pierre, ou quelque chose d’aussi solide et minéral. Leur peau n’était plus visible, et leurs yeux ouverts ne craignaient plus l’eau ou le vent.

— Il ne reste que peu d’humains… murmura le garçon avec tristesse.

— Ils se… Danaë retint un sanglot puis continua sa phrase. Ils se sont transformés ?

Le garçonnet hocha la tête.

— Mais pourquoi ? Pourquoi ? continua-t-elle, les larmes coulant enfin sur ses joues noircies.

Son cœur allait exploser et les questions se bousculaient dans son crâne. Pourquoi eux ? Pourquoi pas elle ? Et ses amis, ses parents… ?

Elle sécha son visage d’un revers de main agacé et se tourna vers Bart.

— A l’école… dans la ville… Il n’y avait rien !

Il haussa les épaules.

— Je sais pas… Les champs comme ça sont plutôt rares… J’imagine que les autres ont été pris.

— Pris… ? haleta la jeune fille.

— Différents animaux, différents clans… Au début, ça a été une vraie guerre, il paraît.

Un silence passa, laissant seul le bruit de la nuit raisonner. Enfin Bart reprit.

— Mais je sais qu’il y a aussi des humains comme toi qui n’ont pas été transformés. Eux aussi ont souvent été amenés…

La lycéenne acquiesça. Pour ne vivre que depuis quelques jours ici, elle savait combien il était difficile de ne pas se retrouver attrapée.

— Mais pourquoi je me suis réveillée ?

— Parfois, certaines statues disparaissent… répondit le garçon en se grattant sous sa casquette. Enfin, ce n’est arrivé qu’une fois ici. Mais je suppose que rien n’est éternel…

Une flamme se ralluma tout au fond de la jeune fille. L’espoir n’était donc pas mort. Elle se tourna vers Bart avec conviction, les yeux brillants d’une nouvelle rage.

— D’autres connaissent cet endroit ?

La taupe secoua la tête.

— Non… je voulais garder ça pour moi…

Danaë scruta son visage avec suspicion.

— …et maintenant pour toi, continua-t-il, le nez rose.

— Même pas le Père Théophile ?

Il secoua à nouveau la tête.

— Je crois qu’il s’en doute mais…

Un grondement les arrêta soudainement, roulant du haut de la crevasse jusqu’à eux. C’était un bourdonnement terrible, amplifié par les larges parois de pierre. Danaë se boucha aussitôt les oreilles et plongea à terre, suivie aussitôt par Bart. Ils se regardèrent, terrifiés, aplatit complètement à terre et se protégeant la tête. Une lumière venant du ciel plongea juste à côté d’eux, chercha en même temps que le vrombissement à découvrir les lieux.

— Un hélicoptère… souffla la jeune fille.

Bart la regarda avec incompréhension, blottit contre le sol.

— La Meute ! continua-t-elle en élevant plus la voix.

Le bruit était insupportable, multiplié par cent et attaquant les tympans, les organes, faisant désagréablement vibrer le corps tout entier. Mais plus que cela, ce grondement était annonciateur de leur venue. La lycéenne jeta un coup d’œil au-dessus d’elle, craignant d’y voir des cordes tomber.

— On doit partir d’ici ! cria presque Bart, les mains toujours sur ses trous auditifs.

Elle hocha la tête et commença à ramper vers l’une des parois. Le garçonnet semblait avoir une idée et se dirigea immédiatement vers un amoncellement de rochers, juste à côté. Enfin, il plongea entre deux d’entre eux et disparut dans le noir. Danaë fit de même, mais non pas sans un dernier regard sur le champ de statues de sel, brillant de mille deux sous les projecteurs pointés sur eux. Le tonnerre frappa encore, l’hélicoptère se rapprochant sans doute d’eux. L’air soufflé faisait frissonner les arbres, les secouaient de toute part. Une statue s’effrita, se brisa même en deux à cause des effroyables vibrations. Le cœur de Danaë se brisa en deux en même temps : insidieusement, indirectement, elle venait de voir quelqu’un mourir devant ses yeux…

La jeune fille ne s’en était pas rendu compte, mais elle avait laissé tomber sa lampe quelque part, et le noir du tunnel était bien plus profond qu’elle ne l’imaginait. N’osant pas appeler l’enfant devant elle, elle continuait droit devant, glissant à quatre pattes sur la terre sèche et poudreuse. Les vrombissements des pales derrière-elle continuaient de faire trembler le sol, mais devenaient de plus en plus lointains, plus étouffés par les parois réconfortantes. Elle continuait à descendre dans les entrailles de la terre, aveugle et essoufflée. Garder les yeux ouverts était effrayant, lui donnant l’impression de rentrer dans un noir total, vide, immense et éternel. Elle ne vit même pas les contours de Bart quand elle se cogna contre lui, tête contre tête. Ils poussèrent un gémissement, mais cela la rassurait sur son état.

— Tu crois qu’on est en sécurité… ? osa la jeune fille, haletante.

La jeune taupe ne répondit pas. Pourtant, l’adolescente le sentait juste à côté d’elle, tremblotant de tous ses membres. Il était terrifié, et ses poils hérissés chatouillaient son bras dénudé. Une main rugueuse se posa enfin sur celle de la jeune fille et la tira dans les abîmes. D’autres tremblements d’au-dessus arrivaient jusqu’à eux, et elle le sentait avec d’autant plus d’intensité. Sa vue complètement occultée, tous ses autres sens semblaient en éveil, bien plus pointus encore qu’elle ne pouvait le penser. Même son instinct, ses idées, tout était plus clair dans le noir. Son ouïe aussi.

Outre les bruits lointains de la surface, tout un tas de couinements et de grondements couraient le long des couloirs de la citée souterraine, inconscients du danger qui approchait. Et parmi le tumulte, un seul attirait son attention. Un bruit qui la fit sursauter, et même oublier sa fuite. Un grondement terrifiant, un rugissement qui n’avait rien d’étranger.

— Tu entends ? chuchota-t-elle à son ami.

— Quoi ? répondit-il, surpris.

— Ce cri !

Elle n’attendit pas plus et s’y dirigea à l’aveuglette, se cognant contre les parois. Pourtant, elle le sentait ; ce n’était pas si loin que ça.

— Attends ! gémit l’enfant qu’elle avait dépassé.

La jeune fille ne put contenir un sourire intérieur. Pour une fois, c’est à elle qu’on disait de ralentir. Elle en avait assez d’être la suiveuse, de rester à l’arrière. Même la peur ressentie il y a à peine dix minutes lui semblait une épine dans sa chaussure. Fuir, c’est bien joli, mais il fallait trouver une solution. Et au passage, l’auteur de cet étrange bruit qui lui soulevait les poils.

Les bandages tâchés et remplis de poussières, ses mains écorchées commençaient encore à s’user. Ses anciennes blessures n’avaient pas eu le temps de vraiment cicatriser, et ce malgré l’étrange médicament de Rubis. Pourtant, la douleur ne la fit pas arrêter, et elle avançait à tâtons jusqu’à entendre plus clairement l’appel qui retenait toute son attention. Bart l’avait suivi, l’appelant sans cesse sans comprendre. Il lui rentra dans les mollets quand elle stoppa net.

— Ce cri-là, tu l’entends ? répéta-t-elle enfin d’une voix décidée.

— Je… Je… bégaya le garçon.

— Oui ou non ? continua-t-elle impérieusement.

— Oui ! s’empressa-t-il d’affirmer. Des cris de félin…

— C’est ça, affirma la jeune femme d’un ton assuré. De félin.

Son ventre s’était serré. Des félins, elle en connaissait. Elle ne savait pas ce qu’ils pouvaient bien faire à des mètres sous terre, mais elle espérait que c’était bien ceux-là qui appelaient.

— Je… je crois que c’est par là…

Danaë ne vit bien sûr pas l’indication donnée par la taupe, mais elle se dirigea à sa voix.

— Pourquoi on doit s’approcher de ce bruit ? continua l’enfant, la voix tremblante.

— Car je suis sûre que je le connais.

— Ce n’est pas loin du territoire de la Nuée, continua-t-il en chuchotant, angoissé.

Elle ne fit pas plus attention à ses avertissements et continua d’avancer. Au-dessus, l’échos de l’hélicoptère n’était plus qu’un lointaine souvenir déjà oublié.

Une légère lumière rougeoyante éclairait de plus en plus le bout du tunnel. C’était une lumière faible, tremblotante, sans doute à peine visible dans une pièce éclairée, mais qui éblouissait presque la jeune fille dans ces ténèbres. La clarté de l’ombre s’effaçait lentement en s’approchant de la sortie et de cette mystérieuse flamme.

Les deux amis se retrouvèrent devant le vide, littéralement. Plus qu’une sortie, ils avaient un observatoire parfait sur une salle éclairée de torches et de lampes jaunâtres et délabrées. Vue du plafond où ils étaient, c’était une sorte de vaste grotte recouverte de déchets et de débris métalliques en tout genre, à moitiés cachés par la fumée. Quelques rats à l’aspect négligés traînaient deci-delà, cherchant des noises à leurs voisins sans jamais en arriver jusqu’aux mains. Mais l’essentiel, le plus important et qui attira aussitôt l’attention de l’adolescente, c’était la grande cage qui apparaissait dans un coin et d’où continuait à raisonner les rugissements furieux. C’était une vraie cellule composée de barreaux de fer et d’une porte forgée, pouvant contenir au moins 3 ou 4 adultes sans problème. Il n’y avait pourtant qu’une seule silhouette qui tournait en rond à l’intérieur, frappant parfois avec rage les barres pour mieux toiser les rongeurs passant trop près. Une silhouette noire et musculeuse qui glissait comme une panthère furieuse d’être ainsi enfermée. Soudain, Danaë croisa son regard de feu.

— Diablo ! chuchota la jeune fille, la joie l’étouffant presque.

C’était en effet bel et bien le jeune et imposant chat noir qui la dominait d’habitude bien d’une tête. Et qui avait péri dans l’explosion du magasin de la galerie marchande… Bien sûr, elle fut heureuse de s’être trompée et de n’avoir pas pensé au sol friable creusé par des dizaines de nouvelles galeries. Sans doute avait-il atterri lui-aussi quelques mètres plus bas et, aux vues de ses nombreuses blessures barrant son pelage sombre, il n’avait pas eu la même chance qu’elle. Il semblait plus affaibli mais plus sauvage aussi, meut par une rage folle de se retrouver enfermé-là. Danaë se mordit la lèvre, souffrant de ne pouvoir l’en sortir dans l’instant. Elle balaya du regard les nombreux points de chute qui pouvait la rapprocher de l’endroit, mais tous étaient dangereux : soit trop bas et risquant de lui briser les os, soit trop proche d’un garde musqué. Elle interrogea Bart du regard qui restait figé. Il n’avait, lui aussi, aucune idée de la suite des évènements. Pire, il ne comprenait pas bien pourquoi il se retrouvait à quelques mètres de ces dangereux énergumènes, rats et chat compris.

Attendre n’était pas suffisant. La jeune fille bloqua sa respiration, se décida enfin à glisser le long de la paroi. Elle était de l’autre côté de la pièce et devait bien traverser plusieurs dizaines de mètres pour pouvoir accéder à son ami. Tant pis. La peur sourde qui grondait au fond de sa poitrine ne suffisait pas pour l’arrêter. Elle se tapit dans l’ombre derrière un amoncellement de boites vides et hésita. Cherchant une issue, elle attrapa du bout des doigts quelques pierres qui trainaient-là. L’infiltration n’avait jamais été son fort. Elle avait bien sûr déjà joué à quelques jeux bien inspirés : jeter des galets, faire du bruit, assommer des gardes… les créateurs vidéoludiques sont toujours plein de bonnes idées. Mais peut-importe, ça s’était toujours terminé pour elle en Game Over. Elle respira enfin, tout doucement, écoutant les pas irréguliers d’un rat s’approchant d’elle. Il était là, à un mètre ou deux à peine de sa cachette. Prenant son courage à deux mains, la jeune femme envoya l’une des pierres de l’autre côté, vers une zone noire. Le petit caillou claqua contre le sol, raisonna contre les parois, et le rongeur sursauta. Il se tourna d’un coup, lui offrant son dos à loisir. Pourtant, il ne bougeait pas, fouillant l’endroit en ronchonnant et sa queue fouettant l’air de mécontentement. L’adolescente était bloquée : tenter d’avancer était toujours trop risqué. Elle voulut renvoyer une pierre pour l’éloigner encore quand son coude cogna le petit sac de toile accroché à sa hanche. Une chose dure y était toujours et lui donna une idée. Elle l’attrapa et ses ongles s’enfoncèrent dans le bois vernis avec détermination. C’était l’effaceur de tableau, lourd et poussiéreux, qui l’accompagnait depuis le début. Elle ne savait pas si c’était suffisant, mais elle pria de toute ses forces quand elle le lança tout droit vers le crâne du rat.

Un bruit sourd, et puis l’éclat du bois qui touche le sol. Danaë ouvrit les yeux qu’elle avait gardé fermé après avoir visé. C’était un miracle, mais elle l’avait bel et bien touché. Elle eut juste le temps de voir la créature chanceler, puis s’étaler en silence devant elle. Un tas de métal s’écroula un peu plus loin, balayé par la petite brique de bois et raisonnant dans un bruit grinçant à travers toute la salle. Pourtant, aucun autre rat ne sembla s’en inquiéter, jetant un œil distrait vers le tas d’ordure. Une dispute éclata un peu plus loin pour savoir qui devait venir voir. L’élu avança enfin mollement, si bien qu’il n’y avait plus rien à son arrivé : ni jeune fille, ni même rat évanoui sur le sol, soigneusement dissimulé sous la brume.

Danaë avançait à pas de loup -quelle ironie pour sauver un chat. Elle avait déjà bien fait la moitié du chemin quand son regard croisa celui du prisonnier. Du grand gaillard taciturne qu’elle avait rapidement connu ne restait qu’une bête féroce. Deux pupilles luisantes de rage qui n’avaient plus rien d’humain, mais qui pourtant s’apaisèrent en apercevant la jeune fille. L’homme-panthère avait retrouvé espoir ; pire, il était persuadé qu’on était venu le sauver. La jeune femme hocha silencieusement la tête, comme pour lui confirmer cette pensée.

Un rugissement terrible fit trembler l’air. Diablo avait bien compris qu’il devait participer pour aider, et il s’y attela avec une motivation déconcertante. Il cria, gronda comme jamais, faisant vibrer les barreaux de sa cage en sautant dessus de toutes ses forces. Même les plus endormis de ses gardes se sentirent obligés de bouger.

— Tu te calmes, le gros bras, sinon on t’arrache la tête direct ! aboya un gros rongeur noir et beige, se rapprochant du prisonnier avec une étrange arme entourée de barbelés.

— Gizel, c’est à ton tour de le bâillonner ! On peut même pas s’entendre ronfler ! grommela un autre en se retournant, une vieille couverture empoussiérée sur son épaule velue.

Danaë tenta l’impossible, profitant de cette diversion pour combler la dernière moitié du chemin. Elle n’était plus qu’à quelques mètres de la porte grillagée, et inspecta les alentours en quête d’une clef. Elle n’était nulle part et l’adolescente se doutait bien qu’un des rats la gardait. Les pupilles d’or du fauve la croisèrent à nouveau, lui indiquant une longue musaraigne marchant plus loin. Cette dernière était plutôt petite mais étrangement élancée, rendant le bâton bardé de pointes accrochée à ses griffes encore plus imposant. Hésitante, l’adolescente jugeait la situation avec gravité : impossible de reculer, impossible de voler une personne en pleine lumière… elle se retrouvait bloquée. Quelque chose attira soudainement son attention, une sorte de petite tâche noire avec un bout rouge et blanc collée à la paroi… A peine comprit-elle que c’était Bart qui descendait enfin la rejoindre que la jeune taupe sauta de tout son poids sur la musaraigne désignée. Cette dernière poussa un cri étouffé par la douleur, puis hurla pour de bon à l’aide. Tous les gardes se tournèrent vers l’attaquant qui filait déjà vers un mur. Danaë serra le poing : quelques gouttes de sang marquaient les traces de l’enfant, et une grande marque rouge colorait l’une des lames du soldat à terre. Pourtant, elle n’attendit pas une seconde et se rua vers le rongeur au sol. Plus personne n’y faisait attention, courant après la taupe en fuite, et cela l’arrangeait bien : la jeune fille se rapprocha de la musaraigne gémissante et attrapa la clef déjà à moitié détachée. Le garde, presque assommé, n’y fit même pas attention, se posant sur le côté en toussotant. Aussitôt, elle se dirigea vers la cage et une grande main noire lui attrapa les doigts. Diablo plongea son regard dans le sien, brûlant d’un nouvel espoir, et lui serra un peu plus la paume pour la remercier.

— Où sont les autres ? murmura-t-il d’une voix grave.

La jeune fille secoua la tête.

— Je suis seule, répondit-elle dans un souffle.

Les yeux d’or de la panthère s’agrandir de surprise. Visiblement, il ne s’attendait pas à se voir sauver par une simple et seule jeune fille. Enfin presque. Danaë jeta un regard inquiet vers Bart qui arrivait encore à échapper à ses ennemis. Elle posa la clef dans la paume du félin et lui ferma le poing.

— Echappe-toi, je dois le sauver ! ordonna-t-elle d’une voix tranchante.

Elle n’attendit pas d’avoir sa réponse et disparut dans le noir, attrapant une longue barre de métal au passage.

La situation de Bart avait empiré : acculé contre un tas d’habits sales et poussiéreux, il tenait une plaie dégoulinant à son flan et poussait de petits gémissements haletants. Impossible pour lui de remonter sur la paroi de pierre à cet endroit, et même à des mètres de lui. L’adolescente ne pouvait pas le laisser ainsi. D’un habile mouvement de poignet, elle frappa net un sceau rouillé qu’elle envoya valdinguer sur l’un des agresseurs. Ce dernier couina de mécontentement et se retourna vers elle. Pourtant il ne vit toujours rien, la jeune fille glissée derrière un autre amoncèlement de vieux outils. A bien y faire attention, cette salle devait leur servir de réserve, à moins que ce ne soit un centre de triage de toutes les choses retrouvées.

La Nuée commençait à s’agiter. Ils n’étaient qu’une poignée et ne voyaient pas encore l’utilité d’appeler leurs amis, mais si la situation empirait, Danaë ne donnait pas cher de leur peau. Ils devaient trouver coûte que coûte une solution de replis le plus vite possible.

Un cri strident la fit sursauter et elle tourna d’un coup la tête vers un autre garde sortant des ombres. Il sautait sur elle les griffes en avant, ses longues dents de devant jaunes et menaçantes, mais n’eut le temps de la toucher. Un éclair noir frappa la bête de plein fouet et l’envoya rouler plus loin. Diablo était sortit de sa cage et ne semblait pas prêt à laisser ses sauveurs ici.

— Je t’avais dit de partir ! gronda la jeune femme vers la silhouette musculeuse.

Diablo n’eut pas le temps de répondre, un air décontenancé sur le visage. Il bondit vers l’adolescente puis pivota d’un coup, l’air alerte, son dos collé à celui de la jeune fille. Des grincements menaçants les entouraient désormais, les gardes musqués délaissant la jeune taupe pour se tourner vers eux. Ils étaient clairement repérés, et il fallait se battre pour s’en sortir. Danaë serra la barre de métal contre elle, décidée à en découdre. L’un des rongeurs, peut-être celui le plus abîmé, commença à ouvrir une large gueule pour sonner l’alerte.

Soudain, la terre trembla encore. L’adolescente poussa un cri, l’estomac noué de terreur. Cela lui rappelait de trop mauvais souvenirs pour la laisser indifférente. Elle leva cependant la tête vers l’origine des secousses, alors que de longs filets de poussière lui tombaient sur le visage. Diablo l’agrippa et la tira en arrière, les faisant basculer sur le sol derrière un petit rocher. D’un coup, le plafond de la grotte sembla comme soulevé vers le ciel, laissant quelques rayons orange s’infiltrer. Les rayons du soleil levant… Quoi ?! Un courant d’air froid lui fouetta le visage. Tout le haut de la salle souterraine venait d’être arraché et laissait le petit jour pénétrer la terre noire.

A leurs côtés, les rats hurlèrent de rage mais n’eurent pas le temps d’attaquer ni même de sonner le cor. Des claquements soudain raisonnèrent d’en haut, et des traits de lumière frappèrent les soldats belliqueux de plein fouet. Ils s’écroulèrent un par un, comme traversés par la foudre. Des armes ! C’est le claquement des armes ! Une dizaine d’inconnus descendirent du plafond ouvert, fusil au poing, balayant les derniers récalcitrants d’un seul geste. L’un de ces derniers, un jeune rat que l’adolescente avait entendu râler quelques minutes encore, roula à ses pieds. Elle croisa son regard plaintif, elle vit ses lèvres bouger. Elle vit ses larmes brouiller ses paupières. Il était encore en vie, agonisant, une fleur sanglante s’agrandissant lentement sur sa veste marron. Danaë plaquait la main sur sa bouche pour se retenir de crier, tandis que Diablo l’enserrait de toutes ses forces, les aplatissant ensemble autant qu’il pouvait contre le sol meuble. Elle n’en rata pourtant pas une miette : la peur, la douleur et la supplication sourde qu’elle pouvait lire sur le visage du jeune rat mourant. Elle voulut attraper cette main tendue, comme pour le rassurer, l’accompagner dans ce qui les terrifiait tous, peut-importe qu’ils soient ennemis ou non. Et puis cette étincelle s’en alla soudainement, s’éteignit au fond des yeux noirs du rongeur. Le cœur de la jeune fille se fendit, et elle blottit sa tête sous le bras du large félin au-dessus d’elle. Elle voulait disparaître, se fondre dans le noir avec le reste des recoins inexplorés des souterrains. Les yeux fermés, seul le souffle haletant de Diablo sur sa joue lui rappelait qu’elle ne pouvait pas échapper à la réalité. Elle entendit la panthère grogner. Enfin, elle osa rouvrir les yeux, relevant la tête sur deux bottes de cuir noir fichés juste à côté.

L’un d’eux les tenaient en joue. L’un de ces chiens qu’elle avait déjà vu, les créatures noir-et- feu de la première fois…

Et ils étaient désormais leurs prisonniers.

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