XXII. Nous sommes des vainqueurs, seconde partie

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 La nuit laissait doucement tomber sur la ville son voile de soie noire le plus profond, emperlé d'astres. Loano, enfin rejointe par Merina, souriait timidement sous un éventail de brumes. Le froid, venu en avance de la saison prochaine, serpentait sur les pavés dans toutes les rues. Jal peinait à le repousser, s'enveloppant dans sa cape et se réchauffant les doigts à la flamme de sa lanterne. Personne en vue. Il tapait du pied sur le pavé, sous une porte cochère juste en face de la porte du palais, et soufflait dans ses mains. Des pas claquèrent sur le pavé. Il couvrit sa lanterne par sa cape d'un mouvement vif ; une silhouette apparut sur la place. Jal essayait d'habituer ses yeux à la soudaine obscurité. Il ne voyait qu'une longue cape brune à capuche et une démarche agile. La personne ne paraissait pas être gênée par le froid ambiant. Elle leva la main et une sphère lumineuse bleue apparut aussitôt dans la paume de sa main, éclairant le délicat visage de Liz. Même de loin, Jal reconnaissait sa cousine. Il démasqua sa lampe.

  • Bonsoir...
  • Jal ! Tu m'as fait une de ces peurs !
  • Je suis discret. Figure-toi que les gardes ont tous été réquisitionnés au palais. Flora Hechid a été assassinée.
  • La mage ?! C'est impossible !
  • Hé si. Ce qui porte les victimes à sept.
  • Puisse-t-elle rejoindre les Lunes en paix... C'est assez effrayant tout de même. Quelle puissance peuvent-ils avoir ?
  • J'espère que ce ne sont pas les mêmes qui nous ont harcelés... On ne fera jamais le poids.
  • Je n'ai pas assez de puissance pour lutter contre ça.
  • Liz. Je suis vraiment désolé de t'avoir entraînée dans cette panade.
  • C'est moi qui ai insisté pour venir. Je compte bien leur faire cracher leurs tripes, à ces enflures qui ont enlevé mon frère.
  • Éteins ta boule.
  • Hein ?
  • Éteins ta magie ! Tout de suite !

 Elle obéit et Jal couvrit sa lanterne. Une silhouette apparut, avec un pas martial, qui se dirigea droit vers la porte du palais. Jal retint son souffle, mais il ne leur jeta pas un seul regard. L'inconnu colla quelque chose à la porte du palais et repartit de l'autre côté. Il ne les avait pas vus. Jal respira et libéra sa lanterne. Liz claqua des doigts et sa sphère de lumière réapparut devant elle.

  • Tu n'as pas froid, toi ?
  • Absolument pas ! Par contre, tu frissonnes.
  • Je pense que ta magie te protège... Moi je sens la saison des Froids arriver, je te prie de me croire.
  • Attends...

 Elle fit rougeoyer sa sphère et celle-ci devint un émetteur de chaleur. Jal écarquilla les yeux et avança ses mains.

  • Championne !

 Elle sourit, le regard plongé dans la sphère lumineuse. Soudain, une haute silhouette se matérialisa près d'eux.

  • Bonsoir, Jal.
  • Hovandrell ! Voici ma cousine Liz Bertili, magicienne.

 L'elfe inclina la tête.

  • Liz, je te présente l'elfe Hovandrell, qui a permis à la garde d'arrêter les bandits.
  • Bonsoir, elfe Hovandrell.
  • Bonsoir, humaine Bertili.

 Il calma lentement ses battements de cœur ; l'apparition silencieuse de l'elfe avait déchargé toute l'adrénaline qu'il accumulait dans ses veines. Hovandrell n'avait aucune expression sur le visage. Ses cheveux tressés flottaient à l'air libre. Elle considérait la sphère chauffante et rouge qui lévitait dans les mains de Liz. Elle portait une dague courte au côté et son arc dans le dos. Une de ses oreilles longues se dressa.

  • Éteignez ça ! Quelqu'un approche !

 Jal couvrit aussitôt de sa cape sa lanterne ; la magie de Liz s'évapora instantanément. Des pas légers se firent entendre, suivis du froissement d'une houppelande sur les pavés. Une haute silhouette mince traversa la place, tourna sur elle-même, sa houppelande rousse volant sur ses pas. Elle repoussa sa capuche et une tresse noire glissa sur ses épaules. La bosse de la poignée de l'épée se voyait sous le tissu.

  • C'est elle, murmura Liz.

 Jal démasqua sa lanterne et la leva à bout de bras.

  • Lidwine !
  • Oh, vous êtes là. Salutations, mademoiselfe. Vous êtes Hovandrell, n'est-ce pas ?
  • C'est mon nom.
  • Je suis Lidwine Artanke.
  • Nous sommes prêts, il me semble, annonça Liz.
  • Nous devions passer par une porte dérobée du palais qui permettait de passer de l'autre côté des remparts, mais la mage Flora vient d'être assassinée et la garde surveille le palais. La bonne nouvelle c'est qu'ils ne seront pas à Ghyzdal et que nous pourrons donc y entrer, mais ils sont ici.
  • On doit pouvoir passer tout de même. Le temps est précieux.

 Il acquiesça à l'empressement d'Hovandrell.

  • Je suis d'accord.

 Les deux filles opinèrent aussi.

  • Comment on entre ?
  • Liz, tu peux forcer les serrures comme au musée ?
  • Je peux les détruire pour ouvrir la porte, seulement c'est irréversible.
  • Je peux m'en charger, proposa l'elfe.

 Elle prit la direction de la porte sans attendre une réponse. Jal soupira et suivit le mouvement. L'elfe s'accroupit devant la serrure et le messager approcha sa lanterne. Elle détacha une des pièces métalliques attachées à sa chevelure et l'introduisit dans la serrure ; en quelques secondes un cliquetis sonna et la grille s'ouvrit. Jal souffla sa lanterne et entra.

  • Dépêchez-vous !

 Liz réintégra sa magie, comprenant le souci de discrétion, et ils traversèrent la cour nocturne. Hovandrell marchait parfaitement silencieusement. Jal s'adossa au mur et attendit que toutes l'aient rejoint.

  • Par ici, souffla-t-il en désignant une poterne ouverte et allumée, en haut de quelques marches.

 Hovandrell hocha la tête et grimpa les marches de son pas le plus discret. Collée au chambranle, elle jeta un coup d’œil très rapide à l'intérieur, puis se retourna vers eux et leur fit signe de monter. Aucun ne se le fit dire deux fois. Lidwine referma la porte derrière eux.

 Il n'y avait personne ; c'était un long couloir carrelé éclairé de torches à intervalles réguliers. La chaleur fit pousser à Jal un soupir de soulagement. Il se retourna vers Lidwine qui repoussait également la capuche de sa houppelande. Elle portait sa tenue d'escrime, et une veste de fourrure sans manches par-dessus. Elle passa devant lui en lui souriant, d'un pas rapide. Hovandrell ouvrait la marche, vérifiant chaque ouverture avant de passer devant. Soudain ses deux oreilles se dressèrent. Elle se retourna et sans hésiter les poussa le plus vite possible vers la dernière porte qu'ils avaient passée. Tous comprirent et s'y tassèrent. Liz referma la porte sur eux. Ils étaient dans une sorte de placard minuscule. Jal avait l'oreille collée au battant, Lidwine dans son dos, et dut se concentrer sur les pas qui passaient dans le couloir juste devant eux. Personne ne respirait. Il soupira lorsque le silence revint, entendit le souffle de l'escrimeuse sur sa joue et déglutit, espérant qu'elle ne remarquerait rien. Ils restèrent immobiles encore un moment, attentifs, angoissés, mais Jal finit par ouvrir lentement la porte. Ils retrouvèrent enfin leur espace vital. Hovandrell n'attendit pas une seconde pour retourner vers le bout du couloir. Jal la suivait pour indiquer la route. Ils obliquèrent donc dans un autre corridor, mais de la pièce que le messager indiquait s'élevaient deux voix qui conversaient. Deux gardes, à l'écoute des cliquetis d'armures qui ponctuaient régulièrement leur conversation. Le jeune Ranedaminien croisa le regard de Liz. Elle hocha la tête.

  • J'y vais, murmura-t-elle.

 Elle fit couler la magie dans ses veines jusqu'à ce qu'elle goutte de ses mains, serra les poings et avança devant la porte. Jal vit sa profonde respiration, puis elle ouvrit la porte d'un geste péremptoire. Ses bras se tendirent, la magie jaillit en deux arcs de lumière. Un silence de mort lui succéda. Elle se retourna vers ses compagnons avec le sourire craquant dont elle avait le secret :

  • La voie est libre.

  L'un des gardes reposait affalé sur la table ; l'autre s'était écroulé sur le plancher et son casque même avait volé sous l'impact. Liz prit sur l'un d'eux une épée courte et la glissa dans sa ceinture. Lidwine, quand à elle récupéra l'un de leurs casques et s'en coiffa. Jal trouva l'idée excellente et l'imita. Hovandrell guettait la salle suivante ; Jal lui indiqua du pouce la sortie correspondante. Elle poussa la porte ; le vent de la lande les assaillit aussitôt. Ils se trouvaient au pied des remparts, à l'extérieur de la ville, de l'autre côté du palais. Jal frissonna et referma sa cape. Il ralluma sa lanterne et descendit les trois marches qui menaient vers le sol. Liz créa aussi une loupiote magique suspendue au-dessus de sa tête. La silhouette décharnée des ruines du château de Ghyzdal se découpait sur le ciel illuminé par les deux lunes. La nuit pesait sur eux. Jal se retourna vers son équipe.

  • Droit devant, les amies. La vérité nous attend. On va la dénicher, où qu'elle se cache.

 Liz hocha la tête, gravement. Lidwine posa la main sur Devra et un jeu de lumière fit étinceler ses yeux. La résolution qui y luisait faillit le faire reculer. Il riva ses yeux à la silhouette du château, carra les épaules, fit claquer Valte dans son fourreau et commença à marcher à travers la lande, sa lanterne haut levée.

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