Chapitre 41 - Les balafres du cœur et de l'épée

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*Edward

C'était pas vraiment beau à regarder : ils étaient entassés dans la salle secrète de la bibliothèque depuis déjà trois heures, et l'ambiance était plombée par une séparation des espèces façon Darwin 2.0. Malgré l'antipathie qui existait au sein de la Ferroul Squad, Edward et ses amis avaient bien invité Jinn, Solis, Pythie et Kara. Cette dernière semblait être totalement déprimée, malgré son visage souriant et confiant ; Edward sentait ce genre de choses. Il avait anticipé la rupture entre elle et Yannis, et savait qu'il ne serait pas affecté longtemps, mais pour Kara, c'était une autre histoire. Il ne fallait surtout pas qu'elle flanche en milieu de tournoi. Ils devaient gagner. Edward prit la parole :

— En l'absence momentanée de Yannis, j'ai décidé de prendre sa place. Quelqu'un est contre ?

Personne ne protesta. Satisfait, Edward continua :

— Vous savez tous pourquoi nous sommes présents aujourd'hui, mais personne ne sait ce qu'il va se passer. Je vais vous le dire : nous avons, Ugo et moi, découvert la nature de la première épreuve du Tournoi (les autres écarquillèrent les yeux, stupéfaits). Ça n'a pas été facile, mais les faits ont été révélés : la prudence sera le thème de ce test, et tous doivent participer…

— Et donc ? Solis puait l'inquiétude. Qu'est-ce qu'on va affronter ?

— Laisse-moi terminer… Mes notes…. Voilà ! C'est littéralement une partie de cache-cache.

Ludwig, Hadrian et Ugo éclatèrent de rire. Les mages, en revanche, avaient l'air perdu.

— Un… Kash-Kash (Jinn posa naturellement la question) ? Est-ce une sorte de jeu terrien ?

— C'est ça. Le principe est simple : tu dois juste te dissimuler dans un endroit, survivre pendant 14 jours, sans que les autres équipes te trouvent.

— Et… ? Où est le serpent sous souche ?

Les mages regardèrent Kara avec étonnement. Edward sourit ; Yannis avait bon goût, non seulement cette fille était charmante, mais aussi futée qu'une chouette.

— Normalement, il y a un combat après chaque épreuve. Sur celle-ci, en tout cas, les organisateurs l'ont juste transplanté dans l'épreuve en elle-même : chaque équipe qui en trouve une autre doit la neutraliser, et les amener à une borne spéciale pour récupérer des points.

— Des points ? Tout le monde (sauf Ugo et Edward) s'exclamèrent en même temps.

— Oui, des points, répondit Edward avec un sourire carnassier. On ne choisit déjà pas notre emplacement de cachette, il nous est communiqué discrètement par les juges. On a donc un « shelter » à protéger, et on doit trouver les autres shelters et leurs joueurs attitrés. Chaque shelter nous rapporte 100 points, chaque joueur mit à terre rapporte 10 points, et le chef rapporte 25 points.

— Y a d'autres points à gagner, sinon, ajouta Ugo en posant une liste sur papier, que tout le monde se passa. On gagne des points quand on trouve de la nourriture, de l'eau. L'épreuve se déroule dans une vallée avec des ruines, forêts, lacs, rivières, etc.…. On y gagne des points quand on trouve des caches d'armes abandonnées, des outils et des provisions qui nous serviront dans notre survie.

— La prudence est donc de mise, mais aussi la patience, appuya fermement Jinn avec une mine sérieuse. Et moi qui croyait à des épreuves simples et plus drôles….

— C'est sûrement à cause de nous, intervint Hadrian.

Pour la première fois depuis le début de la réunion, tout le monde se tourna vers Hadrian, qui se tétanisa devant la pseudo-foule qui le regardait intensément.

— Bah…. Euh…. Ce que je veux dire, c'est que depuis que la TSB est arrivée sur Mourn, et qu'il y a eu tous ces chamboulements, c'est peut-être pour nous couper l'herbe sous le pied sans que ça semble criminel ou prémédité…. Après c'est seulement mon avis, le prenez-pas forcément en compte, hein…

Edward acquiesça, complètement d'accord avec son ami à lunettes.

— T'as raison, ça tombe sous le sens, rétorqua Pythie en lorgnant la liste. Vous mettez notre ville sans dessus-dessous ; quand je déplace les caisses dans le magasin de mon père, j'entends plein de gens dire qu'ils vous ont dans le collimateur, en tant que favoris. Ça doit créer des jalousies et des conflits d'intérêt dans les grandes familles, si le peuple soutient des humains !

— … (Kara avait le visage curieusement fermé)

— On tergiverse, on tergiverse, mais il faut faire un plan, en attendant. Le blafard ! T'as une carte de l'endroit où on va aller ?

— J'ai mieux, répondit Edward en se tournant vers Ugo. Montre-leur, le génie.

Ugo sortit son téléphone portable, puis il demanda à tous les autres de sortir le leur (y compris ceux des mages, qui étaient ces espèces de boules bioniques qui fonctionnaient de la même manière), et il appuya sur une application sur son écran. Une courte mélodie se fit entendre, et tout le monde reçut une notification. Ils ouvrirent le message, et tombèrent sur une carte de Mourn interactive.

— Ceci, proclama fièrement Ugo, est le tout dernier programme que j'ai conçu à partir de mes connaissances terrestres. Après avoir envoyé un satellite dans l'orbite mournostationnaire à l'aide de M. Parmini, notre professeur préféré, j'ai modélisé toute la surface du terrain, avec des changements en temps réel ! Regardez ! (Ugo montra du doigt des petits points lumineux de différentes couleurs). Les points indiquent les déplacements des êtres vivants, selon le code couleur suivant : bleus pour animaux, verts pour humains et rouges pour monstres.

— C'est stupéfiant ! Jinn semblait visiblement étonné. Faire une telle prouesse relève du génie !

— Mouais, répondit Ugo en haussant les épaules. On ne sait toujours pas distinguer les alliés des ennemis...

— … Mais on a résolu ce problème, avança Edward en tendant de petites gemmes au groupe. Chacun d'entre nous en portera une sur lui, et le satellite détectera le cristal en tant « qu'allié ». Ainsi, on saura toujours où se trouvent les membres de notre équipe, continua Ugo tandis que tous prenaient une gemme. Mais faites gaffe, si vous vous la faites voler, je serais pas en mesure de savoir si le détenteur de la gemme est bien un allié. Prenez-en donc soin, ok ?

Tous acquiescèrent. L'avantage offert par l'invention était effectivement énorme, et Edward saluait bien l'effort de son ami. Un sortilège qui tenterait de faire de même serait bien trop long à lancer. Ugo ne se servait pas de magie,mais d'une force cachée finalement bien supérieure à n'importe quel charme.

De plus, Edward se rendait bien compte du deuxième atout dans leur manche : ses puissants pouvoirs de vampire. Pour le combat, Edward était peut-être plus faible que les autres concurrents, mais la furtivité et la ruse, ainsi que la traque, étaient des cartes qu'il utiliserait sans vergogne. De son point de vue, leur victoire était assurée.

Quand tout le monde commença à quitter la salle, Edward retint Kara par le bras.

— Tu pourrais m'expliquer ce qui se passe ?

— Je ne vois pas ce que tu veux dire, rétorqua-t-elle. Lâche-moi.

— Pas avant que tu m'expliques la raison de cette tension, répondit-il en affermissant sa prise. Cela n'était pas très gentleman, mais parfois les bonnes manières ne se méritent pas pour certaines personnes.

Kara se dégagea d'un mouvement sec. Elle frotta son bras, lançant à Edward un regard méprisant. Si elle avait su à qui elle avait réellement à faire, elle se serait comportée autrement. Seulement, personne n'avait à savoir. Il décida d'ajouter :

— Si tu cherches à blesser quelqu'un ou à mettre à mal notre esprit d'équipe, je te conseille de la quitter sur le champ. Je refuse de voir notre communauté se dissoudre à cause d'un problème personnel.

— Et qu'est-ce qui te donne le droit de dire ce qui est bon ou mauvais ? Es-tu le chef autoproclamé de la Ferroul Squad ?

— Considère moi comme le conseiller de celui qui la dirigera, lui-dit Edward avec un ton apaisant. Considère moi comme une fenêtre où la lumière de chacun peut passer.

— …Suis-je vraiment obligé de t'en parler ?

— Si tu penses que ce sujet est trop personnel, je ne t'oblige à rien. Tout ce que je te demande, c'est de faire preuve de tolérance envers la personne que tu as blessé.

— Comment tu…

— Je sens ce genre de choses. Sur Terre, les gens se confient à moi comme une abeille se confie à une fleur, et plus les secrets me sont cachés, mieux je les devine. Alors, s'il-te-plaît, suis mes conseils.

Il partit, la laissant méditer sur ces paroles. Après avoir refermé la porte, il soupira d'exaspération ; malgré ses longs millénaires d'existence, il restait une chose qu'il n'avait jamais voulu affronter : les affres du cœur.

* * *

*Hadrian

Il s'entraînait depuis midi, répétant chaque mouvement que le capitaine Lorkan lui avait appris, et commençait maintenant à percevoir distinctement la puissance de chacun de ses muscles. Cependant, une fatigue croissante alourdissait déjà ses membres. Les mages ayant une morphologie différente de celles des humains (des articulations à double intrication, des os plus souples, etc.), le capitaine de la Garde Impériale avait modifié les techniques pour qu'elles soient accessibles à Hadrian. Malgré tout, il avait du mal à garder l'équilibre dans certains cas.

— Eh ! Salut, vieux. On s'entraîne ensemble ?

Hadrian se retourna et sourit : son ami Yannis, déjà guéri, tenait une épée en bois posée sur son épaule. Essuyant la sueur sur son front avec une serviette, Hadrian acquiesça et but un peu d'Eau de Yegi'ah. Sa fatigue s'envola aussitôt.

Sans un mot, Yannis se plaça à côté de lui, et exécuta parfaitement toutes les formes de la Feinte de Ga'ah'Eber. Hadrian observa attentivement le corps de son ami se tendre et se détendre sous les restrictions de la technique, avant de lancer un coup de taille qui partait vers le ciel, pour finir vers une lame plantée dans le sol. De son côté, Hadrian tenta la Botte de M'uwn-Pac, qui consistait à tomber, se rattraper d'une main pour tournoyer près du sol et lancer un coup de taille circulaire en même temps, tout en utilisant le poids de l'arme pour se réceptionner. Heureusement, il ne se tapa pas la honte et accomplit la prouesse d'agilité avec succès.

— Wow, s'exclama Yannis en le regardant. T'es vraiment en feu, aujourd'hui ! T'as mangé quoi ?

— J'ai jeûné, répondit avec dépit Hadrian (Il suivait le régime stricte de son instructeur à la lettre).

— Hmm…

Il regarda Yannis. Il semblait comme d'habitude, souriant et heureux, mais Hadrian savait que ce n'était pas le cas ; il avait assisté à la rupture entre Kara et Yannis. De son point de vue, Hadrian ne savait pas si c'était elle ou Yannis qui l'avait décidé, mais ce dernier souffrait visiblement et, comme d'habitude, ne laissait rien paraître ni ne se confiait à personne.

— Tu veux te battre ? Hadrian avait sa petite idée en tête.

— Heu… Ok, mais j'imagine que la magie est very forbidden ?

Unfortunately, Mister Miracle, répliqua Hadrian en lâchant un sourire d'excuse.

Yannis haussa les épaules, puis se mit en garde. Hadrian fit de même, et ils tournèrent autour du barycentre si propre aux duellistes. Se toisant de la tête aux pieds, chacun tentait de savoir qui serait le premier à lancer l'assaut.

Comme prévu (ce qui n'arrivait pas souvent avec Hadrian), Yannis s'élança si vite que son image fut brouillée. Hadrian vit le coup venir, et, pour une fois, para l'attaque. Un claquement sec retentit, et Yannis fit un saut en arrière pour se repositionner.

Le plan était simple : forcer Yannis à l'attaquer et à dépenser sa colère, sa frustration et son énergie dans une bataille perdue d'avance. Parce qu'Hadrian, même sans magie, était bien plus entraîné que Yannis qui passait son temps à lancer des sorts et à étudier à la bibliothèque, ne faisant que les programmes de musculation quotidiens ; il n'avait aucune expérience réelle avec les techniques de combat.

Hadrian resta en position de défense. Un guerrier contre un novice devait juste attendre chaque coup, et riposter dès qu'une ouverture se créerait. Il attendit donc, restant sur ses positions comme un scorpion sur un rocher.

Yannis revint à l'attaque, plus hargneux que jamais. Il inonda Hadrian de coups de taille, de pique et de pommeau. Hadrian paraît, déviait et esquivait chaque coup, comme une feuille dans le vent. Petit à petit, il sentit l'acharnement de son adversaire se faire plus ténu. Yannis dut s'en rendre compte, et bouscula Hadrian.

Dans un combat loyal, cette action aurait fait perdre des points à Yannis. Mais ce combat était un exutoire, et Hadrian, en tombant, attrapa le col de son ami, le souleva au-dessus de lui, utilisant l'énergie de sa chute pour l'envoyer dans le décor. Yannis lâcha un petit « oof ! » en tombant dans le sable. Hadrian fit une roulade-arrière, se releva, se tourna vers son adversaire et pointa sa lame contre sa gorge.

— T'as… T'as perdu, haleta Hadrian.

Après cette phrase, il entendit un lent applaudissement. Il se retourna et vit Lorkan, toujours avec sa mine grave. Hadrian aurait cependant juré voir un sourire poindre sur le bout de ses lèvres….

Le capitaine de la Garde Impériale s'avança vers les deux jeunes hommes, et invita Hadrian à s'écarter. Il tendit ensuite la main vers Yannis, qui l'accepta et Lorkan l'aida à se relever. Puis, il lui dit avec un ton didactique :

— La colère est un outil sûr pour le guerrier, mais un vrai guerrier sait maîtriser ce flot avec fermeté. Yannis, tu aurais pu vaincre mon élève avec facilité, mais tu te laisses toujours emporter par tes émotions. Veux-tu savoir pourquoi ?

— Pourquoi ? Yannis semblait un peu excédé.

— Parce que tu veux absolument avoir une place dans le monde, où tout le monde te regarde et te félicite pour tes efforts. Si tu souhaites tant cette place, place tous tes espoirs dans cette quête folle. Mais je dois te prévenir : brûler fort, comme le font les étoiles, n'a jamais servi qu'à briller plus mais moins longtemps. Et personne ne te félicitera quand tu seras mort.

— …

— Regarde Hadrian : il n'est pas meilleur ou pire, il ne fait qu'exister. Il ne fait que rendre honneur à sa propre force, sa propre pensée, ses propres limites.

— Ah… Ah oui ? Hadrian ne se rendait pas bien compte de ce fait-là.

— Oui, c'est le cas. Tu possèdes, disons, une sorte de vide intérieur, et cela te permet d'atteindre un état de parfaite complicité avec le monde. Et ainsi, tu ne laisses ni les maux du monde, ni ceux de ton cœur t'atteindre.

Hadrian resta silencieux. Depuis toujours, il s'entendait assez bien avec tout le monde, avait des bonnes notes, se comportait normalement. Si cette histoire zen de vide intérieur était effectivement vraie, ça expliquerait pourquoi les gens ne lui prêtaient jamais aucune attention.

Yannis sembla réagir de la même manière que lui, et resta silencieux quelques instants. Puis, il questionna Lorkan :

— Donc je dois être aussi ennuyeux que lui pour pouvoir atteindre la paix intérieure ?

— Ha ha ha ! Non ! Le principe n'implique pas d'être comme quelque chose ou quelqu'un. C'est plutôt comme atteindre un état où tu te sens en phase avec ton âme.

— Comme le Déphasage ?

— On peut penser que cela revient à faire l'opposé, mais c'est différent. Il y a un mot dans votre langue pour désigner cela…

— C'est la Nature ?

— Oui. Si Hadrian était un mage, il aurait effectivement une Nature. Tous les mages n'en possèdent pas, mais quasiment tous ne cherchent pas à voir plus loin que le bout de leur nez.

— C'est assez radical, dit Hadrian.

— Mais c'est vrai. Quand on possède un pouvoir titanesque sur le monde, on ne souhaite pas toujours en acquérir plus. On s'arrête donc, en pensant naïvement qu'on possède tout le savoir possible et imaginable. On se crée donc ce qu'on appelle une « Rémanence ».

— Une quoi ?

— Une Rémanence. C'est, pour ainsi dire, l'écho de la Nature d'un mage. Quand on lance un sort en lien avec sa Nature sans l'avoir comprise, la Rémanence permet de rendre le sort plus potent et moins coûteux. Ainsi, quasiment tous les mages possèdent une Rémanence.

— Donc, j'en possède une.

— Oui. Je te conseille donc de te rappeler des moments où tu te sens en adéquation avec toi-même, et quand tu te sens capable d'ouvrir ton âme au monde. Mets-toi en garde ! ordonna le commandant.

Hadrian observa Yannis se mettre en position de combat. Contrairement à ce qu'il attendait, Yannis prit une posture défensive, le Saule contre le Sol. Il ne comptait donc pas attaquer, mais juste contrer. Il avait déjà assimilé la tactique qu'Hadrian avait précédemment utilisé contre lui. L'adaptation. Une aptitude plus qu'utile, quelque soit la situation. Tout le monde la possède, mais à des degrés différents. Seulement, certaines personnes, comme Yannis, savaient s'adapter d'une façon si rapide que cela en devenait effrayant.

Si M. Lorkan n'avait pas précisé les règles du combat, c'était sans aucun doute pour vérifier également les aptitudes magiques de Yannis.

Le combat allait commencer.

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