Chapitre 42 - Je suis esclave du combat, je me rebelle.

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Le combat avait déjà commencé.

Yannis déglutit. Le regard du capitaine de la Garde Impériale était insoutenable. La pression était la même que celle de M. Lenistoler, mais l'émotion ressentie était différente : avec le premier, il ressentait de la confiance, avec le second, de la peur. Mais quand même, depuis qu'il savait par Kara les déboires qu'avaient eu ce capitaine lors de l'épisode sanglant de l'histoire des Ybris, combattre ne serait pas une mince affaire.

Yannis activa son Déphasage. Il s'était entraîné de nombreuses heures pour en augmenter l'efficacité. L'énergie magique parcourut son corps, et il se sentit réveillé, comme à l'entrée d'un bain d'eau froide.

Le bois de l'épée était en hombregral. Yannis instilla donc de la magie à l'intérieur, pour renforcer sa solidité ; la puissance des prochains coups serait assez importante pour briser des lames en fer forgé.

Son adversaire fit de même. Yannis sentit la vibration de son Aura s'activant furieusement. Il en distinguait d'ailleurs les contours désormais, et comprenait pourquoi le capitaine était le capitaine : aucune goutte de son Aura ne s'échappait dans l'air, et seule son vrombissement périodique permettait de rendre compte de sa présence.

Yannis attendit. Il ne connaissait pas les points faibles de son adversaire, et devait donc étudier sa posture, ses mouvements qui trahissaient son état d'âme. Mais c'était un homme d'acier, un robot qui se trouvait en face de lui. Aucune faille n'était visible. Soudain, Lorkan fonça vers lui.

Yannis n'avait pas le temps d'essayer de comprendre le plan de son adversaire. Il leva son épée et la lança vers lui. L'arme fila en sifflant vers le visage de Lorkan, qui la repoussa de son épée en un éclair. Mais Yannis s'était déjà élancé dans sa direction, récupérant son épée grâce au « Lien de Staphiloc », un sortilège runique simple qui liait un objet à la paume de son utilisateur.

Il asséna la feinte de l'Orge-Ptitsa, un circulaire ascendant. L'épée racla le sol, soulevant un nuage de poussière destinant à aveugler Lorkan. Cela eut l'effet escompté, son adversaire ramenant sa main libre vers son visage. Parfait. Yannis improvisa un estoc, qui accompagnait le mouvement de la feinte.

Soudain, il se sentit tomber sur le côté. Chié ! Il dut lâcher son arme pour se rattraper ; Lorkan avait anticipé ses coups et l'avait contré par une balayette. Futé. Mais Yannis n'avait pas le temps de s'ébahir, ayant une vue superbe sur l'épée qui allait s'abattre sur ses côtes. Il roula sur le côté, entendant le claquement sec du bois contre le sol.

Yannis s'agenouilla ; son corps supportait mal l'activation prolongée du Déphasage. Une douleur vive faillit le mettre à terre, mais il tint debout : perdre la face ici serait une preuve de son inutilité. Mais comment pouvait-il vaincre un homme aussi entraîné que le capitaine ? Il connaissait toutes les techniques mourniennes, magiques ou physiques…

AH ! Ahhh… D'accord, j'ai compris…. C'était pour ça qu'il m'a dit « d'ouvrir mon âme au monde ». Pas à Mourn, mais à la Terre. Je me prends pour un mournien, parce que je peux faire de la magie et que je m'y sens comme chez moi. Mais c'est pas mes racines. Mes racines, c'est la France du Sud, c'est la senteur du vin du soir, du vieux tabac froid. L'odeur des pins et du pain perdu, de la vieille voiture de ma mère. Du vent qui sans cesse te repousse mais te pousse à aller de l'avant. De la mer, du sel qui en vient et qui sort de mes larmes quand j’enrage sur les choses futiles de mon existence, alors que je fais face à l'immensité elle-même. Mais tout est simple, pourtant.

Je suis.

Il aurait pu trouver mieux, comme description, mais c'était suffisant. Il se sentit gonflé, tel une voile sous le vent méditerranéen. Soudain, comme par magie, il fut traversé par une vague si immense qu'elle l'engloutit ; ne faisant plus qu'un avec la houle, il ondula tel un serpent vers Lorkan. Celui-ci lui lança une bonne dizaine de coups dans l'instant, mais Yannis ressentait la vie émanant de l'hombregral. Chaque fois, la lame glissa sur lui comme on glisse sur une pierre mouillée.

Sentant que la vague se retirerait dans quelques millisecondes, Yannis frappa violemment le poignet du capitaine, pour lui faire lâcher son épée. Le coup aurait absolument fait mouche si Lorkan ne l'avait pas prédit. À la place, Yannis frappa le sol, qui éclata comme sous le coup d'un obus, libérant une onde de choc digne d'une bombe. La puissance de la déflagration l'éjecta sur plusieurs mètres, et il s'écrasa sur le sol.

Il hurla quand il sentit que tous les os de son bras s'étaient brisés. La douleur était aussi vive que pendant l'accident de ses 14 ans, rameutant des souvenirs enfouis dans sa mémoire, prêts à le tourmenter Il se sentit peu à peu tomber dans l'inconscience…

Il se réveilla quelques instants après. Ne sentant plus la douleur dans son bras, il tenta de le bouger ; il n'avait plus mal. Yannis écarquilla les yeux, et croisa le regard de Lorkan qui était agenouillé près de lui.

— Mais… Que… ?

— Je ne suis pas le capitaine de la Garde Impériale juste grâce à mes prouesses techniques, qui d'ailleurs sont largement dépassés par certains de mes soldats. Si je suis aussi haut gradé, c'est par la Nature même de ma magie.

Yannis se releva, surpris.

— Vous… Vous pouvez guérir les blessures ?

— Pas exactement… Regarde ton bras.

Il obéit et compris avec horreur que son bras était toujours brisé, pendouillant le long de son corps, en amas de chair désordonné. Les blessures externes avaient déjà cicatrisé, suite au Déphasage, mais ses os étaient toujours broyés. Quand Yannis se tourna vers Lorkan pour lui demander de l'aide, il remarqua son visage crispé, comme s'il…

— Attendez ! (Hadrian se précipita pour aider le capitaine à tenir debout) Vous partagez les blessures des autres ?

— Ngh… Non, juste leur douleur. Et ce n'est pas un parta… Gah ! (Lorkan se tint le bras droit, le même que celui brisé de…) Yannis, tu serais sympathique si tu arrêtais de balancer ton bras…

Yannis obéit, et son ami alla chercher deux branches et s'arracha un morceau de sa tunique pour fabriquer une attelle de fortune. Une fois le bras immobilisé, Yannis put constater le changement expressif du capitaine. Ce dernier s'assit sur le sol, respirant calmement, avant de reprendre comme si de rien n'était :

— Voyez cela comme un vol : je prends la douleur, je la stocke dans ma Porte sous forme d'informations magiques, et je peux la redistribuer sur n'importe qui. Mais pour pouvoir la stocker, il faut déjà que je la ressente, sinon mon cortex diabaticocinétique ne serait pas en mesure de la convertir.

En voyant sa mine confuse, il expliqua :

— C'est une zone du cerveau, chez les mages, qui se situe juste devant la Porte. C'est elle qui convertit l'information en magie, et vice-versa. Sans elle, on ne pourrait que libérer des vagues de magie sans grande utilité.

— Ah bon ? Mais M. Herik nous avait expliqué que seule la Porte permettait de lancer des sorts, et que les autres parties étaient négligeables.

— C'est normal : on ne va pas exposer à des étudiants en Cycle Zéro la différence entre une information magique supposable et applicable ; pour t'expliquer simplement, la première fonctionne grâce à toutes les ressources « affinées » à l'intérieur de ta tête, comme ta mémoire, tes expériences, tes habitudes, tes réflexes, etc.... Quand à la seconde, elle est directement reliée à tes émotions les plus complexes, tes sentiments et ton instinct. C'est pour ça que, dans la panique, certains mages peuvent utiliser des sorts qu'ils n'ont jamais appris dans leur vie… Enfin, bref ! Souvenez-vous de ceci : la magie est versatile, instable, chaotique, imprévisible… Mais elle réagit. Elle réagit d'autant plus envers ceux qu'elle « choisit ».

Sur ces étranges paroles, Lorkan se releva et quitta les deux jeunes gens. Yannis questionna du regard Hadrian, qui gonfla ses joues, haussant ses épaules en signe de résignation ignorante. Enfin, bref ! Se dit Yannis en imitant grossièrement la voix de Lorkan dans sa tête. La magie, c'est comme les spaghettis ; que tu les enroules ou non autour de ta fourchette, tu finiras toujours par les transformer en bouillie dans ton estomac ! Il tapa dans un caillou, espérant qu'un jour, peut-être, il percerait les mystères de la magie.

Ne t'inquiète pas, lui répondit Schwarz. Bientôt, elle n'aura plus de secrets pour toi…

Le sourire qui naquit sur son visage aurait pu être interprêté comme triomphal, ou bien totalement malveillant.

* * *

*Ludwig

Bon sang, c'est compliqué ces ouvrages… Attends, c'est le plus ancien qu'ils ont ?

C'était en épluchant les livres de la bibliothèque que Ludwig s'était fait petit à petit une idée de l'histoire des mages, et des mourniens en général. Malgré l'absence d'Internet, il avait dû reconnaître que les livres magiques, c'était le pied : grâce aux « Sphères d’Étude », la recherche était aussi facile d'accès que si la commande Ctrl + f avait été utilisée. Chaque fois qu'il avait besoin d'un terme, la sphère allait chercher un livre traitant du sujet, et résumait d'une voix monocorde murmurante le terme étymologiquement et contextuellement. Le seul point faible de cette sphère était qu'elle n'avait pas d'avis, et qu'on ne pouvait donc pas discuter avec elle. Cela l'embêtait comme une gratouille au fond du dos, sachant que les autres étudiants ne lui adressaient pas la parole.

Il souffla du nez, excédé, et ferma le livre avant de le ranger à sa place. Il rendit la sphère au bibliothécaire, et entreprit de s'engager dans les couloirs sinueux de l'Académie de Typhus. Grâce aux repères que lui avait indiqué Jinn, il put retrouver le jardin dit « Calmenteri Magrana », en hommage à un mage né sur Terre avant le Traité de l'Or Bleu. Depuis que Ludwig avait lu tous ses ouvrages, l'histoire magique n'avait presque plus de secrets pour lui.

Comme personne n'était assis dans le jardin, il s'installa sur un banc et commença à lire Contes de Mourn, l'un de ses écrits préférés. En plus de la moiteur de l'air qui annonçait une prochaine pluie, une myriade de diptères s'affolait joyeusement sous les parfums de mille et une fleurs qui se targuaient de leur charme. Le glissement de l'eau de la fontaine chuchotait des mots secrets que seules les pierres pouvaient comprendre, mais l'harmonie des sons ténus avant la tempête berçait Ludwig dans sa lecture. Soudain, un bruit vint l'interrompre.

Cela ressemblait à un son piquant, un tac-tac-tac comme si l'on frappait… Sur la pierre !!! Il se précipita vers la fontaine, mais le bruit de l'eau assourdissait le son. Il tendit l'oreille.

Tac tac tac tac. Tac. tac. Tac tac tac. Tac tac tac tac. Tac. tac. Tac tac tac. Tac tac tac tac. Tac. tac. Tac tac tac.

Du morse ! Ludwig blêmit : si ses doutes étaient bien confirmés… Non, il ne préférait pas y penser. Prenant son courage à deux mains, il tapa trois fois contre la fontaine en marquant les pauses, deux fois rapidement puis une fois et enfin un nouveau double coup. Et il attendit.

Il attendit.

Encore.

Complètement paniqué, il se demanda si le stress ne l'avait pas rendu fou. Mais il entendit les coups, et sentit presque son cœur lâcher. Ils sont vivants ! Après une longue écoute, il compris que le message stipulait : « Sous-sol. Esclave. Sauver. Rébellion ». Il ne lui fallut pas plus d'informations. Après avoir annoncé à son frappeur (ou sa frappeuse !) qu'il allait chercher de l'aide, il ne reçut pas de réponse. Cependant, son cœur lui soufflait bien la bonne décision : Il se leva, ne prenant même pas le temps de prendre son livre, et partit en courant de toutes ses forces.

Ludwig débarqua à bout de souffle au salon personnel des étudiants en Cycle Zéro. Comme si le destin lui-même avait tiré les dés, seuls Yannis, Edward, Ugo et Hadrian étaient présents, jouant au Président à l'aide de cartes faites à la main ; devant une telle arrivée, ils stoppèrent net leur partie pour se tourner vers lui. Entre deux souffles et une rivière de sueur, il balbutia :

— Les gars, ils… Sous-terre… Taper la pierre… Esclave, et tout…

— Attends, Ludwig, on comprend rien à ce que tu dis, intervint Hadrian, en aidant son ami à reprendre son souffle. Articule, s'il te plaît !

— Ouais… (Ludwig prit une grande et lente inspiration, avant de recommencer :) J'étais au Calmenteri Magrana, en train de lire un livre, quand j'ai entendu des coups venant de la fontaine.

Yannis s'apprêta à le couper, mais Edward lui fit signe de se taire.

— J'ai d'abord cru que c'était à cause de la fatigue, continua Ludwig avec un visage que l'espoir modelait lentement. Et puis, les coups se sont répétés, précis, avec des pauses et tout.

— Comme du morse, souffla Ugo, éberlué.

— C'est ça ! Je me suis ensuite approché de la fontaine et j'ai écouté : ça parlait d'esclavagisme et de rébellion. Isabella nous a menti ! La TSB se trouve sous nos pieds, sûrement dans des galeries souterraines, à travailler d'arrache-pied pour je-ne-sais-quoi, et ils ont décidé d'organiser une révolte !

— Il faut trouver un moyen de les aider, avança Ugo, la mine inquiète. Ils auront beau essayer de se rebeller, leurs gardes ne sont sûrement pas de simples mourniens, mais des mages surentraînés, et donc aucune arme ne doit être admise sur les lieux… Ils n'auront pas de quoi se défendre.

— Et si on leur envoyait des armes ? proposa Yannis. On sait pas où ils sont, mais on pourrait corrompre un garde et leur amener des artefacts enchantés qui leur permettront de lancer des sorts.

— Ça ne pourrait fonctionner que si l'un des prisonniers sait faire de la magie, intervint Edward. Or, on sait tous que seuls ceux qui sont admis à l'Académie apprennent la magie de combat…

— … Et seuls les mages y sont admissibles, et tout mage est exécuté s'il commet un crime, termina Hadrian, la mine déconfite.

Ludwig vit petit à petit la flamme de l'espoir s'éteindre en cendres de déception. Soudain, il vit le visage d'Ugo s'éclairer, ce qui la raviva en son sein.

— T'as une idée ?

— Mieux… J'ai un plan…

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