4 - JUGEMENT

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8 Décembre 2556 (J-13 avant le Grand Transfert)

 Alors que j'essuie le sang qui recouvre mon visage, et qui me donne un air de psychopathe du pauvre, quelqu'un frappe à ma porte. Je l'ouvre en pensant que ma bouffe du chinois d'en face arrive enfin, mais à la place c'est un black en costume noir qui se trouve là, sans aucune expression sur son visage. Un mec du gouvernement, c'est sûr. Avec un sourire en coin, je lui lance :

 - Vous êtes le nouveau livreur chinois ?

 Il ne bronche pas et parle comme si j'avais rien dis.

 - Notre Maire, Noco Seltiq, désire s'entretenir avec vous tout de suite monsieur.

 Mon sourire s'efface instantanément.

 - Dites-lui d'aller se faire foutre, j'attends mes nouilles.

 Je referme la porte, énervé. Je n'ai aucune envie de voir ce con chez moi, et encore moins à vingt-deux heures trente. Ca fait un quart d'heure que je suis rentré, j'ai la dalle, et j'ai surtout envie de voir personne. Black-man re-cogne à la porte.

 - J'ai le devoir d'insister monsieur. Il me fait promettre que ça ne durera pas longtemps.

 Je soupire et ouvre.

 - Il a dix minutes. Après il sort par la fenêtre.

 Je pars dans ma cuisine et entend Noco Seltiq entrer. Il ferme la porte derrière lui. Enfin, le mot claquer serait plus approprié.

 - Et ben alors, c'est comme ça qu'on accueille son Maire ? Je t'ai appelé plusieurs fois cette année. Tu ne m'as jamais répondu.

 Je prends une bière dans mon frigo et me dirige vers mon salon.

 - Je voulais pas te répondre. Et techniquement tu n'es plus Maire. Du moins quasiment.

 - Certes. Mais techniquement, je suis toujours ton frangin.

 Je m'assois dans mon fauteuil et ouvre ma boisson. Famille de merde. Mon père, un docteur réputé dans la moitié de Wall City, s'était marié avec une femme sans le sou mais d'une bonté incroyablement contagieuse. Ils avaient été heureux toute l'époque où ils avaient été ensemble. Et cette conception de la joie nous avait été transmise très tôt, à mon frère et moi.

 Mais à la mort de ma mère, mon père est devenu violent, alcoolique, bref tout le baratin habituel. Et au-delà de ses poings, c'est son cynisme et sa colère contre ce monde qui m'ont le plus frappé. Quand Noco est parti faire ses études, je suis resté avec mon paternel pour m'en occuper. Sans relâche j'entendais des discours sur l'incapacité du contrôle de la vie, l'injustice dominante, l'inutilité de l'attachement, et surtout de l'amour.

 A sa mort, je me suis retrouvé seul, ces idées noires dans mon esprit gravé à jamais. Noco ne m'adressait plus la parole, préoccupé par sa carrière. J'avais seize ans.

 - On l'a peut-être était il y a très longtemps, mais je n'ai plus rien à voir avec toi Noco.

 Il s'approche doucement de moi, tapant dans ses mains, signe qu'il est nerveux et je vois qu'il hésite à me lâcher une remarque désobligeante à chaque pas. Mais au final il se ravise et s'assoit sur mon canapé.

 - C'est pas mal chez toi. Petit mais sympa.

 - Franchement, tu es la dernière personne au monde que je veux voir. Alors accouche si tu as un truc à dire et barre-toi.

 - Je voulais simplement voir comment tu prenais la chose. Comment tu t'en sortais, qu'est-ce que tu allais faire quand tu arriveras dans la nouvelle ville.

 - Je n'ai aucune envie de parler de ça avec qui que ce soit, et encore moins avec toi. Tu es l'égoïste le plus minable de ce monde.

 De toute ma vie, je n'ai jamais songeais à l'avenir. C'est pas maintenant que ça va commençait. Et si je devais y penser, ce ne sera en aucun cas en fonction de lui.

 - Comment ça un égoïste ? Tu m'en veux toujours pour cette histoire d'adolescent ? Je croyais qu'on avait tiré un trait sur ça !

 - Je me fous royalement du passé comme de l'avenir Noco. Là est notre différence.

 - De quoi tu parles ?

 - Je me préoccupe du présent moi ! Et en ce moment, le présent est un enfer ! Tu nous as conduit à une hécatombe sans précédent !

 Il me regarde avec de grands yeux. Il ne pensait peut-être pas se faire attaquer de la sorte en venant ici.

 - Et comment tu voulais que je fasse ? C'est facile de juger quand on prend pas de décision.

 - Si j'avais su comment gérer une Mégalopole, j'aurai tenté ma chance, fais des études, proposé des actions ! Seulement, je ne suis pas assez brillant pour de telles choses. Mais toi, tu as cru être ce genre de personne ! Résultat, ce sont des morts par millions qui subissent tes décisions et celles de tes connards de conseillers !

 - L'économie était au plus bas Kian ! Wall City s'effondrait bien avant que je n'arrive au pouvoir ! On était à saturation ! On ne pouvait plus créer quoi que ce soit ! On arrivait à un point où les frontières se fissuraient ! La Scission était la solution unique ! Il n'y avait pas d'autres choix possible ! J'ai fais ce que j'avais à faire.

 - Il y avait forcément d'autres possibilités qui n'incluaient pas tous ces cadavres. Tous les jours depuis plus d'un mois, j'abats des gens qui ont foi dans l'espoir utopique que tout s'arrête. Ce sont des bêtes féroces, sans aucuns repères, sans aucun avenir ! Rien n'a été fait pour les guider dans une voie qui pourrait leur faire croire en quelque chose, ne serait-ce qu'en la conception d'un lendemain magnifique ! Ils ne croient plus en rien ! Je ne crois plus en rien ! Tu veux savoir comment je prends la chose ? Très simplement : j'aimerais te donner en pâture aux fauves et assister au carnage ! Je jubilerai, c'est certain ! Mais finalement, à quoi ça me servirait ? En quoi cet acte pourrait me différencier de ces fous qui ne prennent plus la peine de penser de façon rationnelle, ou de toi qui croit faire la meilleure chose qui soit ? A part un plaisir égoïste de me sentir un peu mieux, pendant peut-être une journée ? Voilà ce que je pense de tout ça ! Dans n'importe quelle action qu'on entreprend, on ne le fait que pour sa gueule ! On ne cherche que ses propres intérêts ! A la différence que ton action à toi a des conséquences effrayantes. Alors fais ce que tu as à faire comme tu le dis si bien, mais ne vient plus jamais me voir. On a plus rien en commun. Depuis la mort de maman, tu n'es plus rien pour moi. J'ai honte d'être un Seltiq vu comment tu entaches notre nom !

 Noco reste planté là, à me dévisager. Je finis ma bière d'une traite et me lève pour en prendre une autre. Il se lève à son tour pour se diriger vers la porte.

 - J'étais certain que tu ne comprendrais pas, dit-il calmement. Tu ne m'as jamais compris, et toutes ces choses te dépassent. Tu es comme les autres, tu interprètes tout à ta sauce, et tu te crois le roi du monde, le sauveur du peuple. Tu parles d'égoïsme, mais tu penses que tu vas tout changer en exprimant tes points de vues grotesques avec le mec du bar au coin de la rue. Dès le moment où ça quitte ta misérable routine, c'est fini. Tu n'es rien d'autre qu'un pion, et ça m'attriste. J'aimerais que tu sois au-dessus de ça. Vraiment.

 - T'es qu'une merde Noco... La pire que je connaisse. Et dire qu'on a le même sang, ça me donne envie de gerber

 Noco sourit en hochant la tête.

 - J'ai vu ton Marquage au bras. Apparemment tu seras dans le Nord. Moi aussi je vais être là-bas.

 - En voila une bonne nouvelle...

 Il plonge sa main à l'intérieur de sa veste et sort une Dose, d'une couleur noire au lieu de grisâtre. Il me la lance et je manque de la faire tomber par terre.

 - C'est une Dose de Remplacement. Il en existe très peu, et elles sont réservées aux gens importants. Si, au dernier moment, je voulais aller au Sud, je n'aurais qu'à m'injecter ça et mon Code changera. Je sais que je ne changerais pas d'avis, donc tu peux la prendre. Comme ça, si tu ne veux plus qu'on est quoi que ce soit en commun, si tu veux réellement renier ta seule famille, tu n'auras qu'à te l'administrer. Et tu seras loin de moi.

 Je regarde l'objet dans ma main. Je le fais tourner entre mes doigts, essayant de me faire un avis sur la question. Mais je n'en ai aucun. Je crois que je m'en fous royalement.

 - Mais sache que si on se retrouve ensemble dans la même ville, j'en serais plus que ravi. Et mon gamin de huit mois qui connaît pas encore son tonton le serait aussi, c'est certain.

 Il sort de l'appart et referme doucement la porte. Je me retrouve dans le calme ambiant habituel. Comme dix minutes avant. Comme toutes ces dernières années. Dans ma misérable routine.

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