1 - ANNONCE

6 minutes de lecture

21 Octobre 2556

 Cinq heures vingt-trois sur le thermo réveil. Encore une nuit qui ne passe pas. Ma peau est moite, dégoulinante de sueur, et j’ai un mal de tronche carabiné qui me tape sur le système depuis plus de deux heures. J’enlève le drap qui est sur mes jambes et m’assoit au bord du lit. En me massant les tempes, je sens la fatigue pas loin, mais elle vient pas. Putain, ça fait trois jours que ça dure. Au boulot, je suis crevé, à peine si j’arrive à foutre un pied devant l’autre, et chez moi c’est le calvaire pour pioncer en paix. C’est quoi le souci ?

 Je me lève en râlant et vais dans la cuisine. A l'intérieur de mon frigo, assez vide pour changer, je vois la bouteille d'eau sur le côté. Je passe alors ma main à travers l'holoporte pour la récupérer - j'ai toujours une sensation de picotement quand je suis en contact avec cette "matière" - et je prends deux ou trois gorgées d'eau glacée : le froid me fait un bien fou. Je vais ensuite dans la salle de bain, étale un peu de Gharj sur mon front et attend que ça fasse effet. La pommade me soulage quasi-instantanément.

 Je retourne dans la chambre et regarde par la fenêtre. L’avantage d’être au 32ème étage, c’est la vue incroyable qu’on peut avoir de la ville. Même sous cette pluie qui dure depuis trois semaines maintenant, elle est magnifique. Le mélange de couleurs des néons translucides de toutes les enseignes donne une impression de constante animation. Alors que seulement une demi-douzaine de pantins sont là, en bas. Un infime brouillard recouvre les rues, mais on les aperçoit par-ci par-là : les premiers abrutis qui vont bosser ; les tarés qui cherchent à tabasser le pèquenaud du coin ; le pauvre type qui sort son chien. D'ailleurs c’est sûrement lui le pèquenaud qui va passer un sale quart d’heure.

 La vie des gens c’est vraiment de la merde, mais l’effervescence de la ville rend tout ça passionnant. J’adore ma ville. Du moins, je l'adorais. Elle regorge encore de quelques coins sublimes, d'animations dantesques ou de gens passionnants. Mais maintenant, on est surtout sur une pente constante d'une dégradation inquiétante.

 Noco Seltiq, notre attardé de Maire, est devenu un bon à rien. Il a laissé pourrir trop de quartiers, et maintenant on est dépassé par les évènements. Wall City n’est plus que l’ombre d’elle-même. La population se rebelle pour un rien, la violence devient le meilleur moyen de s’exprimer... Pire, dans toute cette cohue, les gens continuent malgré tout de baiser et pondre des gosses, toujours plus con les uns que les autres. Tout ça me dépasse, et c’est pas Seltiq qui me contredira.

 En me couchant dans l’espoir de trouver le sommeil, je ferme les yeux et essaye de ne penser à rien. Et je me sens partir. Enfin.

 Quelques heures plus tard, je me réveille avec une forme olympique. Je regarde l’heure : cinq heures quarante. Merde, j'y crois pas... Faut que je me fasse une raison, c’est pas encore aujourd’hui que je vais réussir à dormir. Peut-être que si je me fous devant le Dih-Vision, y’aura une émission assez débile pour au moins m’assoupir.

 En m'affalant sur le canapé, le Dih s'allume tout seul, comme je l'ai programmé. C'est la chaîne des infos. Un homme a été retrouvé mort il y a six minutes, dans une ruelle non loin d'ici. Il tenait un Capteur pour Chien dans sa main. Tellement prévisible... Je vais pour changer de chaîne, mais la manette est posée sur la table de la cuisine.

 Totalement inaccessible à cet instant précis, pour cause de crise de flemmingite aiguë. Faudrait vraiment qu'ils songent à créer quelque chose pour qu'on n'est pas à bouger notre cul. On est en deux mille cinq cent cinquante-six, notre technologie est ultra avancée, on colonise des planètes entières, et pourtant on est encore dépendant d'un petit boîtier de rien du tout qui nous empêche de zapper comme on veut.

 Du coup, je m'oblige à regarder les news. Et le bandeau qui défile sous les images m'intrigue.

Dans moins de vingt minutes,

le Maire de Wall City, Noco Seltiq, va prononcer un discours en exclusivité.

"Une annonce de la plus haute importance" nous ont affirmés ses porte-parole.

 C'est quoi ça, une annonce à six heures ! Il a pas l'impression de faire ça un peu trop tôt ? Je suis sûr qu'il a hésité à faire ça à trois heures du mat', pour être au max des audiences ! Quel con ce mec. Il va peut-être enfin quitter son poste après avoir bien chié sur tout ce qu'il pouvait. Ou bien faire des excuses publiques à vomir pour son comportement de ces derniers mois.

 Dans tous les cas, c'est pas ça qui va m'aider à pioncer : faut pas que je rate son discours. Je continue à suivre l'actu et quelques minutes plus tard, mon téléphone se met à sonner. A cette heure-là, ça ne peut être qu'une chose : le boulot. Je saute de mon canapé et attrape l'appareil sur mon étagère. J'appuie sur le bouton et la voix de Franck, mon supérieur, résonne dans mon esprit.

 - Kian, j'ai besoin de toi.

 - Je vous écoute monsieur.

 - Il faut que tu viennes le plus vite possible au QG. Dans combien de temps est-ce que tu peux être là ?

 Je regarde mon mur qui projette l'heure : cinq heures quarante-quatre. Le temps d'enfiler un pantalon, une veste et des chaussures, le temps du trajet et du protocole d'entrée dans la base, je peux y être à cinq heures cinquante-cinq.

 - Dans onze minutes monsieur.

 - Parfait. Je t'attends. Prends ton CDS, ça va pas être une visite de courtoisie.

 - Un appel à cette heure, je n'en doutais pas monsieur.

 - Fin de transmission.

 - Accordée.

 Je raccroche et, ni une ni deux, je me prépare. En moins d'une minute, je suis habillé. J'éteins le Dih, jette la manette sur la table basse et récupère mon Calibre de Service dans mon armoire. Je suis dans les temps.

 Cinq heures cinquante-quatre. Je finis de grimper ces saletés de marches pour arriver dans le couloir de Franck. Je suis complètement trempé. Cette satanée pluie finira par avoir raison de moi. Sa porte est entrouverte, et son Dih est allumé. De toute façon, son Dih est tout le temps allumé. Il se tient au courant du moindre évènement de Wall City et juge de l'ampleur dans les médias pour agir au plus vite et dans n'importe quelle circonstance. Ce matin, c'est moi qui suis sollicité pour je ne sais quelle mission encore. Mais étrangement, je sens le rapport avec cet empaffé de Seltiq. Je tape à l'entrée.

 - Entre Kian.

 La porte se coulisse automatiquement et je pénètre à l'intérieur. Je ne détaille pas la pièce, je la connais par coeur. En face de moi, les holophots de ses dernières vacances en famille apparaissent toujours en flottant au-dessus de son bureau, les tablettes numériques d'archives sont classées sur une étagère en verre à ma droite et son Dih se trouve juste près du mur de gauche, en lévitation. Franck est debout à côté de son fauteuil, les yeux rivés sur les images qui défilent. Je jette un coup d'oeil, le bandeau pour l'annonce est toujours là.

 - Bonjour monsieur, dis-je en mettant ma main sur le coeur. Vous m'avez demandé.

 - Oui Kian. Ecoute moi gamin (Franck a beau avoir trente-neuf ans, soit quatre ans de plus que moi, il se prendra constamment pour un homme de cinquante ou soixante ans, qui a des bagages professionnels inimaginable), j'ai appris de source sûr ce qu'allait être le discours du Maire dans cinq minutes.

 - Je vous écoute.

 - Tu vas te diriger au Secteur Quatre. J'ai déjà une équipe sur place. Quand tu vas arriver, tu vas me réglementer et me diriger tout ce beau monde. Je t'envois tes instructions sur ton Pad. Attends-toi à du lourd. Vous allez devoir gérer un quartier très délicat. On commence avec le code D, donc forcément tu vas y aller mollo au début, mais ça risque de vite dégénérer en quelques minutes. Je prévois un code T au bout de trente minutes. Restez vigilant.

 - Bien monsieur. Je vais chercher mon Exoarmure et y aller sur-le-champ.

 - Merci Soldat. Rompez.

 Je le salue une deuxième fois et va pour sortir de la pièce. Pourtant, à la porte, je me ravise.

 - Une question monsieur.

 - Autorisée.

 - Que va dire le Maire pour que vous déployiez de tels moyens ?

 - Il va détruire des vies entières. Désolé de te dire ça comme ça Kian, mais il va faire sa dernière action de lâche. Et nous allons avoir le pire boulot du monde pendant les deux prochains mois à venir.

 J'essaye de contenir ma rage, et ce n'est pas chose facile. Cet homme, ce Seltiq, il n'a vraiment plus rien de bon pour lui.

 - Il va oser...

 - Oui. Noco Seltiq va annoncer la Scission de Wall City.

Annotations

Vous aimez lire Djack ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0