2 - REFUGE

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3 Novembre 2556 (J-48 avant le Grand Transfert)

 J'avance d'un pas rapide et décidé dans le couloir principal du Refuge Nord. Mon équipe vient de me prévenir que certaines personnes commencent à s'agiter à l'extérieur, et ils ont peur qu'une nouvelle émeute éclate. Il faut que j'intervienne au plus vite.

 Deux semaines après l'annonce de la Scission, ma ville est devenu chaos, désastre, bain de sang. Je pourrais m'en réjouir car c'était pour moi une fatalité, mais en voyant tous ces morts inutiles, je suis atterré. Quant aux quartiers qui m'étaient si chers, ils sont soit devenus des ruines, soit des zones de barbarie indescriptible. Je n'ai pas le coeur à jubiler.

 L'ambiance me rappelle tous ces vieux films bien naze du vingt-et-unième siècle, où la mode était au pseudo-virus et autre maladie imaginaire qui rendaient la population complètement taré, voir zombie. Pathétique. En même temps, la réalité l'est encore plus : les habitants de Wall City sont en pleine forme. Aucune perturbation physique ou mentale, juste une Scission qui peut totalement faire perdre les pédales à certains.

 Certes, il est vrai que le concept de la Scission peut être perturbant. Après tout, la Mégalopole que nous connaissons tous depuis notre naissance va être réduite en cendres : une bombe surpuissante va être lâchée, qu'il y est encore des citoyens ou pas. Afin d'éviter ça, nous avons deux mois pour nous rendre dans les deux gigantesques refuges de la ville, au Nord et au Sud, et des vaisseaux mère nous emmèneront alors dans un endroit qu'on ne connaît pas, qu'on a jamais vu ou même entendu parler, en abandonnant toutes nos affaire et, pour la plupart du temps, nos familles et amis. En somme, rien qui puisse réjouir qui que ce soit ; la majorité des gens sont bien à Wall City, ils ne veulent pas partir. Et dans la majeure partie, ils le font tous plus ou moins savoir à leur façon.

 Seulement voila, certains partent dans des actions d'une extrême violence et ne regardent pas les dommages qu'ils causent autour d'eux, de la pile de cadavre qu'ils laissent après un attentat par exemple. Des groupes agressifs se créés, la plupart d'entre eux se proclamant nouveaux maîtres des futurs lieux et tue tous ceux qui leur barre leur chemin de conquête. D'autres se forment secrètement pour préparer le terrain dans la nouvelle Mégalopole, une sorte de Mafia organisé.

 Mais les plus dangereux sont ceux qui ne veulent pas partir, coûte que coûte. Pour ces gens-là, l'objectif est clair : si la Scission est annoncée pour cause de surpopulation, il suffit alors d'éliminer le surplus. Exterminer le plus de monde possible, sans distinction de sexe ni d'âge, pour qu'ensuite la décision soit revue et ainsi continuer à vivre à Wall City. Un espoir très mortel, et surtout vain, car rien ne peut empêcher le Programme de se poursuivre. Pas même le Maire lui-même. La destruction massive d'une ville ne peut décemment pas s'arrêter comme ça.

 En passant une porte de sécurité, je tombe nez à nez avec Yon-Eoh, le meilleur Lieutenant de mon équipe et surtout meilleur ami.

 - Y'a des coups dans la tronche à distribuer il paraît ?

 Toujours partant pour rentrer dans les conflits, Yon n'hésite jamais à être en première ligne pour fracasser des tibias et rappeler à tous qui sont les patrons. C'est très rassurant pour ceux qui débutent dans le métier d'avoir un homme comme ça à ses côtés.

 - Ça devrait se régler tranquillement cette fois Yon. Tu peux retourner t'astiquer le manche devant les vieilles.

 Je continue ma route et Yon me suis à la même allure, comme je l'avais imaginé.

 - Pas la peine, j'ai rompu avec tes grands-mères hier, elles m'épuisaient trop les chiennes !

 - Hilarant.

 - J'en peux déjà plus du Refuge Kian. Pourquoi tu m'as foutu là ? Il se passe rien ici, à part des mioches qui braillent et des JBL qui se font violer dans les coins. Faut que tu me permutes à l'entrée ou dans un quartier !

 - Les femmes qui se font violer c'est pas vraiment normal Yon. L'équipe que tu as sous ton commandement est particulièrement jeune, tu leur montres l'exemple au moins ?

 - Ce sont des J'aime La Bite, pas des femmes ! A chaque fois qu'on intervient pour régler le problème, elle nous remercie en ouvrant grand la bouche et en écartant les cuisses. Montrer l'exemple ok, mais je suis marié je te signale !

 - Sérieux Yon !

 - Je me fais chier Kian ! Encore un mois et demi à tenir, je vais mourir !

 - Si je t'envois n'importe où à l'extérieur tu vas faire un carnage, le nombre de mort va doubler. Y'en a assez comme ça je pense.

 - Je sais me contenir, ça va ! La Scission peut déstabiliser, mais pas au point de me muter en monstre !

 - Peut-être pas toi. Mais tu sais ce qu'il se passe dehors. Tu vois ce qu'ils deviennent.

 Plus qu'une vingtaine de mètres et je serais dans la gigantesque entrée où la file d'attente s'étendait ce matin jusqu'à cinq kilomètres.

 - Au fait Yon, tu t'es injecté la Dose ou pas ?

 Les trois premiers jours qui ont suivi l'annonce, nous avons tous reçu un Propulseur à Injection, avec une Dose par personne. Cette Dose doit être injecté dans l'avant bras, et un Code s'inscrit dessus. Il détermine dans lequel des deux Refuges nous devons aller : celui au Sud de la ville, ou bien celui au Nord. Mon Code personnel me rattache au Nord, celui-là même où je bosse.

 Ces gigantesques abris, qui ressemblent plus à des prisons, sont là pour loger tous les habitants de Wall City en attendant le Grand Transfert. Pendant deux mois, on amasse tout le monde, en surveillant, en plus de leur Code, la vie qui règne dans ces cellules souterraines. J'ignore comment sont arrivés ces bâtiments démesurés au deux pôles de la ville. Je ne suis pas dans le secret des Dieux. Et concrètement, ça ne va pas changer ma vie de le savoir.

 Certains disent qu'ils sont sortis de sous terre au moment où la Scission a été annoncé. D'autres certifie qu'ils ont été construit à la va-vite pour qu'ils soient prêt le jour J. Personnellement, je pense qu'ils ont toujours été là, sauf qu'on est tellement consommé par notre misérable cas de vie qu'on ne s'est même pas rendu compte de leur présence.

 Yon pose sa main sur sa poche et la sert, l'air angoissé.

 - Je ne me la suis toujours pas injecté non. Je suis en stress total pour ça.

 - Tu vas bien être obligé au bout d'un moment.

 - Je le sais bien. Mais franchement, je suis dans le même cas que tous ces cons dehors. Ma femme et ma fille ont eu la chance d'être toutes les deux dirigés dans le Refuge du Sud. Elles sont ensemble ! T'imagines si mon code me fait retrouver au Nord ? Je serais obligé de faire une connerie.

 - Demande à Franck de te faire muter au Sud. Tu seras au moins près d'eux.

 - Franck a autre chose à foutre que de s'occuper de mes états d'âme.

 On arrive à l'entrée du Refuge. La foule à peu près contrôlée par mes hommes dans le hall d'entrée me fait un peu de peine. Les visages affichent clairement la peur, la rancœur, la tristesse, le mépris, la colère, mais en aucun cas la joie. Ce n'est pas une surprise, certes, mais c'est jamais réjouissant de voir ça. Au milieu de cette cohue, je reconnais mon voisin de palier, avec qui je m'entends très bien. Dès qu'il pose les yeux sur moi, je lui fais signe d'approcher : une grosse valise, un sac à dos et sa fille de sept ans à ses côtés, il se fraye difficilement un chemin à travers des morts-vivants à qui ont aurait même enlevé l'envie de manger.

 - Salut Jo.

 - Bonjour Kian ! J'ai eu du mal à te reconnaître avec cette armure ! Je savais pas que tu bossais là !

 - Je bouge beaucoup. Montrez moi vos codes, je vais vous faire passer tout de suite. Je suppose que ça fait longtemps que vous attendez.

 - C'est le troisième jour, dit Jo en retroussant sa manche. Mais ça n'a pas été trop dur, il n'y a pas eu d'attaque majeure, seulement des petites bagarres dans la file. Montre ton bras à Kian ma chérie.

 J'aime beaucoup Jo pour sa joie de vivre. Il prend tout ce qui lui arrive avec philosophie et une certaine décontraction : la mort de sa femme pendant l'accouchement de sa fille l'a fait grandement relativiser. Je vérifie les codes, et ordonne à un de mes hommes de les accompagner à l'intérieur.

 - Tu vas me manquer Kian, me lance Jo. On aura passé de bonnes soirées à se marrer ! Enfin surtout moi, parce que toi pour te faire rire faut se lever tôt.

 - Je suis au même Refuge que toi, donc on pourra se retrouver d'ici quelques temps dans la nouvelle ville si tu veux.

 - Ce sera avec grand plaisir. Après tout, ce n'est qu'une ville de substitution, rien de plus. Merci beaucoup.

 - Pas de quoi. Prends soin de toi et de ta fille.

 - Toi aussi. Fais attention.

 On se serre la main et il s'éloigne.

 Une ville de substitution. C'est vrai, ça reste seulement une ville. On remplace des rues et des bâtiments par d'autres, et comme nous serons beaucoup moins nombreux, on pourra peut-être repartir sur des bases saines. C'est assez intéressant, voir fascinant de tout reprendre à zéro.

 Alors pourquoi, tout au fond de moi, malgré la gangrène qui pullule cette Mégalopole décimée, je ne veux pas partir...

 Folk, un de mes hommes, s'approche de moi en courant.

 - Chef ! Dehors ça commence à dégénérer ! Je pense que des hommes de Law-Man vont pas tarder !

 Law-Man. Un de ces leaders qui essayent de faire sa loi en combattant le plus possible nos unités. Un ennemi de plus qu'on arrivera à faire tomber. Je jette un coup d'oeil vers Yon : il est tout sourire et surexcité. Sa tête d'abruti me fait sourire à mon tour. Je préviens alors son équipe avec un message groupé.

 - Capitaine Kian pour équipe Trois. Votre Lieutenant Yon-Eoh est réquisitionné pour une affaire de toute urgence. Art-Eck, tu prends la relève en attendant, c'est-à-dire que tu t'occupes des niveau moins Quatre, moins Cinq et moins Six. Gardez l'oeil ouvert ! Fin de transmission.

 Yon lève les bras au ciel et pousse un cri.

 - Putain de merde ! Enfin ! Ça va bastonner sévère mon gars, c'est moi qui te le dit.

 - Folk, Yon prend le commandement général de l'entrée à partir de maintenant, et ce jusqu'à nouvel ordre.

 - Bien Capitaine.

 - Yon, je veux pas que ça dégénère, c'est clair ?

 - T'inquiètes ! Juste quatre, cinq litres de sang maximum.

 Et il part en s'échauffant les muscles. Pauvre Law-Man. Je pense que ton temps est révolu.

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