II

3 minutes de lecture

C'est dans la province indonésienne de Central Jawa, à une petite trentaine de kilomètres des deux volcans frères endormis, Gunung Sundoro et Gunung Sumbing, et à l’Est de la passe de Kledung qui les sépare, que se trouve la ville de Temanggung, chef-lieu du kabupaten (1) éponyme.

Capitale du fertile plateau de Dieng, renommé depuis plusieurs siècles pour ses cultures de tabac et d’herbes médicinales, cette cité de près de huit cent mille habitants, mais encore pauvre en ressources touristiques, abritait depuis bientôt un an un restaurant à l’enseigne du Sundoro Sunshine, à quelques centaines de mètres de la place principale de la ville.

L’établissement, tenu auparavant sous un autre nom par deux amis australiens, avait été rebaptisé ainsi en l’honneur de la rocambolesque rencontre au sommet du volcan des deux propriétaires actuels, John Cochran et Ratih Suharto (2).

Devenu le Rumah Makan (3) Sundoro Sunshine, il accueillait population autochtone et touristes, avec une prédilection pour les seconds, dotés d’un pouvoir d’achat sans commune mesure avec celui des gens du cru.

Au plan local, la renommée de l’établissement tenait aux dons culinaires de son chef, la compagne du propriétaire, qui avait travaillé plusieurs années dans un food court de Tanjung Pinang (4), puis à Singapour, comme maid chez de riches Chinois.

Fille d’un petit producteur de tabac des environs, un sort adverse l’avait ramenée au pays plus tôt que prévu et sa rencontre avec John lui avait enfin permis de réaliser son rêve : cuisiner dans son propre restaurant.

Mais c’est surtout l’utilisation astucieuse des technologies de l’Internet par John Cochran qui attirait au Sundoro Sunshine la foule croissante des touristes qui transitaient par Java et ses volcans avant de s’envoler ou de prendre le ferry pour Bali, ses plages et ses temples.

En quelques semaines, le restaurant était passé d’une position très modeste dans le classement du plus célèbre site de référencement aux avant-postes de celui-ci, grâce à la création de faux avis élogieux de consommateurs, étayés d’artistiques photos des plats proposés par Ratih.

Ces avis truqués en avaient bientôt généré de vrais, tout aussi dithyrambiques, mais véridiques cette fois, qui avaient conforté la e-réputation de l’établissement et rapidement permis à John d’éliminer les premiers.

En Australien pragmatique, il assumait sans la moindre vergogne ce coup de pouce au succès, assurant, primo, que c’était aux concepteurs du site de verrouiller leur système et, segundo, qu’il n’y avait aucune tromperie sur la marchandise elle-même !

Ainsi, depuis trois mois, le soir, il était devenu difficile de trouver place à l’improviste au Sundoro Sunshine. Le restaurant ne disposait que d’une quinzaine de tables et pouvait accueillir une cinquantaine de personnes au maximum.

Ratih et John avaient composé une carte mixte en fonction de leurs préférences et connaissances respectives. Entrées et plats reprenaient les grands classiques des cuisines singapourienne et indonésienne : satay, laksa, ckicken rice, fish head curry, char siew rice… randang beef, fried rice, nasi rawon, siomay, sop buntut… Les desserts empruntaient à l’Australie ce qu’elle avait de transposable ici, pavlova, chocolate crackles, icebox cake, frog cake,… en plus des fruits frais joliment découpés et présentés qui en étaient la base incontournable.

La trouvaille de John, depuis l’ouverture de l’établissement avec son ami australien, avait été d’associer un stand de restauration de rue, à l’image de ceux des food courts, accompagné d’une grande terrasse munie de tables et de bancs scellés au sol, avec une salle climatisée plus cosy, décorée avec goût. La cuisine donnait sur les deux : directement, côté rue, derrière une paroi vitrée, côté salle.

Les prix différaient assez dans les deux endroits, mais toute la clientèle semblait y trouver son compte : les locaux aux ressources modestes appréciaient ce à quoi ils étaient habitués à des tarifs abordables pour leurs bourses plates ; les élites, les nouveaux riches et les touristes dégustaient une cuisine cosmopolite, aux assiettes artistiquement composées, avec un service impeccable, à des conditions qui restaient raisonnables pour eux.

En tout autre lieu, ce voisinage aurait sans doute rebuté. Or, c’était, après la qualité de la cuisine, ce qui avait établi la renommée du Sundoro Sunshine.

(1) Équivalent indonésien de nos départements.

(2) Cf. L’Indonésienne, Singapore maid, La Rémanence, 2015.

(3) Restaurant, en bahasa indonesia, la langue officielle d’Indonésie.

(4) Capitale de la province indonésienne des îles Riau, située sur l’île de Bintan.

(à suivre)

© Pierre-Alain GASSE, 2017.

Annotations

Vous aimez lire Pierre-Alain GASSE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0