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 Laïka prit une bouffée d’air. Eclairée par ces lampadaires rudimentaires, elle s’était éclipsée grâce à Henry. Les yeux fermés, elle profitait du froid soudain de la nuit.

 — J’ai cru étouffée.

 — J’ai vu, fit-il à ses côtés.

Elle ouvrit les yeux et se tourna vers lui. Il avait rasé sa barbe et ses bandes claires tribales lui parcouraient le visage verticalement, descendant dans son cou. Elle sourit.

 — Qu’est-ce qu’il y a ?

 — T’es bizarrement beau, répondit-elle.

Il fronça les sourcils.

 — Je dois le prendre comment ?

 — J’ai dit que t’étais beau.

 — Bizarrement…

 — Mais beau.

Il lui fit un clin d’œil.

 — Toi aussi.

 — Merci. répondit-elle en rougissant.

 — T’es bizarre.

Elle lui envoya un coup dans les cottes puis soupira, observant le ciel étoilé.

 — Pourquoi tu m’avais demandé d’attendre ?

Henry ne comprit pas alors Laïka expliqua.

 — Je voulais savoir pour Alex mais tu m’as dit d’attendre…

 — Je ne voulais pas te faire de mal, je me suis dit que lorsque ta mémoire reviendrait tu souffrirais à ce moment-là.

 — Comme Antoine.

Henry fixa à son tour le noir de l’univers.

 — Comment peut-on devenir chef à vingt-trois ans ?

 — Il a eu l’approbation de Rül et de Ruthem. Tu ne peux pas encore comprendre mais dans la tribu, le passage de titre de chef se transmet par l’ancien chef qui était Rül, et doit être approuvé par le père, Ruthem.

 — Et vous avez accepté comme ça ?

Il posa sa main sur son épaule.

 — Est-ce le début d’une longue série de question ? Parce que la fête continue demain et il déjà tard.

 — Tout le monde est encore à l’intérieur. fit-elle en montrant de la tête l’énorme bâtisse d’où sortait un brouhaha.

 — Oui mais ils vont le regretter demain.

 — Ça va ?

Les deux amis se retournèrent, Naëlle approchait.

 — Déjà fatiguée ?

Devant cette jeune femme à l’apparence agressive, Laïka baissa la tête. Henry échappa un sourire.

 — Tu la ramène chez vous ? proposa-t-il.

Laïka jeta un regard inquiet vers son ami qui lui répondit par un clin d’œil.

 — Je ne suis pas cannibale alors arrête de t’inquiéter. railla Naëlle qui s’éloignait déjà de Laïka.



 Les dernières braises rouges crépitaient dans la longue cheminée. Allongée sur la couchette qui avait été sienne durant des années, Laïka fixait le plafond. Cette soirée avait été remplie, mais le vide restait coincé dans ses entrailles et lui serrait étrangement le cœur. À son opposé, Naëlle ronflait. Elle se tourna alors vers la dormeuse et se redressa en silence. A tâtons, le bras tendu, longeant les murs la blonde se dirigea vers la porte. Elle enfila doucement bottes et manteau, vérifiant qu’elle n’avait pas perturbé le sommeil de sa colocataire et sortit.

Dehors, Laïka retrouva ce paysage blanc éclairé par quelques lanternes. Pas de rondes, pas de gardiens à première vue. La Rencontre. Elle n’en connaissait pas la raison, mais il fallait qu’elle s’y rendre. Elle avança doucement dans le noir, le bruit de ses pas écrasant la neige l’accompagnait comme une douce mélodie. La maison de Naëlle, leur maison, se trouvait bien plus éloignée que l’était celle de Fanny de la forêt bleue, pourtant elle trouva facilement le chemin. Elle se déplaça furtivement jusqu’à l’entrée sombre qu’elle avait déjà emprunté et de nouveau, elle se fit happer et sans crainte y pénétra.

Mais Laïka s’arrêta rapidement. Elle le sentait, on l’observait. Elle se concentra, entendant les bruits des feuilles, quelques insectes nocturnes et deux yeux luisant dans le noir, à hauteur d’hommes, apparurent devant elle. Elle retint sa respiration. Un bruit à sa droite lui fit tourner la tête. Une deuxième paire d’yeux la regardait. Puis à sa gauche elle aperçut une masse sombre. Les gros félins…pensa Laïka. Alors, avec hésitation, elle sortit d’une petite voix.

 — Gentils petits chats ?



 Antoine était rentré de force chez Kalan. Ce dernier se redressa d’un seul coup, attrapant un long bâton renforcé posé près de sa taie d’oreiller et le pointa vers son attaquant. La lanterne qu’Antoine tenait fut suffisante pour que Kalan relâche ses épaules, les yeux à moitié fermés, grimaçant, il grogna.

- — T’es pas bien de me faire ça !

 — Je t’avais demandé qu’UNE chose !

 — Hein ? Il soupira. Antoine, j’étais en train de dormir, j’en sais rien de ce…

 — Laïka a tenté de rentrer dans la forêt de Reñt !


 — Mais ça va pas ?! Fanny hurlait dans la maison. Tu pensais à quoi ?

Laïka n’avait pas compris comment un des membres de la famille de Dema, ainsi qu’un garde du village et par la suite Mickaël avaient été avertis. Antoine était aussi arrivé et avait demandé à tous de ne pas ébruiter la petite promenade nocturne qui avait été un réel fiasco à son goût.

 — Tu m’écoutes ?!

Laïka se redressa.

 — Oui je fais que ça.

  — Pardon ?

  — Fanny, laisses la respirer deux secondes.

Fanny se tourna vers Mickaël, la rage dans les yeux.

  — Y en a qui dorme Fanny, ne va pas réveiller le quartier.

  — Tu ne devrais pas prévenir Naëlle toi ?

Il soupira, levant les yeux au ciel.

  — Elle ronflait quand je suis partie.

Mickaël se tourna vers Laïka.

  — Ne crois pas que je suis de ton côté, dit-il. Je suis totalement d’accord avec Fanny. Qu’est-ce qui t’a pris de sortir au beau milieu de la nuit ?

  — Je voulais prendre l’air.

  — Tu t’es rappelé de quelque chose ? demanda Fanny.

  — Non.

  — Vraiment ?

  — Je te dis que non.

  — Laïka, s’il y a vraiment une bride de souvenir qui te reviens il faut…

  — Arrête t’es pas ma mère.

La porte d’entrée s’ouvrit soudainement et Eléonore rentra dans la pièce. Cette trentenaire ne s’excusa pas en voyant la surprise de Fanny et Mickaël.

  — Mickaël, fit-elle en retirant son manteau, tu veux bien rentrer chez toi ?

Il ne montra aucune réticence et sortit. Par la suite, Eléonore posa une main sur l’épaule de Fanny et lui demanda d’un regard si elle pouvait monter pour les laisser parler. Laïka observait silencieusement cette grande femme imposer son pouvoir et venir trainer une chaise devant elle.

  — Tu as été plutôt dur avec Fanny, commença-t-elle. C’est ton amie et elle s’inquiète.

Elle marqua une pause, examinant avec attention Laïka.

  — Je n’ai pas eu le temps de venir me présenter à la fête, tu m’en excuse. Je suis Eléonore et je te suis toi, Henry, Antoine et ton frère Alex depuis un moment.

En entendant le nom de son frère, Laïka fronça les sourcils, méfiante de cette femme qui semblait venir de nulle part.

  — Je suis donc attristée de voir que tu ne te souviens pas de moi.

  — Pourquoi vous êtes là ?

Eléonore sourit devant le ton sec de son interlocutrice.

  — Tu peux me tutoyer.

  — Je n’arrive pas à le faire quand…

  — J’ai trente-huit ans, tu en as vingt-et-un. La différence n’est donc pas catastrophique et je ne me sens pas encore assez vieille pour être vouvoyer. Il y a un problème à cela ?

Laïka ne répondit pas.

  — Le gardien m’a fait appeler en te voyant, c’est pourquoi je suis là.

  — Il n’y avait personne quand je suis sortie.

  — Tu oublies les Dreïn. Laïka tiqua au mot qui lui était inconnu, Eléonore le remarqua. Dreïn… ça ne te dit rien. Personne ne t’a parlé de ton dreïn ?

Fanny descendit soudainement les escaliers manquant de trébucher.

  — On s’arrête là pour ce soir, fit-elle devant le regard de déception de la gardienne.

  — C’est quoi mon dréïn ?

  — Rien.

  — Fanny ! râla la trentenaire.

  — On en reparlera plus tard, continua la jeune médecin sans prendre en compte l’avertissement.

  — Il n’y a pas à remettre à plus tard ce sujet, je croyais qu’Antoine voulait…

  — Il y a la fête, je lui en parlerais après.

  — Non, c’est Henry qui va lui en parler.

  — Il est hors de question que ce soit Henry qui…

  — Ce n’est pas une question.

Laïka comprit au regard de Fanny qu’elle ne pouvait rien faire devant cette Eléonore.


 Mickaël avait passé sa porte et se fit accueillir avec joie par Eunlow qui sautillait à droite à gauche. Il finit par lui attraper la tête.

 — Tu veux bien arrêter de faire le fou.

 — Alors ? C’est réglé ? demanda Kevin.

 — J’en sais trop rien, elle voulait juste prendre l’air et elle n’a pas dû regardé où elle allait.

Kevin leva un sourcil, assis sur sa couchette, collé au mur, les bras appuyés sur les genoux.

 — Elle ne regardait pas où elle allait ?

 — Je sais pas…

 — Mais, on est dans le noir après avoir passé les vingt mètres de la dernière maison.

 — Je sais.

 — Et elle ne se rappelle toujours de rien ?

 — Je ne sais pas.

 — Tu l’aimes ?

 — Je… Mickaël se tourna vers le blond au sourire dessiné sur les lèvres.

 — Tu es fatigué hein ?

Mickaël sourit. Il se dirigea vers sa couchette et s’y affala, suivit de près par Eunlow. Il soupira.

 — Je sais.


 — C’est quoi un dréïn ?

Fanny fronça les sourcils et au milieu de ce duel de regard, Laïka relança sa question qui lui brulait désormais les lèvres.

 — Plus tard, soupira Fanny exaspérée, on va aller dormir sinon on n’arrivera pas …

 — Non, vous n’allez pas me laisser sur un blanc ! râla Laïka en se levant du fauteuil. Je n’arrive déjà pas à dormir avec tout ce qui me passe par la tête avec ces questions sans réponses donc ce n’est pas la peine de m’en rajouter.

 — Laïka rassied toi s’il te plait.

Fanny contesta.

 — Non, Laïka et toi allez retourner dormir et…

 — C’est déjà trop tard, la coupa Eléonore. J’ai fait appeler Henry.

 — Pourquoi !

 — Si tu veux dormir, nous pouvons aller chez Henry discuter.

 — Eléonore, s’il te plait comprend la situation…

 — Je sais que tu as peur Fanny, mais si elle est en vie, il doit l’être aussi.

 — Qui il ? Vous parlez d’Alex ? demanda désespérément Laïka.

 — Non désolée Laïka, pas ton frère. Rassieds-toi et reste tranquille, Henry va arriver. A moins que notre hôte ne veuille pas de nous et dans ce cas-là…

 — C’est bon, restez. pesta Fanny.


 Henry arriva peu de temps après au grand soulagement de Laïka qui ne supportait plus ce silence pesant. Il se mit à l’aise en retirant son manteau et jeta un coup d’œil à Fanny qui l’ignora.

 — Eléonore m’a dit qu’on pouvait enfin aborder le sujet. annonça-t-il sans n’avoir aucune réponse de Fanny.

 — Les dréïn ?

Henry se tourna vers son amie et lui intima de s’asseoir. Fanny ne bougeait pas, silencieuse, et Eléonore laissa sa place à Henry. Face à Laïka, il prit une grande inspiration puis parla.

 — Allons droit au but, quand je te parle de Dreïn ça t’évoque quelque chose ?

 — C’est toi qui m’en a parlé la première fois, quand on était chez toi, avant ta bagarre avec Mickaël. Mais sinon, ça ne me dit rien.

Henry tourna la tête pour avoir l’approbation de la gardienne qui lui fit un hochement de tête.

 — Ce jour-là tu m’as demandé ce qu’était ce gros félin, eh bien c’est un dreïn.

 — D’accord, et c’est tout ?

Henry se mit à sourire.

 — Non, les Dreïn sont bien plus que cela.

Il chercha ses mots puis lorsque l’attente se fit insupportable, il poursuivit.

 — Nous sommes tous rattachés à un Dreïn, c’est notre carte d’identité ici, ils représentent ce que nous sommes et notre place dans la tribu. Il en existe un pour chacun de nous. Ils sont nos partenaires et nous sommes tellement liés à eux que nous sommes capables de communiquer l’un avec l’autre sans être à côté. Mais de ce fait, comme le dit les contes de la Famille de Dema et la réalité : mon dreïn a besoin de moi pour vivre, et sans lui je suis mort.

Il y eu un silence. Laïka fixait le sol et les trois personnes autour d’elle attendaient sa réaction.

 — On est tous rattaché à un dréïn… On peut communiquer avec lui… Et si… Mais alors, il est où mon dréïn ?

Laïka entendit Fanny marchait derrière son dos. Elle tournait en rond, nerveuse. Henry fuyait son regard, devenu muet comme une tombe. Alors Eléonore s’approcha de Laïka et posa une main chaleureuse sur son épaule.

 — On ne sait pas. Il a disparu, comme la bête qui t’a attaquée. Et depuis on ne l’a plus revu.

 — Mais il est en vie ?

 — Je le pense sincèrement. Aucun humain n’a survécu sans Dreïn.

Laïka plissa le front.

 — J’arrive plus à vous suivre…

 — Je sais, Laïka je sais que c’est difficile, tu as vu et entendu beaucoup de choses aujourd’hui, tu es fatiguée et on ne t’en tient pas rigueur. Prend le temps de digérer les infos une par une. Ne te précipite pour tout savoir, tu ne tiendras pas.

Elle releva la tête, la larme à l’œil.

 — Tu veux dormir avec moi ce soir ? proposa Eléonore. Je peux te préparer une couche, ça ne sera pas aussi confortable que le lit de Fanny mais je peux te promettre que tu n’auras pas mal au dos demain. Et si tu veux me poser toutes tes questions qui te passent par la tête je serais ravie d’y répondre, si j’ai les réponses bien sûr.

Laïka accepta. Eléonore salua donc les deux jeunes gens et l’emmena.


 Henry se leva par la suite.

 — Vous êtes malades, lâcha Fanny dans un soupir.

 — Pardon ?

 — Comment tu as pu suivre Eléonore ? Vous avez tous oublié l’histoire de Mathew ? Tu ne vois pas que Laïka est déjà perturbée !

 — Elle est perdue, pas folle.

 — Qui te dit qu’elle ne va perdre la tête en prenant conscience qu’il lui manque son dreïn ?

 — Fanny, elle a perdu ses souvenirs et il y a de grande chance que son dreïn soit dans la même situation. Antoine voulait savoir où est-ce qu’il était et si Laïka est capable de communiquer avec lui. On t’a écouté en la laissant tranquille, mais il était temps de lui en parler.

 — Elle a suffisamment de chose à régler pour…

 — Quoi ? En quoi ça va l’aider de la garder sous cloche ? Tu ne veux rien lui dire ?

Fanny s’approcha d’Henry, les bras croisés, un sourire aux lèvres.

 — Bien, on va alors tout lui dire. Pourquoi tu ne commences pas par lui parler de son frère Alex pendant que t’y es ? Finalement, ce serait plutôt à ton avantage qu’on ne lui dise rien. Pas vrai ?

Henry serra la mâchoire, le regard noir.

 — Je suis peut-être la cause de sa mort, mais je n’ai pas détruit intentionnellement la vie de Laïka.

 — Dégage !

Henry sortit en claquant la porte, laissant Fanny les poings serrés et la rage au visage.

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