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 L’enfant fixait l’horizon. Sur le dos du dreïn de son père, encore trop jeune pour en avoir un, ses doigts s’amusaient à s’entourer des poils de l’animal. Le dreïn était couché, les pattes recroquevillées sous lui et un petit félin noir et rouge lui tirait avec frénésie son oreille pointue. La tête penchée, il ne disait rien.

Cela faisait un moment que ces trois-là attendaient. Ayant dépassé les prairies blanchies par la neige et normalement broutée par les Conaö ainsi que d’autre mammifères, ils étaient sur une petite colline à l’orée de la forêt de Fenx*. Il n’y avait de vent, un soleil resplendissant et le bruit de quelques oiseaux amenait un calme en ce lieu.

Puis soudain, sortant du milieu de tous ces arbres bleus, un homme. La petite fille se redressa, forçant sa monture à contracter ses muscles pour ne pas faire tomber l’enfant qui avait du mal à tenir debout. Elle retira sa capuche, le sourire aux lèvres. Elle attendit un moment avant que l’homme redresse la tête vers elle. Une femme le suivait, tenant un long bâton. La petite observa sa tenue : une épaisse tunique dans les tons de bleu aux tâches violettes, un capuchon décoré de perles qui descendait jusqu’à sa taille. La femme leva le bras et la petite fit de même avant de se rassoir sur l’animal le serrant de toutes ses forces. Le dreïn se leva tant bien que mal, engourdi, lança un dernier regard aux deux arrivant et se mit à grande enjambées en route pour le village.

 La petite fille tira la porte des cuisines. Au sein de cette énorme bâtisse de pierre divisée en plusieurs pièces, homme et femmes s’agitaient. On blanchissait, concassait, coupait marinait, mixait toutes sortes de préparations en vue des jours à venir. Une chaleur se dégageait des différents feux et des odeurs alléchantes faisaient frémir les papilles de la nouvelle arrivante. Au milieu de toutes cette agitation, une femme, forte de carrure, aux cheveux poivre et sel, commandait tout ce beau monde.

La fillette, suivit de son Kiu* noir et rouge, s'approcha du chef de ce lieu, saluant d'un beau sourire toutes les personnes qui arivaient à se détacher de leur tâches. En la voyant la chef détendit les traits de son visage et tapota la chevelure claire de la petite qui annonça alors toute excitée.

 — Ils arrivent !

Tous sans exceptions s’arrêtèrent, le silence en profita pour s’installer un peu au milieu des bruits provoqués par les cuissons. Ils se tournèrent vers la femme aux cheveux gris et noirs. Forte, le tablier tacheté, les mains posés sur ses hanches et face à tous ces regards, elle soupira.

 — Déjà ?

 Henry tira doucement à l’aide du peigne, le nœud que Laïka avait dans ses cheveux mouillés. Elle s’était changée et la bassine avait était déplacé par Henry qui n’avait pas arrêter d’aller à droite à gauche pour lui faire découvrir objets, nourritures et autres petits instruments de leur nouvelle vie.

 — Tu t’ennuies c’est ça ? fit Laïka qui était restée silencieuse jusque-là.

 — Pourquoi tu dis ça ?

 — C’est ce que disais ton père.

Henry s’immobilisa un instant.

 — A chaque fois que tu venais m’aider dans le jardin ou à la maison, il faisait cette remarque.

 — Il était jaloux, il ne comprenait pas pourquoi son fils allait aider les voisins alors qu’on avait aussi une maison à ranger et à nettoyer.

Laïka se retourna, arrachant Henry à sa tâche.

 — Moi aussi je venais aider !

 — Tu nous as détruit nos nains de jardin…

 — Faux c'est Yumi !

Henry sourit.

 — D’accord, c’est notre chien qui les a détruits mais c’est toi qui l’as excité.

Laïka se remit en place, frustrée. Puis lorsqu’elle fut calmée, elle reprit.

 — Ils ne te manquent pas ?

 — Bien sûr.

 — Alors pourquoi en huit ans vous n’avez pas essayé de vous enfuir d’ici.

 — C’est compliqué.

Laïka se retourna de nouveau. Le front plissé, elle regarda Henry.

 — En quoi est-ce compliqué ?

 — Je ne sais pas si tu as bien vu ce qui t’entourait, fit-il, mais certain ont cru qu’on était mort. Entre la végétation et les bestioles, sans parler du crash, il y avait de quoi se poser des questions.

 — Mais en huit ans vous n’avez pas…

 — On était faible, sans expérience, déclara Henry d’une voix calme. On a compris très vite avec l’aide de la famille de Dema que c’était impossible de partir d’ici. Alors on a fini par accepter notre sort.

 — Je vois… répondit-elle simplement pour ne pas insister. Tu m’as déjà parlé de Déma, n’est-ce pas ?

 — Oui. Elle fait partie des personnes qui étaient déjà sur l’Île.

 — Il y en a d’autre ?

 — Son mari Ruthem fait partie aussi de ceux qui sont arrivés sur l’île il y a plus d’une soixantaine d’années.

 — Non, je voulais dire des familles. Tu parles de la famille de Déma comme s’il y en avait d’autre.

 — Ah, on dit cela car elle a… Disons, qu’ils sont tous ses descendants…

 — Tous ? fronça les sourcils. Ils sont combien ?

Henry se redressa, déglutit, et se frotta les mains l’une contre l’autre.

 — Alors ils doivent être une vingtaine et ils nous ont aidé à construire le village, à apprendre à chasser, à survivre dans cette nature sauvage. Tu vas les rencontrer lors de la fête.

 — La fête ? Quelle fête.

Henry se mit à sourire.

 — J’aime pas ce sourire Henry. Qu’est-ce que tu me caches ?

Fanny s’annonça et rentra. Laïka se tourna vers elle.

 — De quelle fête il parle ?

Le médecin retira son vêtement, exaspérée.

 — Je croyais qu’on avait dit qu’on attendrait avant de lui annoncer la mauvaise nouvelle. Si on a demandé à ce que tu te lèves c’était pour que tu viennes participer à la fête hivernale.

 — Et parce qu’il fallait qu’elle se lave.

Laïka mima le fait de donner un coup de poing à Henry qui recula.

 — J’ai dit que je ne voulais voir personne.

 — Laïka cette fête est très importante et beaucoup attendent de te revoir et …

Ils entendirent alors le son d’un cor. Long et fort. Henry et Fanny s’échangèrent un regard.

 — Ils ne peuvent pas déjà être là ?

 — Ils sont partis à quel heure pour arriver avant midi ? se demanda Henry.

 — Qui ça ? La famille de Dema ?

 — Reste tranquille, Henry merci pour ton aide – même si c’était pour échapper aux préparatifs – mais je vais prendre le relais.

Fanny s’éloigna pour ranger ce qu’elle avait en main et le cor s’arrêta. Laïka fixa Henry qui s’était levé, posant le peigne sur la table. Puis de nouveau elle entendit ce son puissant.

 — Qu’est-ce que c’est ?

Henry passa une main dans les cheveux blonds collés par l’eau.

 — C’est le cor, selon le nombre de fois et le temps qu’il sonne, il nous indique si une expédition de chasse est partie ou rentrée. Il nous dit aussi s’il y a un danger, ou si on a besoin de personnes pour aider. Le plus souvent on l’entend le midi pour rassembler tout le monde. C’est un ‘à table !’ général. Bon sauf en hiver puisqu’on est tous proches des uns des autres.

 — Et là ? C’était pour quoi ?

Henry toucha le nez de Laïka et esquissa un sourire.

 — Disons que pour cette fois-là, c’est la sonnette d’alarme pour prévenir tous les solitaires qu’il y a le feu.

Laïka plissa le front, perdue.

 — Bon sang !

Antoine avait sursauté, il venait de descendre les escaliers et n’avait pas entendu celui qui s’était silencieusement introduit chez lui. Il claqua sa langue et reprit calmement.

 — Quelqu’un t’a vu ?

 — Non.

Kalan s’appuyait contre le mur, retirant diligemment ce qui le protégeait du froid du dehors, contrairement à Antoine qui s’apprêtait pour sortir.

 — Le cor a sonné…

 — J’ai entendu. Ils sont en avance.

 — Je vais donc les accueillir, tu me feras ton rapport plus tard.

 — Ce truc va me rendre fou.

Antoine s’arrêta dans sa lancée. Il se tourna vers Kalan, celui-ci avait le regard dans le vide, les sourcils froncés, la mâchoire serrée. Kalan reprit.

 — Cet animal disparaissait puis quand je n’avais plus aucune trace de lui et que je voulais abandonner… il réapparaissait. Kalan fixa Antoine. Un fantôme ce truc.

Antoine ne fit rien pendant un instant, puis Kalan l’entendit claquer sa langue. Une fois. Deux fois. Trois puis il ouvrit la bouche pour parler quand on frappa à la porte.

 — C’est Pame.

Kalan roula des yeux.

 — J’arrive, deux minutes… fit Antoine.

 — Le cor a sonné.

 — Je sais attends-moi au rassemblement.

 — Je peux t’attendre ici pour…

 — Non vas-y.

 — Bien.

Et les deux hommes entendirent Pame s’éloigner. Antoine tourna la tête vers Kalan qui souriait.

 — T’es blessé ?

Son regard montra le manteau qui s’imbibait doucement de sang.

 — J’ai un peu forcé pour revenir à temps mais ce n’est rien. Juste un vagabond. Et toi ton épaule va mieux à ce que je vois.

 — Pour revenir à ce truc, tu as réussi à voir ce qu’était ? demanda Antoine.

Son sourire disparut.

 — Il est étrange.

 — Etrange ?

 — Je n’arrive pas à définir si c’était vraiment un dreïn ou un…

 — Et t’es rentré.

 — Avec la fête je ne voulais pas être absent. se justifia-t-il.

 — Tu as bien fait. On en reparlera plus tard.

 — Je ne pense pas que ça soit le dreïn de Laïka, il m’a bien fait chier ça c’est le cas de le dire, mais il joue un jeu que nos animaux ne feraient pas. D’ailleurs en parlant d’elle, il y a eu du nouveau ?

Ils échangèrent un regard et Kalan fronça les sourcils quand il vit que face à lui, des lèvres s’étiraient.

 — Justement, Antoine posa sa main droite sur l’épaule blessé de Kalan et avant de sortir il rajouta, soignes-toi j’ai une nouvelle mission à te confier.

 Une foule s’était rassemblée pour accueillir les nouveaux arrivants. La femme, tenue bleue aux tâches violettes accompagné de son fils qui avaient ouvert la marche, se firent de nouveau saluer par la petite fille, porté dans les bras de sa grand-mère. Derrière eux, des hommes, des femmes, des enfants, aux tenues colorés, portants des sacs, des provisions, des récipients, des armes. Quant à leurs Dreïn qui les accompagnaient, ils étaient tout autant chargés.

Parmi les arrivants, portée par un des Dreïn de ses enfants, Dema. Elle descendit aidé par deux de ses fils, Ate et Ruem, un bien plus grand que l’autre mais tout aussi fort l’un que l’autre, et la foule s’écarta pour les laisser s’avancer.

Trois personnes les attendaient plus loin, les trois membres du conseil qui travaillaient avec Antoine. Un homme et deux femmes, d’âges mur, qui se tenaient droits et souriaient à la foule. Le conseiller se dégagea de ses deux collègues et s’avança, se penchant pour accueillir celle que tous loué pour ce qu’elle était. Une mère. Une grand-mère. Une arrière-grand-mère. Une arrière-arrière-grand-mère.

 — Dema je parle au nom de tous pour dire que nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous. Mais il ne fallait pas faire ce long voyage épuisant si vous vous sentiez faibles. Cela a dû être difficile et…

La petite femme maugréa, murmurant dans sa langue natale, et fit signe aux deux hommes qui l’entouraient de continuer d’avancer. Le conseiller resta perplexe, la bouche entre-ouverte, observant celle qui était la mère de toute cette tribu. Puis soudainement, il arrêta la personne qui les suivait de près.

 — Qu’est-ce qu’elle a dit ?

La trentenaire regarda de son œil couleur noisette le bras droit qui lui faisait barrage.

 — Bonjour Maxime. Contente de te revoir…

 — Oui Sil, bonjour, alors ?

Sil soupira, un sourire forcé aux lèvres, puis d’un air neutre et détaché :

 — C’est elle qui a instauré la fête hivernale, elle se doit d’être présente.

Maxime baissa son bras et s’en alla accueillir d’autres arrivants. Sil le regarda un instant faire ses petites révérences face aux différents membres de la famille de Dema et à ceux qui les avaient quittés pour venir habiter avec eux au Village Secondaire. Puis elle murmura pour elle-même, un prémice de sourire sur ses lèvres dévorés.

 — Elle a aussi rajouté une très jolie insulte que je ne saurais même pas traduire.

Puis Sil tourna la tête. Plus loin, au même endroit où Maxime les avait laissés, les deux derniers membres du conseil l’observaient. Elle s’approcha des deux femmes qui lui sourirent et la saluèrent d’un signe de tête.

 — J’ai appris pour le réveil de Laïka. Elle est toujours chez Fanny ?

 — Oui. Je n’ai pas à t’indiquer le chemin ? répondit Nadine la doyenne.

Sil se contenta de sourire et s’en alla, les laissant. Elles s’échangèrent un regard et continuèrent de sourire, murmurant.

 — Elle me fiche toujours la trouille, fit Laure qui n’avait pas encore parlé.

 — C’est Sil, ne serait que pour porter un tel nom faut bien être bizarre.

 Sil saluait diligemment les personnes qu’elle croisait puis aperçut au loin Henry qui s’approchait lui aussi de la foule. En la voyant, il se mit à sourire.

 — Sil.

Elle regarda derrière son épaule.

 — Tu viens de chez Fanny n’est-ce pas ? Il hocha de la tête. Laïka est toujours là-bas. Comment va-t-elle ?

 — Mieux, beaucoup mieux.

 — Pourquoi donc as-tu cette tête de chien battu ?

 — Je n’ai pas une tête de chien battu. répondit-il offensé. Tu en sais beaucoup sur l’état de Laïka ?

 — Le messager a fait transmettre à Dema la lettre de Fanny. Laïka ne semble pas se souvenir de ce qu’il s’est passé.

Henry baissa la tête.

 — Quand j’ai dit mieux je voulais parler de…

 — Son mental ?

Il acquiesça.

 — Je sais qu’on vous a demandé de venir aider concernant son état. Si tu l’as guérie … même si elle retrouve ses souvenirs ce n’est pas grave.

 — Si elle va beaucoup mieux, c’est que quelque part elle est guérie, comme tu le dis. Mais retrouver ses souvenirs ne la rendra pas plus heureuse, tu le sais mieux que moi.

Henry ne rajouta rien, alors Sil ferma ses paupières pour acquiescer et continua son chemin.

___

Forêt de Fenx : Forêt à l’ouest du Village principal en direction du Village Secondaire, se trouve après les terres cultivées et les plaines de Cona.

Kiu : Petit félin aux longues oreilles pointues et au petit museau, sa queue se sépare en deux.

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