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 Laïka était assise, vêtue d’une large tenue sombre, à fixer le bois crépiter et fondre sous la chaleur. Fanny lui tressait ses longs cheveux blonds en silence.

 — Qui est déjà là ? demanda Laïka.

Fanny s’arrêta un instant.

 — C’est le Village Secondaire, principalement la famille de Dema. On a instauré tout au long de l’année des fêtes et des évènements. On arrête alors nos activités et on se rassemble, une fois tout le monde présent la fête peut commencer. Aujourd’hui, une fois que le cor l’aura annoncé, la fête hivernale débutera et dura une semaine avant que les personnes du village secondaire rentrent de nouveau chez eux.

 — Le cor a déjà sonné non ?

 — Oui, mais pour annoncer leur arrivé. Ils sont venus tôt cette année, c’est pourquoi on a été surpris.

 — Elle dure une semaine ?

 — Oui.

 — Qu’est-ce qu’il se passe pendant cette semaine ?

 — Beaucoup de chose, tu verras.

 — J’y suis obligée ?

 — Oui.

 — Fanny ?

 — Oui ?

Laïka hésitait, tordant ses doigts et baissant la tête ce qui fit arrêter Fanny dans son tressage.

 — J’ai deux questions que je voulais te poser depuis un moment.

Fanny l’encouragea à continuer.

 — Pourquoi je me suis réveillée nue ?

 — Ah. Fanny sourit. Ne sois pas embarrassé d’accord ? Mais je venais de te nettoyer… Laïka devint rouge. Il n’y a que moi et Alia, une petite fille de Dema qui t’avons réellement vue nue. Mais on y était obligé, tu comprends ? J’ai été appelé en urgence après, c’est pourquoi je t’ai laissé comme ça.

Laïka hocha la tête.

 — Et… Si ça n’a duré que deux mois, pourquoi je suis autant maigre, je ne l’étais pas avant ?

Fanny s’immobilisa. Elle coinça la tresse et tira une chaise face à Laïka recroquevillée sur elle-même.

 — Non, tu ne l’étais pas. Comme tu as pu le voir, on n’a pas la technologie d’avant. On a d’autre choses que tu redécouvriras. Fanny marqua une pause, cherchant ses mots. Tu as perdu beaucoup, beaucoup de sang quand tu t’es fait attaquer par… par une bête, comme ton frère.

Laïka se raidit.

 — On a cru que tu étais morte…. Les trois premiers jours, on te surveiller sans relâches, on faisait des rondes avec les différents médecins du village pour que tu ne sois jamais seule. On a dû suturer tes plaies, dont celle à la tête, d’ailleurs c’est Alia qui s’en est occupé. Sans elle ta cicatrice aurait été bien plus grosse et grâce à ses bandages elle a cicatrisé rapidement. Mais il faut que tu saches Laïka, que ton corps tentait de se soigner avec le peu de force qu’il avait et sans….

Fanny s’arrêta, elle baissa la tête et ses épaules s’affaissèrent. Laïka voulut comprendre la raison de ce silence soudain mais Fanny se releva.

 — Il faut que je finisse tes tresses et il reste encore quelques préparatifs pour ce soir à faire.

Alors Laïka se tut et dans ce silence pesant Sil toqua à la porte.

 Sil. C’est ainsi qu’elle se présenta derrière la porte. Laïka n’avait pas tenté de donner un visage derrière ce nom et cette voix sèche, et en la voyant rentrer, elle n’aurait jamais pu. Cette femme plus âgée que les deux amies présentes dans la pièce retira son manteau de Conaö, faisant dos à Laïka. Elle observa alors ses cheveux, ils devaient sans doute être blonds d’origine, désormais gris pale. Ils débutaient par des tresses, décollées du crâne, regroupé par paquet, eux même regroupé en une queue de cheval. A partir de là, des tissus torsadés sombres s’entremêlés à ses cheveux. Certaines tresses avaient été retirées et pendaient le long de son visage.

Sans son manteau, elle paraissait maigre dans sa courte tunique, retirant et déposant ses bottes près de la porte. Laïka baissa alors les yeux quand Sil leur fit face. Celle-ci le remarqua et sourit.

 — Voilà donc notre miss semi-coma ? Ou devrais-je dire miss Alzheimer ?

Laïka hocha la tête, fuyant toujours son regard. Sil eut un malin plaisir à s’approcher, s’accroupissant devant Laïka. Fanny s’était éloignée pour s’assoir sur l’un des sièges, laissant seule Laïka face à cette examinatrice qui posa une main sur le genou de la jeune blonde. Doucement, elle leva les yeux et croisa son regard.

 — Tu ne te souviens pas de mon visage n’est-ce pas ?

Laïka sentait sa compassion.

 — Non, je suis désolée. répondit-elle.

 — Tu n’as pas à avoir honte. Tu peux me regarder, je ne t’en voudrais pas.

 Son côté gauche était intact. Un cerne noir sous son œil à l’iris de couleur noisette. Sil avait un nez fin, finissant en trompette et ses lèvres étaient fines et étrangement rose grisé. Mais quant à son côté droit, Laïka laissa glisser son regard, partant du front jusqu’à ses lèvres qui avaient disparu. Elle n’avait plus de sourcil droit, ni de cils et son œil était recouvert d’une couche clair translucide. Sa peau gondolée recouvrait toute la surface jusqu’à son oreille qui semblait avoir été mangée, perdant des cheveux qui ne repousseront plus.

Cependant, par-dessus cette marque du feu, de fin traits noirs venaient épouser l’horreur des flammes. Des tatouages, tel une plante qui partait du coin extérieur de son œil, parcouraient toute la surface droite de son visage, laissant par endroit quelques points. Une œuvre d’art.

Sil se mit à sourire, Laïka était émerveillée.

 — C’est magnifique. lâcha-t-elle d’une petite voix.

 — Merci. Toi aussi, ajouta-t-elle en montrant la marque violette que Laïka avait totalement oubliée.

 Le soir tombait.

La salle de rassemblement était immense. Construit de sorte de pouvoir accueillir tout le monde, c’était le plus grand bâtiment du village. Des guirlandes, des fleurs, des sculptures la décoraient et on avait accroché aux murs des lampes à huile, ainsi que de nombreuse bougies sur les tables disposées aux extérieurs de sorte de laisser un maximum de place au centre. Tout au fond de cette longue pièce, une estrade avait été monté à l’opposé des deux portes principales et le Bar d’Elliott – propriétaire de la seule et unique auberge – avait été reconstitué pour l’occasion.

La tradition voulait que les hommes soient les premiers sur les lieux. En tenue et peinture tribales sur leur figure, c’est en petits groupes qu’ils échangeaient, attendant l’arrivée des femmes. La fête tant attendue allait bientôt officiellement commencer.

 Mickaël se tenait au côté de Kevin, discutant avec d’autres des projets que chacun avait une fois l’hiver passé. Mais il ne suivait que vaguement la discussion qui se déroulait devant lui. Son esprit vagabondait. Tantôt pensant à ces six prochains jours de fêtes, parfois à ses amis du village secondaire qu’il n’avait pas vu depuis un moment, un peu aux multiples repas qui allaient prochainement défiler et surtout, surtout à Laïka. Depuis ce jour, Fanny n’avait autorisé personne à la voir et ce faisant, cinq jours étaient passée sans qu’il ne l’ait revu.

Mickaël baissa la tête un instant, il prit une bonne inspiration et l’esprit détendu, essaya de se concentrer sur la discussion. Mais derrière son groupe, il croisa le regard d’Antoine. Antoine, le sourire aux lèvres, était entouré de certains enfants de Dema, ainsi que quelques chasseurs qualifiés. Mickaël continuait de le fixer jusqu’à ce que Kevin lui donne un coup de coude.

 — Mickaël ?

 — Désolé, vous disiez ?

 — Je voulais savoir, répéta Axel, si tu voulais m’accompagner pour marquer quelques arbres. Ata en a vu certains sur la route qui pourraient nous servir.

 — Bien sûr.

 — J’ai plus grand-chose et ce que j’ai ne me permet pas de fabriquer ce que le village a besoin.

 — Pareillement, fit Mickaël, à croire qu’ils ont fait en sorte de casser toutes leurs armes cet hiver.

 — Ou alors, vos armes ne sont pas de qualité.

Les deux faiseurs d’armes se tournèrent vers Nicolas. Lorsqu’il vit qu’il avait attiré les foudres sur lui, il se mit à rire.

 — Je blague, ne le prenez pas au sérieux. On sait tous que vous nous faites de très bonnes armes.

Les deux hommes ne purent répondre à la remarque du gardien car un bruit se fit entendre à l’entrée principale. Les femmes avaient fini de se préparer et rentrer dans l’enceinte du bâtiment.

 Laïka observait Bertille peindre sur le visage de Fanny. Son amie lui avait fait porter un long poncho bleu qui masquait la maigreur de son corps et Fanny lui avait fait sur le visage des larges traits d’une couleur accordée à sa tenue, semblable à sa cicatrice, partant de l’extérieur de son visage et se rétrécissant au centre. Les deux jeunes femmes avaient souri en disant à Laïka que ce qui semblait être primitif à première vue, lui apparaitrait par la suite magnifique, et qu’elle ne serait pas à bout de ses surprises. Mais elle avouait ne pas les croire.

Puis une jeune femme arriva pour venir les chercher. La fête allait commencer. Sa tenue pale aux motifs colorés rouge et les dessins blancs sur son visage ressortaient sur sa peau foncée. Ses cheveux bruns bouclés s’entremêlaient avec des tissus rouges et retombaient sur ses épaules.

 — Le fantôme est revenu, fit-elle à l’intention de Laïka. Je suis Naëlle si tu te demandes, ta colocataire et partenaire de chasse.

Elle était métisse, d’origine indienne avec des yeux clairs magnifiques. Pourtant cette Naëlle portait un regard dur sur Laïka qui n’osa pas le soutenir et baissa la tête.

 — Tu penses à accélérer Bertille.

 — On était occupée avec les préparatifs cette aprem nous, râla-t-elle.

 — Dépêchez-vous c’est tout ce que je vous demande.

 — C’est bon, finit. annonça Bertille le sourire aux lèvres en libérant Fanny. On peut y aller.

 Laïka ouvrit la bouche en entrant dans le bâtiment. Le brouhaha qui en sortait était impressionnant mais elle n’aurait jamais cru voir un bâtiment si grand au milieu d’un village. Le plafond en voûte était magnifique. De plus, elle qui était restée toute la journée cloitrer chez Fanny se retrouva face à d’innombrable personne aux visages inconnus couvert de dessins peins en différentes coloris accordés à leur tenue. Du blanc, du rouge, du bleu, du gris, du noir, de l’orange, du violet. Toutes les personnes sans exception portaient des vêtements recherchés, les cheveux des femmes comme des hommes avaient été travaillés et malgré les regards interrogateurs, elle voyait en beaucoup de l’inquiétude, du soulagement, de la compassion. Laïka aurait voulu s’approcher de certains, sûre de voir en eux d’anciens camarades de classe, mais le silence s’installa lorsque deux hommes montèrent sur l’estrade.

Elle ne le reconnut pas de suite. C’était Antoine. Le jeune homme dans une tenue blanche accompagné d’une épaisse fourrure rousse lui surmontant les épaules et d’une ceinture à la taille de cette même couleur. Les peintures sur son visage faisaient ressortir sa peau légèrement mat. Elle eut les larmes aux yeux, pensant à son frère mais lorsque l’homme bien plus âgé que son ami se mit à parler dans une langue qui lui était inconnue, sa curiosité prit le dessus. Elle se tourna vers Fanny qui lui fit un sourire rassurant. Tout le monde écoutait attentivement ce qu’il disait. Comprenaient-ils cette langue ? A moins qu’ils écoutaient en signe de respect. Puis elle fut surprise d’entendre la voix posée mais forte d’Antoine.

 — Si nous sommes tous réunis ici, c’est tout d’abord grâce à cette femme extraordinaire : Dema. Nous avons d’ailleurs eu le plaisir d’apprendre qu’un nouveau membre de la famille est arrivé. Antoine se tourna vers les intéressés. Ruem, Camille, félicitation pour ce petit garçon.

La foule leva soudainement les bras et cria un ‘Oh’ fort. Laïka rentra la tête dans ses épaules, stupéfaite. Mais se détendit rapidement quand elle vit à sa droite qu’Henry la regardait de loin. Il était comme elle, dans les tons de bleu, des bandes verticales lui parcourant le visage. Il lui fit alors un clin d’œil et elle sourit, rassurée.

 — La fête hivernale, c’est six jours de joie, de partages de convivialité pour nous rappeler que nous sommes tous, malgré nos différences et les distances, une même tribu.

Antoine marqua une pause et se tourna vers l’homme prénommé Rül qui s’était avancé à son niveau. Ensemble ils ajoutèrent :

 — Une même famille.

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