Chapitre III

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San Francisco, mai 1850

La ville était tentaculaire, encombrée boueuse et sale. Construite de bric et de broc elle se déployait sur les bords de mer et escaladait les collines alentour. Le quai, immense capharnaüm s’étalait à l’infini, des centaines de bateaux déballaient leurs marchandises. Tout ici semblait importé, des dockers par milliers courraient dans tous les sens. Une joyeuse anarchie, que tout cela !

Les gens, mon Dieu, les gens, il y en avait de toute sorte, toutes les races du monde étaient représentées. Toutes les langues de la terre y étaient parlées également, le brouhaha était horrible. Auguste-César, qui, six mois durant n’avait eu que quelques mètres carrés à fouler chaque jour en avaient le tournis.

Alors que vaguement il suivait ses compatriotes qui comme lui venaient de débarquer, il s’entendit interpellé par une voix féminine haut perchée. La dame maquillée en valet de carreau avait l’accent pointu des demi-mondaines de Montmartre.

— Tu m’offres une coupe de champagne beau brun ! On causera du pays !

La jeune femme n’était pas laide, c’était une prostituée bien entendu, mais six mois de mer sans sexe faible à bord…

Tel Ullysse, il succomba aux doux chants de la sirène.

Elle planta ses mains gantées sur son bustier à la mode du petit Paris et lui rit au nez ! Lui mettant pratiquement sa paire de seins sur la figure.

— Tu es fauché, comme les blés beaux bruns, je le vois dans ton œil, le verre de mousseux et le voyage de rêve je te l’offre, bienvenue en Californie, mon biquet ! Tu finis mon rince-bouche si tu veux, c’est gratis aussi et tu me rejoins ! La petite porte aux rideaux roses au bout du couloir ! Fais vite !

Et elle fut happée par le sordide escalier obscur qui conduisait dans la chambre du bonheur. Alors qu’il était subjugué par sa chute de rein et sa démarche chaloupée, un garçon qui répondait au prénom de Charle lui apporta un autre verre de vin pétillant tiède !

— Cadeau de la maison ! Cria-t-il goguenard.

Il rajouta plus bas, je serais toi, je ne monterais pas, je filerais comme un voleur pendant qu’il en est encore temps, la belle est vénéneuse… au mieux tu récoltes la chaude pisse, au pire…

Mais il parlait dans le vide, l’autre avait déjà fini son verre et comme un automate disparaissait à la suite du parfum suave…

*

Un mal de tête lancinant terrassait Auguste-César. Péniblement il tenta de se relever, ses jambes ses bras, rien ne fonctionnait, elle l’avait bien eu, elle avait dû le droguer, il avait été refait putain, comme un bleu, on avait essayé de l’avertir, en pure perte… Mais elle en valait le coup la garce, elle savait s’y faire… Même s’il se retrouvait en caleçon et maillot de corps… il avait tout perdu, de toute façon ce n’était pas grave, il n’avait pas grand-chose déjà !

Bienvenu dans le Nouveau Monde !

Il réussit à se mettre debout enfin, la tête tournait un peu, mais il arrivait à marcher. Il avait honte à présent. Cette femme de petite vertu s’était joué de lui. En attendant, il ne pouvait pas rester dans cette tenue et il avait faim surtout. Il avait repéré à l’arrière d’une bicoque de bois un fil d’étendage sur lequel flottaient des frusques d’homme. Il s’approcha du lieu subrepticement et s’empara d’une chemise et d’un pantalon. Ainsi vêtu pieds nus il s’enquit du quartier hispanique ou il devait rencontrer un certain Joaquim !

C’était une des premières choses qu’il avait vérifiées à son réveil, il était toujours en possession de la lettre et de la concession au nom de Jean Maurel !

La demoiselle n’avait pas jugé bon de l’en déposséder ; il fallait dire qu’Auguste ignorait les us et coutumes de la région. Jamais une prostituée ne volait un titre de propriété. Elles préféraient plumer consciencieusement les pigeons qui un peu d’or en poche venaient se saouler en ville.

Rancuniér Auguste-César se jurait de faire payer au centuple ce que cette pimbêche lui avait dérobé. Il la retrouvera il en était certain…

Au coin d’une rue, il fut attiré par une devanture de magasin, elle était écrite en français.

-Chez Jules, vins fins, mets du terroir bourguignon et Périgourdin ! -

Sur la façade voisine était inscrite -Boulangerie Boudin, pains Français -

trois quatre bâtiments plus loin étaient -Le Chaudron- et au bout de l’alignement en lettre capitale

-Aux délices de Provence ! -

Bien entendu, il s’y engouffra

Un couple entre deux âges était au comptoir.

Il suffit qu’il lance un sonore et chantant !

— Bonjour, Méssieurs Dames !

Pour que les visages des commerçants s’illuminent. Le pari d’auguste césar avait été payant. Il finissait à leur table, qui était bien riche. Après la poire et avant le dessert, les amabilités étant terminées.

L’homme, un solide gaillard à l’appétit robuste, le questionna enfin sur les raisons de sa venue dans ce coin de sauvage

— Tu es venu pour l’or, jeune homme,

suivi par le terrible…

— Tu fuis quoi, tu n’étais pas bien chez toi ?

Il se contenta de répondre à la première question,

— Il paraît qu’il y a de l’or partout, et, tournant la tête malicieusement, il rajouta, oui, je vois que vous en avez trouvé vous aussi.

Un sourire entendu plus tard, l’homme n’était pas dupe !

— Tu vas le trouver comment ton or, petit !

— Une de mes connaissances sur le bateau qui m’a amené ici a un frère qui a une concession, Jean, Jean Maurel, de Saint-Tropez, il est associé à un mexicain, Joaquin…

À l’évocation de ce dernier prénom, l’homme volubile se figea !

— Pitchoun, si tu n’es pas encore entré en contact avec ce Joaquin, il est temps pour toi de faire demi-tour. Je peux t’engager, tu n’as pas l’air sot. Ce n’est pas le travail qui manque ! Mais si tu désires tout de même rejoindre cet homme et ses amis mexicains, je dois te mettre en garde…

La femme, l’accorte commerçante coupa alors son mari.

— Oh ! Arrête avec ces histoires, ce ne sont pas les nôtres, si notre invité veut chercher de l’or dans la sierra avec ses compères mexicains, libre à lui ! Et changeant de sujet !

— Auguste, tu vas de notre part au petit Paris, tu te choisis une paire de chemise et de bottes… Tu ne pourras aller comme ça dans la montagne ! Pendant que mon mari t’indique le chemin du quartier chilien, je te prépare un sac et des provisions, tu es si maigre, tu ressembles à un chat de gouttière mon mignon, tu nous rendras tout ça quand tu auras trouvé ton premier or

puis plus bas pour ne pas que son époux entende alors qu’il était parti chercher une bouteille de muscat dans la resserre.

Si tu changes d’avis, il y a du travail ici, la femme de l’épicier ne dédaignerait pas d’une jeune carotte dans sa marmite.

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