Mai 1850, San Francisco

Accoudé au bastingage, à bâbord, il voyait la côte se dessiner devant lui. Dans quelques heures, un jour au plus, ils pourront toucher la terre à nouveau. Sauf si le brouillard qui était fréquent dans le coin les en empêchait. Alors là la prudence s’imposait. Passer la Porte D’or par temps de brume équivalait à un naufrage à coup sûr. C’était le second du navire qui lui avait donné cette information, un Provençal lui aussi, un Tropézien ! Ils s’étaient liés d’amitié pendant la traversée. Ils parlaient le même charabia chantant, ça les avait rapprochés.

Le voyage avait été épouvantable… l’eau croupie, le soleil de plomb, le froid de canard, les tempêtes, la dysenterie…

Il se rappelait alors nostalgique son petit village sur un coteau. Il y avait été heureux…

Une main un peu rude le bouscula.

— Oh pitchoun ! Secoue-toi, mon ami on arrive à San Francisco, à nous la fortune maintenant, la France c’est le passé, secoues -toi !

Il avait raison, la mélancolie ne servait à rien !

Ce qu’il avait fait, il l’avait fait, voilà tout ! Maintenant qu’il était au bout du monde, une autre vie allait commencer.

Il descendrait du bateau, dans une auberge du quartier chilien il demandera un certain Joaquin, il avait été l’associé de Jean Maurel, le frère d’Étienne Maurel. Pendant ce temps, Étienne finirait son service, le second et le capitaine étaient les derniers à quitter le navire. Ils devaient veiller à ce que tout soit en ordre avant de quitter la Corvette.

— Attention, Pitchoun, mon frangin m’avait dit que son allié était fougueux, brave, dangereux, mais loyal. C’etait un Mexicain, un Californios, il s’appelle Joaquin, ils s’appellent tous Joaquin. Il avait rajouté, tu verrais leurs femmes, belles, libres, envoutantes… Elles savent se servir d’un couteau aussi, tout le monde se sert d’un couteau à Sonora !Alors, Gaffe pitchoun, faï atencioun !