Chapitre I

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Avril 1847, Saint-Maximin

La carriole arrivait au lieu-dit le pas de la mule. Là, la piste quittait le plateau forestier du haut pays et plongeait dans le vaste vignoble du centre varois. La ville de Saint-Maximin n’était plus très éloignée maintenant. Auguste-César, marchait, tenant le mulet par le licol. La bête de somme tremblait, un je ne sais quoi dans l’air l’inquiétait. L’homme était sur ses gardes. Un fusil chargé était entreposé sous le siège du conducteur, prêt à l’emploi.

Une menace rôdait dans les buissons en contrebas. Une pierre roulait, une branche craquait…

Le marcheur flattait doucement le poitrail du mulet, d’une main sûre il raccourcit la longe et tira dessus, empêchant l’animal de ruer dans ses brancards. Lentement, de sa main libre il s’empara de l’arme , sans lâcher la corde qui le reliait à l’équidé et sans quitter la forêt des yeux, il commença à épauler et cria :

— Si tu es un humain, montre-toi, sinon je tire !

Des pleurs d’enfant lui répondirent :

— C’est moi, je ne suis pas une bête, je suis ton frère, ne tires pas !

Auguste-César, rassuré pointa la carabine vers le sol. Alors qu’un gamin de dix ans sortait de sa cachette.

— Je te l’avais dit, tête de mule, enfant gâté, que tu ne pouvais pas venir cette fois-ci. Toi bien sûr comme à ton habitude tu n’en as fait qu’à ta façon. Tu t’en fiches de ce que disent ou pensent les autres ! Je préférerais que tu retournes à la maison ! mais je sais que tu n’en feras rien ! accompagne-moi si tu veux ! je m’en fous ! je ne serais responsable de rien, tant pis pour toi si…

L’enfant baissait la tête, il s’en moquait d’être ainsi rabroué, il accompagnait son frére à la foire, le reste importait peu.

Il y avait tant de choses à y faire !

Il voulait voir les ours savants, les avaleurs de sabre, les cracheurs de feu. L’année d’avant il y avait mangé un fruit inconnu, juteux comme une pêche. Il en avait oublié le nom, mais l’évocation seule l’avait fait saliver. Et puis, il rendra visite aux marchands de gourmandises, bonbons, nougats, calissons, sucre d’orge, pralines, il en bavait à l’avance. Chaque année il se rendait malade tant il se gavait de confiseries.

Auguste-César, lui ne disait rien, soucieux, il ruminait. Tout allait de travers dans sa vie en ce moment, de toute façon !

*

Depuis sa naissance déjà, son avenir était tout tracé:

Il devra devenir paysan, comme son père et avant lui le père de son père. Fils ainé ,ce sera à lui de reprendre la modeste exploitation familiale, il n'aura pas d'autres choix.

Quelques vignes, des oliviers, un bout de forêt, un cheval pour le labour, des poules des lapins....

Ce ne sera pas la richesse, ce ne sera pas la misère non plus. Il épousera la fille Garcin, Aurélie. Elle n’était pas la plus laide ni la plus sotte, loin de là, fille unique, elle lui apportera en dot: des vignes, quelques oliviers, un cheval pour le labour, des poules et des lapins, un bout de forêt. Ils feront des enfants aux joues roses, qui deviendront paysans à leur tour. L’avenir était comme le sillon qu’il traçait avec le soc de sa charrue, droit jusqu’au bout de la raie et parallèle à la rangée précédente.

Non, ce n’était pas tout à fait de cette vie-là que voulait Auguste-César. Son existence, il voulait pouvoir la choisir ! Il avait déjà essayé d’en parler avec son pére qui n’avait rien compris. Que voulait donc ce fils indigne. Il était sûrement trop gâté par sa mére, que voulait-il donc de plus ? Non, le pére, engoncé dans ses certitudes ne comprenait pas.

Sa destinée, Auguste-César l’imaginait, ou la rêvait plutôt, à Marseille ou à Paris, devenir quelqu’un, faire fortune, revenir au pays les poches cousues d’or comme ce vieux roi d’autrefois qui s’appelait Ullysse. Heureux qui comme Ullysse à fait un beau voyage, il pouvait encore, réciter ce poéme de Joachim du Bellay par coeur.

D'aprés le paternel, tout ça, ce n'était que des fariboles que son crétin de frére lui avait bourré dans la tête avec ses lectures stupides.

À quoi bon, tous ces rêves, le père avait raison. Non, il était à sa place ici . C’est ici qu’il sera heureux. D’ailleurs le destin avait déjà choisi pour lui, il allait se marier au mois d’aout, il sera heureux avec Aurélie, il l’aimait bien cette fille au fond, elle était très amoureuse. Ils n’avaient pu attendre la noce, un enfant était déjà en route. Elle aura un petit ventre sous sa robe blanche, la douce colombe !

— Elle a mangé trop de pois chiches, dira son père, fier comme Artaban.

Non, ils seront heureux. Ils aménagerons la petite maison de la vieille tante au bout du village, celle qui possède une grange attenante. Il y aura un peu de travaux à prévoir, bien sûr, mais rien de très compliqué. La vie s’annonçait belle finalement.

Il en était là, de ses réflexions. Il devait se remettre au travail, le box de Sultan, le cheval de la Barone ne se nettoiera pas tout seul et madame n’allait pas tarder de revenir de sa balade quotidienne. Il ne fallait pas qu’elle le trouve en train de rêvasser, il ne fallait surtout pas qu’il croise son regard sinon il était perdu. Il ne fallait pas qu’il aperçoive, la peau blanche de ses chevilles et de son cou . Quand elle avait trop chaud, Madame, négligement déboutonnait les trois premiers bouton de son corsage.

Il but une longue rasade d’eau fraiche, au bassin de la cour du château. Il se mouilla le visage, et reprit la Fourche, la pioche et la brouette.

Mais, Auguste-César, brun ténébreux, bon danseur, drôle et intelligent, plaisait aux dames. Pas une ne se réveillait moite d’amour au petit matin après l’avoir croisé à la tombée du jour. Il n’y avait qu’à voir les yeux qu’elles avaient, les soirs d’été, quand il les attirait dans le maquis parfumé.

Il se rappelait, hélas, cette journée, cette maudite après-midi il y avait quelques temps déjà.

Il travaillait au château de temps en temps pour compléter son activité de paysan, il se louait comme journalier. Le maitre n’était pas là, il ne l’était pas souvent.

Le baron, industriel puissant, possédait des industries, dans la région aixoise. Pendant que sa femme jouait à la châtelaine, lui s’amusait à crocheter les petites serrures de ses ouvrières. Il aimait les très jeunes filles, celles qui étaient encore presque des enfants. L'épouse, la trentaine, belle encore, se sentait abandonnée dans cette énorme bâtisse, si froide et si austère. Marie-Amélie détestait ces longs couloirs peints à la chaux, ces chambres immenses où elle s’ennuyait. Seule la plupart du temps,elle haïssait, désormais le gandin qui l’avait séduite, autrefois. Jolie fleur oubliée dans un vase de porcelaine, elle dépérissait.

Son jouet, Auguste-César, se dérobait. Il allait bientôt convoler en juste noce avec une voisine, une petite oie blanche qui devait en être heureuse. Déprimée, frustrée convaincue qu’une longue chevauchée solitaire allait éteindre ses désirs inassouvis, elle avait enfourché son bel alezan noir.

Auguste n’était pas fier de ce qui s’était passé ensuite, quand madame était rentrée de sa promenade, rouge comme un champs de coquelicots.

Une fourche dans sa main, il nettoyait le box de Sultan, le cheval favori de madame. Tout adsorbé à sa tâche, il n'avait pas entendu sa patronne rentrer . Elle le regardait travailler. Pour être plus à son aise, l’homme avait ôté sa chemise. Elle admirait, gourmande, le torse musculeux, du jeune valet. Il plantait avec des gestes vifs et précis son trident dans le fumier. Les bras vigoureux allaient et venaient régulièrement tels les pistons d’une puissante machine. Il était en sueur le beau mâle. Les yeux mi-clos, elle se prit à rêver qu’elle le bouchonnait, comme son cheval Sultan. Elle ne put réfréner son désir plus longtemps. Une poignée de paille dans son gant la jeune femme effleura le dos musculeux tant convoité.

Au premier contact, il sursautat mais ce n'était pas si désagréable que cela. Il tenta l'esquive, mais dans cette petite piéce il était pris au piége. Il se retourna, feignant le couroux pour masquer son exitation, planta la fourche d'un air rageur dans un tas de fumier, et, gonflant sa poitrine toisa sa patronne:

— Que faites-vous là ! Vous n’allez tout de même pas me frotter comme un vulgaire animal !

— Si ! répondit la gourgandine. Je vais te bouchonner comme un étalon !

Ils roulèrent alors dans le foin frais qui tapissait l’allée centrale de l’écurie. La cavalière tacha sa jolie robe, déchira ses riches tissus, écorcha sa peau douce et satinée. Elle en avait cure.

Elle avait eu ce qu’elle voulait. Radieuse, elle menait la danse, elle le tenait par le bout du nez, le petit paysan beau comme un dieu grec.

Jeune capricieuse, elle rêvait d’une fuite avec lui. Elle avait toujours obtenu ce qu’elle voulait, rien ni personne ne lui résistait jamais très longtemps. Surtout, elle avait une botte dans son jeu. Elle s’apprêtait à l’abattre sur le tapis au moment opportun. Pour l'instant, elle avait encore envie de jouer à la souris qui se faisait dévorer par le chat.

Auguste en avait eu envie lui aussi. La délicate mousseline qu’il avait froissée et déchirée, la peau douce soyeuse et laiteuse qu’il venait de rudoyer. il ne regrettait rien, naïvement, il pensait contrôler, la situation. Il allait se lever, et partir. Bientôt il se mariera, elle appartenait déjà au passé la jolie poupée en porcelaine à la luxueuse robe tachée de fumier .

D’une voix fluette, elle dit, alors simplement.

— J’attends un enfant, de toi.

Un coup de massue n’aurait pas eu plus d’effet

Auguste essaya de se défendre un peu, même si au fond de lui il savait déjà qu’il avait perdu la partie.

Elle lui déclara, en pleurs, bien sûr que le marmot serait de lui. Qu’elle n’avait aucun doute ! Son mari ne l’avait plus touché depuis longtemps et que oui elle en était sure un enfant poussait dans son ventre. Alors, elle abattit sa dernière carte. Câline, elle minauda.

— Et si, on s’enfuyait. L’Amérique, un Nouveau Monde, tout y est permis.

Il ne pouvait plus réfléchir, le cerveau bouillait.

Il fit ce qu’il savait le mieux faire, il tenta de fuir, de fuir, de mentir de bonimenter et de s’esquiver en catimini.

Mais il savait qu’il lui faudrait affronter la réalité, choisir, agir, être responsable.

Deux enfants, il lui fallait choisir Aurélie, Marie Amélie

Elle ne lui laissa pas le choix,

Elle l’enroula dans ses bras, l’attira sur son opulente poitrine et telle une mante religieuse s’apprêtant à dévorer son mâle lui susurrât des mots d’amour des mots salaces grivois des promesses de luxures et des menaces également.

— Tu es à moi maintenant Auguste-César, soit tu assumes cet enfant et nous fuyons aux antipodes ensemble soit…

Elle ne fini pas sa phrase, mais il ne fallait pas être sorcier pour comprendre les menaces contenues dans ce dernier mot.

Lorsqu’elle enroulât ses jambes et ses bras à son corps nu, il était cuit !

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